Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 25 septembre 2013.

Endroit : Centre Asticou, bloc 2600, pièce 2601, salle d’audience, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC).

Chefs d’accusation
•Chefs d’accusation : 1, 5, 7, 10, 12, 14, 17, 21, 24, 26, 28: Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.).
•Chefs d’accusation 2, 3, 4, 6, 8, 9, 11, 13, 15, 16, 18, 19, 20, 22, 23, 25, 27, 29: Art. 130 LDN, abus de confiance par un fonctionnaire public (art. 122 C. cr.).

Verdicts
•Chefs d’accusation 1, 2, 3, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29 : Coupable.
•Chefs d’accusation 4, 12, 13 : Retirés.
•Chef d’accusation 20 : Non coupable.

Sentence
•Emprisonnement pour une période de 30 mois.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Wilks, 2013 CM 3032

 

Date : 20131115

Dossier : 201251

 

Cour martiale permanente

 

Salle d’audience du centre Asticou

Gatineau (Québec) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Maître de 2e classe J.K. Wilks, accusé

 

 

Devant : Lieutenant-Colonel L.-V. d'Auteuil, J.M.


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

RESTRICTION À LA PUBLICATION

 

Par ordonnance de la cour rendue en vertu de l'article 179 de la Loi sur la défense nationale, des articles 486.4 et 486.5 du Code criminel du Canada, il est interdit de publier ou de diffuser, de quelque façon que ce soit, tout renseignement permettant d’établir l’identité des plaignantes et des victimes, soit C.D., K.M., J.L., K.D., R.G., J.R., M.P., A.B., G.C., A.P., W.G., K.R., T.W., S.M. et A.W.

 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Prononcés de vive voix)

 

INTRODUCTION

 

[1]               Le Maître de 2e classe Wilks est accusé de dix infractions d’ordre militaire punissables en vertu de l'article 130 de la Loi sur la défense nationale pour agression sexuelle, en contravention de l’article 271 du Code criminel, ainsi que de seize infractions d’ordre militaire punissables en vertu de l'article 130 de la Loi sur la défense nationale pour abus de confiance, en contravention de l’article 122 du Code criminel.

 

[2]               Ces accusations portent essentiellement sur ​​le comportement de l'accusé lors d'examens médicaux ou d'examens physiques effectués dans le cadre du recrutement, concernant seize plaignantes différentes qui faisaient partie, ou qui étaient sur le point de faire partie, des Forces canadiennes à titre de réservistes ou de membres de la Force régulière. Ces accusations sont liées à des événements qui seraient survenus entre 2003 et 2007, à Thunder Bay, et au cours de la période de 2008 à 2009, à London, province de l'Ontario, alors que le Maître de 2e classe Wilks agissait en tant que technicien médical à ces emplacements.

 

PROCÉDURES

 

[3]               Ce procès a commencé le 25 septembre 2013, et les plaidoiries finales ont été entendues le 18 octobre 2013. Au tout début de la procédure et avant de demander à l'accusé de plaider coupable ou non coupable aux accusations, la poursuite a retiré, en vertu du pouvoir qui lui est conféré par le paragraphe 165(2) de la Loi sur la défense nationale, les 4e, 12e et 13e accusations se trouvant à l'acte d'accusation, laissant ainsi à la cour le soin de traiter un total de 26 accusations.

 

[4]               En outre, à la suite d'une demande présentée par la poursuite en vertu de l'article 188 de la Loi sur la défense nationale, la cour a rendu une ordonnance de modification des 6e et 23e accusations, considérant qu'il s'agissait d'une irrégularité technique qui n'influerait pas sur le fond même de l'accusation et qui ne porterait pas préjudice à l'accusé.

 

[5]               Les procédures ont commencé dans la salle d’audience du centre Asticou à Gatineau, dans la province de Québec, mais à la suite d'une demande conjointe de changement de lieu, une partie des procédures a ensuite été effectuée à London, dans la province de l'Ontario. La poursuite a présenté un total de 19 témoins, dont 16 plaignantes.

 

[6]               Le 9 octobre 2013, à London, à l'issue de la présentation de la plaidoirie de la poursuite, l'accusé a présenté une requête fondée sur le non-établissement d’une preuve prima facie à l'égard de trois accusations pour agression sexuelle, soit les accusations 10, 14 et 17, ainsi que cinq accusations pour abus de confiance, soit les accusations 9, 11, 15, 16 et 18 se trouvant à l'acte d'accusation, au motif que la poursuite n'avait pas présenté à la cour martiale permanente des éléments de preuve concernant la mens rea des deux types d'infractions visées à l'article 130 de la Loi sur la défense nationale. De plus, la même requête a été présentée pour une accusation d'abus de confiance concernant la 20e accusation, au motif que la poursuite n'avait pas présenté d'éléments de preuve démontrant que l'accusé avait manqué aux normes de responsabilité et de conduite que lui impose la nature de sa charge ou de son emploi. Le lendemain, j'ai rejeté cette demande.

 

[7]               Le Maître de 2e classe Wilks a présenté une défense et il a témoigné en son nom. Ainsi, ce procès porte essentiellement sur une question de crédibilité qui doit être évaluée par la cour en conformité avec les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. W.(D.) [1991] 1 RCS 742.

 

[8]               Après la présentation de sa preuve, la poursuite a évoqué la possibilité de présenter une contre-preuve, et le procès a ensuite repris place dans la salle d’audience du centre Asticou où j'ai entendu une demande de la poursuite visant à présenter une contre-preuve, demande que j'ai acceptée. Un autre témoin a été entendu puis, le 18 octobre 2013, la cour a entendu les plaidoiries finales des deux parties.

 

[9]               Au début du procès, et tout au long de la procédure, la cour a émis une ordonnance de non-publication, en vertu du pouvoir qui lui est conféré par l'article 179 de la Loi sur la défense nationale. Ensuite, conformément à l'article 486.4 du Code criminel, la cour a émis une ordonnance concernant neuf plaignantes et, conformément à l'article 486.5 du Code criminel, la cour a émis une ordonnance concernant six plaignantes; une seule plaignante n'était pas visée par une telle ordonnance.

 

LA PREUVE

 

[10]           La preuve dont dispose la cour martiale se compose essentiellement des faits suivants :

 

a)         les 21 témoins entendus dans l'ordre de leur comparution devant la cour, soit les témoignages de : K.R., C.D., R.G., S.M., l'Adjudante Robertson, J.R., M.P., K.M., G.C., A.B., l’Adjudant-maître Thibeault, la Major Netterfield, T.W., A.W., W.G., A.P., J.L., K.D., Mlle Kristen Harms, le Maître de 2e classe Wilks, l'accusé en l'espèce et le Lieutenant-colonel Burke;

 

b)         les pièces 3-1 à 3-16, soit un document médical concernant chacune des seize plaignantes visées dans la présente cause. Ces documents ont été produits en preuve sur consentement;

 

c)         la pièce 4, soit le sommaire des dossiers du personnel militaire (SDPM) du Maître de 2e classe Wilks;

 

d)         la pièce 5, une copie de l'Instruction des Services de santé des Forces canadiennes 4030-72 sur les droits des patients à la protection de l'intimité et au choix du médecin;

 

e)         la pièce 6, une copie du chapitre 27-02 des Ordres du Service de santé des Forces canadiennes sur les droits des patients à la protection de l'intimité et au choix du médecin;

 

f)          la pièce 7, une copie de l'Instruction des Services de santé des Forces canadiennes 4000-28 sur l'examen médical périodique;

 

g)         la pièce 8, une copie du chapitre 27-18 de l'Instruction des Services de santé sur l'examen médical périodique;

 

h)         la pièce 9, une copie du chapitre 27-17 des Ordres du Service de santé des Forces canadiennes sur les formalités médicales à l’enrôlement;

 

i)          la pièce 10, une copie de la directive médicale 3/91 datée du 19 décembre 1991;

 

j)          la pièce 11, une copie du plan de cours d'adjoint médical de niveau de qualification (NQ) 6 de l'École des Services de santé des Forces canadiennes, à la Base des Forces canadiennes Borden, daté de janvier 2005;

 

k)         la pièce 12, une copie des pages 328 à 335 du manuel « A Guide to Physical Examination and History Taking », cinquième édition, écrit par Barbara Bates, M.D.;

 

l)          la pièce 13, une copie d'un courriel de l’Adjudant-maître Thibeault daté du 2 novembre 2009, dont l'objet est « Medical Examination/examen médical »;

 

m)        la pièce 14, une copie d'un courriel de l’Adjudant-maître Thibeault daté du 29 avril 2009, dont l'objet est « Genital exam/examen parties génitales »;

 

n)         la pièce 15, une copie d'un courriel de l’Adjudant-maître Corriveau daté du 12 avril 2007, dont l'objet est « procédure d'examen médical » et auquel est joint un document;

 

o)         la pièce 16, huit formulaires de procédures d'examen médical signés par huit plaignantes différentes;

 

p)         la pièce 17, une copie du rapport d'appréciation du personnel (RAP) du Maître de 2e classe Wilks pour la période visée par le rapport, soit du 1er avril 2006 au 31 mars 2007;

 

q)         la pièce 18, une copie de cinq RAP du Maître de 2e classe Wilks pour les périodes visées par les rapports, allant du 1er avril 2001 au 31 mars 2002 jusqu'à la période du 1er avril 2005 au 31 mars 2006;

 

r)          admissions faites par l'accusé, conformément à l'alinéa 37b) des Règles militaires de la preuve, afin de dispenser de faire la preuve de tout fait que doit prouver le procureur, notamment :

 

i.          l'identité, la date et le lieu concernant les 26 accusations dont la cour est saisie;

 

ii.          le fait que le Maître de 2e classe Wilks a achevé le plan de formation qui a été présenté à la cour (plan de cours d'adjoint médical de NQ 6, pièce 11) et qu'il était qualifié comme adjoint médical conformément à ce plan de formation.

