Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 2 décembre 2013.

Endroit : BFC Valcartier, édifice 534, l’Académie, Courcelette (QC).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, fraude (art. 380(1) C. cr.).
•Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 117f) LDN, acte à caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128 de la Loi sur la Défense nationale.
•Chefs d’accusation 3, 6 : Art. 125a) LDN, a fait volontairement une fausse déclaration dans un document officiel signé de sa main.
•Chef d’accusation 4(subsidiaire au chef d’accusation 5) : Art. 130 LDN, fraude (art. 380(1) C. cr.).
•Chef d’accusation 5(subsidiaire au chef d’accusation 4) : Art. 117f) LDN, acte à caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128 de la Loi sur la Défense nationale.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 3, 4, 6 : Coupable. Chefs d’accusation 2, 5 : Une suspension d’instance.
•SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 90 jours.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Maillet, 2013 CM 3034

 

Date : 20131203

Dossier : 201313

 

Cour martiale permanente

 

Base de soutien de la 2e division du Canada Valcartier

Courcelette (Québec) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal-chef M. Maillet, contrevenant

 

 

Devant : Lieutenant-colonel L.-V. d'Auteuil, J.M.

 


 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

[1]               Caporal-chef Maillet, la cour martiale ayant accepté et enregistré votre aveu de culpabilité concernant les premier, troisième, quatrième et sixième chefs d'accusation, la cour vous trouve maintenant coupable de ces quatre chefs. Considérant que les deuxième et cinquième chefs d'accusation sont subsidiaires, la cour ordonne une suspension d'instance sur ces deux chefs.

 

[2]               De plus, conformément à l'article 194 de la Loi sur la Défense nationale, la cour accepte de tenir compte pour la détermination de la présente sentence, suite à la demande du contrevenant, de quatre infractions dont il a reconnu être l'auteur, soit deux infractions punissables en vertu de l'article 130 de la Loi sur la Défense nationale, soit d'avoir commis une fraude contrairement à l'article 380(1) du Code criminel entre le 11 novembre 2005 et le 12 février 2007 à la Base des Forces canadiennes de Trenton, et entre le 12 février 2007 et le 31 mai 2010 à la Garnison Valcartier, concernant une réclamation relative à l'indemnité de vie chère dans les deux cas pour un montant total de 19,777.80 $, ainsi que deux autres infraction en vertu de l'article 125a) de la Loi sur la Défense nationale, soit d'avoir fait volontairement une fausse déclaration dans un document officiel signé de sa main concernant les deux mêmes périodes et aux deux mêmes endroits mentionnés auparavant.

 

[3]               Il est maintenant de mon devoir à titre de juge militaire présidant cette cour martiale permanente de déterminer la sentence.

 

[4]               Dans le contexte particulier d'une force armée, le système de justice militaire constitue l'ultime recours pour faire respecter la discipline qui est une dimension essentielle de l'activité militaire dans les Forces canadiennes. Le but de ce système est de prévenir toute inconduite ou de façon plus positive de veiller à promouvoir la bonne conduite. C'est au moyen de la discipline que les forces armées s'assurent que leurs membres rempliront leur mission avec succès, en toute confiance et fiabilité. Le système de justice militaire voit aussi au maintien de l'ordre public et s'assure que les personnes justiciables du Code de discipline militaire sont punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

 

[5]                La Cour suprême du Canada a reconnu dans l'arrêt R c Généreux, [1992] 1 RCS 259 que « pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace. » Elle a aussi souligné que « dans le contexte particulier de la discipline militaire, les manquements à la discipline devraient être réprimés promptement, et dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil. » Or, le droit ne permet pas à un tribunal militaire d'imposer une sentence qui se situerait au-delà de ce qui est requis dans les circonstances de l'affaire. En d'autres mots, toute peine infligée par un tribunal, qu'il soit civil ou militaire, doit être individualisée et représenter l'intervention minimale requise puisque la modération est le principe fondamental de la théorie moderne de la détermination de la peine au Canada.

