Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 22 octobre 2010

Endroit : Garnison Valcartier, Édifice 534 (l'Académie), Courcelette (QC)

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 (subsidiaire au chef d'accusation 2) : Art. 114 LDN, vol.
•Chef d'accusation 2 (subsidiaire au chef d'accusation 1) : Art. 116b) LDN, a volontairement vendu de façon irrégulière un bien appartenant à un autre justiciable du code de discipline militaire.
•Chef d'accusation 3 : Art. 116a) LDN, a volontairement endommagé un bien public.
•Chef d'accusation 4 (subsidiaire au chef d'accusation 5) : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
•Chef d'accusation 5 (subsidiaire au chef d'accusation 4) : Art. 130 LDN, un méfait public (art. 140(2) C. cr.).

Résultats
•VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 5 : Une suspension d'instance. Chefs d'accusation 2, 3, 4 : Coupable.
•SENTENCE : Un blâme et une amende au montant de 1000$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Goulet, 2010 CM 1017

 

Date : 20101021

Dossier : 201041

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Valcartier

Courcelette, Québec, Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Ex-soldat A.M.T. Goulet, contrevenant

 

 

Devant : Colonel M. Dutil, J.M.C.

 


 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

[1]               L'ex-soldat Goulet a reconnu sa culpabilité aux trois chefs d'accusation suivants : premièrement au deuxième chef, soit d'avoir vendu de façon irrégulière un bien appartenant à un autre justiciable du code de discipline militaire, contrairement au paragraphe 116 (b) de la Loi sur la défense nationale; deuxièmement au troisième chef, soit d'avoir volontairement endommagé un bien public, contrairement au paragraphe 116 (a) de la Loi sur la défense nationale; finalement au quatrième chef, soit un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline, contrairement à l'article 129 de la Loi sur la défense nationale. La cour a accepté et enregistré ces aveux de culpabilité et elle a ordonné une suspension d'instance à l'égard du premier et du cinquième chef d'accusation.

 

[2]               Les circonstances de cette affaire ont eu lieu à la garnison Valcartier ou ont débuté à la garnison Valcartier:

 

            Au début de l'année 2009, la compagnie B du 1er Bataillon du Royal 22e Régiment a été envoyée en exercice au Texas. Lors de cet exercice, le soldat Goulet s'est lié d'amitié avec le soldat Thibault. À leur retour de l'exercice en mars 2009, le soldat Thibault, à la demande du soldat Goulet et pour lui rendre un service, a accepté d'emblée de lui prêter son ordinateur portable personnel, d'une valeur de 1400 dollars. À l'époque, le soldat Goulet avait prétexté que l'ordinateur qu'il possédait, ne fonctionnait pas correctement lorsqu'il naviguait sur internet. Quelques mois plus tard, le soldat Thibault a demandé au soldat Goulet s'il pouvait récupérer son bien. Le soldat Goulet lui a alors dit qu'il avait dû envoyer en réparation l'ordinateur qu'il lui avait prêté, en raison d'un bris. En juillet 2009, le soldat Goulet a informé le soldat Thibault que l'ordinateur avait été réparé, mais qu'il ne pouvait lui rendre parce que ce dernier était chez son père sur l'île d'Orléans. Il a précisé qu'il le rapporterait avant les vacances du mois de juillet, ce qui n'a pas été fait.  À leur retour de vacances, au début du mois d'août, le soldat Goulet a indiqué à son ami Thibault qu'il s'était fait voler l'ordinateur pendant son congé. Ils conviennent alors que Goulet remettrait à Thibault la somme de 800 dollars étalée sur plusieurs versements pour la perte encourue. Le soldat Goulet demande alors au soldat Thibault de lui remettre la facture de l'ordinateur pour qu'il puisse la transmettre aux policiers militaires. Il lui mentionne qu'il réglerait le tout avec lui dès que les policiers militaires lui redonneraient des nouvelles.

 

            Or dans les faits, le 27 juillet 2009, le soldat Goulet avait déjà contacté les policiers militaires pour signaler une introduction par effraction à sa chambre du module 18 de la bâtisse 302. Il dit aux policiers militaires avoir quitté sa résidence le 3 juillet 2009, pour trois semaines, et qu'à son retour à la fin juillet 2009, il constata que sa porte de chambre avait été enfoncée ou défoncée. Il indiqua avoir été dépouillé de son ordinateur portable personnel, sans préciser qu'il s'agissait de celui du soldat Thibault, et d'une console de jeux X-Box 360. Il mentionna également être en mesure de fournir les preuves d'achat de ces objets aux policiers militaires. Au moment de déposer sa plainte, il rédigea une déclaration à cet effet. Le même jour, le soldat Goulet se rendit sur les lieux avec les policiers pour leur permettre de constater l'état des lieux. Dans les jours suivants, les policiers ont entrepris le début de leur enquête en interrogeant les résidants du module en question. Aucun des résidants n'avait eu connaissance de cet introduction par effraction.