 

s)         la preuve fournie par une plaignante utilisée comme élément de preuve de faits similaires à l'égard des accusations concernant d'autres plaignantes, à l'exclusion de la preuve fournie par S.M., aux seules fins de l'ensemble des accusations présentées à la cour, soit de déduire précisément de cette preuve que le Maître de 2e classe Wilks a abusé de sa position de confiance et d'autorité à titre de technicien médical dans le cadre d'un examen médical, pour inciter à obtenir le consentement de chaque plaignante à subir un examen des seins;

 

t)          la connaissance judiciaire par la cour des faits en litige en vertu de l’article 15 des Règles militaires de la preuve.

 

LES FAITS

 

[11]           Le Maître de 2e classe Wilks est maintenant un ancien membre des Forces canadiennes. Il s'était joint aux Forces canadiennes en avril 1984 à titre d'adjoint médical. En 1987, il s'est classé premier dans ce métier en suivant le cours d'adjoint médical de NQ 5A et, la même année, il a été promu au grade de matelot de 1re classe.

 

[12]           Grâce à ses différentes affectations (p. ex. en Allemagne, à Ottawa et à Halifax), ainsi qu'à l'exercice de son métier dans divers milieux médicaux, il a acquis de l'expérience et a été promu au grade de Matelot-chef en 1991.

 

[13]           En 1998, il a suivi son cours d'adjoint médical de NQ 6A, phases 1 et 2. Il a ensuite été affecté, en 2000, au 1er Hôpital de campagne du Canada à Petawawa et, en 2001, il a été promu au grade de Maître de 2e classe, grade qu'il est réputé avoir aux fins de la présente procédure.

 

[14]           La même année, il a été affecté au Détachement Thunder Bay du centre de recrutement des Forces canadiennes (CRFC), dans la province de l'Ontario, où auraient été commises 16 des 26 infractions alléguées se trouvant à l'acte d'accusation à l'endroit de 10 plaignantes.

 

[15]           Au cours de l'été 2007, il aurait été affecté au Détachement London 32e Centre des Services de santé des Forces canadiennes, dans la province de l'Ontario, où auraient été commises 10 des 26 infractions alléguées se trouvant à l'acte d'accusation à l'endroit de six plaignantes.

 

[16]           Le 27 avril 2011, il a été libéré des Forces canadiennes - Force régulière pour des raisons médicales.

 

[17]           Pendant qu'il était au Détachement Thunder Bay du CRFC, soit de 2001 à 2007, le Maître de 2e classe Wilks était chargé d'effectuer les formalités médicales à l’enrôlement pour les candidats à la Force régulière et à la Première réserve. Ces formalités comprenaient trois parties, c'est-à-dire les préliminaires, partie I; l'examen des antécédents médicaux et l'examen physique, partie II; et l'approbation, partie III. Essentiellement, la partie I consiste à veiller à ce que les parties appropriées du formulaire d'examen médical d'enrôlement soient remplies par le candidat. Un médecin, ou un adjoint au médecin pour les candidats en bonne santé, doit ensuite procéder à l'examen des antécédents médicaux et familiaux, effectuer l'examen physique du candidat, puis remplir le formulaire d'examen médical d'enrôlement selon ses observations. Enfin, le médecin militaire de la zone de recrutement examine le formulaire et accorde son approbation selon la condition physique du candidat à l'enrôlement.

 

[18]           En l'absence d'un médecin, d'un adjoint au médecin ou d'une infirmière au Détachement Thunder Bay du CRFC, il incombait alors au Maître de 2e classe Wilks d'effectuer l'examen des antécédents médicaux et l'examen physique des candidats, malgré son titre d'adjoint médical.

 

[19]           Selon les directives et les ordres qui s'appliquent, et conformément au témoignage de l'Adjudant-maître Thibeault, dans le cas des candidatures féminines, l'examen des seins ne doit pas être fait au moment des formalités médicales à l’enrôlement ni, plus précisément, pendant l'examen physique effectué à cette fin.

 

[20]           Le Maître de 2e classe Wilks a clairement nié avoir effectué, pendant qu'il était à Thunder Bay, un examen des seins d'A.B., de J.R. et de C.D.; il a aussi nié avoir effectué un examen visuel des seins de T.W., comme l'ont signalé ces plaignantes, alors qu'il procédait à l'examen médical dans le cadre de leur recrutement. Concernant cette plaignante, il a précisé qu'elle avait accidentellement baissé sa chemise d'hôpital et exposé ses seins pendant quelques secondes, mais qu'il n'avait pas effectué d'examen des seins.

 

[21]           De plus, pendant qu'il était affecté à Thunder Bay, il avait été chargé, dès le début, de la salle d'examen médical du détachement local, ce qui signifie qu'il était chargé de la revue des malades, de l'examen médical des militaires actifs, de la vérification des dossiers d'immunisation et de l'examen des dossiers médicaux.

 

[22]           L'examen médical périodique (EMP) des militaires actifs faisait partie de ses responsabilités. Il s'agit essentiellement d'un système d'examens médicaux périodiques dans les Forces canadiennes dans le cadre duquel on exige qu'un examen médical individuel soit effectué à intervalles réguliers tout au long de la carrière des membres des Forces canadiennes. Le membre remplit un questionnaire médical, et un médecin militaire procède à un examen des antécédents médicaux ainsi qu'à un examen physique, à moins que ces derniers ne soient délégués à un adjoint au médecin. Même lorsqu'ils sont délégués à un adjoint médical, la responsabilité ultime des examens médicaux périodiques incombe au médecin militaire.

 

[23]           Conformément aux directives et aux ordres applicables, durant l'EMP, un examen des seins devrait être fait tous les deux ans à partir de l'âge de 40 ans. Les médecins militaires ou les infirmières adéquatement formées doivent enseigner aux femmes membres des Forces armées canadiennes la technique d'auto-examen des seins lors de leur premier examen médical périodique, et s'assurer au cours de chaque examen physique que ces dernières l'effectuent correctement.

 

[24]           Le Maître de 2e classe Wilks a estimé qu'il était suffisamment formé en tant qu'adjoint médical pour procéder à un examen des seins durant l'examen périodique, étant donné qu'il avait couvert ce sujet dans son cours d'adjoint médical de NQ 6A et qu'il avait effectué un examen sous la supervision et le mentorat d'un médecin à Halifax à l'issue de ce cours de NQ 6A.

 

[25]           En fait, il a compris, d'après sa formation et le mentorat reçus, qu'il était permis et recommandé, en particulier lorsqu'une femme n'avait jamais subi un examen des seins ou qu'elle ne pratiquait pas l'auto-examen des seins, et dans le but de déceler de façon précoce des problèmes à cet égard, d'effectuer dans ces circonstances un examen des seins de même que d'enseigner l'auto-examen des seins. De plus, il était personnellement convaincu que de tels examens devaient être menés, en raison d'un problème personnel qui a touché sa famille à la fin des années 1990.

 

[26]           En outre, il a dit à la cour que, à la fin de 2002 ou au début de 2003, après le lui avoir demandé, son superviseur l'avait initialement autorisé à procéder à un tel examen compte tenu du contexte de son travail, c'est-à-dire en l'absence totale d'un médecin, d'un adjoint au médecin ou d'une infirmière à Thunder Bay. Ce superviseur a témoigné devant la cour et a déclaré qu'il ne se souvenait pas d'avoir autorisé le Maître de 2e classe Wilks à procéder de la sorte à cette époque.

 

[27]           Le Maître de 2e classe Wilks a reconnu avoir effectué l'examen des seins de K.M., de M.P. et de J.L., au moment où il menait des EMP à Thunder Bay, et leur avoir enseigné l'auto-examen des seins. Il a également procédé à un examen visuel des seins d'A.P., de W.G. et de K.R, et leur a enseigné l'auto-examen des seins. Il leur a fourni de la documentation sur l'auto-examen des seins.