 

[6]               Dans le cas qui nous occupe ici, le procureur de la poursuite a suggéré à la cour d'infliger au contrevenant une peine de détention pour une durée de 90 jours et de lui imposer une rétrogradation au grade de soldat. Pour sa part, l'avocat de la défense a recommandé que la cour condamne son client à une peine d'emprisonnement pour une période de 60 jours.

 

[7]               L'imposition d'une sentence devant une cour martiale a pour objectif essentiel le respect de la loi et le maintien de la discipline, et ce, en infligeant des peines visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a.                   la protection du public y compris les Forces canadiennes;

 

b.                  la dénonciation du comportement illégal;

 

c.                   la dissuasion du contrevenant et quiconque de commettre les mêmes infractions;

 

d.                  isoler au besoin les contrevenants du reste de la société; et

 

e.                   la réhabilitation et la réforme du contrevenant.

 

[8]               Les peines infligées qui composent la sentence imposée par un tribunal militaire peuvent également prendre en compte les principes suivants :

 

a.                   la proportionnalité en relation à la gravité de l'infraction;

 

b.                  la responsabilité du contrevenant et les antécédents de celui-ci ou de celle-ci;

 

c.                   l'harmonisation des peines, c'est-à-dire l'infliction de peine semblable à celle infligée à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables;

 

d.                  l'obligation, avant d'envisager la privation de liberté, d'examiner la possibilité de peine moins contraignante lorsque les circonstances le justifient. Bref, le tribunal ne devrait avoir recours à une peine d'emprisonnement ou de détention qu'en dernier ressort;

 

e.                   finalement, toute peine qui compose une sentence devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l'infraction ou à la situation du contrevenant.

 

[9]               La cour est d'avis que l'infliction d'une peine au contrevenant dans cette cause doit mettre l'accent sur l'objectif lié d'abord à celui de la dissuasion générale et puis à la dénonciation du comportement illégal. Il est important de retenir que le principe de dissuasion générale implique que la peine infligée devrait non seulement dissuader le contrevenant de récidiver mais aussi dissuader toute autre personne qui se trouve dans une situation analogue de se livrer aux mêmes actes illicites.

 

[10]           Le caporal Maillet s'est enrôlé au sein des Forces canadiennes en octobre 2004 et son statut de conjoint de fait a été reconnu immédiatement. Cependant, il s'est séparé de sa conjointe en novembre 2005 et il n'en a pas averti les autorités militaires. Il a continué à réclamer des indemnités de frais d'absence au foyer sur une base mensuelle alors qu'il n'y avait clairement pas droit en raison de son changement de statut. Il avait aussi déclaré une adresse à Montréal pendant qu'il était à Trenton et à Valcartier, alors qu'il avait acheté en octobre 2005 une maison située dans la région de la ville de Québec et qu'il n'y a jamais habitée. C'est en raison d'une simple vérification administrative par un commis en juin 2010 que la supercherie a été découverte. Cependant, à cette époque, le caporal-chef Maillet désirait mettre fin à ce stratagème, reconnaissant que cela était inapproprié mais il s'y est pris trop tard car le tout avait été soumis à une enquête.

 

[11]           Le caporal-chef Maillet a expliqué que c'est en raison de sa consommation excessive d'alcool et son besoin compulsif de jouer sur des machines à sous qui a fait en sorte qu'il a continué à réclamer les indemnités en question. Cependant, en 2010, il a décidé de se reprendre en mains en contrôlant sa dépendance à l'alcool et au jeu.  Il a totalement cessé de jouer mais à rechuter à quelques reprises concernant la consommation d'alcool.  Il n'a suivi aucune thérapie et il a réussi à surmonter ces obstacles grâce au soutien de sa conjointe actuelle. Il se considère maintenant guéri.

