Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 5 décembre 2011

Endroit : Le manège militaire Denison, 1 ruelle Yukon, Toronto (ON)

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 : Art. 129 LDN, négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats
•VERDICT : Chefs d'accusation 1: Coupable.
•SENTENCE : Une amende au montant de 1600$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence :  R c Patterson, 2011 CM 4028

 

Date :  20111205

Dossier :  201159

 

Cour martiale permanente

 

Manège militaire Lcol George Taylor Denison III

Toronto (Ontario), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Colonel D.A. Patterson, contrevenant

 

 

Devant : Lieutenant-colonel J-G Perron, J.M.

 


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]        Colonel Patterson, après avoir accepté et inscrit votre plaidoyer de culpabilité à l’accusation no 1, la cour vous déclare maintenant coupable de cette accusation. Vous avez plaidé coupable à une accusation d’avoir manié un pistolet 9 mm Browning de manière imprudente, contrairement à l’obligation qui vous incombait, ce qui a provoqué l’éjection d’une cartouche non éclatée, laquelle manoeuvre constitue une négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline. La cour doit maintenant déterminer une peine juste et appropriée en l’espèce.

 

[2]        L’exposé des circonstances, dont vous avez formellement admis que les faits qui y sont énoncés constituent une preuve concluante de votre culpabilité, fournit à la cour les circonstances entourant la perpétration de l’infraction.

 

[3]        Le matin du 5 septembre 2011, à la Base d’opérations avancée Lindsay, située dans la province de Kandahar, en Afghanistan, vous avez inséré un chargeur plein dans votre pistolet 9 mm Browning, conformément au niveau d’alerte. Comme ce niveau d’alerte était en vigueur depuis plusieurs jours, il s’agissait là d’une activité normale. Vous avez ensuite rangé votre pistolet dans son étui.

 

[4]        Vous avez ensuite marché en direction de votre bureau, situé au centre régional de coordination opérationnelle, au complexe conjoint régional des forces de sécurité afghanes tout en transportant une caisse de douze bouteilles d’eau et votre mallette. Vous vous êtes arrêté au baril servant à la décharge des armes pour décharger votre arme conformément aux ordres. Étant donné que vous aviez les bras chargés, vous avez armé votre pistolet une fois et vous vous êtes assuré que la chambre était vide. Comme vous étiez distrait à ce moment-là, vous n’avez pas vu que votre arme contenait encore un chargeur plein et vous n’avez pas armé votre pistolet une deuxième fois. Vous avez replacé l’arme dans son étui et avez marché jusqu’à votre bureau.

 

[5]        Environ 20 minutes plus tard, vous avez constaté que le marteau de votre pistolet était toujours à l’arrière et que le chargeur se trouvait encore dans le puits. Vous avez retiré le pistolet de l’étui, vous l’avez pointé en direction du plancher devant vous et vous avez appuyé sur la gâchette pour dégager le ressort, sans réaliser qu’il y avait une cartouche dans la chambre. L’arme a été déchargée en direction du plancher de béton du bureau. Lors de l’incident, un interprète afghan était présent dans la pièce, à environ deux à trois mètres à votre droite, légèrement en retrait.

 

[6]        Personne n’a été blessé. La balle n’a fait qu’endommager superficiellement le plancher de béton. Vous avez récupéré la balle et l’étui. Vous avez immédiatement signalé l’incident aux autorités militaires canadiennes et remis votre arme pour qu’elle soit inspectée. Vous avez rencontré la police militaire, fourni une déclaration complète et remis la balle récupérée et son étui.

 

[7]        Aucun autre témoin n’était présent et la preuve ne montre nullement que le coup de feu a été entendu par une autre personne. Il est donc peu probable que l’infraction aurait été signalée aux autorités militaires canadiennes si vous n’aviez pas fait ce signalement vous-même.

 

[8]        Après avoir révisé les principaux faits de la présente affaire, je passerai maintenant en revue les règles de droit applicables.

 

[9]        Comme la Cour d’appel de la cour martiale l’a souligné, la détermination de la peine est un processus fondamentalement subjectif et individualisé où le juge du procès a l’avantage d’avoir vu et entendu tous les témoins; il s’agit sans doute de l’une des tâches les plus difficiles que le juge du procès doit remplir (voir R c Tupper 2009 CMAC 5, par. 13).

 

[10]      La Cour d’appel de la cour martiale a également mentionné en toutes lettres que les objectifs fondamentaux de la détermination de la peine, qui sont énoncés dans le Code criminel du Canada [1], s’appliquent dans le contexte du système de justice militaire et qu’un juge militaire doit examiner ces objectifs lors de la détermination de la peine (voir R c Tupper, par. 30). L’objectif fondamental de la détermination de la peine est de contribuer au respect de la loi et à la protection de la société, ce qui comprend les Forces canadiennes, par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a)         dénoncer le comportement illégal;

 

b)         dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;

 

c)         isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

 

d)         favoriser la réinsertion sociale des délinquants;

 

e)         assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;

 

f)         susciter la conscience de leur responsabilité chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.

 

[11]      La cour doit décider si la protection du public serait mieux servie par la dissuasion, la réinsertion sociale, la dénonciation ou une combinaison de ces facteurs.

