Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

CACM 539 - Appel accordé en partie

Date de l'ouverture du procès : 1 février 2010

Endroit : 3e Escadre Bagotville, Édifice 81, Alouette (QC)

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 : Art. 124 LDN, a exécuté avec négligence une tâche militaire.

Résultats
•VERDICT : Chef d'accusation 1 : Coupable.
•SENTENCE : Une amende au montant de 500$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. LeBlanc, 2010 CM 4005

 

Date : 20100205

Dossier : 200956

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Bagotville

Bagotville, Québec, Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal A.E. LeBlanc, accusé

 

 

Devant : Lieutenant-colonel J-G Perron, J.M.

 


 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Oralement)

 

[1]               L'accusé, le caporal LeBlanc, est accusé d'un chef d'accusation déposé en vertu de l'article 124 de la Loi sur la défense nationale. Plus particulièrement, il est accusé d'avoir exécuté avec négligence une tâche militaire. Les détails de ce chef d'accusation sont :

 

« En ce que, le 19 octobre 2008 vers 11 heures, à la Base des Forces canadiennes de Bagotville, Alouette, province de Québec, alors qu'il devait surveiller les aéronefs CF-18, il a omis d'exercer cette surveillance comme c'était son devoir de la faire. »

 

[2]               La preuve produite devant la présente cour se compose des faits et des questions dont la cour a pris judiciairement connaissance selon l'article 15 des Règles militaires de la preuve, de pièces et des témoignages du sergent Campbell, du sergent Langlois, du caporal Tremblay et du caporal LeBlanc.

 

[3]               Avant que la cour ne procède à l'analyse juridique du chef d'accusation, il convient de traiter de la présomption d'innocence et de la preuve hors de tout doute raisonnable, une norme de preuve qui est inextricablement liée aux principes fondamentaux applicables à tous procès criminels. Si ces principes sont évidemment bien connus des avocats, ils ne le sont peut-être pas des autres personnes qui se trouvent dans la salle d'audience.

 

[4]               Il est juste de dire que la présomption d'innocence est le principe le plus fondamental de notre droit pénal, et que le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable est un élément essentiel de la présomption d'innocence. Dans les affaires qui relèvent du Code de discipline militaire comme dans celles qui relèvent du droit pénal, toute personne accusée d'une infraction criminelle est présumée innocente tant que la poursuite ne prouve pas sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Un accusé n'a pas à prouver qu'il est innocent. C'est à la poursuite qu'il incombe de prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments de l'infraction. L'accusé est présumé innocent tout au long de son procès jusqu'à ce que le juge des faits rende un verdict.

 

[5]               La norme de la preuve hors de tout doute raisonnable ne s'applique pas à chacun des éléments de preuve ou aux différentes parties de la preuve présentées par la poursuite, mais plutôt à l'ensemble de la preuve sur laquelle se fonde la poursuite pour établir la culpabilité de l'accusé. Il incombe à la poursuite de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l'accusé, mais jamais à l'accusé de prouver son innocence. Un tribunal doit déclarer un accusé non coupable s'il a un doute raisonnable quant à sa culpabilité, après avoir examiné l'ensemble de la preuve. L'expression «  hors de tout doute raisonnable «  est employée depuis très longtemps. Elle fait partie de notre histoire et de nos traditions juridiques. Dans l’arrêt R. c. Lifchus,[1997] 3 R.C.S. 320, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directives concernant le doute raisonnable. Les principes décrits dans cet arrêt ont été appliqués dans plusieurs autres arrêts de la Cour suprême et des tribunaux d’appel. Essentiellement, un doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou frivole. Il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé. Il repose sur la raison et le bon sens. C’est un doute qui surgit à la fin du procès et qui est fondé non seulement sur ce que la preuve révèle au tribunal mais également sur ce qu’elle ne lui révèle pas. L’accusation portée contre un individu ne préjuge en rien de sa culpabilité.

 

[6]               Dans l’arrêt R. c. Starr, [2000] 2 R.C.S. 144, la Cour suprême a statué que :

 

[U]ne manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu’elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités.