 

[12]           Compte tenu de l'ampleur de l'organisation que représentent les Forces canadiennes, cette dernière s'appuie en grande partie sur l'intégrité et l'honnêteté de ses membres afin de parvenir à faire une gestion saine des sommes qui lui sont confiées par le trésor public lorsqu'il s'agit de gérer les indemnités individuelles de ses membres.  Lorsqu'une fraude est commise au sens du Code criminel, il est important de souligner, comme l'ont fait plusieurs autres cours au Canada, incluant la cour martiale, qu'il s'agit d'un crime grave qui fait appel à un degré particulier de sévérité en raison de la nature même de ce crime et de son impact. Les membres qui se sont mis volontairement au service de notre société, tel que les militaires, ne peuvent pas tenter d'aucune manière de tirer un bénéfice strictement personnel alors qu'ils n'y ont clairement pas droit. En ce faisant, il trahisse ainsi la confiance mis en eux par l'ensemble des canadiens et par ceux qui les dirigent. C'est d'ailleurs se que soulignait le juge Létourneau de manière plus générale dans la cause de R c St-Jean, CMAC 429 au paragraphe 22.

 

[13]           Pour en arriver à ce qu'elle croit être une peine juste et appropriée, la cour a donc tenu compte des circonstances aggravantes et atténuantes révélées par les faits de cette cause.

 

[14]           En ce qui concerne les facteurs aggravants, la cour retient les aspects suivants :

 

a.                   La gravité objective des infractions. Vous avez été trouvé coupable d'une infraction d'ordre militaire, soit aux termes de l'article 380 du Code criminel du Canada qui est passible, au maximum, d'un emprisonnement pour une période de 14 ans ou d'une peine moindre, et d'une infraction aux termes de l'article 125a) de la Loi sur la Défense nationale qui prévoit une peine d'emprisonnement maximale de trois ans.

 

b.                  Relativement à la gravité subjective, il y a quatre aspects que je retiens de la preuve qui m'a été présentée :

 

i.                    La nature et l'étendue de la fraude. Il s'agit ici, d'une supercherie qui impliquait un simple stratagème. Tout reposait essentiellement sur ce que vous déclariez au commis, y compris les formulaires officiels pour la réclamation de l'indemnité. Il n'y avait d'aspect complexe qui impliquait plusieurs petites choses pour avoir le résultat. C'était très simple, vous remplissiez le formulaire, vous faisiez une déclaration et vous signiez le formulaire. En ce sens, c'est pourquoi je qualifie la nature de cette fraude comme une fraude relativement simple du point de vue stratagème. Il y a l'ampleur de la fraude, il s'agit ici d'une fraude d'environ 67,000 $ qui s'est étendue quand même sur une assez longue période, au-delà de quatre ans et, sans augmenter la gravité, il faut considérer que si j'y ajoute les quatre infractions pour lesquelles vous avez reconnu être l'auteur, on parle ici d'un montant d'environ 87,000 $. Il s'agit d'une fraude d'une étendue en termes de temps et en termes de montant qui est assez sérieuse et qui constitue dans les circonstances un facteur aggravant;

 

ii.                  Le degré de préméditation. Ma conclusion sur cet aspect est qu'il est élevé et répétitif. Le fait de réclamer de manière mensuelle, c'est-à-dire à tous les mois, un montant d'argent sur une aussi longue période fait en sorte que vous saviez exactement ce que vous faisiez et vous auriez pu à tout moment y mettre fin, mais vous avez répété à chaque fois cela et à ce moment-là, le degré de préméditation est élevé. C'était un plan, c'était un stratagème auquel vous avez pensé. Ce n'est pas quelque chose que vous avez fait en y pensant presque pas ou pas du tout où on vous a dit : ben signez là et vous aurez l'argent. Vous saviez qu'est-ce que vous obteniez et vous l'avez planifié d'une certaine manière et c'est devenu de plus en plus évident alors que le temps passait, et l'aspect répétitif indique un degré de préméditation élevé parce que vous l'avez répété probablement, vous avez fait ce geste-là probablement une cinquantaine de fois pour un seul formulaire. Donc il y avait plus d'un formulaire et vous avez répété ça très souvent. Et le fait de le refaire à chaque fois, et vous saviez très bien ce que vous déclariez dans chacun de ces formulaires, fait en sorte que le degré de préméditation est très élevé, mais c'est un facteur que je dois considérer aggravant dans les circonstances;

