Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 29 août 2011

Endroit : BFC Petawawa, Édifice L-106, Petawawa (ON)

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 (subsidiaire au chef d'accusation 2) : Art. 83 LDN, a désobéi à un ordre légitime d'un supérieur.
•Chef d'accusation 2 (subsidiaire au chef d'accusation 1) : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats
•VERDICTS : Chef d'accusation 1 : Non coupable. Chef d'accusation 2 : Coupable.
•SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 1500$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

 

Référence : R c Tomczyk, 2011 CM 4023

 

Date : 20110910

Dossier : 201123

 

Cour martiale générale

 

Base des Forces canadiennes Petawawa

Petawawa (Ontario), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Bombardier N. Tomczyk, contrevenant

 

 

 

Devant : Lieutenant-colonel J-G Perron, J.M.

 

 


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Bombardier Tomczyk, le comité de la Cour martiale générale vous a déclaré coupable de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Je dois maintenant imposer une peine juste et appropriée. Avant d’examiner les principes de la détermination de la peine qui s’appliquent en l’espèce, je dois exposer les faits qui sont nécessaires à la détermination de la peine appropriée. Je dois accepter comme prouvés tous les faits, exprès ou implicites, essentiels au verdict de culpabilité auquel le comité est arrivé conformément à l’article 112.54 des ORFC. Je dois m’appuyer seulement sur les constatations de fait nécessaires pour me permettre d’infliger la peine appropriée dans l’affaire dont je suis saisi (voir R c Ferguson, 2008 CSC 6, au paragraphe 18).

 

[2]               Je comprends à la lecture de la décision du comité que celui-ci n’a pas cru votre version des événements concernant votre discussion avec la capitaine Fraser et votre état de santé. Je comprends que le comité a conclu que vous étiez tenu de vous rendre à la clinique médicale de la base au cours de votre congé à l’extérieur du théâtre et que vous ne l’avez pas fait. Vous êtes retourné en Afghanistan, mais vous avez été incapable de retourner à la base de la patrouille de Shoja et d’exercer vos fonctions au sein de votre batterie. Le comité a également conclu que cette conduite était un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

 

[3]               Après avoir établi les faits nécessaires pour déterminer la peine qui convient, j’examinerai les principes de détermination de la peine en jeu dans la présente affaire. Comme l’a souligné la Cour d’appel de la Cour martiale (CACM), la détermination de la peine est un processus fondamentalement suggestif et individualisé au cours duquel le juge du procès a l’avantage d’avoir vu et entendu tous les témoins; il s’agit sans doute de l’une des tâches les plus difficiles que le juge du procès doit remplir (voir R c Tupper, 2009 CMAC 5, au paragraphe 13).

 

[4]               La CACM a également précisé, au paragraphe 30 de la décision Tupper, que les objectifs fondamentaux de la détermination de la peine qui sont énoncés dans le Code criminel du Canada s’appliquent dans le contexte du système de justice militaire et que le juge militaire doit tenir compte de ces objectifs lorsqu’il détermine la peine. L’article 718 du Code criminel prévoit que le prononcé des peines a pour objectif essentiel de contribuer « au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre » par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a)                  dénoncer le comportement illégal;

 

b)                  dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;

 

c)                  isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

 

d)                 favoriser la réinsertion sociale des délinquants;

 

e)                  assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;

 

f)                   susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.

 

[5]               Les dispositions relatives à la détermination de la peine qui sont énoncées aux articles 718 à 718.2 du Code criminel prévoient un processus individualisé au cours duquel la cour doit prendre en compte non seulement les circonstances de l’infraction, mais aussi la situation particulière du délinquant (voir R c Angelillo, 2006 CSC 55, au paragraphe 22). La peine doit également être semblable aux autres peines imposées dans des circonstances similaires (voir R c L.M. 2008 CSC 31, au paragraphe 17). Le principe de la proportionnalité constitue un élément central de la détermination de la peine. La Cour suprême du Canada nous enseigne, au paragraphe 42 de l’arrêt R c Nasogaluak, 2010 CSC 6, que la proportionnalité requiert que la sanction n’excède pas ce qui est juste et approprié, compte tenu de la culpabilité morale du délinquant et de la gravité de l’infraction. Mais la détermination de la peine représente également une « forme de censure judiciaire et sociale ». Une peine proportionnée exprime, dans une certaine mesure, les valeurs et les préoccupations légitimes que partagent les Canadiens.

                                               

[6]               Le juge doit soupeser les objectifs de détermination de la peine qui reflètent les circonstances précises de l’affaire. Il appartient au juge qui prononce la sanction de déterminer s’il faut accorder plus de poids à un ou plusieurs objectifs. La peine sera par la suite ajustée dans la fourchette des peines appropriées pour des infractions similaires, selon l’importance relative des circonstances atténuantes ou aggravantes (voir Nasogaluak, aux paragraphes 43 et 44).

