Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 16 septembre 2013.

Endroit : BFC Petawawa, édifice L-106, Petawawa (ON).

Chef d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.).

Résultats
•VERDICT : Chef d’accusation 1 : Coupable.
•SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 30 jours.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Déry, 2013 CM 3024

 

Date : 20130920

Dossier : 201307

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Petawawa

Petawawa (Ontario) Canada

 

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Soldat J.C. Déry, accusé

 

Devant : Lieutenant-colonel L.-V. d'Auteuil, J.M.


 

Restriction à la publication : Par ordonnance de la cour rendue en vertu de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale et de l’article 486.4 du Code criminel, il est interdit de publier ou de diffuser, de quelque façon que ce soit, tout renseignement permettant d’établir l’identité de la personne décrite dans le présent jugement comme étant la plaignante.

 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Oralement)

[1]               Le soldat Déry est accusé d'une infraction d'ordre militaire punissable en vertu de l'article 130 de la Loi sur la défense nationale soit d'avoir agressé sexuellement I.F. le ou vers le 25 octobre 2011 à la base des Forces canadiennes Wainwright, Alberta, contrairement à l'article 271 du Code criminel.

[2]               Les faits sur lesquels se basent ce chef d'accusation se rapportent à un incident qui serait survenu dans la nuit du 24 au 25 octobre 2011 à la base des Forces canadiennes Wainwright en Alberta, dans le cadre de l'exercice MAPLE RESOLVE, plus précisément, l'agression sexuelle alléguée serait survenue dans la tente où couchait la plaignante et pendant qu'elle dormait et à la suite des célébrations qui avaient été tenues par l'unité pour souligner la fin de l'exercice militaire. La présente décision vise donc à déterminer si la poursuite a démontré hors de tout doute raisonnable que le soldat Déry a commis l'infraction qui lui est reproché.

[3]               La preuve devant cette cour martiale est constituée essentiellement des éléments suivants :

a)                  d'abord des témoignages qui ont été entendus devant la cour et dans l'ordre d'apparition des témoins : le maître de 2e classe Dumas, la caporale I.F. qui est la plaignante dans le présent dossier, le caporal Forster, le caporal da Silva, le caporal Abdou et le caporal-chef Frank;

b)                  la pièce 3, un disque DVD sur lequel a été copiée l'entrevue du 27 octobre 2011 du soldat Déry par la police militaire;

c)                  la pièce 4, le formulaire de droits légaux signé par le soldat Déry le 27 octobre 2011;

d)                  la pièce 5, un plan concernant la disposition des tentes dessiné par le soldat Déry dans le cadre de l'entrevue avec la police militaire réalisée le 27 octobre 2011;

e)                  la pièce 6, quatre photos prises par le maître de 2e classe Dumas, le 26 octobre 2011, du secteur des tentes où se serait produit l'incident allégué;

f)                    la pièce 7, un plan concernant la disposition intérieure de la tente où se serait produit l'incident allégué, et dessiné par la plaignante; et

g)                  aussi la cour a pris connaissance judiciaire des faits et questions qui sont du domaine de l'article 15 des Règles militaires de la preuve.

[4]               Les faits dans cette affaire peuvent se résumer comme suit : l'exercice MAPLE RESOLVE, s'est déroulé du 11 septembre 2011 à la fin du mois d'octobre 2011 sur le terrain d'entraînement de la BFC Wainwright en Alberta. Participaient à cet exercice, le 2e Groupe Brigade Mécanisé du Canada et le 2 HQ and Sigs Squadron. Le camp de l'unité était situé sur le terrain d'entraînement à Wainwright, il était constitué de tentes modulaires dans lesquelles couchaient les membres de l'unité divisé en troupes. Le 24 octobre constituait la date de la fin de l'exercice. À cette fin, il y a eu une petite célébration à l'unité qui a été soulignée par la tenue d'un « smoker », qui est un genre de barbecue, pour le souper. L'ensemble de l'exercice s'est déroulé sans alcool, sans consommation d'alcool, sans droit pour les membres de l'unité de consommer de l'alcool, mais lors du smoker de l'alcool a été distribué au souper et il y a aussi eu la vente ou la distribution d'alcool durant la soirée.