 

[28]           Ces six plaignantes ont dit à la cour qu'elles avaient été mal à l'aise, gênées et intimidées, et qu'elles avaient éprouvé de l'embarras lorsque le Maître de 2e classe Wilks a examiné leurs seins ou effectué un examen visuel de leurs seins. Elles ont toutes dit que l'examen a été de courte durée. Elles ont toutes cru que cela faisait partie de l'examen, et elles ont toutes dit que si elles avaient été informées que cela n'était pas le cas, elles n'auraient pas autorisé le Maître de 2e classe Wilks à faire cet examen. Cependant, elles ont toutes dit que l'examen médical avait été effectué de manière professionnelle et qu'elles avaient eu l'impression que l'examen des seins faisait partie de l'ensemble de l'examen médical.

 

[29]           Le Maître de 2e classe Wilks a nié avoir effectué l'examen des seins d'A.B., de J.R., de C.D. et de T.W. lors de leur examen médical mené dans le cadre du recrutement.

 

[30]           En avril ou au début de mai 2007, son superviseur, la Major Netterfield, lui a demandé de venir à Winnipeg pour la rencontrer. Divers sujets ont été abordés, dont : sa nature rude et robuste qui avait rendu mal à l'aise certains patients, le fait qu'aucun examen des seins ne devait être mené pendant les examens de recrutement, ce qu'il a reconnu, et le fait que des examens des seins ne devaient plus être menés dans le cadre des EMP.

 

[31]           Le Maître de 2e classe Wilks a été affecté au 32e Centre des Services de santé des Forces canadiennes à London, en juillet 2007. Dans ce poste, il a mené des examens médicaux dans le cadre du recrutement.

 

[32]           Il a clairement nié avoir effectué un examen des seins de K.D., de K.H., de R.G. et de G.C., ainsi qu'un examen visuel des seins d'A.W., alors qu'il était à London, comme l'ont signalé les plaignantes, lors de l'examen médical effectué dans le cadre du recrutement; il ne l'a pas fait aux fins de l'examen médical d'enrôlement comme l'exigent les ordres et les directives.

 

[33]           Le Maître de 2e classe Wilks a précisé que dans le cas d'A.W., il reconnaissait avoir vu ses seins, mais que cela avait été par inadvertance, c'est-à-dire que A.W. n'avait pas de soutien-gorge et qu'elle avait baissé le haut qu'elle portait de son propre gré, sans qu'il le lui demande.

 

[34]           Ces plaignantes ont dit à la cour qu'elles pensaient que l'examen des seins ou l'examen visuel des seins faisait partie de l'examen médical effectué dans le cadre du recrutement, et que si elles avaient été informées que cela n'était pas le cas, elles n'auraient pas autorisé le Maître de 2e classe Wilks à faire cet examen. Cependant, elles ont toutes dit que l'examen médical avait été effectué de manière professionnelle et qu'elles avaient eu l'impression que l'examen des seins faisait partie de l'ensemble de l'examen médical.

 

[35]           S.M. a également subi un examen médical dans le cadre du recrutement, mais aucun examen des seins n'a été réalisé, comme l'a mentionné la plaignante. Cependant, elle a dit que le comportement du Maître de 2e classe Wilks l'avait rendue très mal à l'aise, car pendant l'examen de ses jambes, alors qu'elle était allongée sur la table, il regardait entre ses jambes. De plus, lorsqu'elle s'est penchée pour toucher ses orteils, en position debout comme il le lui avait demandé, il était placé derrière elle et la chemise d'hôpital dont elle était vêtue s'est ouverte derrière, lui laissant ainsi voir tout l'arrière de son corps, alors qu'elle ne portait que des sous-vêtements. Toutefois, il a complètement nié le fait d'avoir eu l'intention et le comportement signalés par la plaignante pendant qu'il effectuait cet examen physique. À l'exception de ces événements, elle a déclaré que l'examen médical avait été effectué de manière professionnelle.

 

LE DROIT APPLICABLE

 

Présomption d'innocence, norme et éléments de preuve

 

[36]           Avant que la cour n’expose son analyse juridique, il convient d’aborder la question de la présomption d’innocence et de la norme relative à la preuve hors de tout doute raisonnable, norme inextricablement liée aux principes fondamentaux appliqués dans tous les procès pénaux. Ces principes sont évidemment bien connus des avocats, mais peut-être pas des autres personnes qui se trouvent dans la salle d’audience.

 

[37]           Il est juste de dire que la présomption d’innocence est peut-être le principe le plus fondamental de notre droit pénal, et le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable en est un élément essentiel. Dans les affaires relevant du code de discipline militaire comme dans celles relevant du droit pénal, quiconque est accusé d’une infraction criminelle est présumé innocent jusqu’à ce que la poursuite ait prouvé sa culpabilité, et cela, hors de tout doute raisonnable. L’accusé n’a pas à prouver son innocence. C’est à la poursuite qu’il incombe de prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments essentiels de l’infraction.

 

[38]           La norme de la preuve hors de tout doute raisonnable ne s’applique pas à chacun des éléments de preuve ou aux différentes parties de la preuve présentées par la poursuite, mais plutôt à l’ensemble de la preuve sur laquelle se fonde la poursuite pour établir la culpabilité de l’accusé. Il incombe à la poursuite de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé, mais jamais à l’accusé de prouver son innocence.

 

[39]           La cour doit déclarer l’accusé non coupable si elle a un doute raisonnable quant à sa culpabilité ou après avoir considéré l’ensemble de la preuve. L’expression « hors de tout doute raisonnable » est employée depuis très longtemps. Elle fait partie de notre histoire et de nos traditions juridiques. Dans l’arrêt R. c. Lifchus, [1997] 3 RCS 320, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directives pour le doute raisonnable. Les principes décrits dans l’arrêt Lifchus ont été appliqués dans plusieurs autres arrêts de la Cour suprême et des cours d’appel. Essentiellement, un doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou frivole. Il ne doit pas reposer sur la sympathie ou sur un préjugé. Le doute doit reposer sur la raison et le bon sens. C’est un doute qui surgit à la fin du procès et qui est fondé non seulement sur ce que la preuve révèle à la cour, mais également sur ce qu’elle ne lui révèle pas. L'accusation portée contre un individu ne préjuge en rien de sa culpabilité, et j'ajouterai que les seules accusations dont doit répondre un accusé sont celles qui figurent sur l'acte d'accusation déposé à la cour.

 

[40]           Dans l’arrêt R. c. Starr [2000] 2 RCS 144, au paragraphe 242, la Cour suprême a déclaré :

 

[…] une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu’elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités.

 

[41]           Par contre, il faut se rappeler qu’il est pratiquement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue. D’ailleurs, la poursuite n’a pas à le faire. La certitude absolue n’est pas une norme de preuve en droit. La poursuite a seulement le fardeau de prouver la culpabilité de l’accusé, en l’espèce le Maître de 2e classe Wilks, hors de tout doute raisonnable. Pour placer les choses en perspective, si la cour est convaincue que l’accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, elle doit l’acquitter, car la preuve d’une culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[42]           Qu’entend-on par la preuve? La preuve peut comprendre des témoignages sous serment ou des déclarations solennelles faits devant la cour par des personnes appelées à témoigner sur ce qu’elles ont vu ou fait. Elle peut être constituée de documents, de photographies, de cartes ou d’autres éléments présentés par les témoins, de témoignages d’experts, d’aveux judiciaires quant aux faits par la poursuite ou la défense, ou encore d’éléments dont la cour prend judiciairement connaissance.

 

[43]           Il n’est pas rare que certains des éléments de preuve soumis à la cour se contredisent. Les témoins ont souvent des souvenirs différents des faits. La cour doit déterminer quels éléments de preuve sont crédibles.

 

[44]           La crédibilité n’est pas synonyme de vérité et l’absence de crédibilité n’est pas synonyme de mensonge. De nombreux facteurs doivent être pris en compte dans l'évaluation que la cour fait de la crédibilité d'un témoin. Par exemple, la cour évaluera la possibilité qu’a eue le témoin d’observer et les raisons d’un témoin de se souvenir. Elle se demandera, par exemple, si les faits valaient la peine d’être notés, s’ils étaient inhabituels ou frappants, ou relativement sans importance et, par conséquent, à juste titre, plus faciles à oublier. Elle doit aussi se demander si le témoin a un intérêt dans l’issue du procès; en d’autres termes, si le témoin a une raison de favoriser la poursuite ou la défense, ou s’il est impartial. Ce dernier facteur s’applique également à l’accusé, mais d’une manière quelque peu différente. Bien qu’il soit raisonnable de présumer que l’accusé a intérêt à se faire acquitter, la présomption d’innocence ne permet pas de conclure que l’accusé mentira lorsqu’il décide de témoigner.

 

[45]           Un autre élément permet de déterminer la crédibilité : la capacité apparente du témoin à se souvenir. L’attitude du témoin pendant son témoignage est un facteur dont on peut se servir pour évaluer sa crédibilité : le témoin était-il réceptif aux questions, honnête et franc dans ses réponses, ou évasif, hésitant? Enfin, son témoignage était-il cohérent en lui-même et compatible avec les faits qui n’ont pas été contestés?