 

[7]               La Cour d’appel de la Cour martiale a également indiqué que le contexte précis du système de justice militaire peut, dans des circonstances appropriées, justifier et, à l’occasion, exiger une peine qui favorisera l’atteinte des objectifs militaires (voir Tupper, au paragraphe 31). Mais il faut se rappeler que l’objectif ultime de la détermination de la peine dans le contexte militaire est le rétablissement de la discipline chez le contrevenant et dans la société militaire. La cour doit infliger la peine la moins sévère nécessaire pour assurer le maintien de la discipline.

 

[8]               La discipline représente une condition vitale de l’efficacité de chaque force militaire. Cette maxime n’est pas nouvelle.  Machiavel a écrit ce qui suit : « La nature fait peu de braves : on les doit le plus souvent à l’éducation et à l’exercice. La discipline vaut mieux à la guerre que l’impétuosité ».

 

[9]               La discipline est la qualité que chaque membre des FC doit posséder pour pouvoir placer les intérêts du Canada et ceux des Forces canadiennes devant les siens propres. Cela est nécessaire, car les membres des Forces canadiennes doivent obéir volontairement et promptement à des ordres licites pouvant avoir des conséquences personnelles désastreuses, telles que des blessures et la mort.

 

[10]           La poursuite soutient que les principes de détermination de la peine suivants s’appliquent dans la présente affaire : la dissuasion générale et spécifique et la dénonciation. Elle a cité deux décisions pour faire valoir que la peine minimale à infliger en l’espèce est une amende de 5 000 $ et la consignation au quartier pour une période de 21 jours. Pour sa part, l’avocate de la défense fait valoir qu’une amende de 200 $ représenterait une peine juste dans la présente affaire, qui est exceptionnelle. Elle a ajouté qu’une réprimande et une amende plus élevée conviendraient si je n’acceptais pas sa première suggestion. Elle précise que la dissuasion spécifique n’est pas nécessaire en l’espèce.

 

[11]           J’examinerai maintenant les facteurs atténuants dans la présente affaire. Vous n’avez pas de fiche de conduite et vous êtes un délinquant primaire.

 

[12]           J’ai examiné attentivement la pièce 14, qui se compose de trois rapports d’appréciation du rendement (RAR), la pièce 15, qui comporte deux revues du développement du personnel (RDP), la pièce 16, soit deux documents concernant votre promotion accélérée au poste de bombardier et la pièce 13, qui comprend trois rapports de cours. Vous êtes décrit dans vos RAR comme un soldat dévoué et engagé qui donne l’exemple aux autres. Vous avez obtenu la cote « maîtrisé », votre rendement ayant dépassé la norme, et vous avez été évalué comme une personne ayant un potentiel supérieur à la moyenne. Vous avez également excellé dans votre cours de technicien en reconnaissance de base, votre cours de communications d’artillerie et votre cours d’exploitation de système d’arme télécommandé. Même si vous deviez être promu à votre grade actuel le 23 janvier 2009, vous avez été recommandé en vue d’une promotion accélérée par le commandant de votre batterie et vous avez été promu en octobre 2008.

 

[13]           Vous avez donné un bon rendement au cours de votre brève carrière. Votre rendement au cours de votre déploiement en Afghanistan en 2007 a été décrit comme un rendement remarquable dans le RDP figurant à la pièce 15 et vous avez également affiché un bon rendement lors de votre déploiement à la base de patrouille de Shoja en 2010, comme le montrent les documents de la pièce 5. Votre chaîne de commandement estime aussi que vous possédez le potentiel pour réussir et progresser au sein de l’artillerie. À la lumière de cette preuve, il semblerait donc que cette conduite soit un incident isolé.

 

[14]           J’ai également examiné les facteurs aggravants suivants :

 

a)                  Vous étiez âgé de 25 ans lors de l’infraction et vous étiez membre des FC depuis cinq ans. Je ne vous considère pas comme un jeune contrevenant. Vous avez déjà été déployé en Afghanistan en 2007. Vous connaissiez parfaitement les répercussions pouvant découler de votre conduite pour vos camarades soldats dans le théâtre d’opérations.

 

b)                  Le comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline est également une infraction grave sur le plan objectif, puisque la peine maximale pouvant être infligée à l’auteur de cette infraction réside dans la destitution ignominieuse du service de Sa Majesté. Sur le plan subjectif, il s’agit aussi d’une infraction grave. Toute infraction réputée avoir nui au bon ordre et à la discipline dans un théâtre d’opérations doit être considérée comme une infraction grave.

 

[15]           J’ai examiné les décisions que le procureur de la poursuite a citées. Je ne vois pas en quoi la décision que la Cour d’appel de la Cour martiale a rendue dans R c Billard (2008 CMAC 4) est utile en l’espèce, puisque les faits de cette affaire sont entièrement différents de ceux dont je suis saisi. Le caporal-chef Billard a refusé de se lever et d’accomplir ses tâches durant une situation de branle-bas de combat alors que la base d’opérations dont il faisait partie était la cible d’une attaque directe. La conduite du caporal-chef Billard était beaucoup plus grave que celle du bombardier Tomczyk. Le caporal-chef Billard n’a pas accompli ses tâches pendant que la base d’opérations était attaquée. Pour sa part, le bombardier Tomczyk ne s’est pas présenté à la clinique médicale de la base avant de retourner en Afghanistan. Bien que sa négligence l’ait empêché en bout de piste de reprendre ses fonctions à la base de patrouille, la cour n’est saisie d’aucun élément de preuve établissant que telle était l’intention manifeste du bombardier Tomczyk.

