Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 25 janvier 2010

Endroit : Centre Asticou, bloc 2600, pièce 2601 (salle de cour), 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau, QC

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 (subsidiaire au chef d'accusation 2) : Art. 130 LDN, meurtre au deuxième degré (art. 235(1) C. cr.).
•Chef d'accusation 2 (subsidiaire au chef d'accusation 1) : Art. 130 LDN, tentative de meurtre où il y a eu usage d'une arme à feu (art. 239(1)(a.1) C. cr.).
•Chef d'accusation 3 : Art. 93 LDN, comportement déshonorant.
•Chef d'accusation 4 : Art. 124 LDN, a exécuté avec négligence une tâche militaire.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 2, 4 : Non coupable. Chef d'accusation 3 : Coupable.
•SENTENCE : Destitution du service de Sa Majesté et une rétrogradation au grade de sous-lieutenant.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Semrau, 2010 CM 4015

 

Date : 20100616

Dossier : 200945

 

Cour martiale générale

 

Aérodrome de Kandahar

Province de Kandahar, Afghanistan

 

Entre :

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Capitaine R.A. Semrau, accusé

 

Devant : Lieutenant-colonel J G Perron, J.M.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

DÉCISION CONCERNANT LA LIBÉRATION D’UN MEMBRE DU COMITÉ DE LA COUR MARTIALE

 

(Prononcée de vive voix)

 

[1]               Le 16 juin 2010, une audience s’est déroulée à l’Aérodrome de Kandahar en l’absence du comité, au titre de l’article 112.60 des Ordonnances et règlements royaux, pour débattre d’une question concernant un membre du comité. Ce dernier, le lieutenant-colonel Woodhall, n’a pas rejoint le reste du comité au KAF, c’est-à-dire à l’Aérodrome de Kandahar, pour cause de maladie. Seuls quatre membres de ce comité se trouvent actuellement au KAF. Les avocats de la poursuite et de la défense ont initialement été avisés de la situation par l’administrateur de la Cour martiale le 10 juin 2010, et la question a été évoquée le lendemain durant une téléconférence à laquelle ont pris part lesdits avocats et moi-même.

 

[2]               Le 14 juin 2010, l’administrateur de la Cour martiale a fait suivre aux avocats et au sténographe judiciaire deux courriels déposés en pièce 42. Dans l’un d’eux, le lieutenant-colonel Woodhall demande à être libéré de ses fonctions de membre du comité de la Cour martiale générale en raison de problèmes de santé. Dans l’autre courriel, le major Patterson, la médecin-chef de la base du Centre des Services de santé des Forces canadiennes (Ottawa), indique que le lieutenant-colonel Woodhall souffre d’une affection médicale grave requérant une attention et des traitements médicaux, qui nuira à sa capacité de travail quotidien et peut affecter directement sa concentration. Elle précise qu’en raison de sa maladie, le lieutenant-colonel doit recevoir des soins actifs et des services hospitaliers d’urgence 24 heures par jour, sept jours sur sept. Elle déclare que l’établissement de rôle 3 de KAF ne peut pas répondre à ses besoins médicaux en matière de soins actifs, que le lieutenant-colonel n’est apte à remplir aucune fonction et qu’il est en congé de maladie à temps plein. Pour le moment, il ne peut accomplir aucune tâche, qu’elle soit d’ordre militaire ou civil. Toujours d’après le major, les besoins médicaux du lieutenant-colonel Woodhall continuent d’évoluer et son affection se prolongera pour une période indéterminée.

 

[3]               Je dois à présent décider si cette Cour martiale générale peut poursuivre ses travaux avec un comité de quatre membres, ou si d’autres options sont préférables. La poursuite fait valoir que l’article 196.1 de la Loi sur la défense nationale indique clairement que la Cour peut poursuivre ses travaux avec un comité de quatre membres. L’avocat de la défense soutient pour sa part que la Cour ne doit pas instruire cette affaire avec quatre membres seulement, et que je devrais déclarer le procès nul.