 

[7]               Par contre, il faut se rappeler qu’il est pratiquement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue. La poursuite n’est pas tenue de le faire. La certitude absolue est une norme de preuve qui n’existe pas en droit. La poursuite doit seulement prouver la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable. Pour placer les choses en perspective, si le tribunal est convaincu que l’accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, il doit l’acquitter car la preuve d’une culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[8]               Qu’entend-t-on par la preuve? La preuve peut comprendre des témoignages sous serment ou des déclarations solennelles de personnes appelées à témoigner sur ce qu’elles ont vu ou fait. Il peut s’agir de documents, de photographies, de cartes ou autres éléments de preuve matérielle présentés par les témoins, de témoignages d’experts, de faits admis devant le tribunal par la poursuite ou la défense ou de questions dont le tribunal a pris connaissance d’office. Il n’est pas rare que les éléments de preuve présentés au tribunal soient contradictoires. Les témoins ont souvent des souvenirs différents d’un fait et le tribunal doit déterminer quels sont les éléments qu’il juge crédibles. La crédibilité n’est pas synonyme de vérité et l’absence de crédibilité n’est pas synonyme de mensonge. De nombreux facteurs doivent être pris en compte dans l’évaluation que le tribunal fait de la crédibilité d’un témoin. Par exemple, le tribunal évaluera la possibilité qu’a eue le témoin d’observer ou les raisons qu’il a de se souvenir. Il se demandera, par exemple, si une chose en particulier a aidé le témoin à se souvenir des détails d’un évènement qu’il a décrit, si les faits étaient remarquables, inhabituels et frappants ou au contraire, insignifiants et par conséquent, tout naturellement plus difficiles à se remémorer. Le témoin a-t-il un intérêt dans l’issue du procès; en d’autres termes, a-t-il une raison de favoriser la poursuite ou la défense, ou est-il impartial? Ce dernier facteur s’applique d’une manière quelque peu différente à l’accusé. Bien qu’il soit raisonnable de présumer que l’accusé a intérêt à se faire acquitter, la présomption d’innocence ne permet pas de conclure que l’accusé mentira lorsqu’il décide de témoigner.

 

[9]               Un autre élément permet de déterminer la crédibilité : la capacité apparente du témoin à se souvenir. On peut observer l’attitude du témoin pendant sa déposition pour évaluer sa crédibilité : il faut se demander si le témoin a répondu aux questions avec naturel, si ses réponses étaient précises ou évasives, ou encore hésitantes, s’il argumentait, et enfin, si son témoignage était cohérent et compatible avec les faits non contestés. Un témoignage peut comporter, et en fait comporte toujours, des contradictions mineures et involontaires, mais cela ne doit pas nécessairement conduire à l’écarter. Il en va autrement d’un mensonge, qui constitue toujours un acte grave et peut entacher le témoignage en tout ou en partie. Le tribunal n’est pas tenu d’accepter le témoignage d’une personne à moins que celui-ci ne lui paraisse crédible. Cependant, il jugera un témoignage digne de foi à moins d’avoir une raison de ne pas le croire.

 

[10]           Pour en arriver à un verdict, la cour doit déterminer si la poursuite a prouvé tous les éléments essentiels de l’infraction au-delà du doute raisonnable. Les éléments essentiels de l’infraction sont les suivants :

 

a)         l’identité du contrevenant;

 

b)         la date et le lieu de l’infraction;

 

c)         le fait que l’on avait attribué une tâche militaire à l’accusé;

d)         le fait que l’accusé était informé de cette tâche qui lui avait été confiée;

 

e)         la norme de diligence imposée à l’accusé dans le cadre de l’exécution de la tâche; et

 

f)         l’acte ou l’omission reprochée à l’accusé doit constituer un écart marqué par rapport à la norme de diligence attendue dans le cadre de l’exécution de la tâche.

 

La preuve

 