 

[16]           Le bombardier Parent a plaidé coupable à une accusation de négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Au cours d’une période de sept mois, il a omis à onze occasions d’informer l’autorité médicale qu’il ne se présenterait pas à un rendez-vous au centre médical de la base. Les avocats des deux parties ont proposé conjointement une amende de 2 500 $ et le juge militaire a accepté cette proposition.

 

[17]           Contrairement à ce que le procureur de la poursuite a soutenu, je ne crois pas que la peine imposée dans l’affaire Parent fait partie des peines les plus légères infligées dans ce genre de situation. Cette décision ne peut être invoquée de manière isolée au soutien d’une allégation de cette nature, car les faits mis en preuve dans l’affaire Parent sont bien différents de ceux de la présente affaire. Bien que la peine doive être semblable aux autres peines infligées dans des circonstances similaires, le juge qui détermine la peine doit tenir compte des circonstances entourant la perprétation de l’infraction et de la situation propre au contrevenant. Je dois soupeser les objectifs de la détermination de la peine qui reflètent les circonstances précises de la présente affaire.

 

[18]           L’avocate de la défense soutient qu’il y a lieu de considérer l’erreur de fait comme un facteur d’atténuation de la peine, comme l’a fait la Cour d’appel de la Cour martiale relativement à la croyance honnête, mais erronée en un principe de droit dans R c Liwjy, 2010 CMAC 6. Elle affirme que le bombardier Tomczyk a compris que la capitaine Fraser lui avait simplement conseillé de se rendre à la clinique médicale de la base. J’ai déjà mentionné que je comprends, à la lumière de la décision du comité, que celui-ci n’a pas cru votre version des événements concernant votre discussion avec la capitaine Fraser et l’obligation que vous aviez de vous présenter à la clinique médicale de la base. Je ne puis maintenant ajouter foi à votre témoignage après avoir conclu que le comité ne l’avait pas cru. En conséquence, je n’accepterai pas la suggestion de l’avocate de la défense sur cette question.

 

[19]           L’avocate de la défense a ajouté que la peine infligée par la cour martiale dans l’affaire Capitaine Clark (R c Clark, 2011 CM 4004) devrait être considérée comme la peine maximale absolue en matière de détermination de la peine. À l’issue d’un procès complet, le capitaine Clark a été déclaré coupable d’avoir désobéi à un ordre légitime d’un supérieur et d’avoir menti et, de ce fait, d’avoir causé un préjudice au bon ordre et à la discipline. Le juge militaire a accepté la proposition conjointe des avocats et a condamné le capitaine Clark à une réprimande et à une amende de 1 000 $.

 

[20]           Contrairement à ce que l’avocate de la défense a soutenu, je ne crois pas que la peine imposée dans l’affaire Clark se situe parmi les peines les plus lourdes infligées pour des infractions semblables à celle de la présente affaire. Comme je l’ai mentionné plus haut, cette décision ne peut être invoquée de manière isolée au soutien de cette allégation, car les faits de l’affaire Clark sont bien différents de ceux qui ont été établis en l’espèce. Je souligne que, dans les affaires Parent et Clark, une proposition conjointe a été présentée au juge militaire au sujet de la détermination de la peine. Le procureur de la poursuite et l’avocate de la défense connaissent tous les deux les règles de droit applicables aux propositions conjointes et savent que les règles sont différentes lorsqu’aucune proposition de cette nature n’est soumise au juge.

 

[21]           Je dois maintenant prononcer ma sentence. Bombardier Tomczyk, levez-vous.

 

[22]           La preuve dont la cour a été saisie semble montrer que vous possédez les qualités nécessaires pour devenir un membre productif de l’armée canadienne. J’espère sincèrement que vous aurez tiré une leçon de la présente affaire et que vous deviendrez avec le temps un militaire du rang estimé.

 

[23]           À mon avis, la peine à infliger en l’espèce doit être axée principalement sur la dénonciation de la conduite du contrevenant et sur la dissuasion générale. La cour doit imposer une peine qui transmettra un message clair, à vous-même comme aux autres, du fait que ce comportement est inacceptable et ne sera pas toléré. La cour doit également tenir compte de la situation du contrevenant et de sa réinsertion sociale.

 

[24]           Bombardier Tomczyk, après avoir examiné les circonstances particulières de la présente infraction et la situation propre au contrevenant ainsi que les facteurs atténuants et aggravants, je conclus qu’il s’agit de la peine minimale à infliger pour maintenir la discipline.

 

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[25]           CONDAMNE le bombardier Tomczyk à une réprimande et à une amende de 1 500 $, qui sera payée en versements mensuels de 100 $ à compter du 30 septembre 2011.


 

Avocats :

 

Major E. Carrier, directeur des Poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Major S. Collins, Direction du service d’avocats de la défense

Avocate du bombardier N. Tomczyk

 

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