Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 25 janvier 2010

Endroit : Centre Asticou, bloc 2600, pièce 2601 (salle de cour), 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau, QC

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 (subsidiaire au chef d'accusation 2) : Art. 130 LDN, meurtre au deuxième degré (art. 235(1) C. cr.).
•Chef d'accusation 2 (subsidiaire au chef d'accusation 1) : Art. 130 LDN, tentative de meurtre où il y a eu usage d'une arme à feu (art. 239(1)(a.1) C. cr.).
•Chef d'accusation 3 : Art. 93 LDN, comportement déshonorant.
•Chef d'accusation 4 : Art. 124 LDN, a exécuté avec négligence une tâche militaire.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 2, 4 : Non coupable. Chef d'accusation 3 : Coupable.
•SENTENCE : Destitution du service de Sa Majesté et une rétrogradation au grade de sous-lieutenant.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence :  R. c. Semrau, 2010 CM 4007

 

Date :  20100512

Dossier :  200945

 

Cour martiale générale

 

Salle d’audience du Centre Asticou

Gatineau (Québec), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Société Radio‑Canada, CANWEST News Service,

et Ottawa Citizen, demandeurs

 

 

Devant :  Lieutenant-colonel J-G Perron, J.M.

 


TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

DÉCISION RELATIVE À UNE DEMANDE DE COMMUNICATION DES PIÈCES AUX MÉDIAS PAR LA COUR MARTIALE GÉNÉRALE.

 

(Prononcée de vive voix)

 

[1]               L’avocate de CANWEST News Service et de la Société Radio‑Canada a présenté une demande d’accès par les médias à toutes les pièces passées et à venir du dossier de la cour martiale générale dans l’affaire concernant le Capitaine (capt) Semrau. Les médias pourraient ensuite utiliser ces pièces dans leurs reportages sur la cour martiale et ils pourraient les afficher sur divers sites Web des médias.

 

[2]               L’avocate a demandé à la cour d’ordonner l’accès systématique des médias à chacune des pièces du dossier, à moins qu’une partie ne s’oppose à la communication d’une pièce particulière. La partie qui s’opposerait à la communication d’une pièce présenterait un avis de demande à la cour et aux médias. Si les médias souhaitaient toujours obtenir une copie de cette pièce, ils devraient en aviser la cour et la partie s’opposant à la communication, et la demande en question ferait l’objet d’une audience. Si les médias choisissaient de ne pas contester l’objection, la pièce en cause ne serait pas communiquée. Le procureur militaire et l’avocat du capt Semrau ne se sont pas opposés à la procédure proposée.

 

[3]               La présente demande a été instruite les 27 et 30 avril 2010. La poursuite s’est opposée à la communication des pièces 6 et 7. La pièce 6 est constituée d’une vidéo et la pièce 7 est constituée de quatre photographies. La pièce 6 a été intégralement présentée en cour à diverses occasions. La présentation a eu lieu en audience publique, en présence des médias. Le contenu de la vidéo a été décrit dans des articles de journaux. Chaque membre du comité a reçu une copie de la pièce 7. Les membres du public n’ont pas eu accès aux photographies.

 

[4]               La pièce 6 est constituée d’une vidéo filmée le 19 octobre 2008 par un membre de l’Armée nationale afghane (ANA). La vidéo montre de nombreux membres de l’ANA et d’interprètes travaillant pour les Forces canadiennes (FC). Les témoins ont identifié des membres des FC, un interprète et certains membres de l’ANA. La vidéo montre également les corps de deux insurgés gisant sur le sol à deux endroits différents.

 

[5]               La pièce 7 est constituée de quatre photos prises par le Caporal Fournier le 19 octobre 2008. Les deux premières photos montrent le deuxième insurgé qui apparaissait sur la vidéo. La preuve présentée au procès indique que l’homme en question était mort lorsque le Caporal Fournier a photographié son visage. Les photographies 3 et 4 montrent le premier insurgé affronté par l’ANA et les membres des FC au cours des opérations du 19 octobre 2008. Cet homme est la victime présumée et son état au moment où la photo a été prise, qu’il soit mort ou vivant, constitue une question cruciale en l’espèce. 