 

[46]           Un témoignage peut comporter, et en fait comporte toujours, des contradictions mineures et involontaires, mais cela ne doit pas nécessairement conduire à l’écarter. Il en va tout autrement, par contre, d’un mensonge délibéré. Un tel mensonge est toujours grave et il pourrait vicier l’ensemble du témoignage.

 

[47]           La cour n’est pas tenue d’accepter le témoignage d’une personne, à moins que celui-ci ne lui paraisse crédible. Cependant, elle jugera un témoin digne de foi, à moins d’avoir une raison de ne pas le croire.

 

[48]           Comme la règle du doute raisonnable s’applique à la question de la crédibilité, la cour doit d’abord se prononcer de manière définitive sur la crédibilité de l’accusé en l’espèce et décider si elle ajoute foi ou non à ce qu’il dit. Il est vrai que la présente affaire soulève des questions importantes de crédibilité, et il s'agit d'un cas où la méthode d'évaluation de la crédibilité décrite par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. W. (D.) se doit d’être appliquée, car l’accusé, le Maître de 2e classe Wilks, a témoigné.

 

[49]           La Cour suprême a établi le critère comme suit à la page 758 de cet arrêt :

 

Premièrement, si vous croyez la déposition de l’accusé, manifestement vous devez prononcer l’acquittement.

 

Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l’accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l’acquittement.

 

Troisièmement, même si vous n’avez pas de doute à la suite de la déposition de l’accusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de l’accusé.

 

[50]           Ce critère a été énoncé principalement pour éviter que le juge des faits ne procède en déterminant quelle preuve il croit : celle produite par l'accusé ou celle présentée par la poursuite. Cependant, il est également clair que la Cour suprême du Canada a souvent répété qu’il n’est pas nécessaire de réciter cette formule mot à mot comme une incantation (voir l’arrêt R. c. S (W D.), [1994] 3 RCS 521, à la page 533).

 

[51]           La cour ne doit pas tomber dans le piège de choisir entre deux versions ou de donner l’impression de l’avoir fait. Comme la Cour suprême du Canada l'a récemment établi dans l'arrêt R. c. Vuradin, 2013 CSC 38, au paragraphe 21 :

 

La question primordiale qui se pose dans une affaire criminelle est de savoir si, compte tenu de l’ensemble de la preuve, il subsiste dans l'esprit du juge des faits un doute raisonnable quant à la culpabilité de l'accusé : W. (D.), p. 758. L’ordre dans lequel le juge du procès énonce des conclusions relatives à la crédibilité des témoins n’a pas de conséquences dès lors que le principe du doute raisonnable demeure la considération primordiale. Un verdict de culpabilité ne doit pas être fondé sur un choix entre la preuve de l’accusé et celle du ministère public : R. c. C.L.K., 2008 CSC 2, [2008] 1 R.C.S. 5, par. 6-8. Les juges de première instance n’ont cependant pas l’obligation d’expliquer par le menu le cheminement qu’ils ont suivi pour arriver au verdict : R. c. Boucher, 2005 CSC 72, [2005] 3 R.C.S. 499, par. 29.

 

Abus de confiance

 

[52]           L'article 122 du Code criminel se lit comme suit :

 

Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans tout fonctionnaire qui, relativement aux fonctions de sa charge, commet une fraude ou un abus de confiance, que la fraude ou l’abus de confiance constitue ou non une infraction s’il est commis à l’égard d’un particulier.

 

[53]           Comme l'a confirmé la Cour d'appel de la cour martiale au paragraphe 5 de la décision rendue dans l'affaire R. c Bradt, 2010 CACM 2, les éléments essentiels d'une infraction d'abus de confiance en vertu de l'article 122 du Code criminel sont les suivants :

 

            a)         l’identité de l’accusé en tant que contrevenant;

 

            b)         la date et lieu de l’infraction;

 

            c)         l’accusé est un fonctionnaire;

 

            d)         l’accusé agissait dans l’exercice de ses fonctions;

 

e)         l’accusé a manqué aux normes de responsabilité et de conduite que lui impose la nature de sa charge ou de son emploi;

 

f)          la conduite de l’accusé représente un écart grave et marqué par rapport aux normes que serait censé observer quiconque occuperait le poste de confiance de l’accusé;

 

g)         l’accusé a agi dans l’intention d’user de sa charge ou de son emploi publics à des fins autres que l’intérêt public, par exemple dans un objectif de malhonnêteté, de partialité, de corruption ou d’abus.

 

[54]           L’objet de l’infraction criminelle a clairement été établi par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Boulanger, 2006 CSC 32, dans les termes suivants, au paragraphe 52 :

 

L’objet de l’infraction d’action fautive dans l’exercice d’une charge ou d’un emploi publics - qui est maintenant l’abus de confiance par un fonctionnaire prévu à l’art. 122 - remonte aux anciennes jurisprudence et doctrine qui reconnaissent que les attributions des fonctionnaires leur sont confiées pour le bien public. Le public a le droit de s’attendre à ce que les fonctionnaires investis de ces pouvoirs et responsabilités s’acquittent de leurs fonctions pour le bien public. Les fonctionnaires doivent répondre de leurs actions devant le public d’une façon qui ne s’impose peut-être pas aux acteurs privés. Toutefois, cela n’a jamais voulu dire qu’ils étaient tenus à la perfection sous peine d’être déclarés coupables d’actes criminels; les « simples erreurs » et les « erreurs de jugement » ont toujours été exclues de l’infraction. Il faut davantage pour établir l’infraction d’abus de confiance par un fonctionnaire. La conduite en cause doit s’accompagner de la mens rea requise et elle doit aussi être suffisamment grave pour passer du domaine de la faute administrative à celui du comportement criminel. Cette préoccupation se reflète clairement dans l’exigence de gravité énoncée dans Shum Kwok Sher et dans Attorney General’s Reference. Il faut [TRADUCTION] « une conduite si éloignée des normes acceptables qu’elle équivaut à un abus de la confiance du public envers le titulaire de la charge ou de l’emploi publics » (Attorney General’s Reference, par. 56). Comme il est mentionné dans R. c. Creighton, [1993] 3 R.C.S. 3, « [e]n droit, nul n’est inconsidérément qualifié de criminel » (p. 59).

 

[55]           Un fonctionnaire est une personne qui détient un poste au gouvernement ou dans un organisme du gouvernement ou qui a été employée par un organisme gouvernemental, ou qui a été nommée pour exécuter des fonctions publiques. Le fonctionnaire peut être élu à un poste ou nommé à un poste. Parmi les questions essentielles, la dernière concerne l'état d'esprit de l'accusé; ce qu'il avait l'intention de faire quand il a commis l'abus de confiance.

 

[56]           En outre, il doit y avoir un lien entre l'abus de confiance commis par l'accusé et les fonctions qu'il accomplit dans le cadre de son emploi. L'accusé doit commettre l'abus de confiance au cours de l'exercice des fonctions qu'il est appelé à exercer dans le cadre de son emploi.

 

[57]           Il y a abus de confiance lorsque l'accusé fait ou omet de faire une chose contraire à une fonction qui lui est imposée par la loi, un règlement, son contrat d'emploi, ou conformément à une directive ou à une ligne directrice donnée qui lui est imposée pour exercer ses fonctions. Une obligation imposée selon l'un ou l'autre de ces moyens est suffisante.

 

[58]           Pour qu'il y ait abus de confiance, l'accusé doit en retirer un avantage personnel, soit directement, comme le versement d'argent, ou tout autre avantage, ou indirectement comme un avantage pour le conjoint de l'accusé ou de tout autre membre de sa famille, par exemple. Il ne doit y avoir aucun préjudice réel ou perte pour le public ou le gouvernement en raison de la conduite de l'accusé.

 

[59]           Quant à savoir si la conduite de l’accusé représente un écart grave et marqué par rapport aux normes, ce qui doit être prouvé par la poursuite, la Cour suprême du Canada a conclu, dans l'arrêt Boulanger au paragraphe 54, ce qui suit :

 

Le critère applicable dans cet examen est analogue à celui se rapportant à la négligence criminelle. Relativement à cette dernière infraction, il a fallu, comme pour l’abus de confiance par un fonctionnaire, distinguer la conduite suffisamment grave pour mériter une sanction criminelle de la conduite moins grave, exposant simplement à une sanction civile ou administrative. [...] De même, il faut que la conduite d’un fonctionnaire s’écarte de façon « marquée » des normes auxquelles une personne placée dans un poste de confiance comme le sien est censée se conformer.

 

[60]           La poursuite doit aussi prouver hors de tout doute raisonnable que l'accusé avait l'intention de commettre un abus de confiance dans le cadre de ses fonctions officielles.

 

[61]           Pour établir l’état d’esprit de l’accusé, ses connaissances ou ses intentions, la cour doit prendre en considération ce qu’il a fait ou n’a pas fait, comment il l’a fait ou ne l’a pas fait, et ce qu’il a dit ou n’a pas dit. Elle devrait tenir compte des mots de l'accusé et de sa conduite avant, pendant et après la perpétration de l'abus de confiance. La cour tient compte, par exemple, de la nature de la conduite de l'accusé, des fonctions de l'accusé au sein du gouvernement et du lien entre le comportement de l'accusé et ses fonctions, entre autres facteurs. Tous ces éléments, de même que les circonstances dans lesquelles ils se sont produits, peuvent faire la lumière sur l'état d'esprit de l'accusé au moment où il a commis un abus de confiance. Ils peuvent aider la cour à décider ce que l'accusé avait l'intention de faire; ce qu'il voulait faire.