 

            Quelques jours plus tard, les policiers militaires tentent d'entrer en contact avec le soldat Goulet mais sans succès. Le 17 août 2009, ils réussissent à lui parler via un nouveau numéro de téléphone fournit par le père du soldat Goulet. Le soldat Goulet indique alors désirer les rencontrer afin d'accélérer le processus puisqu'il avait besoin de leur rapport pour finaliser sa procédure de sortie des logements de célibataires.

 

            Au cours de cette période, le soldat Thibault avait demandé au soldat Goulet le résultat de sa démarche auprès des autorités policières. Ce dernier lui avait indiqué être toujours en attente des résultats de l'enquête. Insatisfait, le 27 août 2009, le soldat Thibault se présente directement au poste de la police militaire. C'est lors de ce passage que les policiers apprennent que le soldat Goulet leur avait menti puisque l'ordinateur rapporté volé ne lui appartenait pas mais plutôt au soldat Thibault.

 

            Le 4 septembre 2009, le soldat Goulet a été de nouveau rencontré par les policiers militaires, sur leur invitation. Au cours des 30 premières minutes de l'entrevue, le soldat Goulet corrobore sa déclaration originale, en y apportant quelques nouveaux éléments factuels, dont le vol de pièces d'équipement de hockey. Après certains échanges verbaux de la part des policiers, le soldat Goulet admet finalement ne pas être le propriétaire de l'ordinateur portable et d'avoir vendu l'appareil chez Instant Comptant le 21 mars 2009, une entreprise de prêt sur gage. Il avoue alors avoir emprunté l'ordinateur de son ami Thibault pour, par la suite, le revendre sans le consentement de celui-ci et à son insu. Il reconnait aussi être toujours en possession de sa console de jeux X-Box 360 ainsi que de son équipement de hockey. Il indique au surplus avoir lui-même défoncé la porte de sa chambre pour laisser croire à un vol, et ça, avant le début du mois de juillet 2009.

 

            Le 15 septembre 2009, le soldat Thibault accompagné de policiers militaires est allé récupérer son ordinateur portable directement chez Instant Comptant. Le soldat Thibault doit alors verser la somme de 160 dollars pour reprendre possession de son propre ordinateur personnel.

 

            En ce qui concerne les dommages qui ont été causés à sa chambre, la perte a été établie à une centaine de dollars.

 

            Cela conclut le résumé des circonstances qui entouraient la commission des infractions.

 

[3]               Les procureurs en présence ont présenté à la cour ce matin, une suggestion commune relativement à la sentence que cette cour devrait imposer. Les procureurs recommandent à la cour d’infliger une sentence composée d'un blâme et d'une amende de 1000 dollars.  Les procureurs soumettent que la peine de blâme est pertinente et importante dans le contexte de cette affaire même si le contrevenant a été libéré des Forces canadiennes avant la tenue de cette cour martiale parce qu'elle vise spécifiquement l'objectif de dissuasion générale nécessaire en l'espèce. Il faut toutefois comprendre que l'obligation d'en arriver à une sentence adéquate incombe au tribunal qui a le droit de la rejeter, mais seuls des motifs incontournables peuvent permettre au tribunal de s'écarter de la proposition commune. Ainsi, le juge devrait accepter la suggestion commune des avocats à moins qu’elle ne soit jugée inadéquate ou déraisonnable, contraire à l’ordre public ou qu’elle déconsidèrerait l’administration de la justice, par exemple, si elle tombe à l’extérieur du spectre des sentences qui auraient été précédemment infligées pour des infractions semblables. En contrepartie, les avocats sont tenus d'exposer au juge tous les faits à l'appui de la proposition commune.

