Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 31 octobre 2011

Endroit : BFC Trenton, côté sud, Édifice 22, Pièce 322, Astra (ON)

Chefs d'accusation
•Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d'accusation 2) : Art. 130 LDN, possession de pornographie juvénile (art. 163.1(4) C. cr.)
•Chef d'accusation 2 (subsidiaire au chef d'accusation 1) : Art. 93 LDN, comportement déshonorant.

Résultats
•VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Une suspension d'instance. Chef d'accusation 2 : Coupable.
•SENTENCE : Une rétrogradation au grade de soldat et une amende au montant de 2000$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Desrochers, 2011 CM 4025

 

Date : 20111031

Dossier : 201129

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Trenton

Trenton, Ontario, Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal J.S.M. Desrochers, contrevenant

 

 

Devant : Lieutenant-colonel J-G Perron, J.M.

 


 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

[1]               Caporal Desrochers, ayant accepté et enregistré votre aveu de culpabilité au deuxième chef d'accusation, je vous trouve maintenant coupable du deuxième chef d'accusation. La cour ordonne donc une suspension d'instance quant au chef d'accusation numéro un.

 

[2]               Le procureur militaire et votre avocat m'ont présenté une soumission commune relativement à la sentence et me recommandent d'imposer une rétrogradation assortie d'une amende de 2000 dollars. La décision ultime d'en arriver à une sentence adéquate incombe au juge qui a le droit de rejeter la proposition conjointe des avocats. Par contre, je dois accepter la soumission commune à moins qu'elle ne soit jugée inadéquate ou déraisonnable, contraire à l'ordre public ou qu'elle déconsidérerait l'administration de la justice.

 

[3]               Je dois vous punir seulement à l'égard de l'infraction pour laquelle vous avez été déclaré coupable. Vous avez plaidé coupable et avez été déclaré coupable de vous être comporté de manière déshonorante aux termes de l'article 93 du code de discipline militaire, qui figure dans la Loi sur la défense nationale. Le code de discipline militaire souligne l'importance du bon ordre, de la discipline et d'un bon moral. Le Code criminel ne contient aucune infraction similaire à celle de l'article 93 de la Loi sur la défense nationale.

 

[4]               Vous étiez en poste à la BFC North Bay au cours de la période janvier 2007 à juillet 2010. Votre épouse, qui ne vous avait pas accompagné lors de votre affectation à North Bay, vous a visité le 19 août 2009 et a découvert deux disques informatiques dans votre chambre. Elle a remis ces disques aux autorités policières. Ces disques contenaient des images pornographiques. L'un des disques contenait trois images d'adolescentes montrant leurs organes sexuelles ou leur région anale. Le 14 octobre 2010, vous avez volontairement rencontré un policier militaire du Service national des enquêtes des Forces canadiennes. Lors de cette entrevue, vous avez admis que vous saviez que ces trois images se trouvaient sur le disque informatique.

 

[5]               Ayant résumé les principaux faits de cette cause, je vais maintenant me concentrer sur la détermination de la peine. Comme l'a souligné la Cour d'appel de la cour martiale, la détermination de la peine est un processus fondamentalement subjectif et individualisé où le juge du procès a l'avantage d'avoir vu et entendu tous les témoins, lorsqu'il y a des témoins; il s'agit sans doute de l'une des tâches les plus difficiles que le juge du procès doit remplir (voir R c Tupper, 2009 CACM 5). La Cour d'appel de la cour martiale a également précisé dans Tupper que les objectifs fondamentaux de la détermination de la peine, tels qu'énoncé dans le Code criminel du Canada, s'appliquent dans le contexte du système de justice militaire, et qu'un juge militaire doit examiner ces objectifs lors de la détermination de la peine. L'article 718 du Code criminel prévoit que l'objectif fondamental de la détermination de la peine est le « respect de la loi et le maintien d'une société juste, paisible et sûre » par l'infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a)                  dénoncer le comportement illégal;

 

b)                  dissuader les délinquants, et quiconque de commettre des infractions;

 

c)                  isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

 

d)                 favoriser la réinsertion sociale des délinquants;

 

e)                  assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité; et

 

f)                   susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment, par la reconnaissance du tort qu'ils ont causé aux victimes et à la collectivité.