 

Agressions sexuelles

 

[62]           L’article 271 du Code criminel se lit comme suit :

 

271. (1) Quiconque commet une agression sexuelle est coupable :

 

a) d’un acte criminel et est passible d’un emprisonnement maximal de dix ans;

 

[63]           Dans l'arrêt R. c. Chase, [1987] 2 RCS 293, à la page 302, le juge Mclntyre a défini ainsi l'agression sexuelle :

 

L’agression sexuelle est une agression, au sens de l’une ou l’autre des définitions de ce concept au par. 244(1) [maintenant le paragraphe 265(1)] du Code criminel, qui est commise dans des circonstances de nature sexuelle, de manière à porter atteinte à l’intégrité sexuelle de la victime.

 

[64]           Le paragraphe 265(1) du Code criminel énonce notamment :

 

265. (1) Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas :

 

a) d’une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement;

 

[65]           Dans l’arrêt R. c. Ewanchuck, [1999] 1 RCS 330, il a été établi que, pour qu’un accusé soit déclaré coupable d’agression sexuelle, deux éléments fondamentaux doivent être prouvés hors de tout doute raisonnable : qu’il a commis l’actus reus et qu’il avait la mens rea requise.

 

[66]           L’actus reus de l’agression consiste en des attouchements sexuels non souhaités, et il est établi par la preuve de trois éléments : les attouchements, la nature sexuelle des contacts et l’absence de consentement.

 

[67]           Le consentement met en cause l’état d’esprit de la plaignante. La plaignante a-t-elle volontairement consenti à ce que l’accusé fasse ce qu’il a fait de la manière dont il l’a fait au moment où il l’a fait? Autrement dit, la plaignante voulait-elle que l’accusé fasse ce qu’il a fait? Un accord volontaire est un accord que donne une personne qui est libre d'être en accord ou en désaccord, de son propre gré. Il suppose que la personne sait ce qui va se produire et décide de son propre gré d’accepter l’événement ou de laisser l’événement se produire.

 

[68]           Le seul fait que la plaignante n'ait pas résisté, ni livré bataille, ne veut pas dire qu'elle a consenti à ce que l'accusé a fait. Le consentement suppose nécessairement que la plaignante sait ce qui va arriver et décide, sans l’influence de la force, de menaces, de craintes, de fraude ou d’un abus d’autorité, de laisser l’événement se produire. L'absence d'un tel accord volontaire peut découler de situations comme celle illustrée aux alinéas 265(3)d) et 273.1(2)c) du Code criminel, qui font tous deux référence à l'exercice de l'autorité par l'accusé ou à l'abus d'autorité exercé par l'accusé.

 

[69]           La mens rea est l’intention de se livrer à des attouchements sur une personne, tout en sachant que celle-ci n’y consent pas, en raison de ses paroles ou de ses actes, ou encore en faisant montre d’insouciance ou d’aveuglement volontaire à l’égard de cette absence de consentement. Elle comporte deux éléments : l’intention de se livrer à des attouchements sur une personne et la connaissance de son absence de consentement ou l'insouciance ou l'aveuglement volontaire à cet égard.

 

[70]           Par la suite, la poursuite devait démontrer les éléments essentiels suivants au-delà de tout doute raisonnable : la poursuite devait prouver l’identité de l’accusé, la date et le lieu, qui figurent dans l’acte d’accusation. La poursuite devait également prouver les éléments additionnels suivants : le fait que le Maître de 2e classe J.K. Wilks a employé la force, directement ou indirectement, contre la plaignante; le fait que le Maître de 2e classe J.K. Wilks a employé la force de manière intentionnelle contre la plaignante; le fait que la plaignante n’a pas consenti à l’emploi de la force; le fait que le Maître de 2e classe J.K. Wilks a eu connaissance de l’absence de consentement de la plaignante ou qu’il a fait preuve d’insouciance ou d’aveuglement volontaire à cet égard; et le fait que les contacts du Maître de 2e classe J.K. Wilks à l’endroit de la plaignante étaient de nature sexuelle.

 

[71]           Enfin, étant renseigné au sujet de la présomption d’innocence, du doute raisonnable, du fardeau de la preuve, de la norme de preuve applicable et des éléments essentiels des infractions, j’examinerai maintenant les questions en litige en l’espèce et traiterai des principes juridiques pertinents.

 

ANALYSE

 

Éléments essentiels communs

 

[72]           D'ailleurs, dans les faits admis par l'avocat de la défense au nom de l'accusé conformément à l'alinéa 37b) des Règles militaires de la preuve, en vue de dispenser de faire la preuve de tout fait que doit prouver le procureur, le Maître de 2e classe Wilks a partiellement admis certains des faits incriminés concernant les 26 accusations portées contre lui et, plus particulièrement : son identité en tant que contrevenant, le lieu et la date.

 

[73]           En conséquence, la cour estime que la poursuite s'est acquittée de son fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels touchant l'identité, la date et le lieu pour les 26 accusations se trouvant à l'acte d'accusation, à l'exception de la date concernant les 5e et 6e accusations.

 

[74]           L'avocat de la défense a déclaré à la cour que, concernant ces accusations, il ne s'opposait pas à ce que la cour prononce un verdict annoté en vertu de l'article 138 de la Loi sur la défense nationale en ce qui a trait à la date des deux accusations. Essentiellement, l'exposé du cas de la 5e accusation, de même que celui de la 6e, se réfère à la date du 13 mai 2005, alors que la preuve produite par la poursuite montre des différences pour ce qui est de la date et du mois, mais non de l'année. Le témoin, J.R., a déclaré qu'elle avait subi l'examen médical de recrutement au printemps de 2005, et le rapport sur l'examen physique d'enrôlement déposé en tant que pièce 3-3 indique que la date d'examen était le 26 avril 2005. La cour reconnaît que ce fait diffère substantiellement des faits allégués dans l'énoncé détaillé des deux accusations et, comme l'a déclaré l'avocat de la défense, la différence entre les faits établis et les faits allégués dans l'énoncé détaillé ne porte pas préjudice à l'accusé dans sa défense. Ensuite, la cour en est venue à la conclusion qu'elle peut rendre un verdict annoté de culpabilité si d'autres éléments essentiels de ces deux accusations sont prouvés hors de tout doute raisonnable.

 

[75]           La cour applique maintenant la méthode établie dans l’arrêt de la Cour suprême R. c. W. (D.), afin de déterminer si elle peut trouver une raison quelconque, après examen de l’ensemble de la preuve, de ne pas croire le témoignage de l'accusé. La cour procédera à cette appréciation, concernant en premier lieu les accusations d'abus de confiance et, en deuxième lieu, les accusations d'agression sexuelle.

 

[76]           Concernant les accusations d'abus de confiance, se traduisant par 16 accusations (les 2e, 3e, 6e, 8e, 9e, 11e, 15e, 16e, 18e, 19e, 20e, 22e, 23e, 25e, 27e et 29e accusations), selon le témoignage du Maître de 2e classe Wilks, confirmant les éléments de preuve des 16 plaignantes, de la Major Netterfield et du Lieutenant-colonel Burke, les éléments essentiels touchant le fait que l'accusé était un fonctionnaire et qu'il agissait dans l'exercice de ses fonctions ont été établis par la poursuite au-delà de tout doute raisonnable.

 

[77]           Les termes « charge » ou « emploi » et « fonctionnaire » sont définis à l'article 118 du Code criminel. Les membres des Forces canadiennes ne sont pas employés par un ministère public en tant que fonctionnaires, mais ils exécutent leur travail sous l'administration et la direction du ministre de la Défense nationale, comme l'indique l'article 4 de la Loi sur la défense nationale. Ensuite, ils font partie du gouvernement fédéral et ils travaillent pour le gouvernement canadien. Par conséquent, les membres des Forces canadiennes sont des fonctionnaires, car ils sont titulaires d'une charge. Le Maître de 2e classe Wilks était un fonctionnaire aux fins de toutes les accusations d'abus de confiance.

 

[78]           Dans son témoignage, le Maître de 2e classe Wilks a dit à la cour qu'il avait agi dans le cadre d'un métier reconnu à titre de technicien médical affecté à un poste où il devait effectuer et accomplir des examens médicaux de recrutement et des examens physiques sur les membres potentiels et les membres actifs des Forces canadiennes. Il a dit qu'il avait fait subir de tels examens à plusieurs personnes, y compris les dix plaignantes alors qu'il était affecté à Thunder Bay et aux six plaignantes, alors qu'il était à London. Dans son témoignage, l'accusé n'a jamais nié ce qu'il a fait; en réalité, il a confirmé l'avoir fait. La cour conclut de cette preuve que le Maître de 2e classe Wilks agissait dans l’exercice de ses fonctions lors des 16 infractions reprochées d'abus de confiance.