[11]           La preuve indique clairement que le sergent Campbell, le caporal Tremblay et le caporal LeBlanc faisaient parti de la Force auxiliaire de sécurité de l’escadre (la FASE) le 19 octobre 2008 et que le sergent Campbell était le commandant de section du caporal LeBlanc et du caporal Tremblay. Les aéronefs CF-18 étaient en alerte en support au Sommet de la Francophonie qui avait lieu à Québec et la FASE fut activée pour assurer la sécurité des CF-18. Il y avait un groupe qui contrôlait l’accès à la base et deux équipes qui surveillaient les aéronefs CF-18. Le 19 octobre 2008, vers 11 heures, les caporaux LeBlanc et Tremblay avaient la tâche de surveiller l’accès aux aéronefs CF-18 qui étaient stationnés sur le tarmac de la Base des Forces canadiennes Bagotville. Ils se trouvaient dans un camion, à deux banquettes et quatre portes, stationné près du hangar 7. Ils avaient chacun une carabine C-7 avec un chargeur de 30 balles qu’ils gardaient sur la banquette arrière du camion. Le caporal Tremblay occupait le siège du conducteur et le caporal LeBlanc celui du passager avant et les fenêtres du camion étaient montées. Caporal Tremblay quitta le camion pour une période d’approximativement cinq minutes pour se rendre aux toilettes situées à l’intérieur du hangar 7. Le sergent Campbell, alors qu’il était seul dans son véhicule, s’est approché du camion des sentinelles et s’est arrêté en parallèle près du camion des caporaux Tremblay et LeBlanc du côté du passager. Le caporal Tremblay est revenu à son camion, a ouvert la porte du conducteur et a dit au caporal LeBlanc que le sergent Campbell voulait lui parler. L’unanimité des témoins sur les faits cesse à ce moment.

 

[12]           Le sergent Campbell était le premier témoin pour la poursuite. Il a témoigné qu’il aurait observé le caporal LeBlanc alors qu’il s’approchait du camion. Il le décrit comme incliné, ne bougeant pas et avec les yeux fermés. Il ne voit aucun mouvement. Il l’aurait observé au moins une minute. Il témoigna que les sentinelles avaient reçu des directives de contrôler l’accès aux CF-18 et de ne laisser que les techniciens s’approcher. De plus, il avait émis des directives à l’effet qu’ils devaient demeurer éveillé pour assurer la surveillance des CF-18 si une des sentinelles devait s’absenter pour aller à la salle de bain ou pour toute autre raison.

 

[13]           Durant son contre-interrogatoire, il confirma que l’entrée principale de la base et la barrière près du poste de police militaire étaient des accès contrôlés. Un deuxième véhicule avec deux sentinelles se trouvant de l’autre côté du hangar 7 assurait aussi la surveillance des CF-18. Il ne pouvait se souvenir du temps exact auquel il a observé le caporal LeBlanc; bien qu’il croyait que ce fut approximativement une minute, il indiqua aussi que ça lui parut comme une éternité. Par ailleurs, il confirma aussi qu’il observa pour au moins une minute le caporal LeBlanc. Il se trouvait au côté du véhicule et il pouvait voir parfaitement le caporal LeBlanc. Il expliqua qu’il avait observé le caporal LeBlanc pour une certaine période de temps car, de par son expérience au sein du système d’instruction, il avait apprit qu’il devait s’assurer de bien observer la personne avant de l’accuser d’avoir dormi. Le sergent Campbell est un témoin crédible.

 

[14]           Le sergent Langlois était le deuxième et dernier témoin de la poursuite et il a décrit l’entraînement et la formation de la FASE. Il est aussi un témoin crédible.

 

[15]           Le caporal Tremblay était le premier témoin de la défense. Il quitta le véhicule pour aller utiliser les toilettes du hangar 7 et il laissa sa C-7 avec le caporal LeBlanc. Alors qu’il revenait à son véhicule, il aurait vu le véhicule du sergent Campbell faire une vérification de FOD à une certaine distance derrière son véhicule, c’est-à-dire qu’il vérifiait pour des objets qui pourraient causer des dommages aux CF-18. Ensuite, le véhicule du sergent Campbell s’est arrêté du côté du passager de son véhicule. Il aurait été à cet endroit approximativement 10 secondes avant que le caporal Tremblay ne rejoigne son véhicule.

 

[16]           Arrivé à son véhicule, le caporal Tremblay ouvrit sa portière. Le banc du caporal LeBlanc était plus incliné que dans la position habituelle. Le caporal LeBlanc se tourna la tête rapidement en direction du caporal Tremblay et ses yeux étaient ouverts plus grands qu’à l’habitude et il avait une expression de surprise. Il dit au caporal LeBlanc que le sergent Campbell voulait lui parler. Il lui semblait clair de par les gestes du sergent Campbell que ce dernier voulait parler au caporal LeBlanc. Le caporal LeBlanc baissa sa fenêtre, le sergent Campbell leur donna une réprimande sur les tâches qu’ils devaient accomplir et il parti. Le caporal LeBlanc sembla surpris de cette réprimande mais le caporal Tremblay ne pouvait expliquer la raison de cet état de surprise. Le caporal Tremblay demanda au caporal LeBlanc si ce dernier avait dormi et il répondit, « Je ne pense pas ».