 

iii.                Le caractère d'autorité et le lien de confiance. Dans les circonstances, vous n'aviez aucun rôle d'autorité puisqu'il s'agissait d'une réclamation personnelle, vous n'aviez pas la responsabilité d'assumer la gestion, la distribution d'argent au sein de votre unité. On ne vous a pas confié un poste de cette nature. Par contre, comme je l'ai exprimé auparavant, tout reposait sur vous et sur l'intégrité et l'honnêteté que vous deviez démontrer en remplissant à chaque fois un formulaire. C'est vous qui fournissiez l'information. Comme je l'ai exprimé, compte tenu de l'ampleur de l'organisation, à un certain point on doit s'attendre à ce qu'on puisse vous faire confiance sur les informations fournies. Et sur cet aspect-là, le lien de confiance a été brisé, et c'est un facteur aggravant dans les circonstances;

 

iv.                Les bénéfices personnels, qui est le quatrième et dernier facteur aggravant que je retiens. Si j'ai bien compris votre témoignage, l'argent que vous avez obtenu a servi à payer vos dettes personnelles parce que vous vous serviez de votre salaire ou de l'argent que vous aviez d'autres sources pour satisfaire vos besoins personnels de consommation d'alcool et de jeu. Donc que vous l'ayez dépensé d'une manière ou d'une autre, c'est pour compenser le problème personnel que vous aviez et vous en avez bénéficié personnellement. Et c'est un facteur aussi que je dois considérer aggravant dans les circonstances.

 

[15]           Maintenant, concernant les facteurs atténuants :

 

a.                   Le premier facteur qui est pour moi nécessaire de retenir est votre plaidoyer de culpabilité. En plaidant coupable aux quatre infractions, vous témoignez de manière manifeste vos remords, votre sincérité dans votre intention de continuer à représenter un actif solide et positif, autant au sein des Forces canadiennes qu'au sein de la société canadienne. Vous avez clairement exprimé ce fait-là devant la cour, aussi durant votre témoignage et à la première opportunité c'est-à-dire lorsque vous avez eu votre avocat en avril 2013, vous avez aussi exprimé ce fait-là. Et ça, ça constitue un facteur atténuant dont je tiens compte.

 

b.                  Votre performance au travail. Votre potentiel et votre performance établis par la preuve à travers les évaluations de rendement et les lettres témoignant de votre caractère au travail démontrent que vous constituez un réel actif au sein des Forces canadiennes. Une fois que vous avez réglé votre problème, vous avez continué à bien performer au travail puis je ne pense pas qu'il est là le problème, au contraire, vous pouvez voir que dans votre entourage les gens apprécient clairement d'une part votre façon de faire dans votre métier mais aussi probablement votre leadership et votre façon de superviser. Et en ce sens-là, je conclus vous ne constituez pas un problème au sens strictement disciplinaire. Personne n'est venu me dire ici que vous aviez des problèmes à obéir aux ordres, vous aviez des problèmes à être à temps, vous n'étiez pas un exemple pour vos pairs ou vos subordonnés, tout au contraire, je pense que c'est plutôt le cas, vous l'êtes, au point où la chaîne de commandement ne vous a causé aucun problème ou n'a vu aucun problème à vous appuyer dans votre progression de carrière.

