Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 16 avril 2010

Endroit : Centre Asticou, bloc 2600, pièce 2601, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC)

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats
•VERDICT : Chef d'accusation 1 : Coupable.
•SENTENCE : Un blâme et une amende au montant de 2000$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Citation : R. c. Jenner, 2010 CM 1008

 

Date : 20100416

Dossier : 201010

 

Cour martiale permanente

 

Salle d’audience du centre d’Asticou

Gatineau (Québec) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Capitaine D.E. Jenner, contrevenant

 

 

Sous la présidence du Colonel M. Dutil, J.M.C.

 


 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Capitaine Jenner, la cour, ayant accepté et inscrit votre plaidoyer de culpabilité à la première accusation, vous déclare maintenant coupable de cette accusation, à savoir conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline, en vertu de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale.

 

[2]               La procureure et l’avocat du défendeur, deux avocats expérimentés, ont présenté une recommandation conjointe sur la peine. Les avocats ont soumis à la cour des observations détaillées à l’appui de leurs recommandations. Ils recommandent que la cour condamne le capitaine Jenner à un blâme et une amende de 2 000 $. La défense demande que le paiement de l’amende soit effectué par versements mensuels de 200 $, à compter du 1er mai 2010. Ils font valoir que leur recommandation est la peine minimale applicable dans les circonstances.

 

[3]               Quoiqu’il soit vrai que la cour n’est pas liée par la recommandation conjointe sur la détermination de la peine, elle ne devrait pas dévier de cette recommandation à moins qu’elle estime que la recommandation est contraire à l’intérêt public ou qu’elle jette le discrédit sur l’administration de la justice. Je n’ai aucune raison de croire au caractère inadéquat de l’observation conjointe sur la détermination de la peine.

 

[4]               Il est établi de longue date que le but d'un système de tribunaux militaires distinct est de permettre aux Forces armées de s'occuper des questions qui touchent directement à la discipline, à l'efficacité et au moral des troupes. Les infractions de conduite préjudiciables au bon ordre et à la discipline comprennent un large éventail de conduites, d’omissions, de troubles et d’actes de négligence. Elles ont toutes un point en commun : des conséquences directes sur la discipline, l’efficacité et le moral des troupes. Le préjudice causé au bon ordre et à la discipline peut être établi par les éléments de preuve en particulier ou il peut s’inférer des questions établies en preuve comme étant une conséquence naturelle de la conduite prouvée.

 

[5]               Cela étant dit, la peine imposée par un tribunal, qu’il soit militaire ou civil, devrait représenter la mesure minimale nécessaire qui est adéquate dans les circonstances de l’affaire. L’observation conjointe respecte ce principe également.

 

[6]               Lorsqu’il s’agit de déterminer quel châtiment ou quelle peine il convient d’infliger, il faut prendre en compte un ou plusieurs objectifs et principes qui suivent : la protection du public, et le public s’entend des Forces canadiennes; la dénonciation de la conduite illicite; l’effet dissuasif sur le contrevenant et sur quiconque serait tenté de commettre des infractions semblables; contribuer à la réinsertion sociale du contrevenant ou à sa réhabilitation; la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant; la peine doit de plus être conforme au principe de la parité, c’est‑à‑dire que la peine infligée doit être similaire aux peines infligées à des contrevenants du même genre pour des infractions comparables commises dans des circonstances relativement semblables; enfin, la cour tiendra compte des circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la situation du contrevenant et à la perpétration de l’infraction.

 

[7]               Après avoir tenu compte de ces principes et objectifs, la cour doit examiner la recommandation conjointe faite par les deux avocats pour déterminer si ces derniers ont bien respecté ces principes et objectifs lorsqu’ils l’ont formulée. En conséquence, j’ai analysé cette recommandation conjointe en fonction de ces principes et objectifs, et en tenant compte également du sommaire des circonstances que la procureure a présenté à la cour.

 

[8]               Les circonstances de l’espèce sont très simples. Le capitaine Jenner a présidé le procès sommaire d’une subalterne avec qui il avait des relations sexuelles au moment de l’infraction.

 

[9]               Je suis d’accord avec la procureure que l’objectif fondamental de la détermination de la peine dans la présente affaire est d'assurer la dissuasion générale. Il s’agit d’une infraction grave tant objectivement que subjectivement. La conduite du contrevenant a miné l'intégrité du processus de justice militaire à l’étape du procès sommaire, qui est essentielle au maintien de la discipline. Au sein des Forces canadiennes, la procédure sommaire a pour objet de rendre justice de façon prompte et équitable à l’égard d’infractions d’ordre militaire mineures et de contribuer au maintien de la discipline et de l’efficacité militaires. L’équité est un élément essentiel du procès sommaire.

 

[10]           L’officier présidant le procès doit agir de façon impartiale et mettre de côté ses intérêts ainsi que ses croyances personnels lorsqu’il accomplit son devoir et prend une décision. Si l’officier a un intérêt personnel ou financier direct dans le résultat éventuel d’une décision, il doit alors s’abstenir de siéger. Malgré tous les efforts déployés par l’officier présidant, il arrive des situations où l’apparence de justice exige que l’officier se récuse. Il en sera inévitablement ainsi lorsque l’officier présidant est en conflit d’intérêt.