 

[12]      Les dispositions du Code criminel liées à la détermination de la peine, soit les articles 718 à 718.2, prévoient un processus individualisé selon lequel il faut prendre en considération non seulement les circonstances de l’infraction, mais aussi la situation particulière du contrevenant (voir R c Angelillo, 2006 CSC 55, au par. 22). Une peine doit également respecter le principe de l’harmonisation des peines (voir R c L.M., 2008 CSC 31, au par. 17). Le principe de proportionnalité constitue un élément central de la détermination de la peine (voir R c Nasogaluak, 2010 CSC 6, au par. 41). La Cour suprême du Canada précise que le principe de la proportionnalité signifie que la sanction ne doit pas dépasser ce qui est juste et approprié compte tenu de la culpabilité morale du délinquant et de la gravité de l’infraction.

 

[13]      La cour doit également infliger une peine équivalant au minimum nécessaire pour maintenir la discipline. L’infliction d’une peine dans le contexte militaire vise essentiellement le rétablissement de la discipline chez le contrevenant et dans les rangs de la société militaire.

 

[14]      Les avocats de la poursuite et de la défense ont proposé conjointement une amende de 1 600 $ à titre de peine. La Cour d’appel de la cour martiale a souligné en toutes lettres que le juge appelé à prononcer une peine ne peut rejeter la recommandation conjointe des avocats, à moins que la peine proposée ne soit de nature à déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle ne soit pas dans l’intérêt public.

 

[15]      Je décrirai maintenant les circonstances aggravantes et les circonstances atténuantes dont j’ai tenu compte pour déterminer la peine qui convient en l’espèce. À mon avis, les circonstances suivantes sont des circonstances aggravantes :

 

a)         L’infraction prévue à l’article 129 est une infraction grave sur le plan objectif, puisque la peine maximale pouvant être infligée aux personnes déclarées coupables de cette infraction est la destitution ignominieuse du service de Sa Majesté. Bien que la décharge négligente d’une arme à feu dans un bureau soit habituellement considérée comme une infraction très grave, j’estime que les circonstances particulières de la présente affaire en atténuent la gravité sur le plan subjectif. Même si vous avez été négligent lors du maniement de l’arme, vous n’avez pas été insouciant, puisque vous avez pointé votre pistolet en direction du plancher de ciment, loin de l’autre personne qui se trouvait dans la pièce. Personne n’a été blessé et aucun dommage n’a été causé au matériel militaire;

 

b)         L’incident est survenu au cours du dernier mois d’une affectation de 12 mois en Afghanistan. Je ne puis dire que je suis d’accord avec l’avocate lorsqu’elle affirme qu’il peut s’agir d’un facteur atténuant, puisqu’il est facile d’être distrait à la fin d’une affectation. La complaisance est un ennemi très dangereux et la source de nombreuses erreurs à la fin de l’affectation. Nous sommes tous très conscients de cette réalité, ou nous devrions l’être. Les personnes qui occupent une position de leadership doivent s’assurer que chaque soldat est conscient de cette menace et donner l’exemple qui s’impose;

 

c)         Vous auriez pu empêcher que l’incident en question se produise à deux occasions : la première fois, en suivant la procédure appropriée au baril servant au déchargement des armes et, la deuxième fois, lorsque vous avez constaté que le marteau de votre pistolet se trouvait à l’arrière.

 

[16]      En ce qui concerne les circonstances atténuantes, je souligne ce qui suit :

 

a)         Vous n’avez pas de fiche de conduite et il s’agit de votre première infraction;

 

b)         Il semble que les autorités canadiennes n’auraient peut-être rien su de cet incident si vous n’aviez pas décidé de le leur signaler vous-même. Vous avez remis la balle et l’étui à la police militaire, fourni une déclaration complète et mentionné que vous souhaitiez plaider coupable le plus tôt possible. Vous avez démontré un véritable sens du leadership tout au long du processus en admettant votre erreur et en acceptant d’en subir les conséquences;

 

c)         Comme votre avocate l’a souligné à juste titre, votre conduite, surtout les circonstances entourant le signalement de cette décharge négligente, démontre un remarquable sens du leadership chez vous. Je conviens avec les deux avocats que ce facteur atténuant est le facteur le plus important dont la cour doit tenir compte en l’espèce. Votre sens du leadership exceptionnel est reconnu très clairement dans les quatre rapports d’évaluation de votre rendement que votre avocate a présentés. Vous avez reçu la Médaille du service méritoire en reconnaissance des services que vous avez rendus au cours de votre affectation à l’Opération Augural, la contribution militaire du Canada à la Mission de l’Union africaine au Soudan. Vous avez également reçu la Bronze Star Medal, qui est une décoration américaine, pour les services méritoires que vous avez rendus en Afghanistan;

 

d)         Comme je l’ai déjà souligné, vous avez été négligent, mais vous n’avez pas agi d’une façon qui aurait pu représenter un danger pour autrui.

 

[17]      Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, la jurisprudence et les observations des deux avocats, je conviens que la dissuasion générale constitue le principal facteur à prendre en compte. J’en suis arrivé à la conclusion que la peine proposée n’est pas de nature à déconsidérer l’administration de la justice et qu’elle est dans l’intérêt public. En conséquence, j’accepte la proposition conjointe du procureur de la poursuite et de votre avocate.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR

 

[18]      VOUS CONDAMNE à payer une amende de 1 600 $.


 

Avocats :

 

Lieutenant-Colonel M. Trudel, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Major S. Collins, Direction du service d’avocats de la défense

Avocate du Colonel Patterson



[1] L.C., 1985, ch. C-46

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