[5]               Une fois que le souper a eu lieu, plusieurs membres de l'unité ont ramené de l'alcool dans leurs tentes où ils couchaient. Les membres de l'unité de la plaignante, soit I.F., ont ramené de l'alcool dans leur tente et les gens ont fait jouer de la musique à l'aide de leur téléphone cellulaire ou tout autre appareil branché sur des haut-parleurs et ils ont socialisé à cet endroit. I.F. s'est jointe aux gens qui fêtaient un peu plus tard dans la soirée dans sa tente. Le soldat Déry qui était de la troupe B était présent déjà depuis un certain temps dans la tente de I.F., qui était un endroit servant aux membres de la troupe A. I.F. était dans la troupe A mais connaissait le soldat Déry déjà depuis un certain temps. Le soldat Déry aurait suivi I.F. lorsqu'elle sortait de sa tente et y revenait à au moins cinq reprises durant la soirée et il lui aurait fait des avances de nature sexuelle, ce qu'elle aurait refusé de manière catégorique à chaque fois. Elle aurait attiré l'attention sur ce fait auprès du soldat Abdou, un membre de sa troupe qui était présent dans la tente durant la soirée. Vers minuit, tout le monde serait allé se coucher, soit de leur propre chef, soit en raison de l'intervention du caporal Foster qui était de la troupe B et qui a rappelé aux membres de son unité la tâche de chauffeur que plusieurs devaient accomplir tôt le lendemain matin. Alors que les gens quittaient la tente, le soldat Déry aurait fait une dernière tentative auprès de I.F. alors qu'elle était assise sur son lit de camp. Elle a encore une fois refusé. I.F. s'est endormie rapidement compte tenu de son état de fatigue et qu'elle avait consommé de l'alcool durant la soirée.

[6]               La tente modulaire où couchait I.F. était composée de cinq modules attachés ensemble. La tente modulaire était de forme rectangulaire. L'entrée était située sur l'un des côtés courts qui forment le rectangle et l'autre côté court constituait le fond de la tente. Lorsqu'on se place à l'entrée de la tente, le lit de I.F. était situé tout au fond à droite. Le lit était collé ou très près du mur du fond de la tente. Le mur du fond de la tente est formé de deux panneaux qui sont attachés au centre du mur de haut en bas par des boutons en bois qui s'insèrent dans des petits cordons. Sur le côté, situé à l'extérieur du mur, sont alignés des sacs de sable pour maintenir le mur en place. I.F. a été réveillée par une main dans son sous-vêtement qui frottait son clitoris. Elle a alors vu le visage du soldat Déry qui était collé au sien à environ six pouces. La moitié du corps du soldat Déry était passé en-dessous de la modulaire comme remonté au-dessus de son lit et il avait sa main gauche dans le sous-vêtement de I.F. Sur le coup, I.F. a gelé, puis elle l'a repoussé en lui disant de ne pas faire cela. Elle s'est ensuite déplacée sur un lit de camp voisin du sien qui était vide en apportant son sac de couchage et son cellulaire. Elle s'est ensuite mise à pleurer puis elle a quitté la tente pour aller retrouver le caporal Foster.

[7]               Des messages texte auraient été échangés entre I.F. et le caporal Foster, I.F. et le soldat Déry ainsi qu'entre le soldat Déry et le caporal Foster. L'éclairage dans la tente était bon dans les circonstances car l'intérieur de la tente était entièrement blanc et un ou deux ordinateurs portables étaient en fonction au moment de l'incident ce qui aurait pour effet d'éclairer toute la tente. I.F. s'est rendue à la tente du caporal Foster et ce dernier sortait lorsqu'elle y entrait. Le caporal Foster a intercepté le soldat Déry dans le secteur où se trouvait la tente de I.F. Il y a eu une altercation entre les deux où le caporal Foster a été projeté au sol. Le caporal Frank est sorti de sa tente et il est intervenu. Il a renvoyé le soldat Déry à sa tente et il a discuté de la situation avec le caporal Foster.

