Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 5 septembre 2007.

Endroit : Casernes Wolseley, bloc A, édifice du quartier-général du 4 RCR, 701 rue Oxford Est, London (ON).

Chef d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.).

Résultats
•VERDICT : Chef d’accusation 1 : Non coupable.

Contenu de la décision

Référence : R. c. Le Caporal M.F. McCallum, 2007 CM 4026

 

Dossier : 200722

 

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

CANADA

ONTARIO

CASERNEMENT WOLSELEY

 

Date : Le 14 septembre 2007

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL J.-G. PERRON, J.M.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

c.

LE CAPORAL M.F. MCCALLUM

(accusé)

 

VERDICT

(Prononcé de vive voix)

 

 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

INTRODUCTION

 

[1]                    Le Caporal McCallum B63 841 217 est accusé en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale d’avoir commis une agression sexuelle, une infraction prévue à l’article 271 du Code criminel du Canada. La preuve produite devant la présente cour martiale est constituée essentiellement de faits dont la cour a pris judiciairement connaissance, de témoignages et d’une pièce. La cour a pris judiciairement connaissance des faits énumérés à l’article 15 des Règles militaires de la preuve. Elle a entendu, dans l’ordre, les témoignages de la Caporal S. et du Caporal McCallum. La pièce produite par l’avocat de la défense est une photographie de l’endroit où l’accusé et la plaignante dormaient pendant qu’ils étaient à Meaford.

 

LE DROIT APPLICABLE ET LES ÉLÉMENTS ESSENTIELS DE LACCUSATION

 

[2]                    La poursuite devait prouver hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants de l’infraction reprochée au Caporal McCallum :

 


(a)  l’identité de l’accusé ainsi que la date et le lieu de l’infraction indiqués dans l’acte d’accusation;

 

(b)  le fait que l’accusé a employé la force directement ou indirectement à l’égard de la plaignante;

 

(c)  le fait que l’accusé avait l’intention d’employer la force à l’égard de la plaignante;

 

(d)  le fait que la plaignante n’a pas consenti à l’usage de la force par l’accusé;

 

(e)  le fait que l’accusé savait que la plaignante ne consentait pas;

 

(f)  la nature sexuelle de l’agression.

 

[3]                    Avant que la cour ne procède à son analyse juridique de l’accusation, il convient de traiter de la présomption d’innocence et de la preuve hors de tout doute raisonnable, une norme de preuve qui est inextricablement liée aux principes fondamentaux applicables à tous les procès criminels. Ces principes sont bien connus des avocats, mais peut‑être pas des autres personnes qui se trouvent dans la salle d’audience.

 

[4]                    La présomption d’innocence est fort probablement le principe le plus fondamental de notre droit pénal, et le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable en est un élément essentiel. Dans les affaires qui relèvent du Code de discipline militaire comme dans celles qui relèvent du droit pénal canadien, toute personne accusée d’une infraction criminelle est présumée innocente tant que la poursuite ne prouve pas sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Un accusé n’a pas à prouver qu’il est innocent. C’est à la poursuite qu’il incombe de prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments de l’infraction. Un accusé est présumé innocent tout au long de son procès, jusqu’à ce qu’un verdict soit rendu par le juge des faits.

 

[5]                    La norme de la preuve hors de tout doute raisonnable ne s’applique pas à chacun des éléments de preuve ou aux différentes parties de la preuve présentés par la poursuite, mais plutôt à l’ensemble de la preuve sur laquelle cette dernière s’appuie pour établir la culpabilité de l’accusé. Le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité d’un accusé incombe à la poursuite, jamais à l’accusé.

 

[6]                    Un tribunal doit déclarer un accusé non coupable s’il a un doute raisonnable quant à sa culpabilité après avoir considéré l’ensemble de la preuve. L’expression « hors de tout doute raisonnable » est employée depuis très longtemps. Elle fait partie de notre histoire et de nos traditions juridiques.

 


[7]                    Dans l’arrêt R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directives pour le doute raisonnable. Les principes décrits dans cet arrêt ont été appliqués dans plusieurs autres arrêts de la Cour suprême et des cours d’appel. Essentiellement, un doute raisonnable n’est pas un doute farfelu ou frivole. Il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé. Il repose sur la raison et le bon sens. C’est un doute qui survient à la fin du procès et qui est fondé non seulement sur ce que la preuve révèle au tribunal, mais également sur ce qu’elle ne lui révèle pas. Le fait qu’une personne a été accusée n’est absolument pas une indication qu’elle est coupable.

