Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 16 septembre 2013.

Endroit : BFC Petawawa, édifice L-106, Petawawa (ON).

Chef d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.).

Résultats
•VERDICT : Chef d’accusation 1 : Coupable.
•SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 30 jours.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Déry, 2013 CM 3023

 

Date : 20130917

Dossier : 201307

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Petawawa

Petawawa (Ontario) Canada

 

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Soldat J.C. Déry, accusé

 

Devant : Lieutenant-colonel L.-V. d'Auteuil, J.M.


 

Restriction à la publication : Par ordonnance de la cour rendue en vertu de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale et de l’article 486.4 du Code criminel, il est interdit de publier ou de diffuser, de quelque façon que ce soit, tout renseignement permettant d’établir l’identité de la personne décrite dans le présent jugement comme étant la plaignante.

 

MOTIFS DE LA DÉCISION SUR L'ADMISSIBILITÉ

DE LA DÉCLARATION DU 27 OCTOBRE 2011

 

(Oralement)

LE CONTEXTE

[1]               Le soldat Déry est accusé d'agression sexuelle contrairement  à l'article 271 du Code criminel. Au début de ce procès par Cour martiale permanente soit le 16 septembre 2013, avant de nier ou d'avouer sa culpabilité à l'égard de chaque chef d'accusation ou plutôt après avoir nier sa culpabilité à l'égard du chef d'accusation, le procureur de la poursuite a présenté au début de sa preuve une requête portant seulement sur le caractère libre et volontaire d'une déclaration verbale du soldat Déry qui aurait été faite le 27 octobre 2011 à un enquêteur de la police militaire concernant un incident allégué qui serait produit le 25 octobre 2011.

[2]               Cette requête est présentée à titre de question de droit ou question mixte de droit et de fait à être tranché par le juge militaire qui préside la cour martiale.

[3]               La preuve au soutien de cette requête est composée :

a.                   du témoignage du maître de 2e classe Dumas, policier militaire, enquêteur à l'époque au détachement de l'Ouest du Service national d'enquêtes des Forces canadienne et responsable de l'enquête qui a mené à l'accusation devant cette cour; et

b.                  de la pièce VD1-1, un disque DVD sur lequel a été copié l'entrevue du 27 octobre 2011 du soldat Déry par la police militaire;

c.                   de la pièce VD1-2, le formulaire de droits légaux signé par le soldat Déry le 27 octobre 2011;

d.                  de la pièce VD1-3, un plan concernant la disposition des tentes dessiné par le soldat Déry dans le cadre de l'entrevue avec la police militaire réalisée le 27 octobre 2011;

e.                   une admission verbale faite par la poursuite relativement à certains faits s'étant produits le 25 octobre 2011; et

f.                    la connaissance judiciaire prise par la cour des faits et questions énoncées à la règle 15 des Règles militaires de la preuve.

[4]               Suite à un incident qui se serait produit durant la nuit du 24 au 25 octobre 2011 dans le cadre d'un exercice à la base des Forces canadiennes Wainwright, en Alberta, le soldat Déry aurait été rencontré par la police militaire au sujet d'une agression sexuelle alléguée à l'égard d'un soldat de sexe féminin.

[5]               Tel qu'admis par le procureur de la poursuite, à 3 h 22 le 25 octobre 2011, le caporal Hall de la police militaire a interviewé relativement aux allégations de la plaignante, le soldat I.F. dans la présente cause. Le caporal Hall a lu les droits légaux au soldat Déry en anglais et le soldat Déry a indiqué qu'il les comprenait mais qu'il ne voulait pas parler à un avocat. Le soldat Déry a ensuite fait une déclaration écrite. Le tout s'est déroulé sur le camp où l'incident aurait eu lieu.

[6]               Le maître de 2e classe Dumas, enquêteur de la police militaire, aurait été assigné au dossier à titre d'enquêteur. Il aurait fixé une rencontre avec le soldat Déry au bureau de la police militaire le 27 octobre 2011 sur la base des Forces canadiennes Wainwright. Ce dernier se serait présenté le matin du 27 octobre 2011 et il aurait été rencontré par le maître de 2e classe Dumas dans le hall d'entrée de la bâtisse. L'enquêteur l'a alors informé que l'entrevue aurait lieu au détachement de la Gendarmerie royale du Canada situé à l'extérieur de la base, considérant que l'équipement de la police militaire nécessaire à l'enregistrement de l'entrevue ne fonctionnait pas. L'enquêteur s'est donc rendu à cet endroit et il a été suivi peu de temps après par le soldat Déry qui a été reconduit par un policier militaire au même endroit.