 

[4]               Lors de l'audition sur la détermination de la sentence, outre le sommaire des circonstances, les documents usuels qui portent sur les états de service de l'accusé et l'information relative à sa solde et indemnités, la preuve documentaire soumise fait état notamment que le contrevenant a un emploi stable où il est très apprécié et qu'il est un membre actif dans une équipe de hockey sénior dans une ligue de la Mauricie. L'accusé a une fiche de conduite, toutes les condamnations étant reliées à des absences sans permission répétées, mais il n'a pas de dossier criminel. L'ex-soldat Goulet est âgé de 23 ans. Il avait 22 ans au moment de la commission des infractions. Il a été depuis libéré des Forces canadiennes sous l'item de libération 5(f), soit inapte à continuer son service militaire et cet item de libération 5(f) évidemment est celui du Tableau ajouté à l'article 15.01 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes. Une telle libération s'applique généralement à la libération d'un militaire qui, soit entièrement soit principalement à cause des facteurs en son pouvoir, manifeste des faiblesses personnelles ou un comportement ou a des problèmes de famille ou personnels qui compromettent grandement son unité ou imposent un fardeau excessif à l'administration des Forces canadiennes. Dans le cas particulier de l'ex-soldat Goulet, il a été libéré pour avoir enfreint la politique des Forces canadiennes sur les drogues. Sa carrière militaire n'aura duré qu'environ 4 ans au sein du Royal 22e Régiment.

 

[5]               La défense a également déposé en preuve ce matin, avec le consentement du procureur de la poursuite, un document signé par l'ex-soldat Goulet où il indique qu'il s'engage à consulter des personnes compétentes dans le domaine de la toxicomanie. Ledit engagement comporte également la promesse de la mère du contrevenant qu'elle va le soutenir dans ses démarches. La défense a déposé un autre document signé par la victime cette fois, où il confirme avoir reçu la somme de 800 dollars de la part du contrevenant, soit 500 dollars en argent comptant et un chèque de 300 dollars signé par la mère de l'ex-soldat Goulet.

 

[6]               Hier, la cour a entendu les témoignages de l'ex-soldat Goulet et de sa mère, Madame Blouin. Le témoignage de l'ex-soldat Goulet nous révèle qu'au moment de la commission des infractions, il avait un sérieux problème de consommation de cocaïne. Ce problème expliquerait en grande partie ses absences sans permission répétées et il serait la raison principale pour laquelle il aurait commis les infractions qui sont devant cette cour. D'une part, il devait travailler la nuit pour payer sa consommation de drogue, mais il devait aussi se présenter à son unité le lendemain pour y accomplir ses devoirs militaires. D'autre part, ses revenus d'emplois étaient devenus insuffisants. De son propre aveu, cette spirale l'a poussé à s'approprier l'ordinateur de son copain pour ensuite le vendre afin de payer sa consommation de drogue. Cette situation l'a ensuite conduit à mentir prétextant qu'il avait été victime du vol de cet ordinateur, allant même jusqu'à endommager la porte de sa chambre dans les quartiers de célibataires pour soutenir une telle théorie frauduleuse. Ce stratagème s'est terminé lorsqu'il a été confronté par les policiers et qu'il admette finalement que tout cela n'était que pure invention. Bien que très tardivement, soit le 21 octobre 2010, l'ex-soldat Goulet a remboursé son ancien ami pour son geste en lui donnant une somme de 800 dollars, alors que ce dernier avait du débourser la somme de 160 dollars pour récupérer son ordinateur chez le prêteur sur gages. L'ex-soldat Goulet a depuis été libéré des Forces canadiennes parce qu'il était de toute évidence inapte au service militaire. Relativement aux gestes qu'il a commis et qui font l'objet de cette cour martiale, l'ex-soldat Goulet a admis que cela ne se faisait pas et qu'il regrette avoir trahi la confiance de son ami et ex-collègue de travail pour satisfaire sa consommation de drogues. Selon lui, le soldat Thibault ne lui en voudrait pas ou, à tout le moins, ne lui en voudrait plus. L'ex-soldat Goulet travaille depuis quelques mois au sein d'une entreprise de construction de la région de Québec à titre d'homme à tout faire. Il devait bientôt pouvoir suivre un cours en santé et sécurité au travail qui lui permettra d'avoir accès aux chantiers de construction. Il aspire à devenir charpentier-menuisier en débutant par le statut d'apprenti. Son nouvel employeur se déclare très satisfait de ses services et décrit l'ex-soldat Goulet comme une personne ponctuelle et travaillante. Cela contraste avec la fiche de conduite de l'ex-soldat Goulet qui regorge de condamnations d'absence sans permission. Force est de constater que l'ex-soldat Goulet semble avoir amorcé un virage positif depuis quelques mois, non seulement en raison de son nouveau travail, mais en s'adonnant à son sport favori, le hockey sur glace, dans la ligue de hockey senior de la Mauricie. Depuis quelques mois, l'ex-soldat Goulet a accepté de retourner vivre chez sa mère à Beauport, en attendant d'être prêt à voler de nouveau de ses propres ailes. Il croit être sur la bonne voie pour résoudre son problème de drogues par lui-même. Il admet toutefois qu'il en ait consommé une fois, il y de cela quelques semaines à peine, avec les personnes qu'il prétend être ses amis, et ce, après qu'ils lui en auraient offert alors qu'il était apparemment sobre depuis près de 2 mois. Il est d'ailleurs permis de se questionner sérieusement sur la valeur de telles amitiés lorsque ces amis vous offrent de la drogue sachant que vous essayer de vous en sortir. Il est dommage que l'ex-soldat Goulet ne semble pas encore réaliser à quel point il devra donner un sérieux coup de barre pour se pousser loin de telles relations afin de pouvoir se tisser un nouveau réseau social s'il désir sincèrement s'affranchir de sa dépendance aux drogues. Son engagement à obtenir l'aide de professionnels dans le domaine de la toxicomanie est certes un pas dans la bonne direction.

