Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 2 novembre 2010

Endroit : BFC Esquimalt, Édifice N-30, 2e étage, Victoria (CB)

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 : Art. 85 LDN, a insulté un supérieur.
•Chef d'accusation 2 : Art. 84 LDN, a montré une arme contre un supérieur.
•Chef d'accusation 3 : Art. 116a) LDN, a volontairement endommagé un bien public.

Résultats
•VERDICTS : Chef d'accusation 1 : Retiré. Chefs d'accusation 2, 3 : Coupable.
•SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 10 jours et une amende au montant de 1000$. L'exécution de la peine d'emprisonnement a éte suspendue.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Moreau, 2010 CM 1019

 

Date : 20101104

Dossier : 201058

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Esquimalt

Esquimalt (Colombie-Britannique)

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Matelot de 1re classe S. Moreau

 

 

Devant : Colonel M. Dutil, J.M.C.

 


 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

INTRODUCTION

 

[1]               L’ex-Matelot de 1re classe Moreau devait initialement répondre à trois accusations visées à la Loi sur la défense nationale. La première accusation portée en vertu de l’article 85 de la Loi sur la défense nationale, soit de conduite méprisante à l’endroit d’un supérieur, a été retirée par la poursuite. Les deux autres accusations concernent une infraction visée à l’article 84, soit de violence envers un supérieur, et une infraction visée à l’alinéa 116a), soit de dommage volontaire à un bien public, de la même Loi. S’agissant de la deuxième accusation, on indique que le 20 avril 2010, à la Base des Forces canadiennes Esquimalt, le Matelot de 1re classe Moreau aurait brandi un fer à repasser chaud vers un maître de 2e classe. La troisième accusation indique que le Matelot de 1re classe Moreau aurait endommagé un fer à repasser et un miroir, le lendemain, en lançant le fer sur le miroir et en arrachant le miroir du mur. Les incidents se seraient produits alors que le Matelot de 1re classe Moreau purgeait une peine de consignation au quartier imposée par un officier délégué présidant un procès sommaire le 14 avril 2010. Hier, l’ex-Matelot de 1re classe Moreau a plaidé coupable des deuxième et troisième chefs d’accusation. La cour a accepté et enregistré les aveux de culpabilité à ces accusations.

 

[2]               La cour impose maintenant une peine appropriée, juste et équitable qui permettra de maintenir la discipline. Les avocats de la poursuite et de la défense ont présenté une recommandation conjointe quant à la sentence. Ils recommandent que l’ex‑Matelot de 1re classe Moreau soit condamné à un emprisonnement pour une période de 10 jours et à une amende de 1 000 dollars payable le 15 novembre 2010. L’avocat recommande que la cour suspende l’exécution de la peine d’emprisonnement. Bien que la cour ne soit pas liée par la recommandation conjointe, il est généralement reconnu qu’elle ne devrait déroger à une recommandation conjointe que si le fait d’y donner suite serait contraire à l’intérêt public ou déconsidérerait l’administration de la justice.

 

[3]               L’objectif fondamental de l’imposition d’une sentence en cour martiale est de contribuer au respect de la loi et au maintien de la discipline militaire en infligeant des peines qui répondent à un ou plusieurs des objectifs suivants : la protection du public, y compris les intérêts des Forces canadiennes; la réprobation de la conduite illicite; l’effet dissuasif de la peine, non seulement sur le contrevenant, mais aussi sur d’autres personnes qui pourraient être tentées de commettre des infractions semblables; et l’amendement et la réadaptation du contrevenant.

 

[4]               La sentence doit également tenir compte des principes suivants. La peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction, aux antécédents du contrevenant et à son degré de responsabilité; la peine devrait être semblable à celles infligées à des contrevenants ayant commis des infractions semblables dans des circonstances semblables. La cour doit aussi respecter le principe selon lequel le contrevenant ne devrait pas être privé de liberté si des sanctions moins contraignantes peuvent être justifiées dans les circonstances. Autrement dit, les peines d’incarcération devraient constituer une sanction de dernier recours. Enfin, la peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant.