 

[6]               Le Capitaine de frégate (capf) Moffat a été le premier témoin de la poursuite. Il est le directeur de l’équipe de soutien à l’information de l’État‑major interarmées stratégique au Quartier général de la Défense nationale depuis 2007. Lorsque des documents sont demandés en vertu de la Loi sur l’accès à l’information ou par la Commission des plaintes contre la Police militaire, son équipe les examine pour évaluer les risques potentiels d’une atteinte aux relations internationales, aux opérations ou au personnel. Son équipe recommande des prélèvements qui permettraient de réduire les risques potentiels. Interrogé au sujet des critères d’évaluation des risques, il a répondu qu’il s’agissait de [traduction] « l’expérience avant tout ».

 

[7]               Il a examiné la pièce 6 trois fois. Sa principale inquiétude concernait le risque potentiel pour que comporterait la divulgation de leur identité pour l’interprète afghan et sa famille ainsi que pour les membres de l’ANA et leurs familles. Il a recommandé que les visages de ces personnes soient brouillés et leurs noms dissimulés.

 

[8]               L’Adjudant‑chef (adjuc) Caron a été le deuxième témoin appelé par la poursuite.  Il était l’enquêteur principal dans ce dossier. Il a reçu la vidéo d’un officier de l’ANA lorsqu’il l’a interrogé. L’officier l’avait reçue à son tour d’un soldat afghan qui était l’auteur de l’enregistrement.

 

[9]               L’avocate des médias fait valoir que le droit d’accès aux pièces est présumé et que toute restriction imposée à cet égard doit être conforme aux principes énoncés dans les arrêts de la Cour suprême du Canada (CSC) Vickery c. Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse (Protonotaire), [1991] 1 R.C.S. 671, Dagenais c. Société Radio‑Canada, [1994] 3 R.C.S. 835, et R. c. Mentuck, 2001 CSC 76.

 

[10]           Le procureur a fait valoir que les questions de sécurité nationale, de défense nationale et de relations internationales justifient une ordonnance restreignant l’accès aux pièces 6 et 7 et leur diffusion. Il a dit que la question centrale dans la présente demande n’est pas l’administration de la justice. Il a affirmé que les relations internationales sont en jeu parce que la source de la vidéo est un soldat de l’ANA. Le procureur a renvoyé au témoignage du capf Moffat et a dit que permettre aux médias de diffuser la vidéo constituerait une menace à la vie des Afghans qui apparaissent dans l’enregistrement et à celle de leurs familles. Selon le procureur, la publication de la vidéo et des photos porterait atteinte aux dispositions de l’art. 13 de la 3e Convention de Genève[1] et de l’art. 14 de la 1re Convention de Genève[2]. Il a fait valoir que ces dispositions faisaient désormais partie du droit coutumier international et qu’elles devaient être respectées par le Canada.

 

[11]           Le procureur a indiqué que le fait de dissimuler l’identité des personnes qui apparaissent dans l’enregistrement permettrait de réduire les risques liés à la diffusion de la vidéo par les médias.

 

[12]           Lorsqu’il a abordé la question des préoccupations relatives à la Convention de Genève, l’avocat du capt Semrau a indiqué que la question de savoir si la personne apparaissant dans la photo et dans la vidéo est vivante est importante et constitue le point en litige dans le présent procès, et que toute conclusion sur ce point pourrait avoir des répercussions sur le procès. Il a affirmé également qu’il n’est pas nécessaire de rendre une décision prospective.  

 

[13]           L’avocate des médias et le procureur militaire ont présenté à la cour des décisions judiciaires à l’appui de leur thèse respective.