 

[79]           Qu'en est-il alors de la crédibilité et de la fiabilité du témoignage fourni par le Maître de 2e classe Wilks dans ce procès, concernant les autres éléments essentiels de cette infraction? Il est important de se rappeler que son témoignage doit être apprécié dans le contexte des éléments de preuve pris dans leur ensemble.

 

[80]           Le Maître de 2e classe Wilks a témoigné d'une façon franche et calme. Il était réceptif aux questions. Il a clairement nié avoir effectué un examen des seins de dix des seize plaignantes dans le cadre d'un examen de recrutement. Il a reconnu avoir effectué un examen des seins des plaignantes qui ont été vues dans le cadre de leur examen physique à Thunder Bay.

 

[81]           Essentiellement, la cour comprend que le Maître de 2e classe Wilks pensait qu'il était permis et recommandé d'effectuer un examen des seins lorsqu'il a procédé à des examens pour divers motifs, d'abord, en raison de sa formation et de son expérience, ensuite, en raison de son opinion personnelle quant à la nécessité d'un tel examen, compte tenu d'un problème personnel familial et, enfin, en raison de la situation professionnelle dans laquelle le mettait sa chaîne de commandement lorsqu'il était affecté à Thunder Bay.

 

[82]           Lors de son témoignage, le Maître de 2e classe Wilks a reconnu qu'il comprenait les ordres et les directives. Il était donc conscient qu'un examen des seins était prévu tous les deux ans à partir de l'âge de 40 ans, et qu'un médecin militaire ou une infirmière convenablement formée devait enseigner la technique d'auto-examen lors du premier examen médical périodique et s'assurer, lors de chaque examen physique, que cela était exécuté adéquatement. Il est même allé plus loin en ajoutant qu'il avait demandé à son superviseur ce qu'il devait faire concernant précisément cette exigence, puisqu'il ne faisait pas partie des personnes autorisées à faire cet examen et qu'il était seul au Détachement Thunder Bay du CRFC. Il a déclaré qu'on lui avait dit que s'il avait reçu la formation nécessaire pour effectuer cet examen, il n'avait qu'à le faire au moment opportun.

 

[83]           Fait plutôt intéressant, les six plaignantes, à savoir A.P., K.M., M.P., J.L., W.G. et K.R., pour qui il avait effectué un examen des seins, y compris des inspections visuelles des seins dans le contexte d'un examen médical périodique, étaient âgées de 21 à 31 ans. Conformément à la directive à ce sujet, il n'était aucunement nécessaire de leur offrir ou de leur suggérer un examen des seins. En outre, aucun antécédent médical connu ne suggérait d'aller à l'encontre de la directive applicable. Il est donc difficile de comprendre la raison pour laquelle il a procédé de la sorte.

 

[84]           Selon le manuel « A Guide to Physical Examination and History Taking » (pièce 12), la menstruation peut influencer les résultats d'un examen des seins, c'est pourquoi l'examen doit être effectué une semaine ou deux après la menstruation. Logiquement, il aurait donc été important de planifier le rendez-vous médical en conséquence. Interrogé par la cour à cet égard, le Maître de 2e classe Wilks a mentionné qu'il avait interrogé les patientes à ce sujet, mais il n'a pas parlé du fait que le rendez-vous devait être pris en fonction de ce facteur.

 

[85]           En outre, la façon dont les examens des seins ont été effectués a laissé la cour perplexe. Selon le manuel « A Guide to Physical Examination and History Taking », un tel examen comprend deux parties. Premièrement, une inspection visuelle est effectuée, puis l'on procède à une palpation. Le manuel suggère d'effectuer la palpation en position couchée puisque cela permet une répartition plus uniforme des seins, ce qui facilite le dépistage de nodules.

 

[86]           Le Maître de 2e classe Wilks a effectué trois examens des seins incomplets en procédant uniquement à une inspection visuelle des seins d'A.P., de W.G. et de K.R., de même qu'en procédant à la deuxième partie de l'examen des seins de K.M., de M.P. et de J.L. en position assise, ce qui n'est pas conforme à la référence.

 

[87]           Dans le cas de G.T., la preuve non contestée a révélé qu'un examen de ses seins avait été effectué par un médecin civil dans une unité de services de santé à Thunder Bay, deux mois avant que ne soit mené l'EMP, et qu'il n'y avait aucun problème. Sachant qu'elle avait 29 ans à l'époque, que ce n'était pas son premier EMP et qu'elle avait subi un examen des seins peu de temps auparavant, on peut se demander quelle était la nécessité de procéder à un examen ou à une inspection visuelle des seins d'une durée de cinq à dix secondes, comme il l'a mentionné. À ce jour, la cour n'a toujours pas reçu d'explication à ce sujet de la part de l'accusé.

 

[88]           Le Maître de 2e classe Wilks a également fait valoir à la cour qu'il prenait très au sérieux le droit à la vie privée des patients. Or, son approche quant à l'habillement des patientes durant l'examen était incohérente. Habituellement, les femmes conservent leur soutien-gorge et leur culotte, et devraient porter un short et un tee-shirt. Une chemise d'hôpital était mise à leur disposition pour remplacer le tee-shirt.

 

[89]           À l'examen, certaines étaient vêtues d'un short et d'un tee-shirt, d'autres portaient une culotte, un soutien-gorge et une chemise d'hôpital, et d'autres encore ne portaient qu'une culotte et une chemise d'hôpital. En tant qu'adjoint médical, il devait avant tout se préoccuper de la dignité des patients; il est donc difficile de comprendre pourquoi il a pris différentes approches avec différentes patientes et pourquoi il n'a pas adopté une approche systémique à cet égard. On note également que la chemise d'hôpital était parfois ouverte à l'arrière et parfois à l'avant.

 

[90]           Il est vrai que le Maître de 2e classe Wilks était affecté au Détachement Thunder Bay du CRFC où il ne disposait pas de l'assistance d'un médecin, d'une infirmière ou d'un adjoint au médecin pour effectuer une partie de son travail. Étant ainsi seul, il pouvait être considéré dans ce contexte ni plus ni moins comme l'adjoint au médecin, devant effectuer des examens médicaux de nature différente.

 

[91]           La cour comprend qu'il était seul, tout comme l'aurait été l'assistant d'un médecin, pour accomplir les tâches liées à son emploi. En ce sens, il est vrai qu'il pouvait effectuer des examens médicaux. Toutefois, la cour comprend également de la preuve qu'il pouvait faire subir des examens médicaux uniquement à des candidats et à des militaires actifs en bonne santé. Sa formation et son expérience ne lui permettaient pas de traiter les patients qui présentaient certains problèmes de santé. Il devait, dans ce cas, les référer à un médecin.

 

[92]           Il est difficile d'admettre qu'en raison de croyances personnelles, on pourrait permettre au personnel médical d'examiner et de traiter les patients en fonction de ses croyances personnelles. De plus, une telle approche ne permettrait tout de même pas d'agir à l'encontre des directives et des ordres établis.

 

[93]           Le Maître de 2e classe Wilks avait reçu une certaine formation sur l'examen des seins dans le cadre de son cours d'adjoint médical de NQ 6A. Toutefois, cette formation visait à familiariser les adjoints médicaux avec le concept de l'examen des seins, et non pas à les préparer à effectuer cet examen, sachant qu'ils n'étaient pas autorisés à le faire. Par ailleurs, le fait d'avoir effectué un examen des seins sous le mentorat d'un médecin ne constitue pas une autorisation valide pour procéder à un tel examen. Tout au plus, l'accusé a acquis, dans le cadre de cette formation, une meilleure compréhension de ce concept et certaines connaissances pratiques à ce sujet.

 

[94]           Compte tenu de tous ces éléments, il est très difficile de croire au témoignage du Maître de 2e classe Wilks, selon lequel, en raison de ces facteurs, il aurait été autorisé à procéder à un examen des seins pendant l'EMP en violation des directives et des ordres qu'il connaissait bien.

 

[95]           En outre, la cour ne le croit pas lorsqu'il affirme que le Lieutenant-colonel Burke l'a autorisé à procéder à des examens des seins pendant les EMP. Il est clair qu'il n'a pas reçu de directives du Lieutenant-colonel Burke à ce sujet. Il est difficile de croire qu'une question aussi importante aurait été résolue au cours d'une brève réunion sans aucune autre approbation formelle. Si l'accusé a fait croire au Lieutenant-colonel Burke qu'il avait reçu une formation pour effectuer ce genre d'examen, il a trompé la personne qui lui aurait accordé une telle autorisation ou délégation.

 

[96]           L'examen médical d’enrôlement est effectué pour déterminer si le candidat est apte à s'enrôler et faciliter l'affectation initiale dans un groupe professionnel militaire. Le candidat doit satisfaire aux normes médicales communes d'enrôlement pour être enrôlé dans les Forces canadiennes et y entreprendre une carrière. Selon les politiques médicales, il est clair que les examens des seins de même que les examens gynécologiques ne font pas partie de l'examen médical d’enrôlement, à moins que cela ne soit nécessaire. Si cela est jugé nécessaire, la candidate sera alors orientée vers un médecin.