 

c.                   Il y a aussi l'âge, à 37 ans, vous avez un grand bagage en termes de connaissance et d'expérience que vous devrez mieux utiliser sur un plan personnel. Je pense que vous l'avez fait déjà dans un certain sens mais ce n'est pas fini, en fait, c'est loin d'être fini. Le problème personnel que vous avez vécu, et que vous vivez toujours, nécessitera de votre part une meilleure attention et particulièrement dans les moments où ça ira mal et vous devrez avoir des ressources autres que votre conjointe pour vous permettre de passer à travers ça si vous voulez continuer à bénéficier d'un milieu normal de travail puis d'un milieu normal de vie. À mon avis, le fait que vous avez eu cette expérience-là et ces connaissances-là aujourd'hui, devrait vous permettre de ne pas vous retrouver à nouveau devant une cour martiale dans le cadre militaire, ça devrait constituer une leçon et cet ensemble-là pour moi constitue à tout le moins un facteur atténuant.

 

d.                  Il y a eu aussi le fait que vous avez eu à faire face à cette cour martiale. La cour martiale est publique accessible aux gens qui sont intéressés à savoir qu'est-ce qui se passe sur cette affaire. C'est une composante de la justice militaire. Le fait que cette cour martiale soit publique permet aussi de faire en sorte que qu'est-ce qui se passe à la cour se passe correctement, que les acteurs qui sont impliqués autant le juge que les avocats puissent faire cela de manière équitable pour vous. Il est clair pour moi que ça a un certain effet dissuasif de venir devant une cour martiale, et pas juste sur vous mais aussi sur toute autre personne qui pourrait être tenté d'avoir le même comportement que vous.

 

e.                   Il y a aussi votre comportement après la commission de l'infraction. Vous avez témoigné à l'effet qu'après avoir été confronté par votre conjointe, vous avez réalisé probablement tous les problèmes que vous avez causés, le mal que vous avez fait et la manière inappropriée dont vous avez agi et vous avez pris l'initiative de venir auprès d'un commis pour faire arrêter tout cela pour réaliser qu'il était déjà trop tard. C'est un élément dont je dois tenir compte mais il y a aussi le fait que vous avez pris des dispositions, un plan clair, pour rembourser la totalité de la somme que vous avez obtenu et dont vous vous êtes servi à des fins personnelles. Vous avez un plan qui est clair, vous avez aussi l'intention de mettre à profit la vente de vos actifs afin de rembourser plus rapidement, et ici je parle de la maison, de mettre ça en priorité pour rembourser votre dette.

 

f.                   Je dois aussi considérer le fait que vous n'avez aucun casier judiciaire ou d'inscription à une fiche de conduite révélant la commission d'infractions de même nature ou similaire.

 

g.                  Finalement, il ne faut pas oublier que par votre condamnation, vous aurez un casier judiciaire. Votre fiche de conduite sera annotée en conséquence. Il est vrai que ça aura une certaine portée sur votre carrière au sein des Forces canadiennes, puis ça aussi une portée sur le plan personnel d'avoir un casier judiciaire et cette conséquence-là ne peut pas être négligée par la cour. Ça fait partie d'un des facteurs atténuants que je dois considérer.

 

[16]           Maintenant, l'incarcération est une peine qui doit être infligée dans le cas de derniers recours, tel qu'il a été établi par les décisions de notre Cour d'appel et de la Cour suprême du Canada. Tel que mentionné par le juge militaire en chef, le juge Dutil, dans la décision de R c Roche, 2008 CM 1001, au paragraphe 15, les cas de fraudes importants ou commis envers l'employeur que ce soit sur courte ou une longue durée résultent habituellement en l'imposition d'une peine d'incarcération.

 

[17]           En conséquence, compte tenu de la nature des infractions, des circonstances dans lesquelles elles ont été commises, des principes de détermination de la peine applicables, notamment des peines imposées par les tribunaux militaires à des contrevenants du même genre pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables, ainsi que des circonstances aggravantes et atténuantes précédemment mentionnées, je conclus qu'aucune sanction ou combinaison de sanctions autre que l'incarcération ne semblerait constituer la peine la moins sévère nécessaire et appropriée en l'espèce. Sur cette question, je tiens à faire remarquer l'accord des deux parties qui ont soumis à la cour, à tout le moins sur ce point, une suggestion commune.