 

[14]           La common law canadienne confère aux cours de justice le pouvoir discrétionnaire de communiquer des pièces au dossier aux fins de publication. Ce pouvoir doit être exercé conformément aux principes énoncés dans de nombreuses décisions de la Cour suprême du Canada sur cette question particulière. Dans Procureur général de la Nouvelle‑Écosse et al. c. MacIntyre, [1982] 1 R.C.S. 175, le juge Dickson, s’exprimant au nom de la majorité de la Cour, a confirmé l’accès du public à un mandat de perquisition et à la dénonciation par suite de laquelle il a été délivré, après l’exécution de ce mandat. Il a dit qu’on devrait appliquer la règle de l’accessibilité du public et qu’une dérogation à cette règle serait justifiée seulement par la nécessité de protéger ce qu’il a appelé l’« une des valeurs sociales qui ont préséance », comme la protection de l’innocent. Il a conclu comme suit à la p. 189 de ses motifs :

 

Il n’y a pas de doute qu’une cour possède le pouvoir de surveiller et de préserver ses propres dossiers.  L’accès peut en être interdit lorsque leur divulgation nuirait aux fins de la justice ou si ces dossiers devaient servir à une fin irrégulière. Il y a présomption en faveur de l’accès du public à ces dossiers et il incombe à celui qui veut empêcher l’exercice de ce droit de faire la preuve du contraire.

 

[15]           Dans Vickery c. Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse (Protonotaire), la Cour a formulé les facteurs à prendre en compte pour décider s’il y a lieu de permettre l’accès du public aux pièces d’un dossier. Ces facteurs sont les suivants :

 

1)    La nature des pièces en tant que partie du « dossier » du tribunal;

 

                2)     Le droit du tribunal de s’enquérir de l’usage que l’on entend faire de la communication des pièces, et son droit de règlementer cet usage;

 

                3)     La production des pièces au procès et la possibilité pour le public d’en prendre connaissance et d’en discuter de sorte qu’il y a eu respect de l’exigence de transparence des procédures judiciaires;

 

                4)     Ceux qui font l’objet de procédures judiciaires doivent se soumettre à l’examen par le public de ce qui se dit en première instance ou en appel, et la discussion au moment de ces instances est protégée, mais des considérations différentes peuvent s’appliquer lorsque le processus est complété et que la discussion ne se fait plus dans le cadre de l’audition.

 

[16]            Dans Dagenais, le juge en chef Lamer a tenté de trouver un équilibre entre le droit à un procès équitable et la liberté d’expression en reformulant la règle de common law régissant les ordonnances de non‑publication. Le critère applicable y est énoncé comme suit, à la page 878 :

 

Une ordonnance de non‑publication ne doit être rendue que si :

 

a) elle est nécessaire pour écarter le risqué réel et important que le procès soit inéquitable, vu l’absence d’autres mesures raisonnables pouvant écarter ce risque;

 

b) ses effets bénéfiques sont plus importants que ses effets préjudiciables sur la libre expression de ceux qui sont touches par l’ordonnance.

 

Si l’ordonnance ne satisfait pas à cette norme (qui reflète nettement l’essence du critère énoncé dans l’arrêt Oakes, et utilisé pour juger une disposition législative en vertu de l’article premier de la Charte), alors, en rendant l’ordonnance, le juge a commis une    erreur de droit et la contestation de l’ordonnance sur ce fondement doit être accueillie.

 

[17]           Dans Mentuck, le juge Iacobucci a modifié le critère énoncé dans Dagenais. Premièrement, au paragraphe 26, il a renvoyé aux propos de la Cour dans Société Radio‑Canada c. Nouveau‑ Brunswick (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 480 :

 

Le juge La Forest a en outre souligné qu’il incombait à la partie demandant l’exclusion des médias et du public de justifier la dérogation à la règle de la publicité des procédures.  De plus, il a conclu que le dossier doit comporter suffisamment d’éléments de preuve pour que le juge du procès soit en mesure de bien apprécier la demande (qui peut être présentée lors d’un voir‑dire) et pour qu’un tribunal d’instance supérieure puisse contrôler l’exercice du pouvoir discrétionnaire (Nouveau‑Brunswick, par. 69).  En examinant les différents facteurs, le juge La Forest a estimé que l’ordonnance visant à protéger les plaignants avait été accordée à tort.  La preuve d’un possible préjudice indu aux plaignants, qui reposait principalement sur l’argument du ministère public selon lequel la preuve à présenter était de « nature [. . .] “délicate” », n’a pas réfuté la présomption en faveur d’un procès public.