[8]               Le caporal-chef Frank s'est rendu avec le caporal Foster à la tente de I.F., il a observé les lieux, il a tenté de recréer ce qui se serait passé. Il a constaté qu'il était possible de passer par le mur arrière de la tente et d'atteindre le lit de camp de I.F. de cette position. Le soldat Déry est revenu plus tard dans la tente de I.F. accompagné alors par son superviseur, il aurait dit au soldat Abou que c'était juste de la marde que c'était une salope. Le soldat Déry a été amené par la police militaire pour être interrogé.

[9]               Avant d'appliquer le droit aux faits de la cause il est important de traiter de la présomption d'innocence et de la norme de preuve hors de tout doute raisonnable qui est une composante essentielle de la présomption d'innocence.

[10]           Qu'il s'agisse d'accusations portées aux termes du Code de discipline militaire devant un tribunal militaire ou de procédures qui se déroulent devant un tribunal pénal civil pour des accusations criminelles, une personne accusée est présumée innocente jusqu'à ce que la poursuite est prouvée sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Ce fardeau de preuve ou ce fardeau de la preuve incombe à la poursuite tout au long du procès. Une personne accusée n'a pas à prouver son innocence. La poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments essentiels d'une accusation. Un doute raisonnable n'est pas un doute imaginaire ou frivole. Il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé. Il repose plutôt sur la raison et le bon sens. Il peut être fondé non seulement sur la preuve mais aussi sur l'absence de preuve. La preuve hors de tout doute raisonnable ne s'applique pas aux éléments de preuve individuels ou aux différentes parties de la preuve, elle s'applique à l'ensemble de la preuve sur laquelle s'appui la poursuite pour prouver la culpabilité. Le fardeau de la preuve incombe à la poursuite tout au long du procès et ne se déplace jamais sur les épaules de l'accusé. Un tribunal devra trouver l'accusé non coupable s'il a un doute raisonnable à l'égard de sa culpabilité après avoir évalué l'ensemble de la preuve.

[11]           Dans l'arrêt R c Starr, [2000] 2 RCS 144, au paragraphe 242, le juge Iacobucci pour la majorité a indiqué :

[...] qu’une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu’elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités....

            Il est toutefois opportun de se rappeler qu'il est virtuellement impossible de prouver quelque chose avec une certitude absolue et que la poursuite n'est pas tenue de le faire. Une telle norme de preuve n'existe pas en droit. En d'autres mots, si la cour est convaincue que le soldat Déry est probablement ou vraisemblablement coupable, elle doit l'acquitter car la preuve d'une culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable. La norme de preuve hors de tout doute raisonnable s'applique également aux questions de crédibilité. La cour n'a pas à décider d'une manière définitive de la crédibilité d'un témoin ou d'un groupe de témoins. Au surplus, la cour n'a pas à croire en la totalité du témoignage d'une personne ou d'un groupe de personne. Si la cour a un doute raisonnable relativement à la culpabilité du soldat Déry qui découle de la crédibilité des témoins, elle doit l'acquitter.

[12]           Qu'entend-t-on par la preuve? La preuve peut comprendre des affirmations solennelles ou des témoignages sous serment de personnes appelées à témoigner sur ce qu'elles ont vu ou fait. Elle peut aussi être constituée de documents, de photos, de cartes et d'autres éléments déposés par des témoins, de témoignages d'experts, de faits aussi officiellement admis par la poursuite ou la défense, et de matières dont le tribunal a connaissance judiciaire d'office en vertu des Règles militaire de la preuve. Il n'est pas rare que des éléments de preuve présentés au tribunal soient contradictoires. Des témoins ont souvent des souvenirs différents des évènements et le tribunal doit déterminer quels sont les éléments qu'il juge crédibles.

[13]           La crédibilité n'est pas synonyme de vérité et l'absence de crédibilité ne signifie pas mensonge. Le tribunal doit tenir compte de nombreux facteurs pour évaluer la crédibilité d'un témoignage, par exemple, il doit évaluer la possibilité d'observer qu'à eu le témoin, ce qui l'incite à se souvenir par exemple si les évènements étaient remarques, inhabituels et frappants ou, au contraire, insignifiants et par conséquent tout naturellement plus difficile à se remémorer. Il doit aussi se demander si le témoin a un intérêt dans l'issue du procès en d'autres termes, s'il a une raison de favoriser la poursuite ou la défense ou s'il est impartial. Ce dernier facteur s'applique aussi mais de façon différente à l'accusé bien qu'il soit raisonnable de présumer que l'accusé ait intérêt à se faire acquitter, la présomption d'innocence ne permet pas de conclure que l'accusé mentira lorsqu'il décide de témoigner.