 

[5]               Pour fixer la sentence, j’ai examiné l’ensemble des circonstances entourant la perpétration des infractions telles qu’elles sont révélées par l’exposé des circonstances que l’ex-Matelot de 1re classe Moreau a accepté comme preuve concluante. J’ai également examiné la preuve documentaire présentée à la cour ainsi que le témoignage du contrevenant. J’ai également tenu compte des observations présentées par les deux avocats. Enfin, j’ai pris en considération les conséquences directes et indirectes qu’auront les conclusions de la cour et la sentence qu’elle prononcera sur le contrevenant.

 

[6]               Les faits entourant la perpétration des infractions révèlent que l’ex-Matelot de 1re classe Moreau était membre de l’équipe du NCSM Regina, une frégate alors en carénage à la Base des Forces canadiennes Esquimalt. Au moment où ces infractions ont été commises, en avril 2010, il consommait des médicaments sur ordonnance et vivait beaucoup de stress mental et psychologique.

 

[7]               Le 14 avril 2010, il a été reconnu coupable d’un acte d’insubordination par un officier délégué lors d’un procès sommaire. Il a été condamné à une peine de consignation au quartier pour une période de 10 jours et à une amende de 1 100 $. Le même jour, il a délibérément ingéré une surdose de médicaments sur ordonnance. Il a immédiatement été transporté à l’hôpital de la région pour une évaluation physique et mentale et est retourné à ses fonctions le 16 avril 2010.

 

[8]               Comme le NCSM Regina était en carénage, il ne pouvait purger sa peine à bord du bateau, comme le veut la coutume. Il a donc été assigné aux tâches courantes pour sa consignation au quartier, dans la caserne Nelles. Il a commencé ses tâches le 16 avril 2010. La chaîne de commandement n’avait pas l’impression que le Matelot de 1re classe Moreau était en état d’exécuter ses fonctions dans les communications navales. Par conséquent, on lui a assigné des tâches élémentaires comme le nettoyage, en plus de l’instruction d’exercice militaire. Sa chaîne de commandement était également préoccupée par son état mental et par le risque qu’il encourait de se faire mal, compte tenu de ce qui s’était produit le 14 avril 2010, même si un professionnel de la santé lui avait donné son congé le 16 avril 2010. Par conséquent, elle a établi un horaire rotatif pour que le personnel du bateau soit avec lui en tout temps.

 

[9]               À 10 h le 20 avril 2010, le Maître de 2e classe Blore et le Maître de 2e classe Castellani sont entrés dans la chambre du Matelot de 1re classe Moreau pour discuter de certaines irrégularités dans l’entretien des trousses. Lorsque le contrevenant lui a répondu [traduction] « peu importe » en marmonnant, le Maître de 2e classe Castellani l’a rappelé à l’ordre. Le Matelot de 1re classe Green, qui se trouvait également dans la chambre, a remarqué que le Matelot de 1re classe Moreau bouillonnait de colère contenue. Les deux maîtres de 2e classe ont quitté la chambre, et le Matelot de 1re classe Moreau s’est tout de suite dirigé vers son casier et a vidé sa bouteille de pilules clonazépam dans sa bouche, dont la quantité était estimée à entre 15 et 17 pilules. Le Matelot de 1re classe Green a été témoin de cet incident et a crié dans le corridor pour avertir les maîtres de 2e classe.

 

[10]           Le Maître de 2e classe Blore a couru pour appeler le 9‑1‑1 et le Maître de 2e classe Castellani est entré à nouveau dans la chambre. Le Matelot de 1re classe Moreau semblait toujours avoir quelques pilules dans la bouche. Il a ramassé un fer à repasser chaud, d’où sortait toujours de la vapeur, et l’a brandi en direction du Maître de 2e classe Castellani et du Matelot de 1re classe Green, qui se trouvaient à environ 3 mètres de lui, leur disant ce qui suit : [traduction] « Ne vous approchez pas ou je fais mal à quelqu’un, vous ou moi », ou des propos semblables. Le contrevenant a réagi ainsi afin de gagner du temps pour se faire mal. Le Maître de 2e classe Castellani a saisi l’occasion de lui attraper le bras qui tenait le fer, et les deux autres ainsi qu’une troisième personne qui venait tout juste d’arriver l’ont alors maîtrisé et lui ont enlevé le fer. Dès qu’il a ingéré les pilules, il a relaxé. Le Maître de 2e classe Castellani a vérifié sa respiration et son pouls, et l’équipe d’intervention d’urgence est arrivée peu après pour s’en occuper. Il a été évalué par un professionnel de la santé et est retourné au quartier à 20 h.