 

[8]                    Dans l’arrêt R. c. Starr, [2000] 2 R.C.S. 144, la Cour suprême a statué, au paragraphe 242, que :

 

[...] une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer quelle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités.

 

Par contre, il faut se rappeler qu’il est pratiquement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue. La poursuite n’a pas à le faire. La certitude absolue est une norme de preuve qui n’existe pas en droit canadien. La poursuite doit seulement prouver la culpabilité de l’accusé, en l’espèce le Caporal McCallum, hors de tout doute raisonnable. Pour placer les choses en perspective, si la cour est convaincue que l’accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, elle doit l’acquitter car la preuve d’une culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[9]                    Qu’entend-on par preuve? La preuve peut comprendre des témoignages sous serment ou des déclarations solennelles faits devant la cour par des personnes appelées à témoigner sur ce qu’elles ont vu ou fait. Elle peut consister en documents, en photographies, en cartes ou en d’autres éléments présentés par les témoins, en témoignages d’experts, en aveux judiciaires quant aux faits par la poursuite ou la défense ou en des éléments dont la cour prend judiciairement connaissance.

 

[10]                  Il n’est pas rare que des éléments de preuve présentés à la cour soient contradictoires. Les témoins ont souvent des souvenirs différents d’un fait. La cour doit déterminer quels éléments de preuve sont crédibles.

 


[11]                  La crédibilité n’est pas synonyme de dire la vérité et l’absence de crédibilité n’est pas synonyme de mentir. De nombreux facteurs doivent être pris en compte dans l’évaluation que la cour fait de la crédibilité d’un témoin. Par exemple, la cour évaluera la possibilité qu’a eue le témoin d’observer, les raisons d’un témoin de se souvenir. Elle se demandera, par exemple, si quelque chose de précis a aidé le témoin à se rappeler les détails de l’événement qu’il a décrit, si les faits valaient la peine d’être notés, s’ils étaient inhabituels ou frappants, ou relativement sans importance et, par conséquent, à juste titre plus faciles à oublier. Le témoin a‑t‑il un intérêt dans l’issue du procès; en d’autres termes, a‑t‑il une raison de favoriser la poursuite ou la défense, ou est‑il impartial? Ce dernier facteur s’applique d’une manière quelque peu différente à l’accusé. Bien qu’il soit raisonnable de présumer que l’accusé a intérêt à se faire acquitter, la présomption d’innocence ne permet pas de conclure que l’accusé mentira lorsqu’il décide de témoigner.

 

[12]                  Un autre facteur qui doit être pris en compte dans la détermination de la crédibilité d’un témoin est son apparente capacité à se souvenir. L’attitude du témoin quand il témoigne est un facteur dont on peut se servir pour évaluer sa crédibilité : le témoin était‑il réceptif aux questions, honnête et franc dans ses réponses, ou évasif, hésitant? Argumentait‑il sans cesse? Finalement, son témoignage était‑il cohérent en lui‑même et compatible avec les faits qui n’ont pas été contestés?

 

[13]                  De légères contradictions peuvent se produire, et cela arrive en toute innocence; elles ne signifient pas nécessairement que le témoignage devrait être écarté. Un ensemble d’incohérences peut devenir très important et susciter chez le juge des faits un doute raisonnable quant à la fiabilité d’un témoignage. Il en est autrement dans le cas d’un mensonge délibéré : cela est toujours grave et peut vicier le témoignage en entier.

 

[14]                  La cour n’est pas tenue d’accepter le témoignage d’une personne à moins que celui‑ci ne lui paraisse crédible. Cependant, elle jugera un témoignage digne de foi à moins d’avoir une raison de ne pas le croire.

 

[15]                  Comme la règle du doute raisonnable s’applique à la question de la crédibilité, la cour doit d’abord statuer de manière définitive sur la crédibilité de l’accusé en l’espèce et décider si elle ajoute foi ou non à ce qu’il dit. Il est vrai que la présente affaire soulève des questions de crédibilité importantes et qu’il s’agit d’un cas où la méthode d’évaluation de la crédibilité décrite par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. W. (D.), [1991] 1 R.C.S. 742, peut être appliquée parce que l’accusé a témoigné. La Cour suprême a écrit ce qui suit à la page 758 de cet arrêt :

 

Premièrement, si vous croyez la déposition de laccusé, manifestement vous devez prononcer lacquittement.

 

Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de laccusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer lacquittement.