 

[18]           Au paragraphe 32, il a dit que le critère de Dagenais doit être élargi et il l’a reformulé comme suit :

 

Une ordonnance de non‑publication ne doit être rendue que si :

 

a) elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour la bonne administration de la justice, vu l’absence d’autres mesures raisonnables pouvant écarter ce risque;

 

b) ses effets bénéfiques sont plus importants que ses effets préjudiciables sur les droits et les intérêts des parties et du public, notamment ses effets sur le droit à la libre expression, sur le droit de l’accusé à un procès public et équitable, et sur l’efficacité de l’administration de la justice.

 

[19]           Il a voulu ensuite s’assurer que le critère relatif à une ordonnance de non‑publication était formulé de sorte à entraîner l’application de droits et d’intérêts en plus de l’application des droits à un procès équitable et à la liberté d’expression. Il a dit ce qui suit, au paragraphe 33 :

 

            En fait, dans les affaires d’interdiction de publication régies par la règle de common law où il n’est question que de la liberté d’expression et du droit à un procès équitable, le critère doit être appliqué tel qu’il est énoncé dans Dagenais.  Dans les affaires où l’on soulève d’autres préoccupations en matière de bonne administration de la justice que ces deux droits garantis par la Charte, la méthode actuelle, plus vaste, permettra de tenir également compte de ces préoccupations.  Il peut exister aussi des cas où les questions soulevées ne portent pas sur l’administration de la justice et pour lesquels on peut recourir à une méthode analogue, tout dépend naturellement du danger en cause ainsi que des droits et intérêts en jeu.

 

[20]           Il a jouté ce qui suit, au paragraphe 36 :

 

Le troisième élément que je désire mentionner a été reconnu par le juge LaForest dans Nouveau‑Brunswick, précité, par. 69, lorsque celui‑ci a formulé le critère à trois volets analysé précédemment.  Le deuxième volet qu’il a énoncé vise manifestement à refléter le volet de l’atteinte minimale du critère de Oakes, et la même composante se trouve dans l’exigence de common law selon laquelle des mesures de rechange moins exigeantes ne permettent pas de prévenir le risque.  Cet aspect du critère applicable aux interdictions de publication en common law exige non seulement que le juge détermine s’il existe des mesures de rechange raisonnables, mais aussi qu’il limite l’ordonnance autant que possible sans pour autant sacrifier la prévention du risque.

 

[21]           Dans Toronto Star Newspapers Ltd. c. Ontario, 2005 CSC 41, en se prononçant sur l’accès des medias à la dénonciation utilisée pour obtenir un mandat de perquisition, le juge Fish a énoncé le contexte d’évaluation relatif à une affaire de cette nature. Il a écrit ce qui suit, aux paragraphes 1 à 4 : 

 

1.             Dans tout environnement constitutionnel, l’administration de la justice s’épanouit au grand jour – et s’étiole sous le voile du secret.

 

2.             Cette leçon de l’histoire a été consacrée dans la Charte canadienne des droits et libertés.  L’alinéa 2b) de la Charte garantit, en termes plus généraux, la liberté de communication et la liberté d’expression.  La vitalité de ces deux libertés fondamentales voisines repose sur l’accès du public aux renseignements d’intérêt public.  Ce qui se passe devant les tribunaux devrait donc être, et est effectivement, au coeur des préoccupations des Canadiens.

