Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 28 octobre 2013.

Endroit : BFC Esquimalt, édifice 30-N, Victoria (CB).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 97 LDN, ivresse.
•Chef d’accusation 2 : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
•Chef d’accusation 3 : Art. 125a) LDN, a fait volontairement une fausse déclaration dans un document officiel signé de sa main.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 3 : Coupable.
•SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 1000$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Martin, 2013 CM 3029

Date : 20131031

Dossier : 201334

 

Cour martiale générale

 

Base des Forces canadiennes Esquimalt

Colombie-Britannique, Canada

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Matelot de 3e classe A.W. Martin, contrevenant

 

Devant : Lieutenant-colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Le matelot de 3e classe Martin a été déclaré coupable par cette Cour martiale générale de trois infractions : ivresse, aux termes de l’article 97 de la Loi sur la défense nationale; conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline, aux termes de l’article 129; et avoir fait volontairement une fausse déclaration dans un document officiel signé de sa main tout en sachant que la déclaration y figurant était fausse, aux termes de l’alinéa 125a). Il m’incombe maintenant, à titre de juge militaire présidant la présente Cour martiale générale, de déterminer la sentence.

 

[2]               Dans le contexte particulier d’une force armée, le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour faire respecter la discipline, qui est une dimension essentielle de l’activité militaire dans les Forces canadiennes. Ce système vise à prévenir toute inconduite ou, d’une façon plus positive, à promouvoir la bonne conduite. C’est grâce à la discipline que les forces armées s’assurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès, en toute confiance et fiabilité. Le système assure également le maintien de l’ordre public et veille à ce que les personnes assujetties au Code de discipline militaire soient punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

 

[3]               Il est reconnu depuis longtemps que l’objectif d’un système distinct de justice ou de tribunaux militaires est de permettre aux Forces armées de se saisir des questions liées au respect du Code de discipline militaire et au maintien de l’efficacité et du moral des Forces canadiennes (voir R c Généreux [1992] 1 RCS 259, à la p. 293). La Cour suprême du Canada a d’ailleurs reconnu, au paragraphe 31 de la même décision :

 

Les tribunaux militaires jouent donc le même rôle que les cours criminelles ordinaires, soit punir les infractions qui sont commises par des militaires ou par d’autres personnes assujetties au Code de discipline militaire.

 

[4]               Cela étant dit, la peine infligée par un tribunal, qu’il soit militaire ou civil, devrait être l’intervention minimale nécessaire et appropriée dans les circonstances particulières de l’affaire.

 

[5]               En l’espèce, le procureur suggère de condamner le contrevenant à une réprimande et à une amende allant de 1 500 $ à 2 000 $. L’avocat qui représente le matelot de 3e classe Martin recommande le même type de peine, mais avec une amende inférieure.

 

[6]               Comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Généreux, à la page 293, pour « que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace ». Elle souligne que, dans le contexte particulier de la justice militaire, « [l]es manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil ». Or, le droit ne permet pas à un tribunal militaire d’imposer une sentence qui irait au-delà de ce qu’exigent les circonstances de l’affaire. En d’autres mots, toute peine infligée par un tribunal doit être individualisée et représenter l’intervention minimale requise, puisque la modération est le principe fondamental de la théorie moderne de la détermination de la peine au Canada.

 

[7]               L’objectif fondamental de la détermination de la peine par une cour martiale est d’assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline en infligeant des peines qui répondent à au moins l’un des objectifs suivants :

 

a)         protéger le public, ce qui comprend les Forces canadiennes;

 

b)         dénoncer le comportement illégal;

 

c)         dissuader le contrevenant et quiconque de commettre les mêmes infractions;

 

d)         isoler au besoin les contrevenants du reste de la société;

 

e)         réadapter et réformer les contrevenants.