 

[4]               Dans R c Trépanier, 2008 CACM‑3, la Cour d’appel de la cour martiale a convenu que le système de justice militaire était un régime sui generis assujetti au droit constitutionnel du pays. Cette décision est la dernière d’une longue série dans laquelle la Cour d’appel de la cour martiale a invariablement estimé que les cours martiales constituaient un régime sui generis. En d’autres mots, « [u]n procès devant une cour martiale générale n’est pas un procès avec jury, encore que pareille cour et un procès criminel avec jury dans le contexte civil puissent avoir certaines caractéristiques en commun » (voir le paragraphe 16 dans R c Deneault, (1994) 5 C.M.A.R. 182).

 

[5]               Telles que décrites dans l’arrêt R c Généreux [1992] 1 RCS 259, les cours martiales sont conçues pour faire respecter le Code de discipline militaire. La Cour suprême du Canada et la Cour d’appel de la cour martiale ont constamment réaffirmé la notion de système de justice militaire distinct au Canada, sous-tendue par la nécessité de faire respecter le Code de discipline militaire. Bien que, suivant l’alinéa 11f) de la Charte canadienne des droits et libertés, les tribunaux militaires soient compétents à l’égard des infractions relevant de la justice militaire, mais ne donnant pas lieu à des procès avec jury, ils sont tenus malgré tout de respecter les autres droits énoncés dans la Charte. Au paragraphe 102 de l’arrêt Trépanier, la Cour d’appel de la cour martiale a confirmé la légitimité des procès tenus devant des comités en déclarant :

 

[…] Il se peut que la négation, à l’alinéa 11f) de la Charte, du droit de l’accusé comparaissant devant un tribunal militaire de subir un procès devant jury ait été jugée plus acceptable par le législateur en raison de l’existence, dans le système de justice militaire, d’une longue tradition de procès tenus devant un juge et un comité de membres, qui assurait une protection équivalente.

 

[6]               Dans l’avant-propos au Premier examen indépendant par le très honorable Antonio Lamer, C.P., C.C., C.D., des dispositions et de l’application du projet de loi C‑25, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d’autres lois en conséquence, conformément à l’article 96 des Lois du Canada (1998), ch. 35, le très honorable M. Lamer a conclu que le système de justice militaire fonctionne bien dans l’ensemble. Il était « heureux de pouvoir dire que, par suite des modifications apportées par le projet de loi C‑25, le Canada s’est doté d’un système très solide et équitable de justice militaire dans lequel les Canadiens peuvent avoir confiance. » Malgré ses nombreux commentaires et recommandations en vue d’améliorer le système de justice militaire, le très honorable M. Lamer n’a pas critiqué la composition de la Cour martiale générale. Il déclare plus loin, à la page 34 : 

 

Alors qu’avant l’adoption du projet de loi C-25 seuls des officiers pouvaient être membres des cours martiales générales et disciplinaires, les comités de celles-ci doivent dorénavant, si l’accusé est un militaire du rang, comprendre deux militaires du rang détenant au moins le grade d’adjudant afin de mieux tenir compte des différentes personnes qui sont chargées de la discipline et de l’éthique dans le système de justice militaire.

 

[7]               On pourrait affirmer que le système de justice militaire opère de manière parallèle au système civil de justice criminelle, il ne fonctionne pas en vase clos pour autant. C’est-à-dire que ce système ne peut aller à l’encontre du droit canadien à moins que les dispositions de la Loi sur la défense nationale ou des Ordonnances et règlements royaux ne l’autorisent explicitement et que cela n’enfreigne pas la Constitution.

 

[8]               Les cours martiales doivent donc consulter la jurisprudence canadienne appropriée si la Loi sur la défense nationale et les Ordonnances et règlements royaux sont muets sur un point précis et que la jurisprudence civile se rapporte à des questions analogues à celles dont la Cour martiale est saisie. Une analyse adéquate de cette jurisprudence civile, qui suppose d’examiner son fondement législatif et son objet à la lumière de la Loi sur la défense nationale et du système de justice militaire, permettra donc de s’assurer que les accusés militaires et ceux qui sont traduits devant des tribunaux criminels canadiens sont traités de façon équivalente, ce qui garantira un procès équitable.