 

[11]           Le lendemain, le Matelot de 1re classe Moreau a travaillé à l’extérieur durant la matinée. Il est ensuite retourné à sa chambre pour se coucher. À 8 h 20, le Maître de 2e classe Blore est entré dans sa chambre et lui a ordonné de se lever et de prendre sa douche pour se préparer pour le reste de la journée. Le Matelot de 1re classe Moreau a affirmé qu’il était trop fatigué, mais comme le Maître de 2e classe Blore a insisté, il a finalement obéi à ses ordres. Préoccupé par les événements des 14 et 20 avril 2010, le Maître de 2e classe Blore lui a ordonné de ne pas verrouiller la porte. Le Maître de 2e classe Blore n’a pas observé le Matelot de 1re classe Moreau, mais a rapidement entendu un gros bruit. Il s’est tourné et a vu le Matelot de 1re classe Moreau fracasser le miroir de la salle de bain avec un fer à repasser, brisant le fer ainsi que le miroir. Le Maître de 2e classe Blore a pu lui arracher le fer des mains, et le Matelot de 1re classe Gastonguay a maîtrisé le Matelot de 1re classe Moreau, qui essayait maintenant d’arracher le miroir de son support mural. Il a finalement arraché le miroir et l’a jeté par terre. Comme il était encore maîtrisé, il a commencé à se calmer, mais a continué de parler à personne en particulier, disant ce qui suit : [traduction] « donne-moi le miroir, que je puisse me couper », ou des propos semblables. Selon son témoignage, l’ex‑Matelot de 1re classe Moreau voulait encore se faire mal. Après son traitement, il a terminé de purger sa peine de consignation au quartier sans incident. Il a été libéré des Forces canadiennes le 31 octobre 2010 sur le fondement du numéro 5f), notamment en raison de ces événements et de ceux énoncés dans sa fiche de conduite.

 

[12]           Au cours de sa carrière de 10 ans au sein des Forces canadiennes, l’ex-Matelot de 1re classe Moreau a eu beaucoup de problèmes liés à sa santé mentale. Il est actuellement sans emploi et ne touche aucun salaire. Son épouse occupe un poste de professeur et elle est la seule à toucher un revenu.

 

[13]           Pour contribuer au respect de la loi et au maintien de la discipline militaire, la peine infligée en l’espèce doit mettre en valeur les objectifs de dissuasion générale et de réprobation de la conduite. Toutefois, comme la situation particulière du contrevenant est suffisamment convaincante, la peine ne devrait pas contrecarrer ou affecter indûment sa réadaptation. Bien que les faits entourant la perpétration de l’infraction visée à l’article 84 de la Loi sur la défense nationale, c’est‑à‑dire de violence envers un supérieur, puissent être considérés comme étant à l’extrémité inférieure du spectre des infractions de ce genre, il n’en demeure pas moins que d’user de violence envers un supérieur constitue objectivement l’une des infractions les plus graves en droit militaire. Elle est punissable par un emprisonnement à perpétuité. Bien qu’il soit exact d’affirmer que cette infraction est objectivement grave parce que les Forces canadiennes sont une institution centrée sur la discipline de l’usage de la force, comme la poursuite l’a indiqué, il est également important de souligner que ses membres doivent obéir et ne commettre aucun acte d’insubordination afin de remplir leur mission. Il ne faut pas se surprendre que l’infraction de désobéissance à un ordre légitime visée à l’article 83 de la Loi et l’infraction de violence envers un supérieur sont punissables par un emprisonnement à perpétuité.

 

[14]           En faisant ses recommandations, la poursuite a soutenu que la peine d’emprisonnement vise à dissuader les autres membres des Forces canadiennes de commettre des infractions. La cour estime que cette peine devrait également tenir compte de l’importance de dénoncer la conduite. Le fait que ces infractions se sont produites alors que l’ex-Matelot de 1re classe Moreau était en train de purger une peine qui venait tout juste de lui être imposée au procès sommaire constitue un facteur particulièrement aggravant. Je conviens avec l’avocat que la peine que l’on inflige en dernier recours serait justifiée dans les circonstances.