 

[17]           Le caporal Tremblay témoigna qu’il n’était pas permis de dormir durant la tâche de surveillance des CF-18 et il expliqua qu’il s’agissait d’une règle de base et que c’était un devoir de ne pas dormir car on devait s’assurer de ne pas tirer sur une personne par erreur. Le caporal Tremblay est un témoin crédible.

 

[18]           Le caporal LeBlanc était le deuxième et dernier témoin de la défense. Il nit avoir dormi ou s’être assoupi. Il témoigna que son banc était légèrement incliné alors qu’il surveillait les CF-18. Il aurait vu la fourgonnette du sergent Campbell s’approché de leur véhicule dans son rétroviseur. Le sergent Campbell se serait arrêté à côté de son véhicule à une distance d’environ un mètre et le caporal LeBlanc n’aurait pas porté d’attention au sergent Campbell.

 

[19]           Le caporal LeBlanc témoigna qu’il se releva légèrement de son siège et se tourna la tête vers le caporal Tremblay quand ce dernier ouvrit sa portière. Le caporal LeBlanc témoigna qu’il l’avait aperçu dans sa vision périphérique avant qu’il n’ouvre la portière. Le caporal Tremblay aurait ouvert sa portière et lui aurait dit que le sergent voulait lui parler. Il descendit sa fenêtre et le sergent lui donna une réprimande et puis se rendit à l’autre camion de sentinelles. Le caporal LeBlanc expliqua sa réponse au caporal Tremblay « Je ne pense pas » en disant qu’il était acadien et qu’il s’agissait d’une traduction de « I don’t think so, Tim » de l’émission de télévision « Home Improvement ».

 

[20]           Au cours de son contre-interrogatoire, le caporal LeBlanc confirma qu’il avait eu de l’entraînement sur la tâche de sentinelle et qu’il ne devait pas dormir et qu’il devait exercer une surveillance constante. Il expliqua pourquoi il n’a pas porté attention au sergent Campbell quand ce dernier s’est arrêté près de son véhicule en disant qu’il croyait qu’il était mieux de ne pas lui porter attention et de lui donner le temps de réagir.

 

[21]           Ceci met fin au résumé de la preuve. Les critères énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742, peuvent être appliqués dans leur intégralité puisque l’accusé, le caporal LeBlanc, a témoigné. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a défini ces critères de la manière suivante :

 

Premièrement, si vous croyez la déposition de l’accusé, manifestement vous devez prononcer l’acquittement.

 

Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l’accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l’acquittement.

 

Troisièmement, même si vous n’avez pas de doute à la suite de la déposition de l’accusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de l’accusé.

 

[22]           Compte tenu de l’ensemble de la preuve, la cour est d’avis que le caporal LeBlanc n’est pas un témoin crédible et elle ne croit pas sa version des évènements. Son témoignage est invraisemblable car il n’est pas compatible avec l’ensemble de la preuve et il contient des contradictions et des faiblesses. Le caporal LeBlanc témoigne avoir vu le sergent Campbell s’approcher de son véhicule et s’être arrêté à un mètre de lui et explique pourquoi il n’a pas porté attention au sergent Campbell avant que le caporal Tremblay lui dise que le sergent Campbell voulait lui parler. Il témoigna aussi qu’il avait vu dans sa vision périphérique le caporal Tremblay s’approcher du camion. Caporal Tremblay témoigna qu’il était très évident de par les gestes du sergent Campbell que ce dernier désirait attirer l’attention du caporal LeBlanc. Alors, il semblerait que le caporal LeBlanc pouvait clairement voir dans sa vision périphérique l’arrivée du caporal Tremblay mais ne pouvait pas voir les gestes évidents du sergent Campbell bien qu’il avait vu ce dernier s’approcher de lui et s’arrêter près du camion. De plus, la description de la réaction de caporal LeBlanc par le caporal Tremblay au moment où le caporal Tremblay a ouvert sa portière ne supporte pas la version du caporal LeBlanc et, bien au contraire, elle indique plutôt la réaction d’une personne qui fut surprise par l’arrivée du caporal Tremblay. Ces contradictions créent aussi un doute quant à la véracité de l’explication du caporal LeBlanc au sujet de sa réponse « Je ne pense pas ».