 

[97]           Le Maître de 2e classe Wilks a nié qu'il avait effectué des examens des seins, y compris une inspection visuelle seulement, dans le cadre des examens médicaux d’enrôlement concernant neuf des plaignantes, soit A.B., J.R., C.D., T.W., K.D., K.H., R.G., G.C. et A.W., et que rien d'inhabituel n'était survenu dans le cas d'une des plaignantes, S.M., qui n'a pas subi d'examen des seins, comme elle l'a confirmé. Lorsqu'il a témoigné devant la cour, il a dit qu'il avait suivi les directives et les ordres à cet égard.

 

[98]           La cour estime qu'il est difficile de croire que, malgré le fait que l'accusé savait qu'il ne pouvait pas procéder à un examen des seins dans le cadre d'un EMP, sauf dans des circonstances particulières qui n'ont pas été respectées en l'espèce, ni dans le cadre d'un examen de recrutement, il s'est fondé sur ses propres raisons pour penser qu'il était autorisé à faire ce genre d'examen lors d'un EMP, mais non lors d'un examen médical de recrutement. Essentiellement, on peut déduire du témoignage du Maître de 2e classe Wilks que ce dernier a appliqué deux poids deux mesures. Une telle approche est insensée. Pourquoi effectuer un examen des seins lors d'un EMP lorsqu'une femme n'est pas tenue de le subir en raison de son âge et de ses antécédents médicaux, conformément aux ordres et aux directives, et pourquoi ne pas faire subir cet examen aux femmes, dans les mêmes circonstances, dans le contexte de l'examen médical de recrutement? Selon la logique de l'accusé, le poste occupé, la formation, l'expérience et les croyances personnelles auraient suffi pour justifier la conduite d'un examen des seins dans le contexte des deux types d'examens médicaux.

 

[99]           La cour estime également qu'il est difficile de croire l'accusé quand il a dit que T.W. et A.W. ont toutes deux baissé leur soutien-gorge par inadvertance pendant l'examen médical de recrutement. Cela ressemble plus à un moyen commode pour décrire ce qui s'était passé dans les circonstances qu'à une simple coïncidence.

 

[100]       Le témoignage du Maître de 2e classe Wilks a révélé qu'il n'avait pas eu recours à une approche systémique avec les patients, sauf pour ce qui est du chaperon. Fait intéressant, son avocat a dû soulever la question auprès de toutes les plaignantes en leur rappelant qu'elles avaient, pour la plupart, signé un formulaire de renseignements à ce sujet. L'accusé a expliqué qu'il avait posé cette question à chacune d'elle. Or, les éléments de preuve indiquent que la plupart d'entre elles ne s'en souvenaient pas, sans nier toutefois qu'ils en avaient peut-être discuté. En définitive, après avoir examiné l’ensemble des éléments de preuve, le témoignage de l'accusé n'est pas concluant à cet égard. Il ne semble pas avoir réellement soulevé la question verbalement, mais semble plutôt avoir supposé qu'elles étaient au courant.

 

[101]       Aussi, en appliquant le critère énoncé par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. W. (D.), et après avoir examiné l’ensemble des éléments de preuve, la cour est d’avis qu’elle ne doit pas croire le témoignage de l'accusé lorsqu'il affirme ne pas avoir manqué aux normes de responsabilité et de conduite que lui impose la nature de sa charge ou de son emploi, que sa conduite ne représente pas un écart grave et marqué par rapport aux normes que serait censé observer quiconque occuperait ce poste de confiance et qu'il n'a pas agi dans l’intention d’user de sa situation à des fins autres que l’intérêt public, par exemple, dans un objectif de malhonnêteté, de partialité, de corruption ou d’abus.

 

[102]       Toutefois, en ce qui concerne l'accusation touchant S.M., la cour tient à souligner qu'il n'y a rien dans le témoignage de l'accusé qui amènerait la cour à ne pas le croire. En fait, il n'a pas beaucoup parlé de cette accusation, sauf lorsqu'il a fait un commentaire sur le formulaire utilisé pour signaler l'examen.

 

[103]       La cour passera maintenant à la deuxième étape du critère énoncé par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. W. (D.) Même si la cour a conclu qu’elle ne devait pas croire le témoignage du Maître de 2e classe Wilks, elle doit déterminer quelles en sont les répercussions sur les éléments de preuve pris dans leur ensemble.

 

[104]       Il n'y a rien dans son témoignage qui laisserait subsister pour la cour un doute raisonnable quant aux accusations d'abus de confiance. La cour estime qu'il est maintenant nécessaire de passer à la troisième étape du critère énoncé par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. W. (D.)

 

[105]       En fait, dans chacun des témoignages livrés par les plaignantes, aucun élément n'inciterait la cour à ne pas les croire. La cour a examiné chacun des témoignages et n'a rien trouvé qui pourrait permettre d'en arriver à une telle conclusion. Il est évident que certaines d'entre elles se souviennent mieux que d'autres de certains faits, mais cela s'explique par le temps écoulé. Chaque plaignante a livré un témoignage uniforme et cohérent. Chaque témoignage livré par chaque plaignante est, en soi, crédible et fiable.

 

[106]       En ce qui concerne l'élément essentiel, soit le manquement, par l’accusé, aux normes de responsabilité et de conduite que lui impose la nature de sa charge ou de son emploi, la cour conclut que la poursuite s'est acquittée de son fardeau de prouver cet élément essentiel. Il a été prouvé hors de tout doute raisonnable que les femmes doivent subir un examen des seins dans le cadre d'un EMP tous les deux ans à compter de l'âge de 40 ans, et qu'un tel examen ne devait pas être effectué dans le cadre d'un examen médical d’enrôlement. Les politiques et procédures du Groupe de services de santé des Forces canadiennes énoncent clairement cette question, et l'accusé en était bien informé.

 

[107]       Dans le cas d'A.P., de K.M., de P.F., de J.L., de W.G. et de K.R., il n'y a aucun doute qu'un examen des seins a eu lieu, soit un examen visuel et une palpation, soit un examen visuel seulement, alors que l'accusé n'était pas autorisé à le faire ni censé le faire. L'accusé a clairement avoué l'avoir fait.

 

[108]       En ce qui concerne A.B., J.R., C.D., K.D., K.H., R.G. et G.C., toutes ces femmes ont décrit la manière dont l'accusé a touché leurs seins durant l'examen des seins. Chacune d'elles a fourni une description claire de la manière dont l'accusé a examiné leurs seins. Il utilisait ses doigts pour pincer ou serrer les mamelons, et pour procéder à l'examen de la zone adjacente. Dans le cas de T.W. et d'A.W., l'accusé a procédé à une inspection visuelle de leurs seins sans leur donner le choix d'accepter ou non cet examen. Toutes ces femmes ont dit à la cour qu'elles n'auraient, en aucun cas, permis qu'un examen des seins soit fait si elles avaient su que cela ne faisait pas partie de l'examen médical.

 

[109]       La cour n'a trouvé aucun motif de ne pas croire ces femmes. Rien dans leur témoignage n'a soulevé de doute, dans l'esprit de la cour, concernant cet élément essentiel de l'infraction.

 

[110]       Pour ce qui est de S.M., aucun examen des seins n'a eu lieu lors de son examen médical. La poursuite a fait valoir que l'accusé n'avait pas agi conformément aux politiques applicables en matière de protection de la vie privée.

 

[111]       La déposition de S.M. est silencieuse quant à cela. Elle portait un soutien-gorge, une culotte et une chemise d'hôpital. Pour protéger son intimité, elle aurait dû porter un short, mais, dans les circonstances, c'était le seul élément manquant à son habillement, conformément à la politique. Elle a dit de l'accusé qu'il avait parfois un comportement étrange. La cour peut comprendre qu'elle était mal à l'aise, mais à aucun moment elle n'a eu l'impression qu'il avait enfreint son droit à la vie privée ou qu'il n'avait pas respecté sa dignité. Par conséquent, il est difficile pour la cour de conclure que la poursuite s’est acquittée de son fardeau de prouver cet élément essentiel de l'infraction concernant la 20e accusation.

 

[112]       Le témoignage de toutes ces femmes, à l'exception de celui de S.M., a également établi hors de tout doute raisonnable que la conduite de l’accusé représente un écart grave et marqué par rapport aux normes que serait censé observer quiconque occuperait le poste de confiance de l’accusé. L'intimité et la dignité du patient sont des éléments essentiels et importants dans le monde médical, y compris dans les Forces canadiennes. Les ordres, les directives, les courriels et le témoignage de l'Adjudant-maître Thibeault ne sauraient être plus clairs à ce sujet. Pour respecter ces principes essentiels, les examens des seins ne sont pas autorisés à moins qu'il n'existe un besoin évident de le faire ou que celles-ci soient âgées de plus de 40 ans. Cette directive est en place pour assurer le respect de ces principes. Ainsi, en procédant à un examen des seins, y compris un examen visuel, l'accusé a manifestement été au-delà de ce à quoi s'attendaient ces femmes. Elles ont toutes cru que cela faisait partie de l'examen, alors que ce n'était pas le cas. Elles lui ont fait confiance en raison de sa fonction et du contexte médical. Il a vu les seins nus de toutes ces femmes, et touché la plupart d'entre eux, alors qu'il n'était pas censé faire une telle chose. Sa conduite représente un écart grave et marqué par rapport aux normes que serait censé observer quiconque occuperait le poste de confiance de l’accusé.