 

[18]           Quant au type d'incarcération, la cour est d'avis que la présente situation en est une où l'emprisonnement devrait être imposé. En effet, la nature criminelle de la fraude et l'attitude générale des tribunaux au Canada face à la commission de cette infraction va en ce sens.

 

[19]           Il est aussi important de souligner que la cour est d'avis que dans les cas ou l'acte reproché déborde le cadre disciplinaire et qu'il constitue une activité proprement criminelle, alors là, le juge militaire qui impose la sentence doit non seulement regarder l'infraction à la lumière des valeurs et des compétences propres aux membres des Forces canadiennes mais aussi dans l'optique de l'exercice d'une juridiction pénale concurrente.

 

[20]           Considérant l'ampleur et la durée de cette fraude, seul l'emprisonnement peut rencontrer l'objectif de dissuasion générale dans les circonstances.

 

[21]           La détention est une peine qui vise à dénoncer mais aussi à réhabiliter spécifiquement un militaire des Forces canadiennes en visant à rétablir chez ce dernier les valeurs et principes militaires afin qu'il comprenne et applique la notion d'obéissance dans un cadre militaire structuré. Il appert que dans le présent dossier, le caporal-chef Maillet n'a pas besoin que ce genre de peine lui soit infligé, car il a démontré dans le cadre de son travail qu'il est en mesure d'appliquer ces valeurs et principes depuis qu'il a cessé de frauder, tel qu'en fait foi les rapports et témoignages écrits relatifs à sa performance au travail. Dans les faits, la cour considère que l'emprisonnement cadre beaucoup mieux que la détention dans l'application des objectifs qu'elle a retenu, soit la dissuasion générale et la dénonciation.

 

[22]           Quel serait donc la durée appropriée pour cette peine? La cour est d'avis que dans les circonstances de cette affaire, une peine de trois à six mois d'emprisonnement tiendrait compte des principes et objectifs applicables à la détermination de la présente sentence, incluant ceux relatifs à la dissuasion et à la dénonciation, en plus des facteurs aggravants et atténuants. J'en viens donc à la conclusion qu'une peine d'emprisonnement pour une durée de 90 jours serait appropriée et juste dans les circonstances.

 

[23]           Il a été suggéré par la poursuite que la cour prononce aussi la rétrogradation au grade de soldat pour le caporal-chef Maillet. Tel que je l'ai exprimé dans l'affaire Moriarity, 2012 CM 3022, aux paragraphes 36 à 40, la rétrogradation est une peine purement militaire visant généralement à exprimer la perte de confiance du milieu militaire envers un contrevenant qui occupait un poste ou une fonction de leadership au moment de la commission de l'infraction. La jurisprudence en matière de fraude devant nos cours semble confirmer d'ailleurs cette tendance. Cependant, je suis loin de penser que cette peine doit être restreinte uniquement dans ces cas mentionnés.

 

[24]           Dans le cas qui nous occupe, je suis plutôt d'avis que l'ajout de la rétrogradation à la peine d'emprisonnement n'apporterait rien de plus à ce qui est nécessaire comme peine minimale à être imposée dans les circonstances. Il est vrai qu'en agissant comme il l'a fait, le caporal-chef Maillet a trahi la confiance des Forces canadiennes en ce qui a trait au fait qu'il devait rapporter fidèlement sa situation personnelle lui donnant accès à certains bénéfices personnels. Par contre, en aucun temps, il a abusé de son grade ou de sa nomination et de sa position pour tirer quelque avantage que ce soit.

 

[25]           Essentiellement, le tout découle de son incapacité à l'époque de traiter et reconnaître son problème de dépendance envers l'alcool et le jeu, ce qu'il a réussi à faire à l'aide de sa conjointe et lui a permis d'avoir un jugement plus éclairé quant à sa situation personnelle et à sa façon d'agir et de mettre définitivement fin à la commission des infractions. Dans ces circonstances, je vois mal comment une peine de rétrogradation serait proportionnée à la gravité de l'infraction et aux antécédents du contrevenant.