 

3.             Bien que fondamentales, les libertés que je viens de mentionner ne sont    

aucunement absolues.  Dans certaines circonstances, l’accès du public à des

renseignements confidentiels ou de nature délicate se rapportant à des procédures

judiciaires compromettra l’intégrité de notre système de justice au lieu de la préserver. Dans certains cas, un bouclier temporaire suffira; dans d’autres, une protection

permanente sera justifiée.

 

4.             Les demandes concurrentes se rapportant à des procédures judiciaires amènent nécessairement les tribunaux à exercer leur pouvoir discrétionnaire.  La présomption de « publicité » des procédures judiciaires est désormais bien établie au Canada.  L’accès du public ne sera interdit que lorsque le tribunal compétent conclut, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, que la divulgation serait préjudiciable aux fins de la justice ou nuirait indûment à la bonne administration de la justice.

 

 

[22]           Le juge Fish a ensuite fait référence au critère de Dagenais/Mentuck, aux paragraphes 7 et 8 :

 

7.             Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.  J’estime que le critère de

Dagenais/Mentuck s’applique à chaque fois qu’un juge exerce son pouvoir

discrétionnaire de restreindre la liberté d’expression et la liberté de la presse

relativement à des procédures judiciaires.  Toute autre conclusion romprait, à mon avis, avec la jurisprudence de notre Cour, qui est demeurée constante au cours des vingt

dernières années.  Elle porterait également atteinte au principe de la publicité des débats judiciaires qui est inextricablement lié aux valeurs fondamentales consacrées à l’al. 2b) de la Charte.

 

8.             Bien qu’il soit applicable à chacune des étapes du processus judiciaire, le

critère de Dagenais/Mentuck est depuis toujours censé être utilisé avec souplesse et en fonction du contexte.  Par exemple, un risque important pour la bonne administration de la justice à l’étape de l’enquête ira souvent de pair avec des considérations qui auront perdu toute leur pertinence au moment du procès.  Par contre, il peut être beaucoup plus difficile à cette étape préliminaire de démontrer concrètement le risque perçu.  Le fait qu’une ordonnance de mise sous scellés soit demandée à cette étape pour une courte

période seulement peut à lui seul inciter le tribunal à faire preuve de prudence avant d’ordonner une divulgation complète et immédiate.

 

[23]           En l’espèce, la cour doit trouver un équilibre entre le droit à la libre expression, le droit de l’accusé à un procès public et équitable, la sécurité des personnes et l’efficacité de l’administration de la justice. Toute ordonnance visant à limiter l’accès aux pièces doit tenir compte de ces droits et entraîner une atteinte minimale à ces droits. Le procureur et l’avocat du capt Semrau n’ont pas fait valoir qu’il y aurait un risque d’entrave à la bonne administration de la justice militaire ou que l’accusé ne bénéficierait pas d’un procès équitable si les médias avaient accès à la vidéo.

 

[24]           La preuve établit clairement que la vidéo a été filmée par un membre de l’ANA, mais elle n’établit pas que la vidéo a été filmée à des fins officielles. La vidéo a été transmise à l’adjuc Caron par un officier de l’ANA qui participait de plein gré à une entrevue dans le cadre d’une enquête criminelle. Par conséquent, la cour n’est pas convaincue que cette vidéo a été transmise à des représentants du Canada par des représentants d’un autre État. Je conclus que la poursuite n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer une objection à la communication aux médias de la pièce en cause en raison d’une atteinte aux relations internationales. 

 

[25]           La preuve révèle également que le capf Moffat, se fondant sur l’examen de la vidéo, n’est pas préoccupé par la question de l’effet mosaïque ou celle de la sécurité opérationnelle de nos soldats. Le capf Moffat a exprimé beaucoup d’inquiétudes au sujet de la sécurité des Afghans qui apparaissent dans la vidéo et de leurs familles. Il a également indiqué que le brouillage de leurs visages ainsi que celui de la piste audio permettrait d’assurer la sécurité de ces personnes.