 

[15]           Comme il s’agit objectivement d’une infraction très grave, les circonstances entourant la perpétration de l’infraction sont aggravantes, particulièrement puisque le contrevenant était déjà en train de purger une peine qu’on lui avait infligée au procès sommaire. Cette infraction représente un sérieux manque de respect envers la discipline militaire et la loi. La cour considère également que la peine devrait être aggravée parce que la fiche de conduite de l’ex-Matelot de 1re classe Moreau démontre qu’il a précédemment été déclaré coupable d’infractions d’insubordination lors de procès sommaires. S’agissant de l’infraction de dommage volontaire à un bien public, les circonstances de l’espèce sont telles qu’elles n’ont aucune incidence sur la peine dans le contexte de la présente recommandation conjointe.

 

[16]           Toutefois, les circonstances atténuantes sont également importantes. Premièrement, il est reconnu que les aveux de culpabilité nous épargnent l’obligation de citer les témoins de la poursuite, qui ne pouvaient pas participer à l’instance avant aujourd’hui en l’espèce. Le fait que l’ex-Matelot de 1re classe Moreau comptait présenter une demande alléguant que les droits que lui garantit la Charte ont été violés ne diminue pas l’effet atténuant de l’aveu dans les circonstances. Deuxièmement, la preuve indique que l’ex‑Matelot de 1re classe Moreau a souffert d’importants troubles mentaux au fil des ans. Il semble que son inconduite ayant mené aux accusations était principalement attribuable à ses problèmes personnels liés à sa dépendance à l’alcool et à d’autres stimulants. Il ne fait aucun doute qu’il souffrait psychologiquement lorsqu’il a commis les infractions. La preuve démontre que le Matelot de 1re classe Moreau a usé de violence envers son supérieur afin de gagner du temps pour se faire mal en ingérant une quantité importante de médicaments sur ordonnance. La preuve médicale déposée à la cour étaierait également l’opinion selon laquelle ses condamnations précédentes en 2009 et 2010 étaient clairement liées à son abus d’alcool et de stimulants. L’ex-Matelot de 1re classe Moreau a été libéré des Forces canadiennes peu avant le début de l’instance devant la cour martiale. Sa libération est attribuable en partie aux événements soumis à la cour et à ceux énoncés dans sa fiche de conduite. Avant sa libération, il a participé à un programme fermé de 50 jours à Edgewood pour traiter son abus de substances. L’ex‑Matelot de 1re classe Moreau est maintenant sobre depuis environ six mois. Il a déclaré qu’il a honte de ce qu’il a fait et il s’est excusé de sa conduite. La preuve médicale indique que ses chances de rétablissement sont bonnes. Il continue d’assister aux réunions des AA et il apprécie le soutien de sa femme, qui est la seule à toucher un revenu comme professeur. La cour a conclu qu’il est sincère et qu’il fait des efforts pour passer à autre chose et commencer une nouvelle vie en tant que civil, mais qu’il aura besoin d’aide psychologique intensive pour une longue période. Si l’on établit un équilibre entre la nécessité que le contrevenant purge sa peine pour assurer la discipline militaire au moyen des objectifs de la dissuasion générale et de la réprobation et l’importance de sa réadaptation, dans les circonstances particulières, la suspension de la période d’emprisonnement ne serait pas contraire à la bonne administration de la justice militaire. Par conséquent, la cour accepte la recommandation conjointe des avocats.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[17]           Vous DÉCLARE coupable du deuxième chef d’accusation, pour une infraction visée à l’article 84 de la Loi sur la défense nationale, et du troisième chef d’accusation, pour une infraction visée à l’alinéa 116a) de la Loi sur la défense nationale.

 

[18]           Vous CONDAMNE à un emprisonnement pour une période de 10 jours et à une amende de 1 000 $ payable le 15 novembre 2010, par mandat ou chèque visé à l’ordre du Receveur général du Canada.

 

[19]           SUSPEND l’exécution de la peine d’emprisonnement.

 


 

Avocats :

 

Major G. Rippon, directeur des poursuites militaires

Avocat de la poursuite

 

Capitaine de corvette M. Létourneau et Capitaine S. Collins, Direction du service d’avocats de la défense

Avocats de l’ex-Matelot de 1re classe S. Moreau

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