[7]               Une fois dans la salle d'interrogatoire, le maître de 2e classe Dumas a indiqué au soldat Déry que l'entrevue était filmée et enregistrée. Il s'est identifié à l'aide de deux pièces d'identité. Il a demandé au soldat Déry de résumé la manière dont il avait été amené à l'édifice et de confirmer qu'il n'avait eu aucune conversation avec qui que ce soit sur le dossier.

[8]               Le maître de 2e classe Dumas a, dans ses propres mots, fait un survol des droits légaux et constitutionnels du soldat Déry. Durant ses explications, le soldat Déry a référé à la déclaration antérieure qu'il avait faite deux jours plus tôt à un autre policier militaire. Le maître de 2e classe Dumas lui a alors expliqué qu'il lui donnait une chance de recommencer, que par la suite, il comparerait sa version avec celles des autres témoins qu'il avait obtenues.

[9]               L’enquêteur a obtenu certaines informations personnelles pour fin d’identification du soldat Déry. Par la suite, il l’a informé qu’il était soupçonné d’agression sexuelle.  Il l’a informé de son droit à l’assistance immédiat et sans frais d’un avocat, de son droit de garder le silence et de son droit de garder le silence même s’il avait parler de cette affaire auparavant avec des personnes en autorité, incluant la police militaire et les membres de sa chaîne de commandement.

[10]           Le soldat Déry a indiqué qu'il avait bien compris son droit au service immédiat et gratuit d'un avocat mais qu'il ne voulait pas en consulter un, de son droit de garder le silence, incluant son droit de garder le silence malgré la déclaration antérieure qu'il avait faite deux jours plus tôt à un policier militaire.

[11]           Par la suite, le soldat Déry a relaté les évènements qui se sont produits durant la soirée du 24 au 25 octobre 2011. Il a indiqué à l'enquêteur qu'il avait un barbecue à la cuisine et qu'après avoir mangé et bu de la bière avec d'autres soldats, il a acheté d'autres bières et qu'ils se sont rendus à leur tente où ils ont continué à discuter toute la soirée en écoutant la musique qui provenait de son téléphone branché à des haut-parleurs. À la fin de la soirée tout le monde est allé se coucher.

[12]           Avant d'aller au lit, il s'est rendu aux toilettes et en revenant de cet endroit, il a brutalement été abordé par le caporal Foster. Ils auraient été séparés. Puis ses supérieurs ont été appelés et quelqu'un lui a dit de retourner se coucher. Il a été réveillé et il a été rencontré par la police militaire.

[13]           Alors qu'il avait affirmé que son téléphone ne fonctionnait plus parce que la pile était à plat, il a avoué au maître de 2e classe Dumas qu'il avait menti et qu'il avait finalement envoyé un texto au soldat I.F. Il a par contre continuellement et catégoriquement nié avoir touché pour des fins sexuelles le soldat I.F. durant la soirée. Après avoir relaté ces faits à l'enquêteur, le soldat Déry a accepté de passer un test de polygraphe, l'enquêteur a révisé avec lui ses conditions de libération incluant la condition de ne pas contacter la plaignante. Finalement, le soldat Déry a quitté la salle d'entrevue et il a été ramené à la base par la police militaire.

[14]           Les déclarations d'un accusé comportent deux aspects, tout comme c'est le cas avec la plupart de la preuve soumise par la poursuite : l'admissibilité en vertu des règles de preuve et l'exclusion en vertu de la Charte. C'est deux aspects sont souvent confondus. La poursuite a le fardeau d'établir l'admissibilité. La défense a le fardeau d'établir que la preuve admissible doit être exclue. Afin d'établir l'admissibilité de la déclaration d'un accusé à une personne en autorité, la poursuite doit en prouver le caractère volontaire hors de tout doute raisonnable. Afin de voir exclu une déclaration admissible, la défense doit prouver selon la balance des probabilités, premièrement qu'elle a été obtenue en violation d'un droit prévu à la Charte, et deuxièmement, que son admissibilité déconsidèrera l'administration de la justice.