 

[9]               Le premier paragraphe de l’article 196.1 de la Loi sur la défense nationale prévoit :

 

En cas de décès ou d’incapacité d’agir de plus d’un membre du comité après la réponse à l’accusation mais avant le prononcé du verdict, la Cour martiale est dissoute.

 

[10]           La Loi sur la défense nationale ne comporte aucune disposition analogue à l’article 644 du Code criminel du Canada, qui prévoit :

 

(1)           Lorsque, au cours d’un procès, le juge est convaincu qu’un juré ne devrait pas, par suite de maladie ou pour une autre cause raisonnable, continuer à siéger, il peut le libérer.

 

(1.1)        Il peut le remplacer si le jury n’a encore rien entendu de la preuve en lui substituant un autre juré qu’il choisit parmi les personnes dont le nom figure au tableau et qui sont présentes au tribunal ou qu’il assigne conformément à l’article 642.

 

(2)           Lorsque, au cours d’un procès, un membre du juré décède ou est libéré au titre du paragraphe (1), le jury est considéré, à toutes les fins du procès, comme demeurant régulièrement constitué, à moins que le juge n’en ordonne autrement et à condition que le nombre des jurés ne soit pas réduit à moins de dix; le procès se continuera et un verdict pourra être rendu en conséquence.

 

L’article 196.1 de la Loi sur la défense nationale concerne les conditions entraînant la dissolution de la Cour martiale générale, alors que l’article 644 du Code criminel intéresse surtout les circonstances dans lesquelles le procès peut se poursuivre en cas de libération d’un ou de deux jurés. La Loi sur la défense nationale et les Règlements et ordonnances royaux ne fournissent à la Cour aucune procédure ou directive en ce qui a trait à l’application du paragraphe 196.1(1).

 

[11]           Il est évident, à la lecture des articles 196.1 et 644, qu’ils visent la même fin, soit de s’assurer qu’une cour martiale générale et un procès par jury puissent se poursuivre lorsque le nombre initial de membres du comité ou du jury change en cours de procès. La Loi sur la défense nationale prévoit simplement qu’en cas de décès ou d’incapacité d’agir de plus d’un membre du comité après la réponse à l’accusation, mais avant le prononcé du verdict, la Cour martiale est dissoute. Cette disposition indique donc qu’il n’est pas nécessaire de dissoudre une cour martiale si moins de deux membres du comité décèdent ou sont dans l’incapacité d’agir pour une quelconque raison. Plus simplement, cela signifie qu’une cour martiale n’aura pas à être dissoute si un seul membre du comité décède ou est dans l’incapacité d’agir pour une quelconque raison.

 

[12]           L’article 644 du Code criminel aborde ce cas de figure sous un angle différent. Aux termes du paragraphe (1), lorsque, au cours d’un procès, le juge est convaincu qu’un juré ne devrait pas, par suite de maladie ou pour une autre cause raisonnable, continuer à siéger, il peut le libérer. Suivant le paragraphe (1.1), il peut le remplacer si le jury n’a encore rien entendu de la preuve en lui substituant un autre juré qu’il choisit.

 

[13]           Enfin, en vertu du paragraphe (2), lorsque, au cours d’un procès, un membre du jury décède ou est libéré au titre du paragraphe (1), le jury est considéré, à toutes les fins du procès, comme demeurant régulièrement constitué, à moins que le juge n’en ordonne autrement et à condition que le nombre des jurés ne soit pas réduit à moins de dix; le procès se continuera et un verdict pourra être rendu en conséquence.

 

[14]           L’article 644 du Code criminel autorise le juge à libérer deux jurés s’il est convaincu que ces derniers ne devraient pas, par suite de maladie ou pour une autre cause raisonnable, continuer à siéger, ce qui permet malgré tout au procès par jury de se poursuivre. En vertu de cette disposition, un jury composé de dix membres est réputé encore régulièrement constitué et peut rendre un verdict.