 

[113]       Sachant qu'il ne pouvait pas faire ce qu'il a fait, il a fait croire aux femmes qui étaient là pour des examens médicaux d’enrôlement que l'examen des seins faisait partie de l'examen. Quant aux femmes qui se sont présentées pour un EMP, il a précisé qu'il se devait de faire un examen des seins et que cela faisait partie de l'examen. De toute évidence, il a agi dans l’intention de profiter de l'examen médical pour voir les seins de ces femmes et toucher à la plupart d'entre eux. En agissant de la sorte avec chacune d'entre elles, il en a retiré un avantage personnel; manifestement, cela n'était pas à des fins d'intérêt public. Il les a laissées croire, comme elles l'ont déclaré, que cela faisait partie de l'examen, ce qui est vraiment malhonnête, pour en retirer un bénéfice personnel.

 

[114]       De plus, la preuve de faits similaires acceptée par la cour, indiquant que le Maître de 2e classe Wilks s'était servi de son poste de confiance et d'autorité en tant que technicien médical dans le cadre d'un examen médical en vue d'obtenir le consentement de chaque plaignante pour procéder à un examen des seins, constitue un élément de preuve supplémentaire qui établit le dernier élément essentiel de cette infraction.

 

[115]       Enfin, la cour conclut que la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable que l'accusé a agi dans l’intention d’user de sa charge ou de son emploi public à des fins autres que l’intérêt public, par exemple, dans un objectif de malhonnêteté, de partialité, de corruption ou d’abus.

 

[116]       Par conséquent, tenant compte de la preuve dans son ensemble, la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable tous les éléments essentiels de l'infraction d'abus de confiance concernant les accusations 2, 3, 6, 8, 9, 11, 15, 16, 18, 19, 22, 23, 25, 27 et 29.

 

Accusations d'agression sexuelle

 

[117]       En ce qui concerne les infractions d’agression sexuelle à l'égard des dix accusations, soit la 1re, la 5e, la 7e, la 10e, la 14e, la 17e, la 21e, la 24e, la 26e et la 28e accusations, la cour en arrive à la même conclusion quant au témoignage livré par le Maître de 2e classe Wilks et, pour les motifs mentionnés plus haut, elle estime qu'il ne faut pas croire son témoignage.

 

[118]       En outre, relativement à ces accusations, le témoignage de l'accusé, en dépit du fait qu'il n'a pas été accepté par la cour, n’a pas soulevé dans l'esprit de la cour un doute raisonnable quant aux éléments essentiels des accusations d'agression sexuelle. La cour doit ensuite se demander si, en vertu de la preuve qu'elle accepte, elle est convaincue hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l’accusé.

 

[119]       Les commentaires exprimés précédemment par la cour concernant les témoignages d'A.B., de J.R., de C.D., de K.M., de M.P., de J.L., de K.D., de K.H., de R.G. et de C.G. sont toujours valides dans le cas de ces accusations. Les plaignantes ont expliqué la manière dont elles ont été touchées par l'accusé et dans quel contexte il l'a avait agi, et la cour estime que leur témoignage est crédible et fiable.

 

[120]       Du point de vue de la cour, la poursuite a établi, à la lumière de ces témoignages et au-delà de tout doute raisonnable, que le Maître de 2e classe Wilks a employé la force directement ou indirectement contre les plaignantes et qu'il a employé intentionnellement la force contre chacune de ces plaignantes.

 

[121]       Il a également été établi que, par son attitude, le Maître de 2e classe Wilks ne se souciait pas du fait que les plaignantes consentissent ou non, à être touchées, puisqu'il leur disait que l'examen des seins, y compris l'inspection visuelle, faisait partie de l'examen. Il a déclaré clairement que seul son point de vue comptait, puisqu'il pensait qu'il était admissible et souhaitable, à son avis, d'effectuer un examen des seins. Il ne s'est jamais demandé si les plaignantes avaient leur mot à dire à ce sujet.

 

[122]       La cour est aussi convaincue que la poursuite s'est acquittée de son fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable que le Maître de 2e classe Wilks était au courant de l'absence de consentement de la part des plaignantes, qu'il était insouciant à cet égard ou qu'il avait délibérément ignoré ce fait.

 

[123]       La cour est convaincue hors de tout doute raisonnable que la poursuite a prouvé également que les plaignantes n'ont pas consenti à l'emploi de la force. Il a été démontré devant la cour que le consentement accordé par les plaignantes, soit de se laisser toucher par l'accusé, était vicié. Essentiellement, la poursuite a suggéré que le consentement dans le cas de chacune des plaignantes avait été indûment obtenu en rapport avec la nature réelle de l'acte.

 

[124]       Pour prouver une telle chose, la poursuite devait démontrer, conformément au paragraphe 265(3) et à l'article 273 du Code criminel, qu'un acte malhonnête avait été commis et que les plaignantes avaient été privées des renseignements nécessaires; si elles les avaient eus, elles auraient refusé de se laisser toucher par l'accusé (voir R. c. Chen, 2003 BCSC 1363, R. c. Cuerrier, [1998] 2 RCS 371 et R. c. Mabior, 2012 CSC 47).

 

[125]       Les plaignantes ont été soumises à un examen des seins et ont pris connaissance par la suite qu'elles avaient été confrontées, en réalité, à un contact sexuel. L'accusé leur a dit ou fait croire qu'un examen des seins faisait partie de l'EMP ou de l'examen médical d'enrôlement, et c'est la raison pour laquelle elles ont consenti à se laisser toucher les seins. Chacune d'elles a dit à la cour que si elles avaient su que l'examen des seins n'était pas obligatoire, elles n'auraient pas consenti à l'examen. Elles ont dit clairement que leur dignité et leur intimité avaient été bafouées.

 

[126]       De toute évidence, l'accusé a été malhonnête avec chacune d'entre elles, et elles ont toutes été privées des renseignements sur le but réel de ce qu'il a fait. De plus, la preuve de faits similaires acceptée par la cour selon laquelle le Maître de 2e classe Wilks a profité de sa situation de confiance et d'autorité en tant que technicien médical dans le cadre d'un examen médical comme incitation à obtenir le consentement de chaque plaignante pour procéder à un examen des seins constitue un élément de preuve supplémentaire prouvant cet élément essentiel.

 

[127]       Enfin, la poursuite s'est acquittée de son fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable le fait que les agissements de l'accusé avec les plaignantes étaient de nature sexuelle.

 

[128]       Il est clair pour la cour qu'il n'existait aucune exigence médicale, conformément aux directives et aux ordres médicaux, voulant que le Maître de 2e classe Wilks procède à un examen des seins de ces plaignantes, qu'il a touchées pendant qu'elles subissaient un EMP ou un examen médical d'enrôlement. En fait, il n'était pas autorisé à procéder à des examens des seins. Agir comme il l'a fait, et en l'absence de tout antécédent médical pour l'ensemble de ces plaignantes, la seule conclusion à laquelle peut en arriver un observateur raisonnable est qu'il a fait ces gestes pour son propre plaisir sexuel, tout en sachant qu'il n'y avait aucune raison médicale d'agir ainsi. D'après ces éléments de preuve, la cour conclut que les attouchements ont eu lieu dans des circonstances de nature sexuelle.

 

[129]       Par conséquent, compte tenu des éléments de preuve pris dans leur ensemble, la poursuite a fait la preuve hors de tout doute raisonnable de tous les éléments essentiels de l'infraction d'agression sexuelle concernant les 1re, 5e, 7e, 10e, 14e, 17e, 21e, 24e, 26e et 28e accusations.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[130]       DÉCLARE le Maître de 2e classe Wilks coupable des 1re, 2e, 3e, 7e, 8e, 9e, 10e, 11e, 14e, 15e, 16e, 17e, 18e, 19e, 21e, 22e, 23e, 24e, 25e, 26e, 27e, 28e et 29e accusations se trouvant à l'acte d'accusation.

 

[131]       DÉCLARE le Maître de 2e classe Wilks coupable à la suite d'un verdict annoté concernant la date, soit le 26 avril 2005, dans le cas des 5e et 6e accusations.

 

[132]       DÉCLARE le Maître de 2e classe Wilks non coupable de la 20e accusation se trouvant à l'acte d'accusation.


 

Avocats :

 

Major R.D. Kerr, Major A.C. Samson,

Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Major D. Hodson, Major E. Thomas,

Direction du service d’avocats de la défense

Avocat du Maître de 2e classe J.K. Wilks

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