[15]           Si c'est un fait qu'il s'agit de deux questions différentes, autant sur le plan du fardeau de présentation que de persuasion, en gardant cela à l'esprit, beaucoup de confusion sera ainsi évitée. Dans le cadre du présent voir-dire, je traiterai uniquement de la question de l'admissibilité de la déclaration verbale du soldat Déry du 27 octobre 2011 en vertu de l'article 42 des Règles militaires de la preuve ainsi qu'en vertu de la règle de common law.

[16]           Tel que précisé par le juge Hugessen de la cour d'appel de la cour martiale dans l'affaire R c Laflamme, CACM 342, les règles militaires de la preuve ont été adoptées par le gouverneur en conseil, et elles doivent recevoir application dans le cadre d'une cour martiale parce qu'elles ont force de loi.

[17]           Par contre, à mon avis, s'il existe une règle de preuve sur le même principe qui est plus favorable à l'accusé, à ce moment la cour doit plutôt considérer d'utiliser cette dernière.

[18]           L'article 42 des Règles militaires de la preuve reprend dans son essence la règle de common law définit par la cour suprême du Canada dans l'arrêt R c Oickle, [2000] 2 RCS 3. Cependant, cette dernière décision a pour effet de préciser un certain nombre de facteurs qui ne se retrouve pas actuellement à l'article 42 Règles militaires de la preuve, comme l'état d'esprit conscient et les ruses policières, et en cela, cette situation commande que cette cour utilise plutôt les facteurs précisés dans Oickle, reflétant ainsi la situation la plus favorable pour l'accusé en matière de recevabilité d'un aveu non officiel.

[19]           Il est essentiel de rappeler qu'aucune déclaration d'un accusé à une personne en autorité, n'est admissible en tant que partie intégrante de la preuve présentée par la poursuite, ou encore dans le cadre du contre-interrogatoire d'un accusé, qu'à la condition que son caractère volontaire en soit prouvé hors de tout doute raisonnable.

[20]           Le caractère volontaire d'une déclaration exige, d'une part, qu'elle n'ait pas été obtenue suite à une crainte de quelque préjudice ou l'espoir d'un avantage suite à une promesse faite par une personne en autorité, et d'autre part, qu'elle soit le produit d'un état d'esprit conscient. Les fondements d'une telle règle proviennent du fait d'éviter les condamnations qui s'appuient sur des confessions dont la fiabilité pourrait être douteuse et aussi pour dissuader toute tactique coercitive de l'État.

[21]           En appliquant la règle de common law des confessions, il est important de garder à l'esprit son double objectif qu'est, à la fois, le besoin de protéger les droits d'un accusé sans pour autant limité celui de la nécessité pour la société que soit enquêté et résolu les crimes, tel que mentionné par le juge Iacobucci au nom de la majorité au paragraphe 33 de la décision Oickle.

[22]           Qu'une déclaration soit volontaire est une question presque entièrement contextuelle. En raison de la variété et l'interaction complexe des circonstances qui peuvent en vicier le caractère volontaire, la détermination de cette question est gouvernée beaucoup plus par des directives que par des règles. Le juge doit considérer l'ensemble des circonstances entourant la déclaration et se demander si cela soulève un doute raisonnable en ce qui a trait à son caractère volontaire. Tel que mentionné dans la décision de Oickle aux paragraphes 47 à 71, les facteurs pertinents que le juge doit considérer inclus :

a.                   les menaces ou promesses;

b.                  l'oppression;

c.                   l'état d'esprit conscient; et

d.                  les autres ruses policières.

[23]           Dans le présent voir dire, il n'est pas contesté par la poursuite que la déclaration de l'accusé a été faite à une personne en autorité. Une personne en autorité est toute personne pour qui l'accusé croit raisonnablement qu'elle agit au nom de l'État et qu'elle pourrait influencer le cours de l'enquête ou du procès. Cette définition comporte à la fois des aspects objectifs et subjectifs. Elle s'applique habituellement à celles qui sont impliquées dans l'arrestation, la détention, l'enquête ou la poursuite de l'accusé. Celles qui sont dans des positions conventionnelles d'autorité, tels que les policiers en uniforme et les gardiens de prisons sont des personnes en autorité simplement en raison de leur statut. Ici, le soldat Déry a été interrogé par un policier militaire dans le cadre d'une enquête où il était soupçonné d'agression sexuelle sur un autre soldat féminin le 25 octobre 2011. Il est clair que dans le présent cas, qu'un voir-dire est requis. D'ailleurs, l'accusé n'y a pas renoncé. Au contraire, il l'a expressément demandé.