 

[15]           Les manières de traiter une situation donnée diffèrent, mais j’estime que la Loi sur la défense nationale et le Code criminel poursuivent la même fin : elles prévoient le nombre minimal de membres du comité ou de jurés réputé nécessaire pour continuer le procès.

 

[16]           Dans l’arrêt R c Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296, le juge Wilson, s’exprimant au nom de la Cour, déclarait ceci au sujet du procès avec jury :

 

[…] Le droit d’un accusé de subir un procès devant un juge et un jury composé de ses pairs est un droit important dont les personnes jouissent depuis fort longtemps dans les pays de common law. Le jury a souvent été louangé comme étant le rempart des libertés individuelles. Par exemple, sir William Blackstone a qualifié le jury de [traduction] « gloire du droit anglais » et de [traduction] « privilège le plus transcendant dont tout sujet peut jouir » : Blackstone, Commentaries on the Laws of England (8e éd. 1778), vol. 3, à la p. 379.

 

                Le jury joue un rôle collectif ou social en plus d’assurer la protection des individus. Le jury remplit ce rôle social premièrement en servant de moyen d’éducation du public et en incorporant les normes de la société aux verdicts des procès. Sir James Stephen souligne le rôle collectif que remplit le procès par jury dans les termes suivants :

 

[traduction] […] le procès avec jury intéresse un grand nombre de personnes à l’administration de la justice et leur en fait porter la responsabilité. On ne saurait accorder trop d’importance à cet aspect. Il confère un degré de puissance et de popularité à l’administration de la justice qui pourrait difficilement provenir d’une autre source.

 

[17]           Ayant reproduit ce passage de l’arrêt R c Turpin, il m’apparaît aussi que les paragraphes 25 et 26 de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c Chambers, [1990] 2 R.C.S. 1293, sont très à propos en l’espèce. En voici la teneur :

 

                L’appelant a soutenu que le véritable fondement des décisions américaines était la pratique, suivie aux États‑Unis, de pourvoir des jurés suppléants. Il a fait valoir que, comme il n’existe pas de jurés suppléants au Canada, le raisonnement adopté dans la jurisprudence américaine ne devrait pas s’appliquer chez nous. Je ne puis accepter cet argument. Ce n’est ni sur la présence ni sur l’absence de jurés suppléants que reposent les décisions américaines. Ce qui est fondamental est plutôt la conclusion que la libération d’un juré pour cause de maladie ou de difficultés particulières ne peut raisonnablement être considérée comme influant sur la conduite du procès en soi ou sur la culpabilité ou l’innocence de l’accusé. C’est là un principe qui s’applique tout autant au Canada qu’aux États‑Unis.

 

Et au paragraphe 26 :

 

                En résumé, l’accusé ne jouit pas d’un droit absolu d’être présent à une audience tenue pour examiner s’il y a lieu de libérer un juré pour des raisons de santé. Toutefois, vu l’importance d’une telle mesure, il vaudrait mieux que le juge du procès informe les avocats, en cour et en présence de l’accusé, de la nature du problème de santé ou des difficultés particulières et qu’il les invite à présenter des observations s’ils le désirent. Il n’est pas nécessaire que ce processus comporte toutes les formalités d’une audience en règle où des témoins sont tenus de déposer sous serment relativement à la question, car cela pourrait entraîner des retards injustifiés et causer inutilement des difficultés aux jurés, à leurs familles et à leurs conseillers médicaux. Au contraire, il peut suffire dans bien des cas que le juge explique le problème et qu’il donne aux avocats la possibilité de présenter des observations. Un tel procédé permettrait de souligner l’importance de la décision tout en garantissant qu’elle ne soit prise qu’au terme d’un examen consciencieux.

 

[18]           L’extrait suivant de l’arrêt R c Basarabas, [1982] 2 R.C.S. 730, m’apparaît aussi pertinent :

 

[…] Deuxièmement, sous réserve de l’art. 573, un accusé dans un procès devant jury pour une infraction criminelle a le droit d’être jugé par douze jurés […]. Il a droit à un verdict unanime des douze jurés à moins que « au cours d’un procès », c’est-à-dire après que le procès a commencé, le juge soit convaincu qu’un juré ne doit pas continuer à siéger par suite de maladie ou pour une autre cause raisonnable.