 

Troisièmement, même si navez pas de doute à la suite de la déposition de laccusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de laccusé.

 


[16]                  Rédigeant les motifs de dissidence dans l’arrêt R. c. Haroun, [1997] 1 R.C.S. 593, rendu par la Cour suprême du Canada en 1997, le juge Sopinka a donné des indications additionnelles sur la manière dont les juges des faits doivent appliquer le critère formulé dans l’arrêt R. c. W. (D.). Il a dit au paragraphe 12 de l’arrêt Haroun :

 

Même si un juge ou un jury ne croit pas le témoignage de laccusé, il se peut que ce témoignage, considéré dans le contexte de lensemble de la preuve, engendre un doute raisonnable dans lesprit dun juge ou dun jury. Ce principe fondamental ressort de larrêt W. (D.), précité, où le juge Cory sest exprimé ainsi, à la p. 757 :

 

Plus précisément, le juge doit dire aux jurés quils sont tenus dacquitter laccusé dans deux cas. Premièrement, sils croient laccusé. Deuxièmement, sils najoutent pas foi à la déposition de laccusé, mais ont un doute raisonnable sur sa culpabilité après avoir examiné la déposition de laccusé dans le contexte de lensemble de la preuve.

 

[17]                  La Cour suprême du Canada a aussi indiqué, dans l’arrêt R. c. Avetysan, [2000] 2 R.C.S. 745, que l’exposé au jury ne doit pas « av[oir] le tort d’inviter le jury à résoudre la question factuelle de ce qui s’était produit ». Elle a ajouté au paragraphe 21 :

 

Le jury était confronté à deux versions inconciliables des événements. Il se peut que les jurés aient eu limpression quils avaient la responsabilité de déterminer « quelle version » croire. Cela pouvait logiquement les amener à penser quils navaient le choix quentre ces deux propositions. Il était important que le juge du procès attire lattention des jurés sur la troisième possibilité que décrit larrêt W. (D.), cest-à-dire, quils pouvaient acquitter les accusés, même sils najoutaient pas foi à leur déposition mais quun doute subsistait.

 

Il ressort clairement de cet extrait que le juge des faits ne devrait pas choisir une version des événements plutôt qu’une autre, mais déterminer si la preuve qu’il admet soulève un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé.

 

[18]                  Aussi, la jurisprudence traitant de l’application du critère formulé dans l’arrêt R. c. W. (D.) établit clairement que la preuve présentée par l’accusé, qui est constituée de son témoignage, doit être appréciée à la lumière de la preuve dans l’ensemble. Ce critère ne mène pas à un choix entre la preuve présentée par la Couronne et la preuve de l’accusé, mais soulève simplement la question de savoir si la preuve admise par la cour suscite chez elle un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé. Ayant procédé à cet exposé sur la charge de la preuve et sur la norme de preuve, j’examinerai maintenant les questions en litige qui ont été soumises à la cour.

 


LANALYSE

 

[19]                  L’accusé et la plaignante ont donné à la cour des versions très différentes des événements qui ont mené au dépôt de l’accusation. Ils sont les seuls témoins en l’espèce. Le Caporal McCallum s’est joint à la Force de réserve en 2003 et se qualifie lui‑même de manière générale de soldat compétent; il aurait été envoyé au cours de Qualification élémentaire en leadership alors qu’il était un soldat parce que, selon lui, il le méritait. Il a cessé de défiler il y a deux ans environ parce qu’il [traduction] « ne se sentait pas à l’aise à cause de la présente poursuite ». Il n’a pas expliqué pourquoi il ne se sentait pas à l’aise et aucune question ne lui a été posée à ce sujet au cours de son contre‑interrogatoire.

 

[20]                  Il a expliqué comment lui et la Caporal S. sont devenus partenaires dans l’équipe de tir et les problèmes que la Caporal S. a eus au cours de l’été. Il a expliqué comment il a essayé de l’aider pendant le cours, mais a dit qu’ils ne s’entendaient pas bien. Il a décrit quelques disputes qu’ils ont eues pendant l’été 2005. Il a expliqué pourquoi il lui aurait fait deux massages et a décrit ces massages. Il a nié catégoriquement avoir touché la Caporal S. à d’autres occasions que ces deux massages, au cours desquels il lui a touché les épaules, le dos et le bas du dos. C’est la Caporal S. qui lui avait demandé de lui faire un massage. Aucun de ces massages n’est survenu le 16 août 2005.