[24]           Maintenant, je vais procéder à l'analyse des faits en utilisant les quatre facteurs susmentionnés afin de déterminer le caractère de la déclaration verbale du soldat Déry qui a été faite le 27 octobre 2011 à un enquêteur de la police militaire.

 

[25]           La crainte d'un préjudice ou l'espoir d'un avantage: cet élément ne requière pas d'une confession d'être spontanée, sans incitation ou sans être influencée par la conduite ou les questions de la police. L'ensemble des circonstances doivent être examinées lors de l'examen du caractère volontaire. La question est de savoir s'il y a un doute raisonnable qu'une déclaration était volontaire en raison de menaces ou d'avantages, pris individuellement ou en combinaison avec d'autres circonstances. Les menaces imminentes ou la torture porte atteinte clairement au caractère volontaire, mais la plupart des cas ne sont pas aussi clairs. Les menaces voilées, par exemple, requiert un examen plus minutieux. La police peut souvent, et de manière appropriée, offrir certains avantages pour obtenir une déclaration. Les avantages deviennent inappropriés seulement si, lorsque seul ou en combinaison avec d'autres facteurs, cela devient suffisant pour soulever un doute raisonnable. L'aspect fondamental est de savoir s'il y avait une forme d'encouragement par les interrogateurs, indépendamment que cela soit fait sous forme de menace ou promesse.

 

[26]           Les formes d'encouragement faites par une personne en autorité est l'une des plus importantes considérations lorsque des avantages sont alléguées, mais ne sont pas nécessairement en soi déterminatif du caractère volontaire. Je dois donc déterminer s'il y avait des avantages proposés au point où « à eux seuls ou combinés à d'autres facteurs sont importants au point de soulever un doute raisonnable quant à la question de savoir si on a subjugué la volonté du suspect » (voir Oickle au paragraphe 57). Alors que des encouragements peuvent servir à établir l'existence d'une menace ou promesse, c'est la force de cet avantage allégué qui doit être considéré dans le cadre contextuel plus global de l'examen du caractère volontaire. Malgré le fait que ce test est essentiellement subjectif, puisqu'il dépend du fait qu'un tel espoir ou crainte existe dans l'esprit de l'accusé, il doit y avoir quelque action de la part des autorités fournissant un base objective à ce qui a entraîné la réponse subjective. S'il n'y a pas d'oppression ou d'avantages, la propre timidité d'un accusé ou sa crainte subjective de la police ne rendra pas une déclaration inadmissible, à moins que des circonstances externes concernant les policiers eux-mêmes jettent un doute sur le caractère volontaire, ou toutes autres circonstances comme l'absence de l'état d'esprit requis.

 

[27]           En ce qui a trait à la déclaration faite par l'accusé le 27 octobre 2011, à l'enquêteur de la police militaire, le maître de 2e classe Dumas, il est clair que l'enquêteur n'a pas formulé d'une manière directe ou implicite de menace ou encore d'avantage qui aurait pu altérer le caractère de la déclaration qu'il a fait.

 

[28]           En conséquence, la poursuite a démontré hors de tout doute raisonnable qu'il n'y avait eu aucune menace ou promesse faites pour l'obtention de la déclaration verbale du 27 octobre 2011 du soldat Déry.

 

[29]           Oppression : Des conditions et circonstances oppressives ont le potentiel de produire des confessions involontaires. Je dois donc considérer si le soldat Déry :

 

a.                   a été privé de nourriture, de vêtements, d'eau, de sommeil ou de soins médicaux ;

 

b.                  s'est vu refusé l'accès à un avocat;

 

c.                   a été confronté à des éléments de preuve inexistants ou inadmissible;

 

d.                  a été interrogé de manière agressive durant une période prolongée.

 

[30]           Seul, aucun de ces facteurs ne peut nécessairement constituer un fondement pour l'inadmissibilité, mais par contre cela pourrait être le cas en raison de la gravité qui pourrait y être attaché. Cependant, ces facteurs combinés entre eux ou avec d'autres circonstances peuvent devenir très importants quant à la question du caractère volontaire.