[14]           Un autre élément permet de déterminer la crédibilité, la capacité apparente du témoin à se souvenir. Il est possible d'observer l'attitude du témoin pendant sa déposition pour évaluer sa crédibilité. Il faut se demander si le témoin a répondu aux questions avec naturel, si ses réponses étaient précises ou évasives ou encore hésitantes, s'il argumentait, et en fait, si son témoignage était cohérent et compatible avec les faits non contestés. Un témoignage peut comporter, et en fait, comporte toujours des contradictions mineures et involontaires mais cela ne doit pas nécessairement conduire à l'écarter. Il en va autrement de mensonges qui constituent toujours un acte grave et risque d'entacher l'ensemble d'un témoignage. Le tribunal n'est pas tenu d'accepter le témoignage d'une personne à moins que celui-ci ne lui paraisse crédible. Cependant, il jugera un témoignage digne de foi à moins d'avoir une raison de ne pas le croire.

[15]           L'article 271 du Code criminel est ainsi rédigé :

271.         Quiconque commet une agression sexuelle est coupable :

a)             soit d’un acte criminel [et] passible d’un emprisonnement maximal de dix ans...

b)            soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de dix-huit mois...

[16]           Dans l'arrêt R c Chase, [1987] 2 RCS 293, à la page 302, le juge McIntyre a donné une définition de l'agression sexuelle :

L'agression sexuelle est une agression, au sens de l'une ou l'autre des définitions de ce concept au par. 244(1) [maintenant le paragraphe 265(1)] du Code criminel, qui est commise dans des circonstances de nature sexuelle, de manière à porter atteinte à l'intégrité sexuelle de la victime.

            Le paragraphe 265(1) du Code criminel énonce notamment :

265. (1)   Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas :

a)             d’une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement;

[17]           Dans l'arrêt R c Ewanchuk, [1999] 1 RCS 330, il a été établi par la Cour suprême du Canada que pour qu'un accusé soit déclaré coupable d'agression sexuelle, deux éléments fondamentaux doivent être prouver hors de tout doute raisonnable : qu'il a commis l'actus reus et qu'il avait la mens rea requise.

[18]           L'actus reus de l'agression consiste en des attouchements sexuels non souhaités et il est établi par la preuve de trois éléments : les attouchements, la nature sexuelle des contacts, et l'absence de consentement.

[19]           Le consentement met en cause l'état d'esprit de la plaignante. La plaignante a-t-elle volontairement consenti à ce que l'accusé fasse ce qu'il a fait de la manière dont il l'a fait au moment où il l'a fait, autrement dit, la plaignante voulait-elle que l'accusé fasse ce qu'il a fait. Un accord volontaire est un accord que donne une personne qui est libre d'être en accord ou en désaccord de son propre gré.

[20]           Le seul fait que la plaignante n'ait pas résisté, ni livré bataille, ne veut pas dire qu'elle a consenti à ce que l'accusé a fait. Le consentement suppose nécessairement que la plaignante sait ce qu'il va arriver et décide sans l'influence de la force, de menace, de crainte, de fraude ou d'un abus d'autorité de laisser les évènements se produire.

[21]           La mens rea est l'intention de se livrer à des attouchements sur une personne tout en sachant que celle-ci n'y consent pas en raison de ses paroles ou de ses actes ou encore en faisant montre d'insouciance ou d'aveuglement volontaire à l'égard de cet absence de consentement.

[22]           Ici la poursuite devait prouver les éléments essentiels suivants hors de tout doute raisonnable :

a)                  la poursuite devait prouver l'identité de l'accusé et la date et le lieu allégués dans l'acte d'accusation;

b)                  la poursuite devait également prouver les éléments additionnels suivants :

i.                     le fait que le soldat Déry avait employé la force, directement ou indirectement, contre la plaignante;

ii.                   le fait que le soldat Déry avait employé la force de manière intentionnelle contre la plaignante;

iii.                  le fait que la plaignante n'avait pas consenti à l'emploi de la force;

iv.                 le fait que le soldat Déry avait connaissance de l'absence de consentement de la plaignante ou qu'il a fait preuve d'insouciance ou d'aveuglement volontaire à cet égard; et

v.                   le fait que les contacts du soldat Déry, à l'endroit de la plaignante, était de nature sexuelle.