[23]           Alors, la cour ne croit pas le témoignage de caporal LeBlanc à l’effet qu’il était pleinement conscient et au courant de tout ce qui se passait autour de lui à ce moment. La raison pour laquelle il n’aurait pas parlé au sergent Campbell avant que le caporal Tremblay ne lui dise de le faire n’est pas corroborée par la preuve.

 

[24]           La question que la cour doit maintenant se poser est à savoir si la preuve acceptée par la cour lui occasionne un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé. Pour ce faire, la cour doit examiner les éléments essentiels de l’infraction.

 

[25]           La preuve acceptée par la cour prouve hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants : l’identité du contrevenant, la date et le lieu de l’infraction, le fait que l’on avait attribué une tâche militaire à l’accusé et qu’il avait été informé de cette tâche. Il s’agit maintenant de déterminer quelle est la norme de diligence imposée à l’accusé. Tel qu’indiqué par la Cour d’appel de la Cour martiale dans l’arrêt R. c. Brocklebank, 106 C.C.C. (3d) 234 au paragraphe 18 :

 

En résumé, la norme de diligence applicable à l’accusation de négligence dans l’exécution d’une tâche ou mission militaire est celle de la conduite attendue de la personne raisonnable occupant le rang et se trouvant dans la situation de l’accusé au moment et à l’endroit où l’infraction reprochée est survenue. Dans le contexte d’une opération militaire, la norme de diligence variera considérablement en fonction du degré de responsabilité incombant à l’accusé, de la nature et de l’objet de l’opération ainsi que des exigences d’une situation donnée. Une situation urgente ou le degré accru d’appréhension ou d’urgence causé par les menaces à la sécurité du personnel des Forces armées canadiennes ou de leur matériel pourra nécessiter une norme plus souple comparativement à celle qui est exigée dans les situations qui ne présentent pas de menaces.

 

[26]           La FASE était responsable d’assurer la sécurité des aéronefs CF-18 qui étaient en appel en soutien à la protection du Sommet de la Francophonie. Chaque membre de la section du sergent Campbell, qui était responsable de la sécurité des CF-18, était armé d’une carabine C-7 et d’un chargeur de 30 balles. Tel qu’indiqué à la pièce 4 et lors du témoignage du sergent Langlois, les membres de la FASE avaient eu un entraînement sur l’emploi de la force pour l’exécution de cette tâche.

 

[27]           Il est clair des témoignages du sergent Campbell, du caporal Tremblay et du caporal LeBlanc que le caporal LeBlanc savait qu’il devait garder une surveillance attentive et surtout quand il était seul à son poste de garde. Il devait demeurer éveillé et vigilant. La cour en vient donc à la conclusion que la norme de diligence attendue du caporal LeBlanc, dans le cadre de l’exécution de sa tâche de sentinelle, était de demeurer constamment aux aguets et d’être vigilant pour ainsi s’assurer qu’aucune personne n’approche les aéronefs CF-18 sans en avoir eu l’autorisation.

 

[28]           Il s’agit maintenant de déterminer si l’acte ou l’omission reproché au caporal LeBlanc constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence ou la norme de conduite attendue du caporal LeBlanc dans le cadre de l’exécution de sa tâche de surveillance des aéronefs CF-18 (voir le paragraphe 32 de l’arrêt Brocklebank). Les détails de l’accusation nous indiquent qu’alors qu’il devait surveiller les aéronefs CF-18, il a omis d’exercer cette surveillance comme c’était son devoir de le faire. En premier lieu, il faut déterminer quelle est l’omission reprochée au caporal LeBlanc.

 

[29]           Le sergent Campbell témoigna qu’il avait observé le caporal LeBlanc pour une période d’au moins une minute et qu’il l’avait vu assis sur son banc incliné, immobile et avec les yeux fermés. Le caporal Tremblay témoigna que le banc du caporal LeBlanc était incliné et que ce dernier fut surpris quand le caporal Tremblay a ouvert sa portière et que le caporal LeBlanc n’était pas conscient du fait que le sergent Campbell gesticulait pour attirer son attention. Le caporal LeBlanc a témoigné que son banc était incliné et qu’il s’était redressé et avait regardé le caporal Tremblay quand ce dernier a ouvert la portière.