 

[8]               Lorsqu’il détermine la peine à infliger, le tribunal militaire doit également tenir compte des principes suivants :

 

a)         la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction;

 

b)         la peine doit être proportionnelle à la responsabilité et aux antécédents du contrevenant;

 

c)         la peine doit être analogue à celles qui ont été infligées à des contrevenants ayant commis de semblables infractions dans de semblables circonstances;

 

d)         le cas échéant, le contrevenant ne devrait pas être privé de sa liberté si une peine moins contraignante peut être justifiée dans les circonstances. En bref, la Cour ne devrait avoir recours à une peine d’emprisonnement ou de détention qu’en dernier ressort, comme l’ont reconnu la Cour d’appel de la cour martiale et la Cour suprême du Canada;

 

e)         finalement, toute peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration des infractions ou à la situation du contrevenant.

 

[9]               La Cour en est arrivée à la conclusion que, dans les circonstances de la présente affaire, la peine devrait mettre l’accent sur les objectifs de la dénonciation et de la dissuasion générale. Il est important de préciser que la dissuasion générale vise à faire en sorte que la peine infligée dissuade non seulement le contrevenant de récidiver, mais aussi toute autre personne se trouvant dans une situation semblable de se livrer aux mêmes actes illicites.

 

[10]           En l’espèce, la Cour a affaire à trois infractions militaires ayant quelques points communs. Elles regardent certains principes éthiques dictés aux membres des Forces canadiennes, tels que la responsabilité et l’intégrité. Ces derniers doivent se montrer fiables en tout temps afin que les missions soient menées à bien; les militaires doivent également être en mesure de se fier les uns aux autres, et les infractions en présence renvoient à ces principes.

 

[11]           Le 14 septembre 2012, afin d’obtenir de Mme Ming Miao, propriétaire du dépanneur Ming Ming Variety Store à Victoria (Colombie-Britannique), la somme de 115 $, le matelot de 3e classe Martin lui a remis à sa demande sa carte d’identité sans avoir été autorisé à le faire par son superviseur ou sa chaîne de commandement. Le 10 octobre suivant, il a signé et soumis un formulaire expliquant qu’il avait perdu sa carte d’identité en la jetant par erreur avec certains matériaux alors qu’il effectuait des réparations à domicile. Cependant, le 15 novembre 2012, son superviseur a retrouvé sa carte d’identité, que M. Ming Miao lui a remise. Le matin du 28 décembre suivant, le matelot de 3e classe Martin s’est présenté au local de la cellule des FRT. Il est entré en titubant et son élocution trahissait des signes d’ébriété. Ce jour-là, à la BFC Esquimalt, il parlait de manière indistincte et son haleine sentait l’alcool; il était alors en phase d’instruction et devait prendre part à des programmes de formation. Ce jour-là, il a été relevé de toutes ses fonctions parce qu’il était ivre.

 

[12]           Pour en arriver à ce qu’elle croit être une peine juste et appropriée, la Cour a tenu compte des circonstances atténuantes et facteurs aggravants suivants :

 

a)         la Cour estime que la gravité objective de l’infraction constitue un facteur aggravant. La première infraction dont vous êtes accusé se rapporte à l’article 197 de la Loi sur la défense nationale : il s’agit de l’infraction d’ivresse. Elle est passible d’un emprisonnement maximal de deux ans. La seconde infraction, qui concerne un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline, en contravention de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale, est passible au pire de destitution du service de Sa Majesté ou d’une moindre peine. Enfin, la troisième infraction au titre de l’alinéa 125a) de la Loi sur la défense nationale est passible d’un emprisonnement maximal de trois ans;

 

b)         deuxièmement, la gravité subjective des infractions, qui prend à mon sens deux aspects :

 

1)         le premier est l’abus de confiance que la perpétration de ces infractions révèle à la Cour. Vos superviseurs et vos pairs vous faisaient confiance. Vous avez décidé, pour une raison quelconque, de laisser votre carte d’identité à un civil. Ce faisant, vous avez donné tort à ceux qui vous croyaient fiable et digne de confiance en ce qui touche à la sécurité. Pour aggraver les choses, vous avez décidé, un mois plus tard, de signaler la perte de votre carte et avez à cet égard fait une déclaration dont vous saviez pertinemment qu’elle était fausse. Vous avez donc à nouveau abusé de la confiance de vos superviseurs sur ce point. Enfin, ces derniers vous pensaient capable de prendre votre vie et votre conduite en charge, compte tenu de votre expérience, et néanmoins, en décembre 2012, vous vous êtes présenté au travail ivre. Vous avez encore une fois trahi leur confiance et vous avez mis en danger vos pairs et vos superviseurs qui comptaient sur vous pour accomplir votre tâche et votre mission. Ils vous croyaient assez fiable pour pouvoir remplir leur mission, c’est ce que j’entends par abus de confiance;