 

[26]           Une peine juste et équitable doit tenir compte de la gravité de l'infraction et de la responsabilité du contrevenant dans le contexte précis de l'espèce. De l'avis de la cour une peine d'emprisonnement d'une durée de 90 jours constitue une peine minimale appropriée et une peine adaptée aux infractions.

 

[27]           Ceci dit, Caporal-chef Maillet, je tiens à souligner à grand trait le fait qu'à mon avis vous demeurez fragile sur le plan personnel. La cour n'a aucun outil pour vous imposer le fait d'aller consulter. Je ne mets pas en doute votre réussite et votre détermination mais pour continuer à demeurer dans les Forces canadiennes et ne pas retomber dans ce que vous avez vécu, vous devrez aller consulter. Il arrive un point où il faut reconnaître qu'on n'est pas toujours en mesure de réussir certaines choses, on a besoin simplement de l'aide extérieur. Et reconnaître qu'on a besoin de l'aide extérieur à la famille, ou de manière personnelle, ce n'est pas une faiblesse, au contraire, c'est une force et vous devrez faire cela. Ça se peut que ça puisse se faire directement en détention, il y a des ressources qui existent, vous comprendrez que j'ordonne qu'on vous envoie au centre à l'Établissement de détention de Québec, ici, ils ont des ressources et lorsque vous reviendrez sur la base, si vous êtes toujours membre des Forces canadiennes, je vous conseille fortement pour votre bien personnel puis le bien de votre conjointe, de votre famille, puis aussi pour le biens des gens que vous aurez peut-être le privilège de superviser en tant que caporal-chef, d'aller consulter de temps à autre et d'établir un plan qui fera en sorte que si pour une raison quelconque, parce que la vie on n'a aucun contrôle là-dessus, il y a d'autre chose de grave qui vous amène à être tenté de retomber dans une situation que vous avez vécu, vous a causé tous ces problèmes-là, bien au moins vous aurez un plan. Vous aurez une façon d'éviter ça et je suis convaincu que vous réussirez, mais vous devrez de vous-même, il n'y a personne d'autre dans cette salle qui peut le faire, de vous-même, faire un premier pas vers de l'aide extérieur. Ce n'est pas une faiblesse, c'est une force puis ça prend beaucoup de courage pour le faire et vous en avez eu puis vous devrez en avoir encore pour faire ça. Vous considérez que vous êtes guéri et ce terme-là, je ne suis pas certain qu'il s'applique dans les circonstances. Je suis loin d'être un spécialiste mais pour en avoir vu plusieurs devant ce tribunal-là, « guéri » est un grand mot. Vous avez réussi à contrôler mais on est tous des êtres humains et d'une manière inattendue on peut perdre le contrôle. C'est pour ça que ça vous prend un plan puis ça vous prend des gens que vous pouvez consulter. Dans ce sens-là, je vous encourage fortement à le faire et le plus rapidement possible.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[28]           DÉCLARE le caporal-chef Maillet coupable du premier et quatrième chefs d'accusation concernant une infraction punissable en vertu de l'article 130 de la Loi sur la Défense nationale pour fraude contrairement à l'article 380(1) du Code criminel et du troisième et sixième chefs d'accusation pour avoir fait volontairement une fausse déclaration dans un document officiel signé de sa main contrairement à l'article 125a) de la Loi sur la Défense nationale.

 

[29]           ORDONNE une suspension d'instance sur le deuxième et le cinquième chefs d'accusation.

 

[30]           CONDAMNE le caporal-chef Maillet à l'emprisonnement pour une période de 90 jours.

 


Avocats :

Major G. Roy et Capitaine F. Sénéchal, Service canadien des poursuites militaires

Avocats de la poursuivante

 

Capitaine de corvette P. Desbiens, Service d'avocats de la défense

Avocat pour le caporal-chef Maillet

 

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