 

[30]           Le caporal Tremblay témoigna que le sergent Campbell aurait été arrêté au côté de leur camion environ 10 secondes avant que le caporal Tremblay ouvre sa portière. Le caporal Tremblay était très confiant que cette période de temps ne pouvait être plus que 10 secondes. Le sergent Campbell l’a décrit comme étant au moins une minute et que cela semblait comme une éternité. Ses explications quant à la raison qu’il avait observé le caporal LeBlanc sont très crédibles. Ni le sergent Campbell, ni le caporal Tremblay ne peut expliquer pourquoi il peut affirmer que la période de temps qu’il affirme être la période de temps à laquelle le véhicule du sergent Campbell était arrêté près du véhicule du caporal LeBlanc est exacte. La crédibilité du sergent Campbell et du caporal Tremblay ne sont pas en cause mais leur fiabilité quant à cette partie de leur témoignage est mise en question. Le caporal LeBlanc indique une période de cinq secondes mais cette partie de son témoignage semble indiquer la période de temps entre le moment ou le caporal Tremblay lui a dit que le sergent Campbell voulait lui parler et le moment ou il a ouvert sa fenêtre. La cour en conclut que le caporal LeBlanc avait les yeux fermés pour une période d’au moins 10 secondes.

 

[31]           La cour ne croit pas la version du caporal LeBlanc. L’autre preuve de la défense, le témoignage du caporal Tremblay, n’appuie pas le témoignage du caporal LeBlanc et elle soutient en grande partie la preuve de la poursuite au sujet de l’état du caporal LeBlanc. Donc, la preuve de la défense qui est retenue par la cour ne crée pas un doute raisonnable.

 

[32]           La preuve de la poursuite ne démontre pas hors de tout doute raisonnable que le caporal LeBlanc dormait au moment où il était seul dans le camion et sous l’observation du sergent Campbell. Par ailleurs, la preuve acceptée par la cour indique que le Caporal LeBlanc était assis dans une position inclinée et qu’il avait les yeux fermés pour une période d’au moins 10 secondes. La cour en conclut que la preuve acceptée par la cour prouve hors de tout doute raisonnable que le caporal LeBlanc avait les yeux fermés et qu’il n’était pas vigilant au moment où le sergent Campbell s’est arrêté près de son véhicule jusqu’au moment où le caporal Tremblay a ouvert sa portière.

 

[33]           Maintenant, la question à répondre est à savoir si un manque de vigilance en ayant fermé les yeux pour au moins 10 secondes représente une omission qui constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence attendue du caporal LeBlanc dans le cadre de l’exécution de sa tâche.

 

[34]           La FASE avait reçu la tâche d’assurer la sécurité des aéronefs CF-18 qui étaient en alerte pour appuyer la sécurité du Sommet de la Francophonie qui se tenait à Québec le 19 octobre 2008. Vous étiez responsable d’assurer la surveillance des CF-18 stationnés sur le tarmac de la BFC Bagotville et de ne permettre qu’aux personnes autorisées de s’approcher de ces aéronefs. Vous deviez être alerte et vigilant en tout temps et surtout quand vous étiez seul à votre poste de garde. Au cours de l’exécution de cette tâche militaire, vous étiez armé d’une carabine C-7 et doté d’un chargeur de 30 balles. Il ne s’agissait pas d’un exercice mais bien d’une tâche opérationnelle.

 

[35]           Alors que vous étiez seul dans votre camion, vous avez cessé de surveiller les aéronefs CF-18 en fermant les yeux pour au moins 10 secondes et vous n’étiez pas vigilant au cours de cette période de temps. Compte tenu du contexte opérationnel de votre tâche et du fait que vous étiez seul dans votre véhicule, la cour considère qu’une telle omission de votre part représente un écart marqué par rapport à la norme de diligence attendue de vous dans le cadre de l’exécution de votre tâche de surveillance des aéronefs CF-18.

 

[36]           Caporal LeBlanc, pour les motifs énoncés par la cour, la cour vous déclare coupable de l’accusation.

 


 

Avocats

 

Major J. Caron, Service canadien des Poursuites militaire
Capitaine E. Carrier, Service canadien des Poursuites militaire
Avocats de la poursuivante

Major E. Charland, Direction du service d’avocats de la défense
Capitaine de corvette P. Desbiens, Direction du service d’avocats de la défense
Avocats de la défense du caporal A.E. LeBlanc

 

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