 

[6]               Les dispositions du Code criminel liées à la détermination de la peine, soit les articles 718 à 718.2, prévoient un processus individualisé selon lequel il faut prendre en considération, non seulement les circonstances de l'infraction, mais aussi la situation particulière du contrevenant (voir R c Angelillo, 2006 CSC 55). Une peine doit également respecter le principe de l'harmonisation des peines (voir R c L.M., 2008 CSC 31). Le principe de proportionnalité constitue un élément central de la détermination de la peine (voir R c Nasogaluak, 2010 CSC 6). Dans Nasogaluak, la Cour suprême du Canada précise, au paragraphe 42, que le principe de la proportionnalité signifie que la sanction ne doit pas excéder ce qui est juste et approprié compte tenu de la culpabilité morale du délinquant et de la gravité de l'infraction. Mais la détermination de la peine représente également une « forme de censure judiciaire et sociale ». Une peine proportionnée exprime, dans une certaine mesure, les valeurs et les préoccupations légitimes que partagent les canadiens et canadiennes.

 

[7]               Un juge doit soupeser les objectifs de détermination de la peine qui reflète les circonstances précises de l'affaire. Il appartient au juge qui prononce la sanction de déterminer s'il faut accorder plus de poids à un ou plusieurs objectifs. La peine sera par la suite ajustée dans la fourchette des peines appropriées pour des infractions similaires, selon l'importance des circonstances atténuantes ou aggravantes.

 

[8]               Tout juge a l'obligation, avant d'envisager la privation de liberté, d'examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient. Cette règle générale de détermination de la peine, créée par la jurisprudence canadienne, se trouve maintenant à l'article 718.2 du Code criminel. Or, la Cour d'appel de la cour martiale a également souligné que le contexte précis peut, dans des circonstances appropriées, justifier et, à l'occasion, exiger une peine qui favorisera l'atteinte des objectifs militaires.

 

[9]               Toutefois, il faut se rappeler que l'infliction d'une peine dans le contexte militaire vise essentiellement le rétablissement de la discipline chez le contrevenant et dans les rangs de la société militaire. Le tribunal doit infliger une peine équivalant au minimum nécessaire pour maintenir la discipline.

 

[10]           Le procureur militaire suggère que les principes de détermination de la peine suivants s'appliquent en l'espèce : la dénonciation et la dissuasion générale et spécifique. Il indique que la sentence doit émettre un message clair que ce comportement ne sera pas toléré dans les Forces canadiennes.

 

[11]           Donc, en considérant quelle sentence serait appropriée, j'ai pris en considération les facteurs atténuants suivants :

 

a)                  Vous n'avez pas de fiche de conduite. Vous avez plaidé coupable à une infraction, soit un comportement déshonorant. Vous avez volontairement rencontré les policiers militaires et vous avez admis avoir été en possession de ces disques et des images de pornographie juvénile. Un aveu de culpabilité démontre habituellement un certain remords. De plus, ce plaidoyer permet à l'État d'économiser d'importantes sommes d'argent en plus d'éviter d'appeler de nombreux témoins;

 

b)                  Un examen de votre sommaire des dossiers personnels des militaires, qui se trouve à la pièce 3, indique une carrière de 25 années dans la Force régulière. Vous avez participé à trois déploiements, soit deux fois en Bosnie (UNPROFOR en 1994-95 et SFOR en 1998-99) et en Afghanistan en 2009-10. La pièce 8, soit cinq rapports d'appréciation du personnel, m'indique que vous avez été considéré comme un bon travailleur et que votre potentiel pour une promotion au sein de votre métier est noté;

 

c)                  Il s'agit de trois images de pornographie juvénile et non de centaines ou de milliers d'images ou de films comme dans bien des cas dans la grande majorité des causes de possession de pornographie juvénile. Ces images me furent décrites par votre avocat comme étant des images qui représentent des adolescentes nues. Il ne s'agit pas d'images démontrant ces adolescentes s'adonnant à des activités sexuelles et elles ne sont pas accompagnées d'adultes. Alors, bien que ces images représentent de la pornographie juvénile, elles ne représentent pas les pires exemples de ce crime répugnant. Nonobstant ces commentaires, j'aurai plus à dire à ce sujet lors de mon examen des facteurs aggravants;

 

d)                 Il existe un délai bien long entre le temps où votre épouse a découvert ces disques et les a remis aux autorités policières le 27 août 2009, votre entrevue avec un membre du Service nationale des enquêtes des Forces canadiennes en octobre 2010, la mise en accusation présente en date du 28 octobre 2011 et le procès d'aujourd'hui. Aucune explication quant aux raisons pour ces délais ne fut fournie à la cour. De tels délais sont rarement utiles et n'aident surtout pas la discipline et l'administration de la justice. Je vais donc tenir compte de ce délai comme facteur atténuant important dans cette cause;