 

[7]               Force est d'admettre que la situation de l'ex-soldat Goulet est très précaire et qu'il est un jeune homme de 23 ans très fragile. D'une part, il semblait croire hier qu'il a la capacité de surmonter ses obstacles reliés à la drogue par lui-même, par sa simple volonté. Avec respect, une telle approche est naïve et il est loin d'avoir convaincu la cour qu'il est apte à le faire tout seul et qu'il possède à ce stade-ci les outils nécessaires pour y arriver. Tel qu'en fait foi sa rechute des dernières semaines, il devrait chercher toute l'aide qui pourrait lui être disponible et ainsi mettre toutes les chances de son côté, y compris en se confiant à des personnes qui lui sont chères et qui lui apporteraient leur soutien et leur compréhension. Le dépôt de l'engagement ce matin est crucial dans le contexte de cette affaire pour que la cour accepte d'entériner la suggestion commune des procureurs.

 

[8]               La mère de l'ex-soldat Goulet a décrit comment la consommation de drogue de son fils a été néfaste pour ce dernier, elle qui croyait que l'ex-soldat Goulet ne tomberait pas dans l'enfer de la drogue après avoir été lui-même témoin des malheurs que la drogue a pu causer à un autre membre de sa famille quelques années plus tôt, est pour elle incompréhensible. Il semble que la consommation de drogue de son fils coïncide avec son séjour au sein des Forces armées, là où, selon elle, il n'était pas heureux. D'ailleurs, elle croyait à tort que son fils avait quitté les Forces armées de son propre chef. Aujourd'hui, elle s'est dite ou plutôt hier elle s'est dite encouragée de voir son fils heureux à nouveau en raison de son nouvel emploi dans le domaine de la construction et le fait d'avoir renoué avec sa passion qu'est le hockey. Elle a témoigné que son fils est assidu au travail, qu'il se couche et se lève-tôt. Selon la mère de l'ex-soldat Goulet, il est maintenant sobre et elle se dit confiante qu'il oserait lui confier si jamais il devait consommer à nouveau, mais du même souffle elle admettait que son fils pourrait rechuter sans pour autant lui dire. La mère de l'ex-soldat Goulet croit son fils lorsqu'il lui confie qu'il a fini de berner tout le monde. Il lui apparaît comme un jeune homme heureux qui a maintenant le goût de vivre en famille. D'ailleurs, l'ex-soldat Goulet est le parrain d'un nouveau-né dans leur famille. Elle a témoigné avec candeur et il ne fait aucun doute que l'amour qu'elle a pour son fils est inconditionnel. Il est tout aussi évident qu'elle est très engagée et prête à le supporter dans sa démarche de vaincre ses démons et à l'aider à de devenir un jeune adulte responsable. L'ex-soldat Goulet devrait pouvoir y trouver une motivation additionnelle pour continuer dans sa nouvelle voie avec courage, détermination et humilité. J'espère qu'il réalise la chance qu'il a de pouvoir compter sur une personne qui croit autant en lui.