[23]           En plus d'avoir pris connaissance du droit relatif à la charge de la preuve et au fardeau de preuve, j'ai aussi noté qu'il n'y a aucune exigence légale de corroboration du récit de la plaignante. Enfin, j'ai noté que le consentement est entièrement subjectif et qu'il exige « l’accord volontaire du plaignant à l’activité sexuelle » suivant l'article 273.1 du Code criminel.

[24]           Ainsi, après avoir procéder à cet exposé sur la présomption d'innocence et sur la norme de preuve hors de tout doute raisonnable, j'examinerai maintenant les questions en litige.

[25]           Il appert que dans les circonstances il y a lieu tout d'abord pour la cour d'apprécier la crédibilité et la fiabilité qu'elle se doit d'accorder aux différents témoignages qu'elle a entendu devant elle afin de déterminer les faits qu'elle entend retenir dans l'analyse des éléments essentiels de l'accusation. Tel que l'a avancé la poursuite, la preuve repose essentiellement sur le témoignage de la plaignante, I.F. I.F. a témoigné de manière franche, directe, calme et polie. Il est clair qu'il ne s'agissait pas d'une expérience agréable pour elle et qu'elle était un peu nerveuse et qu'elle avait envi d'en finir rapidement si cela était possible. Il est clair que qu'est-ce qui s'est passé constituait pour elle un évènement notoire et très particulier qui a imprégné sa mémoire. Elle a raconté à la cour qu'en raison de sa réaction lorsqu'elle a été agressée, il se peut qu'elle ait omis de se rappeler certains détails. Elle était catégorique quant à l'identification de la personne qui l'aurait agressée soit le soldat Déry. De manière générale, la plaignante répondait clairement aux questions des avocats. Lorsqu'elle n'était pas certaine de comprendre une question, elle n'hésitait pas à demander une clarification. Son récit dans son ensemble, était cohérent et logique. De plus, les témoins présentés par la poursuite et au moins un de la défense, ont corroboré les principaux évènements relatés par la plaignante.

[26]           Comme mentionné par l'avocat de la défense, le caporal Foster a semblé vouloir faire apparaître à la cour qu'il avait moins réagi émotionnellement qu'il semble ne l'avoir fait en réalité tel que relaté par le caporal Abdou et le caporal-chef Frank, cependant, cela ne constitue pas, de l'avis de la cour, un motif suffisant pour considérer l'ensemble de son témoignage non fiable et non crédible. En effet, il a témoigné de manière claire et cohérente. Il a répondu de manière franche et directe aux questions, il est clair que lors de la soirée de l'incident, il avait une certaine méfiance à l'égard du soldat Déry et que suite à ce que la plaignante lui a brièvement relaté, suite à l'incident, il en a été émotionnellement affecté. Cependant, la cour retient deux éléments de son témoignage qui apparaissent clairement fiable et crédible, soit que le soldat Déry se trouvait au petit matin dans le secteur de la tente de I.F. peu après l'incident allégué et qu'il était possible d'entrer par le mur arrière de la tente de I.F. et d'accéder au lit de cette dernière de cette position.