 

2)         le deuxième facteur aggravant, de mon point de vue, concerne la préméditation. Pour obtenir ce prêt, vous avez dû y réfléchir. Vous n’avez pas décidé d’emprunter 115 $ et de laisser votre carte d’identité sur un coup de tête, vous y aviez donc pensé. D’autre part, pour remplir le formulaire que vous avez soumis le 10 octobre 2012 afin de signaler la perte de votre carte d’identité, vous avez également dû y réfléchir. Il y a donc manifestement un élément de préméditation dont je dois tenir compte.

 

[13]           Il s’agit là des facteurs que la Cour juge aggravants. Cependant, je dois aussi considérer certaines circonstances atténuantes :

 

a)         d’abord, votre âge et vos perspectives de carrière dans la collectivité canadienne : à 32 ans, vous avez encore de nombreuses années devant vous pour contribuer positivement à la société canadienne;

 

b)         vous avez eu à comparaître devant cette cour martiale, dans le cadre d’une audience annoncée et ouverte au public qui s’est déroulée en présence de certains de vos pairs, ce qui a certainement eu un effet dissuasif très important sur vous comme sur eux. Cela signale aux autres que le type de conduite dont vous avez fait preuve ne sera toléré d’aucune manière et sera réprimé en conséquence;

 

c)         votre fiche de conduite ne comporte aucune mention relative à une conduite similaire ou à toute autre conduite témoignant d’ennuis liés au Code de discipline militaire;

 

d)         vous avez décidé de vous attaquer à vos problèmes, et je pense que ce dernier incident de décembre 2012, ou quelque temps après, vous a incité à confronter vos problèmes de consommation d’alcool. Cela explique probablement une part de votre comportement, et comme vous avez décidé de régler cette question, je dois y voir une circonstance atténuante;

 

e)         la preuve a également montré que vous avez préparé un plan pour votre avenir, étant donné que vous prévoyez être libéré des Forces canadiennes;

 

f)         je crois comprendre que vous avez récemment remboursé, en juillet d’après la preuve, la personne qui vous avait prêté l’argent, les 115 $ en question, ce que je dois aussi considérer comme une circonstance atténuante.

 

[14]           Je suis donc prêt à souscrire à la recommandation des deux avocats de vous imposer une réprimande et une amende, puisqu’une telle peine n’irait pas à l’encontre de l’intérêt public et n’aurait pas pour effet de jeter le discrédit sur l’administration de la justice.

 

[15]           En ce qui concerne le montant, j’ai réfléchi à ce point en tenant compte de votre situation financière. Mais d’un autre côté, je dois pondérer les choses, considérer d’autres facteurs et je suis parvenu à la conclusion qu’une amende de 1 000 $ servirait les intérêts de la justice.

 

[16]           Je suis presque certain que vous avez tiré de grandes leçons de cette expérience devant une cour martiale, et que vous avez eu le temps de réfléchir à certains aspects de la justice, mais aussi à l’attitude et au comportement requis au travail. J’espère et je crois que ces événements vous serviront d’expérience, pas nécessairement de bonne expérience, mais vous pourrez en tirer profit pour votre avenir. Comme je l’ai déjà mentionné, une certaine maturité est attendue d’un homme de 32 ans, cette expérience vous aura donc instruit. Vous devez aussi garder à l’esprit que vous héritez aujourd’hui d’un casier judiciaire, ce qui n’est pas négligeable dans les circonstances.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[17]           VOUS CONDAMNE à une réprimande et à une amende de 1 000 $ payable en versements mensuels égaux de 100 $, à compter du 1er novembre 2013 et pour les neuf mois suivants.

 


 

Avocats :

 

Capitaine de corvette S. Torani, Services canadiens des poursuites militaires

Avocat de Sa Majesté la Reine

 

Lieutenant-colonel D. Berntsen, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat du matelot de 3e classe Martin

 

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