 

[9]               L'imposition d'une sentence est la tâche la plus difficile d'un juge. La Cour suprême du Canada a reconnu dans l’arrêt R. c. Généreux[1]que « pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace ». Elle a souligné que dans le contexte particulier de la discipline militaire, les manquements à la discipline devaient être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil. Or, le droit ne permet pas à un tribunal militaire d’imposer une sentence qui se situerait au-delà de ce qui est requis dans les circonstances de l’affaire. En d’autres mots, toute peine infligée par un tribunal, qu’il soit civil ou militaire, doit être individualisée et représenter l’intervention minimale requise puisque la modération est le principe fondamental de la théorie moderne de la détermination de la peine au Canada.

 

[10]           Lorsqu'il s'agit de donner une sentence appropriée à un accusé pour les fautes qu'il a commises et à l'égard des infractions dont il est coupable, certains objectifs sont visés à la lumière des principes applicables quoiqu'ils varient légèrement d'un cas à l'autre. La cour a examiné la suggestion commune des procureurs à la lumière de l’ensemble de la preuve présentée durant la partie de l’audition portant sur la détermination de la sentence, y compris le sommaire des circonstances entourant la commission des infractions, et ce, en fonction des principes applicables en matière de détermination de la peine, y compris les objectifs et les principes contenus aux articles 718, 718.1 et 718.2 du Code criminel lorsqu’ils sont compatibles avec les éléments suivants, soit :

 

d'une part, les exigences impératives pour garantir le maintien d'une force armée disciplinée, opérationnelle et efficace; et

 

d'autre part, le régime de détermination de la sentence aux termes de la Loi sur la défense nationale.

 

[11]           Le prononcé de la sentence lors d'une cour martiale a pour objectif essentiel de contribuer au respect de la loi et au maintien de la discipline militaire par l'infliction de peines justes visant entre autres un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a.                   dénoncer le comportement illégal;

 

b.                  dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;

 

c.                   isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

 

d.                  favoriser la réinsertion du contrevenant dans son environnement au sein des Forces canadiennes ou dans la vie civile; et

 

e.                   susciter la conscience de leurs responsabilités chez les contrevenants militaires.

 

[12]           La sentence doit également prendre en compte les principes suivants. Elle doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction, les antécédents du contrevenant, ainsi que son degré de responsabilité. La sentence doit prendre également en compte le principe de l'harmonisation des peines, c'est-à-dire l'infliction de peines semblables à celles infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables. La cour a l'obligation, avant d'envisager la privation de liberté, d'examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient. Finalement, la sentence devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l'infraction ou à la situation du contrevenant et prendre en compte toute conséquence indirecte du verdict et de la sentence sur le contrevenant.

 

[13]           Dans le contexte des infractions portées aux termes de l'article 116 de la Loi sur la défense nationale et de l'article 430 du Code criminel, la clémence n'est pas de mise en l'absence de l'expression claire et non équivoque de remords sincères et de la restitution complète des victimes. Lorsqu'il s'agit de méfait public ou d'un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline pour avoir fait commencer une enquête de police afin de cacher un crime ou de faire dériver les soupçons vers une autre personne, la sentence sera résolument sévère si la personne a des antécédents judicaires pour des infractions relatives à l'administration de la justice et si le degré de planification de l'infraction est élevé.

[14]           Dans cette affaire, la cour considère les circonstances suivantes comme aggravantes:

 

a.                   le fait que l'ex-soldat Goulet s'est servi de la confiance d'un de ses pairs pour le priver de sa propriété en la vendant à un prêteur sur gages pour se payer de la drogue sans se soucier du tort qu'il causait à un collègue et ami du même bataillon. Cette situation a d'ailleurs eu l'effet de causer des frictions entre les deux hommes. Une telle situation est malsaine dans le contexte militaire où la confiance requise entre compagnons d'armes doit être absolue;

 

b.                  le fait que l'ex-soldat Goulet a choisi délibérément de commettre d'autres crimes afin de cacher ou de déguiser la vente irrégulière d'un bien, et ce, en endommageant la porte de sa propre chambre pour faire croire qu'il avait été victime d'un vol et en déposant une plainte auprès des policiers militaires afin qu'il débute une enquête à cet effet;

 

c.                   le fait qu'il ne s'agit pas des premiers démêlés du contrevenant avec la justice militaire tel qu'en fait foi sa fiche de conduite militaire.