 

[26]           La cour va rendre les ordonnances suivantes. Premièrement, les médias auront accès à chacune des pièces du dossier, à moins qu’une partie ne s’oppose à la communication d’une pièce particulière. La partie qui s’oppose à la communication d’une pièce présentera un avis de demande à la cour, à l’autre partie à l’instance et au représentant des médias. Les médias décideront ensuite s’ils souhaitent contester l’objection. Dans la négative, la pièce en cause ne sera pas communiquée aux médias. Si les médias décident de contester la demande, ils en aviseront la cour, la poursuite et l’avocat du capt Semrau. La cour instruira la demande et rendra l’ordonnance appropriée.

 

[27]           Les pièces qui ne pourront pas être communiquées aux médias, telles les armes ou d’autres éléments de preuve matériels, peuvent être photographiées par les médias, à moins qu’une partie ne présente à la cour, aux médias et à l’autre partie à l’instance un avis de demande d’opposition à cet égard. Les médias décideront ensuite s’ils souhaitent contester cette objection. Dans la négative, la pièce en cause ne sera pas photographiée par les médias. Si les médias décident de contester la demande d’opposition, ils en aviseront la cour, la poursuite et l’avocat du capt Semrau.  La cour instruira la demande et rendra l’ordonnance appropriée.

 

[28]           Deuxièmement, la pièce 6, la vidéo, sera communiquée aux médias pour diffusion au public sous certaines conditions. Le visage de chaque Afghan doit être brouillé pour assurer la sécurité de ces personnes et de leurs familles. Les visages des deux insurgés doivent également être brouillés. Cela devrait permettre d’écarter toute préoccupation au sujet d’une possible atteinte aux Conventions de Genève. La présente décision ne statue pas en soi sur la question de savoir si les insurgés apparaissant dans la vidéo étaient vivants ou morts au moment de l’enregistrement. La piste audio doit également être enlevée de sorte que les noms ou les autres moyens d’identifier les Afghans apparaissant dans la vidéo soient supprimés de la version offerte aux médias.

 

[29]           Troisièmement, la poursuite sera tenue de s’assurer que la vidéo offerte aux médias a été modifiée conformément à la présente ordonnance. Les Forces canadiennes détiennent sûrement la technologie nécessaire pour effectuer de telles modifications. La poursuite sera donc en mesure de veiller à ce que les préoccupations au sujet de la sécurité de nos alliés afghans soient dissipées. Le délai prévu à cet égard est de 10 jours civils suivant la délivrance de la présente ordonnance.

 

[30]           Enfin, la pièce 7 montre seulement le visage des insurgés. Ils ont les yeux fermés. Étant donné que le brouillage du visage ferait en sorte que les photos ne servent pratiquement à rien, la cour doit adopter une approche différente que celle adoptée pour la pièce 6. Les médias peuvent consulter la pièce 7 pour les besoins de leurs reportages, mais il leur est interdit de reproduire les photos d’une quelconque façon. Les copies des photos en cause resteront sous le contrôle de la cour.

 

 

 


 

 

Avocats :

 

Wendy Wagner

Gowling Lafleur Henderson,

160, rue Elgin, bureau 2600, Ottawa (ON), K1P 1C3

Avocate de Canwest News Service et de la Société Radio‑Canada

 

Lieutenant-colonel J.A.M. Léveillée, Capitaine T. K. Fitzgerald,

Service canadien des poursuites militaires

Procureurs de Sa Majesté la Reine

 

Lieutenant-colonel J.M. Dugas et Majeur S. Turner

Direction du service d’avocats de la défense

Avocats du Capitaine R.A. Semrau



[1] Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre du 12 août 1949, article 13, par. 2 : « Les prisonniers de guerre doivent de même être protégés en tout temps, notamment contre tout acte de violence ou d’intimidation, contre les insultes et la curiosité publique ».

[2] Convention de Genève pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne du 12 août 1949, article 14 : « Compte tenu des dispositions de l’article 12 les blessés et les malades d’un belligérant, tombés au pouvoir de l’adversaire, seront prisonniers de guerre et les règles du droit des gens concernant les prisonniers de guerre leur seront applicables ».

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