 

[19]           Enfin, dans l’arrêt R c Lessard, [1992] R.J.Q. 1205, autorisation d’appel devant la Cour suprême du Canada refusée 145 N.R. 390n, la Cour d’appel du Québec a conclu que le pouvoir de libérer un ou deux jurés aux termes du paragraphe 644(2) ne porte pas atteinte au droit à un procès devant jury prévu à l’alinéa 11f) de la Charte canadienne des droits et libertés.

 

[20]           Comme l’a déclaré la Cour d’appel de Colombie-Britannique au paragraphe 13 de l’arrêt R c Piché, 13 C.C.C. (3d) 149 :

 

[traduction] L’article 644 est l’exception à la règle générale suivant laquelle tout accusé a le droit d’être jugé par un jury de douze membres.

 

[21]           Il ressort clairement de la jurisprudence qu’un procès devant jury doit débuter avec douze jurés, mais qu’il peut se terminer avec dix. L’article 644 du Code criminel prévoit les motifs de libération d’un juré au cours du procès ainsi que le nombre minimal de jurés requis pour que le jury soit régulièrement constitué.

 

[22]           Suivant mon interprétation du paragraphe 196.1(1) de la Loi sur la défense nationale, je conclus que cette loi n’autorise la poursuite des procès devant un comité que si un seul de ses membres décède ou se trouve dans l’incapacité d’agir pour une quelconque raison. La Loi sur la défense nationale et les Règlements et ordonnances royaux sont muets sur la procédure à suivre et sur la manière de déterminer si un membre du comité est dans l’incapacité d’agir. Bien entendu, si un membre du comité décède alors que siège une cour martiale générale, il sera dans l’incapacité d’agir.

 

[23]           Je ne pense pas que j’usurpe ainsi le pouvoir du législateur ou que j’accapare des pouvoirs qui ne me reviennent pas. Le paragraphe 196.1(1) entend faire en sorte que les procès qui se déroulent devant une cour martiale générale se poursuivent si un membre du comité décède ou s’il est dans l’incapacité d’agir.

 

[24]           Aux termes de l’article 191 de la Loi sur la défense nationale, le juge militaire qui préside la Cour martiale générale statue sur les questions de droit ou sur les questions mixtes de droit et de fait survenant avant ou après l’ouverture du procès.

 

[25]           Je conclus que les articles 191 et 196.1 m’autorisent à déterminer si un membre du comité peut être relevé de ses fonctions pour cause d’incapacité d’agir. La Cour gagne à consulter la jurisprudence concernant l’article 644 du Code criminel au moment d’examiner cette question.

 

[26]           Il s’agit d’une décision importante. Les accusations dont la Cour est saisie sont graves. Le meurtre au second degré, l’une des infractions les plus graves au regard du droit criminel canadien, est passible d’une peine d’emprisonnement à vie. Ceci dit, il faut rappeler que les articles 73 à 77 du Code de discipline militaire prévoient aussi l’emprisonnement à vie comme peine minimale dans certaines circonstances précises. Je note également que, dans l’arrêt Lessard, dans lequel un juré avait été libéré, les accusés avaient été déclarés coupables de cinq meurtres.

 

[27]           Cela étant dit, je me souviens aussi de cet extrait du paragraphe 25 de l’arrêt Chambers de la Cour suprême du Canada :

 

Ce qui est fondamental est plutôt la conclusion que la libération d’un juré pour cause de maladie ou de difficultés particulières ne peut raisonnablement être considérée comme influant sur la conduite du procès en soi ou sur la culpabilité ou l’innocence de l’accusé. C’est là un principe qui s’applique tout autant au Canada qu’aux États‑Unis.

 

[28]           Le courriel du major Patterson indique clairement que le lieutenant-colonel Woodhall ne serait pas en mesure de continuer à agir comme membre du comité même si nous étions encore au Canada. Il souffre d’un problème médical grave requérant une attention et des traitements médicaux qui peuvent directement nuire à sa concentration. Ses besoins médicaux évoluent et le major Patterson signale qu’il restera atteint de cette affection pendant une période indéterminée.