 

[11]           Il y a risque de conflit d’intérêts lorsque l’intérêt personnel de l’officier présidant (ou de ses proches) s’oppose à son devoir de rendre la justice avec impartialité, que ce soit dans le cadre d’un procès sommaire présidé par un officier ou par un juge dans quelque cour ou tribunal que ce soit. Les principes fondamentaux de l’impartialité comportent deux volets : l’impartialité réelle et l’impartialité apparente, selon le point de vue d’une personne raisonnable, impartiale et bien informée. En ce qui concerne la fonction judiciaire, le critère applicable aux conflits d’intérêts doit couvrir non seulement les conflits réels entre l’intérêt personnel du juge et le devoir d’exercer la justice de manière impartiale, mais encore les situations dans lesquelles une personne raisonnable, impartiale et bien informée éprouverait une crainte raisonnable de conflit d’intérêts. Comme l’a mentionné l’avocat de la défense, étant donné que le capitaine Jenner agissait à titre de juge lorsqu’il a présidé le procès sommaire, il aurait dû penser comme un juge.

 

[12]           Il est essentiel que l’officier présidant le procès sommaire ne démontre aucune préférence pour l’une ou l’autre des positions et soit également perçu comme impartial. Il est donc important non seulement que l’officier présidant un procès sommaire soit impartial, mais il est aussi primordial qu’il n’y ait ni apparence ni appréhension de partialité. À ce niveau, l’examen consiste à se demander si un observateur relativement bien informé peut raisonnablement percevoir de la partialité de la part du décideur.

 

[13]           Toutefois, il ne faut surtout pas oublier que lors d’un procès sommaire, l’officier présidant le procès aura toujours à cœur de protéger les intérêts de la discipline au sein de son unité. La discipline au sein des Forces canadiennes dépend de l’interaction personnelle entre les membres servant ensemble. La procureure a soulevé avec justesse qu’afin d’accroître l’impartialité, les officiers présidant au procès sommaire doivent prêter serment ou faire une déclaration solennelle au début de chaque procès sommaire. Dans le contexte d’un procès sommaire, il est entendu que l’officier présidant connaîtrait inévitablement de façon personnelle un accusé faisant partie de sa propre chaîne de commandement. Cela ne constitue pas, en soi, un conflit d’intérêts.

 

[14]           Il est très clair qu’un officier présidant un procès sommaire doit, comme tout autre juge ferait dans des circonstances similaires, se récuser si cette personne entretient des relations personnelles avec un accusé ou un témoin. Cette situation constitue un conflit d’intérêts flagrant. Il n’est aucunement pertinent dans un tel scénario d’examiner la question de savoir si une personne raisonnable, impartiale et bien informée éprouverait une crainte de partialité. La situation en soi constitue un conflit d’intérêts grave. Le fait de présider un procès sommaire d’une personne avec qui on entretient des relations personnelles étroites mine l’intégrité de la fonction d’officier présidant investi du pouvoir de rendre justice de façon prompte et équitable à l’égard d’infractions d’ordre militaire mineures et de contribuer au maintien de la discipline et de l’efficacité militaires.

 

[15]           En définitive, les militaires doivent s’attendre à ce que leurs commandants procèdent équitablement et de façon impartiale face à l’ensemble des problèmes des membres, incluant les manquements aux devoirs disciplinaires, et croire en ceci. L’avocat de la défense a fait valoir que malgré le conflit d’intérêts du capitaine Jenner envers l’accusée lors du procès sommaire, justice a été rendue. Je suis profondément en désaccord avec cette déclaration. Les conséquences délétères des décisions des juges dans le cadre de conflits d’intérêts, comme en l’espèce, minent l’intégrité du processus judiciaire même. La question de savoir si justice a été rendue dans de telles circonstances ne peut pas se comparer au traitement personnel que reçoit l’accusée ou à l’issue d’une cause en particulier. Je n’ai pas besoin d’ajouter quoi que ce soit d’autre sur cette question.

 

[16]           En acceptant la recommandation conjointe sur la détermination de la peine, j’ai examiné la preuve fournie au tribunal en ce qui a trait aux circonstances aggravantes et atténuantes liées à la perpétration de l’infraction et à la situation du contrevenant. Au cours des dernières années, le capitaine Jenner a extrêmement bien exécuté son travail, malgré des problèmes de santé importants. Néanmoins, les principaux facteurs atténuants sont le plaidoyer de culpabilité et l’acceptation de responsabilité du contrevenant à la première occasion.

 

[17]           Capitaine Jenner, je vous demanderais de vous lever, s'il vous plaît. La cour vous condamne aux peines suivantes : un blâme et une amende de 2 000 $, payable en versements mensuels de 200 $ à compter du 1er mai 2010. Si vous êtes libéré des Forces canadiennes avant le paiement complet de cette amende, le solde dû sera exigible le jour de votre libération.

 


 

Avocats :

 

Major S. MacLeod, Service canadien des poursuites militaires

Procureure de Sa Majesté la Reine

 

Capitaine de corvette J. McMunagle, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat du capitaine D.E. Jenner

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.