 

[31]           Je suis satisfait qu'aucun de ces facteurs ne soulève un doute raisonnable quant à l'existence de conditions et circonstances oppressives qui auraient entraînées une déclaration involontaire de la part du soldat Déry. Il n'a fait l'objet d'aucune privation, ne s'est pas vu refusé l'accès à un avocat, bien au contraire, il n'a pas été confronté à des éléments de preuve inexistants et il n'a été nullement interrogé de manière agressive et la durée de l'entrevue a été plutôt courte.

 

[32]           En conséquence, je conclus donc que la poursuite a démontré hors de tout doute raisonnable qu'il n'y avait eu aucune oppression présente pour l'obtention de la déclaration qui a fait l'objet du présent voir-dire.

 

[33]           L'état d'esprit conscient : L'état d'esprit conscient est une composante limitée de la capacité cognitive suffisante pour comprendre ce qu'une personne dit, ce qui est demandé et que sa déclaration peut-être utilisée à son propre détriment. L'habileté analytique n'est pas requise.

 

[34]           Il existe une distinction, d'une part, entre l'habileté à comprendre le contenu d'une déclaration et le fait qu'elle peut être utilisée contre soi, et d'autre part, se sentir pousser à faire une déclaration et l'absence de soucis par rapport aux conséquences d'un tel acte. L'absence d'habileté est un indicateur de l'absence de l'état d'esprit conscient requis et va directement à la question de l'admissibilité. Le fait de se sentir pousser et l'absence de soucis par rapport aux conséquences concerne simplement le poids qu'on doit y accorder. Le fardeau de prouver la capacité mentale repose sur la poursuite. S'il y a un doute raisonnable que les déclarations n'étaient pas le résultat d'un esprit conscient, elles doivent être jugées inadmissibles.

 

[35]           Il apparaît clairement de la preuve soumise par la poursuite, particulièrement l'enregistrement vidéo de l'interrogatoire, que le soldat Déry avait l'état d'esprit conscient requis. Il comprenait très bien ce qui était dit, ce qui lui était demandé et le fait que ce qu'il disait pouvait être utilisé contre lui. Dans les faits, il apparaît comme un individu articulé, conscient des risques auxquels il s'exposait, ayant la capacité de poser les questions nécessaire à sa compréhension de la situation lorsqu'il le jugeait nécessaire. En conséquence, je suis satisfait que la poursuite à prouver hors de tout doute raisonnable que le soldat Déry avait un état d'esprit conscient au moment où il a fait la déclaration verbale du 27 octobre 2011.

 

[36]           Les autres ruses des policiers : Les ruses policières comportent deux aspects qui entraînent une analyse distincte. Considéré avec les trois autres facteurs, cette question peut soulever un doute raisonnable de son propre chef ou en combinaison avec d'autres circonstances, quant au caractère volontaire. Parce qu'elles comportent aussi un objectif plus spécifique de maintenir l'intégrité du système de justice, les ruses policières peuvent mener à l'exclusion sans pour autant violer le droit au silence d'un accusé ou miner le caractère volontaire, si leur utilisation est si odieuse au point de choquer la collectivité.

 

[37]           Dans la présente cause, il n'y a aucune prétention que des ruses ont été utilisées dans le cadre de l'obtention de la déclaration par le maître de 2e classe Dumas. Au contraire, il a été démontré par la poursuite que le policier n'a pas utilisé de ruses. Il a plutôt écouté la version initiale du soldat Déry pour, par la suite, le confronté avec certaines informations qui lui a identifié comme étant contradictoire. En aucun temps, le maître de 2e classe Dumas a eu recours à des ruses odieuses au point de choquer la collectivité. Dans les faits, il n'en a utilisées aucune.

 

[38]           Suite à l'analyse de ces facteurs, que ce soit de manière individuelle ou en les considérant dans leur ensemble, j'en viens à la conclusion que la poursuite à démontrer hors de tout doute raisonnable le caractère libre et volontaire de la déclaration verbale qui a été faite par le soldat Déry le 27 octobre 2011.

 

[39]           Par contre le soldat Déry soulève le fait qu'à la lumière de sa première déclaration, la poursuite avait l'obligation de faire témoigner le caporal Hall afin de démontrer qu'elle n'avait pas pour effet de rendre inadmissible la déclaration qui est sous étude dans le présent voir-dire. De plus, le soldat Déry est d'avis que la poursuite aurait aussi dû faire témoigner les autres personnes en autorité qui ont été en contact avec lui au moment précédent l'interrogatoire, résultant en la présente déclaration sous étude.