 

[29]           Cet état médical rend impossible de tenir une vidéoconférence pour lui permettre d’entendre la preuve, comme il a été suggéré. De toute façon, je serais très réticent à envisager cette option. L’idée de faire voyager le lieutenant-colonel Woodhall avec un médecin est irréalisable, compte tenu des renseignements fournis par le major Patterson, puisque cela pourrait être encore plus dangereux pour lui et qu’il est improbable que le médecin traitant l’autorise.

 

[30]           J’estime aussi que, dans les circonstances présentes, il n’est pas raisonnable d’envisager d’attendre trois ou quatre semaines pour voir si le lieutenant-colonel Woodhall recouvrera assez la santé pour pouvoir continuer à siéger comme membre du comité. La partie de cette Cour martiale générale dévolue à la preuve a débuté le 24 mars 2010 et la Cour a déjà eu à subir assez d’ajournements. Ce procès doit aller de l’avant et un ajournement aussi long imposerait probablement d’autres difficultés aux membres du comité. Le major Patterson fait d’ailleurs remarquer que le lieutenant-colonel Woodhall continuera de souffrir de cette affection pendant une période indéterminée.

 

[31]           Par ailleurs, je suis quelque peu surpris par l’observation de l’avocat de la défense selon laquelle le grade du lieutenant-colonel Woodhall devrait entrer en compte au moment de trancher cette question. Si le membre libéré était le plus haut gradé, son grade et sa position pourraient avoir des répercussions sur le procès puisqu’en vertu de l’article 167 de la Loi sur la défense nationale, le plus haut gradé des membres du comité doit être au moins colonel. L’article 167 spécifie également quel grade le membre le plus haut gradé du comité doit détenir lorsque l’accusé est un officier ou qu’il est au-dessus du rang de colonel.

 

[32]           Mais je ne vois pas en quoi le grade des autres membres du comité intéresse ce type de décision. Je trouve encore plus déroutant que l’avocat de la défense insiste sur le rang de lieutenant-colonel et sur son importance comme second membre le plus haut gradé du comité, alors qu’il a fait valoir dans une requête présentée avant le procès que des officiers sous le grade de capitaine et des militaires du rang sous le grade d’adjudant devraient pouvoir siéger au comité. L’avocat avait soutenu que les membres du comité n’étaient que des juges des faits et qu’ils ne remplissaient aucune fonction de commandement.

 

[33]           Je ne peux donc pas être d’accord avec l’avocat de la défense sur cette question. Lorsque je leur communiquerai les instructions finales, je préciserai aux membres du comité que leur grade n’a aucun rôle à jouer dans leurs délibérations. Ils sont tous égaux dans les discussions concernant la présente affaire et doivent chacun arriver à leur verdict. L’article 112.41 prévoit qu’ils doivent voter à tour de rôle, en commençant par celui qui détient le grade le moins élevé, pour éviter toute influence durant le vote.

 

[34]           Par conséquent, je suis parvenu aux conclusions suivantes :

 

a.         j’ai le pouvoir de libérer un membre du comité s’il se trouve dans l’incapacité d’agir pour une quelconque raison;

 

b.         compte tenu de la jurisprudence susmentionnée et des renseignements fournis par le major Patterson, je conclus que le lieutenant-colonel Woodhall est, en raison de l’affection médicale dont il est atteint, dans l’incapacité d’agir comme membre du comité, et que je dois le relever de ses fonctions;

 

c.         le lieutenant-colonel Woodhall a désormais cessé d’être un membre de ce comité. Les quatre membres restants forment encore un comité régulièrement constitué à toutes les fins du procès et celui-ci doit se poursuivre.


 

Avocats :

 

Lieutenant-colonel J.A.M. Léveillée et capitaine T. Fitzgerald

Service canadien des poursuites militaires

Avocats de Sa Majesté la Reine

 

Major S. Turner et lieutenant-colonel J-M Dugas

Direction du service d’avocats de la défense

Avocats du capitaine Semrau

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