 

[15]           La cour considère que les circonstances suivantes doivent atténuer la sentence :

 

a.                   les aveux de culpabilité de l'ex-soldat Goulet précédés par la manifestation de plaider coupable aux accusations à la première opportunité, sans aucune négociation de sa part, sont une indication claire que le contrevenant accepte l'entière responsabilité dans cette affaire. Son témoignage indique également que ses regrets sont sincères et qu'il réalise avoir ainsi trahi la confiance d'un collègue qui avait voulu l'aider parce qu'il le considérait comme un ami;

 

b.                  le fait que l'ex-soldat Goulet a été libéré des Forces canadiennes avant la tenue de cette cour martiale pour des motifs qui, selon la preuve, ont contribué à la commission des infractions, c'est-à-dire une dépendance sérieuse à la cocaïne;

 

c.                   la situation familiale et financière du contrevenant. L'ex-soldat Goulet semble être sur la bonne voie, mais sa situation est extrêmement précaire. Il jouit heureusement du soutien inconditionnel de sa famille, en particulier de sa mère. Ex-Soldat Goulet, la cour espère que vous réalisez à quel point vous êtes à la croisée de chemins. C'est à vous qu'il incombe maintenant de prendre les moyens nécessaires pour vous sortir du trou dans lequel vous vous êtes enfoncé vous-même et de reconnaître en toute humilité que vous n'y arriverai pas seul;

 

d.                  le fait que vous avez un nouvel employeur qui semble très satisfait de vos services et qui croit en vous. Bien sûr, vous lui avez démontré que vous êtes très travaillant, assidu et dévoué, mais il est tout aussi vrai que cet employeur connaissait vos problèmes et qu'il a choisi de vous donner une chance de repartir sur des bases solides en vous confiant un travail relativement bien rémunéré;

 

e.                   le fait que vous avez payé la somme de 800 dollars à votre collègue pour la perte de son ordinateur tel que vous l'aviez convenu, et ce, même si la perte réelle était de 160 dollars, soit la somme déboursée pour racheter l'ordinateur que vous aviez vendu irrégulièrement à un prêteur sur gages.

 

[16]           La cour accepte que la suggestion commune des parties contribue aux objectifs de dissuasion générale et spécifique, la dénonciation du comportement et la punition du contrevenant. Elle permet également au contrevenant de poursuivre son cheminement pour devenir un jeune adulte responsable et actif dans la société civile. La libération d'un membre des Forces canadiennes avant la tenue d'une cour martiale ne rend pas caduque certaines peines prévues à l'article 139 de la Loi sur la défense nationale. Si c'était le cas, le législateur en aurait fait expressément mention. Il est raisonnable de croire que certaines peines puissent être jugées inadéquates lorsque le contrevenant a déjà été libéré des Forces canadiennes. Mais, ces peines ne sont pas inadéquates en soi. Elles sont pertinentes si elles visent des objectifs valables et justifiables dans les circonstances. D'aucuns pourraient prétendre qu'une peine de blâme est sans objet dans le contexte d'un contrevenant qui a déjà été libéré des Forces canadiennes avant la tenue d'un procès. Avec respect, une telle approche ne tiendrait pas compte de l'objectif visé par la peine de blâme dans l'exercice de pondération que constitue la détermination d'une sentence juste et appropriée. Dans cette affaire, le blâme vise à atteindre l'objectif de dissuasion générale et la dénonciation du comportement pour que les membres des Forces canadiennes comprennent que ce genre d'infractions est néfaste à la discipline militaire parce qu'elle mine la confiance mutuelle nécessaire qui doit exister entre les membres d'une force armée. Les objectifs de dissuasion individuelle ou spécifique, la punition et la réhabilitation du contrevenant sont atteints par l'effort financier important que devra assumer le contrevenant pour les infractions qu'il a commises.

 

[17]           Ex-Soldat Goulet, veuillez vous lever.

 

Pour ces raisons, la cour

 

[18]           PRONONCE un verdict de culpabilité à l'égard du deuxième, troisième et quatrième chef d'accusation.

 

[19]           CONFIRME la suspension d'instance à l'égard du premier et du cinquième chef d'accusation.

 

ET

 

[20]           CONDAMNE l'ex-soldat Goulet, au blâme et à l'amende au montant de 1000 dollars. La cour est prête, si les parties y consentent, à ce que la somme de 1000 dollars soit étalée sur 10 mois à raison de 100 dollars par mois et par chèque certifié à l'adresse qui sera fournie par le directeur des poursuites militaires.


 

Avocats :

 

Major G. Roy, Service canadien des Poursuites militaires

Avocat de la poursuivante

 

Capitaine de corvette M. Létourneau, Direction du service d'avocats de la défense

Avocat pour l'ex-soldat A.M.T. Goulet



[1] [1992] 1 R.C.S. 259.

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