 

[40]           Tel que l'a mentionné le juge en chef Dutil dans la décision R c Bergeron-Larose, 2012 CM 1012, il est de la responsabilité de la poursuite de fournir un dossier suffisant quant au contexte résultant en une déclaration par un accusé qu'elle cherche à rendre admissible en tant que preuve devant la cour. Elle doit donc faire témoigner chaque personne en autorité qui aurait raisonnablement pu affecter le caractère volontaire de cette déclaration.

 

[41]           En ce qui concerne les policiers qui ont accompagné soldat Déry au détachement de la Gendarmerie royale du Canada le 27 octobre 2011, il appert de la déclaration fournie par l'accusé qu'aucune conversation n'a eu lieu avec les policiers durant son transport. Son attitude et ses propos révèlent à la cour qu'il n'y a eu aucune véritable préoccupation à ce sujet et que dans les circonstances de cette affaire, ces policiers n'auraient pu raisonnablement affecter le caractère volontaire de la déclaration faite par le soldat Déry.

 

[42]           En ce qui a trait à l'impact de la déclaration du 25 octobre 2011 faite par l'accusé sur celle qu'il a faite le 27 octobre 2011, et qui est l'objet de ce voir-dire, il appert que le soldat Déry fait directement référence à l'application de la règle des confessions dérivées.

 

[43]           Dans le présent cas, le soldat Déry a fait référence au fait qu'il était de l'obligation de la poursuite de démontrer que la première déclaration qu'il avait faite n'a pas vicié la seconde par le fait que la première était admissible ou ne l’avait pas incité de manière importante à faire sa seconde déclaration à la police.

 

[44]           De son côté, la poursuite est d'avis qu'elle n'avait aucune démonstration à faire à la cour quant à la validité de la première déclaration faite par le soldat Déry le 25 octobre 2011 et de l'absence d'un impact de la part de cette déclaration sur la seconde parce que l'enquêteur qui effectuait l'interrogatoire et qui a obtenu une déclaration de la part du soldat Déry le 27 octobre 2011 a pris grand soin d'aviser ce dernier qu'il ne donnait aucune considération à la première déclaration, qu'il n'était pas dans l'obligation de répéter ce qu'il avait dit la première fois ou même de dire quoi que ce soit en raison du fait qu'il avait fait cette déclaration.

 

[45]           Dans R c S.G.T., [2010] CSC 20, la Cour suprême du Canada a réitéré le principe de la règle des confessions dérivées en ces termes aux paragraphes 28 et 29 :

 

[28]         En matière de confessions dérivées, l’arrêt de principe est R. c. I. (L.R.) et T. (E.), [1993] 4 R.C.S. 504.  Bref, la règle des confessions dérivées a pour effet de rendre inadmissibles les déclarations qui, examinées seules, paraissent volontaires, mais qui sont suffisamment liées à une confession antérieure non volontaire pour prendre elles aussi un caractère non volontaire et être donc inadmissibles.  Dans l’affaire susmentionnée, par exemple, un jeune contrevenant avait été accusé de meurtre au deuxième degré et avait fait une déclaration inculpatoire à la police.  Le lendemain, après s’être entretenu avec son avocat, il avait indiqué à la police qu’il voulait modifier la déclaration faite la veille.  Le juge du procès a écarté la première déclaration, mais a admis la seconde; le jury a déclaré l’accusé coupable.  Celui‑ci a porté en appel sa déclaration de culpabilité en soutenant que la seconde déclaration n’aurait pas dû être admise.  En dernier ressort, la Cour lui a donné raison.

 

[29]         En exposant les principes applicables aux confessions dérivées, la Cour a défini une approche contextuelle et fondée sur les faits qui vise à déterminer si une déclaration subséquente est suffisamment liée à une confession antérieure inadmissible pour être écartée elle aussi.  La Cour a énuméré divers facteurs à prendre en compte pour établir le degré de connexité, dont « le délai écoulé entre les déclarations, les allusions à la déclaration antérieure pendant l’interrogatoire, la découverte d’une preuve incriminante supplémentaire après la première déclaration, la présence des mêmes policiers au cours des deux interrogatoires et d’autres similarités entre les deux cas » (p. 526).  La Cour a ajouté 

 

Si on applique ces facteurs, une confession subséquente serait involontaire si les caractéristiques ayant vicié la première confession existaient toujours ou si la première déclaration était un facteur important qui a incité à faire la seconde déclaration.  [p. 526]

 

            La Cour a précisé qu’« [a]ucune règle générale n’excluait les déclarations subséquentes pour le motif qu’elles étaient entachées d’un vice indépendamment de leur degré de connexité avec la déclaration initiale admissible » (p. 526).