 

e)                  Vous n'avez pas utilisé d'équipement des Forces canadiennes et vous n'avez pas commis cette infraction dans un lieu de travail ou un lieu public; et

 

f)                   Des articles ont déjà été écrits au sujet de l'accusation de possession de pornographie juvénile et sont apparus sur des sites internet. Alors il va de soit que cette condamnation sera aussi probablement médiatisée. Cette couverture médiatique va sûrement vous occasionné des ennuis dans le futur. La société canadienne ne voit pas d'un bon oeil toute personne associée à la pornographie juvénile. De plus, votre avocat m'a informé qu'une mesure administrative avait été initiée à votre égard. Il s'agit sûrement des mesures administratives selon la Directive et ordonnance administrative de la Défense 5019-5, Inconduite sexuelle et troubles sexuels. Il appert donc que ce comportement déshonorant sera aussi examiné par les autorités compétentes selon cette directive et que des décisions sur la carrière future du caporal Desrochers au sein des Forces canadiennes sera prise dans un futur rapproché.

 

[12]           Je considère comme aggravants les facteurs suivants :

 

a)                  La nature de l'infraction et la peine prévue par le législateur. Vous êtes coupable de comportement déshonorant. La peine maximale consiste de cinq ans d'emprisonnement. Comme tel, il s'agit d'une infraction qui peut être qualifiée comme étant objectivement sérieuse. Ceci dit, il y a 23 des 60 infractions militaires se trouvant aux articles 73 à 129 de la Loi sur la défense nationale qui comportent des peines plus sévères que l'emprisonnement pour cinq ans; et

 

b)                  Ceci dit, je considère que cette infraction est subjectivement sérieuse. Vous étiez en possession de pornographie juvénile. J'ai déjà mentionné la couverture médiatique entourant l'accusation de possession de pornographie juvénile. Votre comportement vous déshonore mais il déshonore aussi les Forces canadiennes. Ce comportement est considéré comme étant odieux même si vous n'êtes pas coupable de l'infraction criminelle de possession de pornographie juvénile.

 

[13]           Les avocats au dossier, le procureur militaire et votre avocat, connaissent ce dossier beaucoup mieux que moi car je n'ai devant moi que la preuve qui m'est présentée. J'ai posé des questions et fait des commentaires quant à la preuve qui m'était présentée, l'état du droit canadien quant à la soumission commune sur sentence et quant aux représentations des avocats sur la nature de l'infraction pour laquelle vous avez plaidé coupable. Je dois faire mention particulière des réponses et des commentaires de votre avocat à mes questions et préoccupations. Les interventions de votre avocat m'ont grandement aidé à mieux comprendre cette cause et le fondement de cette soumission commune.

 

[14]           Caporal Desrochers, levez-vous. Une rétrogradation au grade de soldat représente une punition relativement sévère. Dans votre cas, ceci signifie que votre solde sera diminuée d'approximativement 1000 dollars par mois. Du point de vue purement militaire, vous conservez votre emploi, bien qu'avec une réduction de salaire, mais vous perdez votre grade. Nous portons beaucoup d'importance au grade. Le grade indique souvent le niveau de responsabilité et de privilèges que notre organisation attribue à une personne. Vos rapports d'appréciation du personnel indiquent que vous étiez sur la bonne route pour être nommé caporal-chef. Une rétrogradation va rallonger considérablement cette route, si les autorités compétentes décident de vous garder au sein des Forces canadiennes.

 

[15]           Ayant examiné la soumission commune des parties attentivement, je suis d'avis que, compte tenu des faits particuliers de cette cause, elle incorpore adéquatement les principes de détermination de la peine et que le choix des peines constitue la sentence la plus minimale pour assurer la protection du public et le maintien de la discipline dans les circonstances. La cour conclue qu'une peine d'incarcération n'est pas nécessaire compte tenu de la culpabilité morale du délinquant et de la gravité de l'infraction. La cour a conclue qu'une sentence juste et adéquate est la suivante.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[16]           CONDAMNE le caporal Desrochers à une rétrogradation au grade de soldat et à une amende de 2000 dollars. Cette amende sera payée en 10 versements de 200 dollars commençant le 15 décembre 2011. Cette amende doit être payée au complet avant votre date de libération si vous êtes libéré des Forces canadiennes.


 

Avocats :

 

Major E. Carrier, Service canadien des Poursuites militaires

Avocat de la poursuivante

 

Capitaine de corvette P. Desbiens, Service d'avocats de la défense

Avocat pour le caporal J.S.M. Desrochers

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.