[27]           Le caporal da Silva et le caporal Abdou apparaissent à la cour comme étant crédibles et fiables. Ils étaient tous les deux détachés de l'incident. Il apparait à la cour qu'ils n'avaient aucune raison de favoriser l'accusé ou la plaignante. Il est vrai que le caporal Abdou a dû voir sa mémoire rafraîchir à quelques reprises mais c'est sans détour et avec franchise qu'il s'est rappelé certaines choses qu'il avait dites peu après l'incident. Ces deux témoins qui ont été appelé à témoigner, pour le caporal da Silva par la poursuite, et pour le caporal Abdou par la défense, ont confirmé, à-peu-près de la même manière et dans les mêmes termes, que la plaignante chuchotait quelque chose à l'effet d'aller se coucher, qu'ils pensaient tous les deux qu'elle leur parlait, qu'elle s'est levée et a changé de lit de camp, qu'elle a pleuré et qu'elle est sortie de la tente telle qu'elle-même l'avait relaté à la cour. Quant au fait que ces deux témoins n'ont pas vu d'agresseur, il appert que le caporal da Silva dormait et que le caporal Abdou était concentré sur un film qu'il regardait. Tous les deux ont vu leur attention attiré au même moment, soit lorsqu'ils ont tous les deux pensé que la plaignante leur parlait. De manière intéressante, le caporal Abdou a aussi admis que lorsque le soldat Déry avait été ramené dans sa tente après l'incident, ce dernier a fait une référence à une personne et le caporal Abdou savait à qui il référait compte tenu de ce qui s'était passé durant la soirée. En effet, le caporal Abdou a confirmé que la plaignante avait attiré son attention sur les agissements du soldat Déry à son égard durant la soirée, confirmant ainsi le récit de la plaignante sur cet aspect.

[28]           Le témoignage du caporal-chef Frank était intéressant à plus d'un égard. Disons tout d'abord qu'il avait fait sa propre opinion sur la situation et que son témoignage en était quelque peu influencé. Cependant, même si cela pouvait donner l'impression à la cour qu'il avait un certain parti pris en faveur de l'accusé, la cour ne croit pas que cela soit réellement le cas mais qu'en raison du fait qu'il avait procédé à sa propre enquête, il avait une opinion très personnelle de l'affaire. La cour retient quand même de son témoignage que le soldat Déry était dans le secteur de la tente de I.F. peu après l'incident; qu'il était possible de passer son corps et d'atteindre le lit de la plaignante par le mur arrière de la tente de cette dernière.

[29]           Il est vrai que le témoignage de I.F. peut comporter certaines contradiction mineures par rapport à ce qui a été relaté par les autres témoins, ce qui est normal considérant que le tout remonte quand même à presque deux ans. Cependant, la cour considère que lorsque la preuve est prise dans son ensemble, il apparait clairement que le témoignage de la plaignante pris seul ou en considérant l'ensemble des autres témoignages est fiable et crédible.

[30]           En ce qui a trait à l'identité, la cour considère que le témoignage de la plaignante est suffisant et qu'il a établi hors de tout doute raisonnable que c'est bien le soldat Déry qui a commis l'infraction. Au surplus, il appert des autres témoignages qu'il se trouvait dans le secteur de la tente de la plaignante peu de temps après l'incident. Quant à la date et le lieu de l'incident, l'ensemble des témoignages présentés à la cour ont établi hors de tout doute raisonnable ces éléments essentiels de l'infraction.

[31]           Concernant le fait que le soldat Déry avait employé la force, directement ou indirectement, contre la plaignante; qu'il avait employé la force de manière intentionnelle contre la plaignante; que la plaignante n'avait pas consenti à l'emploi de la force par le soldat Déry; que le soldat Déry avait connaissance de l'absence de consentement de la part de la plaignante ou qu'il a fait preuve d'insouciance ou d'aveuglement volontaire à cet égard; et que les contacts du soldat Déry à l'endroit de la plaignante était de nature sexuelle, la cour considère que le témoignage de I.F. a prouvé hors de tout doute raisonnable tous ces éléments essentiels. Elle a décrit de manière crédible et fiable comment le soldat Déry s'est comporté peu avant l'incident et comment il s'y est pris lorsqu'il l'a agressé.

[32]           Considérant l'ensemble de la preuve, la cour est convaincue que la poursuite s'est déchargée de son fardeau de preuve en établissant hors de tout doute raisonnable le fait que l'accusé a effectivement agressé I.F. sexuellement.

POUR CES RAISONS, LA COUR

 

[33]           DÉCLARE le soldat Déry coupable du premier et seul chef d'accusation à l'acte d'accusation.


 

Avocats:

 

Major A.-C. Samson, Service canadien des poursuites militaires

Major M. Pecknold, Service canadien des poursuites militaires

Avocates de la poursuivante

 

Capitaine de corvette P.D. Desbiens, Service d'avocats de la défense

Avocat pour le soldat J.C. Déry

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