 

[46]           La poursuite a admis l'existence de la première déclaration faite par le soldat Déry en incluant la date, l'endroit et l'heure exacte, l'identité du policier qui l'a interrogé, le sujet abordé, le fait que ses droits légaux lui avaient été donnés en anglais, qu'il avait compris ses droits, qu'il avait renoncé à exercer son droit de consulter un avocat et qu'il avait fait une déclaration écrite. Cependant, la teneur de cette déclaration n'a pas été fournie à la cour.

 

[47]           Ceci dit, en appliquant l'approche contextuelle telle que définie par la Cour suprême du Canada dans S.G.T., la cour a pu déterminer :

 

a.                   qu'il y avait un délai de deux jours qui s'est écoulé entre les deux déclarations;

 

b.                  qu'il n'y avait eu aucune découverte de preuve incriminante entre les deux déclarations;

 

c.                   que deux policiers différents ont effectués les deux interrogatoires qui ont donné lieu aux deux déclarations; et

 

d.                  que lors du deuxième interrogatoire, la seule référence qui a été faite à la première déclaration venait d'abord du soldat Déry

 

            Le policier qui l'a interrogé a reconnu l'existence de la première déclaration mais n'y a jamais référé durant son interrogatoire.

 

[48]           De l'avis de la cour, le degré de connexité entre les deux déclarations est plutôt mince, dans les circonstances, en ce qu'il y a seulement un lien temporel entre elles considérant qu'elles ne sont séparées que par un intervalle de deux jours.

 

[49]           Je suis d'accord avec la poursuite que lorsque le policier a fait une mise en garde supplémentaire qu'il a expressément mentionné au soldat Déry qu'il recommençait complètement à neuf sans donner aucune considération à ce qu'il aurait dit lors de la première déclaration. Cela était suffisant pour démontrer qu'il n'y avait aucun lien entre les deux déclarations.

 

[50]           Ceci fait donc en sorte que la poursuite n'avait aucune obligation dans les circonstances de démontrer la validité de la première déclaration et de la produire afin que la cour prenne connaissance de sa teneur considérant l'absence évidente d'un lien ou d'une connexité quelconque qui aurait fait en sorte que la première déclaration faite par le soldat Déry aurait pu affecter le caractère volontaire de la seconde déclaration qu'il a faite.

 

[51]           En conséquence, la cour conclut qu'il n'était pas nécessaire d'appeler comme témoin le caporal Hall et de produire la première déclaration car cette preuve n'aurait pu raisonnablement affecter le caractère de la déclaration faite par le soldat Déry le 27 octobre 2011. En ce qui a trait au dessin effectué par l'accusé, la cour est d'avis qu'il a été produit volontairement par le soldat Déry dans le cadre de son interrogatoire et que par le fait même cela découle de sa déclaration que la cour considère admissible rendant ainsi admissible ce document. Finalement, concernant l'admissibilité du formulaire des droits légaux, la cour est d'avis qu'il est admissible en vertu de l'article 103 des Règles militaires de la preuve étant donné que l'original a été soumis à l'appréciation de la cour et qu'il a été identifié par un témoin compétent, soit le maître de 2e classe Dumas, qui a assisté et participé à son établissement.

 

POUR CES RAISONS, LA COUR

 

[52]           DÉCLARE que la poursuite à démontrer hors de tout doute raisonnable le caractère libre et volontaire de la déclaration verbale qui a été faite par le soldat Déry le 27 octobre 2011.

 

ET

 

[53]           DÉCLARE admissible le formulaire de droits légaux et le dessin effectué par le soldat Déry dans le cadre de sa déclaration faite le 27 octobre 2011.


 

Avocats:

 

Major A.-C. Samson, Service canadien des poursuites militaires

Major M. Pecknold, Service canadien des poursuites militaires

Avocates de la poursuivante

 

Capitaine de corvette P.D. Desbiens, Service d'avocats de la défense

Avocat pour le soldat J.C. Déry

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