 

[21]                  Le Caporal McCallum a participé à la blague sur une « frills disease », mais affirme que ce n’est pas lui qui en est l’auteur. Il a tout simplement ri lorsque la Caporal S. s’est mise en colère après avoir découvert qu’elle était l’objet de cette blague. Il a indiqué dans son témoignage que la Caporal S. avait des problèmes avec les exercices physiques exigés dans le cadre des cours. Il savait qu’elle avait des problèmes avec ses genoux, qu’elle avait été mordue par une araignée et qu’elle avait une infection à levures. Il aurait eu deux relations avec elle après l’été 2005.

 

[22]                  La Caporal S. a indiqué dans son témoignage qu’elle avait trouvé très exigeants sur le plan physique les cours de l’été 2005, le cours de QEI et le DP 2A, qu’elle n’était pas une bonne coureuse et qu’elle n’était pas aussi en forme qu’elle l’aurait voulu. Elle a dit également que son poids lui causait des problèmes. Elle a affirmé qu’elle entretenait de bonnes relations avec le Caporal McCallum pendant les heures de travail, mais qu’ils se disputaient à d’autres moments. Elle avait le sentiment qu’il la poussait à s’améliorer et à devenir un meilleur soldat. Elle a décrit les sujets dont elle et le Caporal McCallum discutaient pendant leur temps libre.

 


[23]                  Elle a mentionné dans son témoignage qu’elle et le Caporal McCallum se faisaient des massages pendant leur temps libre. Il lui aurait fait quatre ou cinq massages. La première fois qu’elle a jugé inacceptable le massage qu’il lui donnait, c’est à la fin du cours de QEI ou vers la fin de juillet 2005, un soir, vers 22 h. Elle dit qu’il lui a demandé si elle accepterait d’enlever son chemisier, ce qu’elle a fait. Elle s’est ensuite servi de son chemisier pour se couvrir la poitrine; elle a dit que c’était comme si elle était en maillot de bain. Le Caporal McCallum a commencé à lui masser le dos et il a approché ses mains de ses seins. Elle lui aurait dit d’arrêter. Il a arrêté, a recommencé à lui masser le dos et s’est ensuite dirigé vers son lit de camp.

 

[24]                  Elle a dit ensuite que des incidents semblables sont survenus quelques fois après le premier massage qu’elle a jugé inacceptable. Le Caporal McCallum aurait essayé de lui toucher les seins à nouveau de même que les fesses. Elle lui aurait dit d’arrêter et de s’en aller. Il aurait arrêté de lui toucher la poitrine et les fesses et lui aurait massé le dos pendant un moment, avant de retourner à son lit de camp. La Caporal S. aurait consenti à ce qu’il lui masse le dos, mais non à ce qu’il lui touche les seins et les fesses.

 

[25]                  La Caporal S. a indiqué que le dernier incident est survenu à la fin du cours, deux nuits avant la fin du cours, soit le jeudi ou le vendredi 18 août 2005. Le Caporal McCallum serait entré dans la tente et lui aurait offert de lui masser le dos ou lui aurait massé le dos. Elle ne se rappelait pas s’il y avait quelqu’un d’autre dans la tente, mais elle a dit que des gens entraient dans la tente et en sortaient constamment. Elle aurait enlevé son chemisier et se serait étendue sur son lit. Le Caporal McCallum aurait commencé à lui masser le dos. Il a essayé de toucher ses seins et ses fesses. Elle était mal à l’aise, elle s’est assise et elle lui a dit d’arrêter. Il se serait excusé. Il aurait enlevé son pantalon, pris la main de la Caporal S. et essayé de la forcer à toucher son pénis. Après avoir résisté pendant un moment, elle aurait touché son pénis et dit : [traduction] « Là, tu es content? Va-t-en. »

 

[26]                  Il lui aurait ensuite massé [traduction] « la région des quadriceps ». Il lui a massé la jambe, la [traduction] « région des quadriceps » et son genou, et a essayé de glisser sa main dans son pantalon afin de toucher son sexe. La première fois, il a glissé sa main entre son pantalon et son sous‑vêtement. Elle l’aurait repoussé et lui aurait dit de partir. Il aurait répondu qu’il s’agit seulement d’un massage, rien de plus. Il aurait mis sa main plus loin dans son pantalon et aurait commencé à la caresser avec les doigts. Quelques secondes se seraient écoulées avant qu’elle réagisse. Elle a alors retiré sa main et lui a dit de foutre le camp. Elle se serait servi de sa main droite pour retirer la main du Caporal McCallum. Ce dernier est ensuite parti. La Caporal S. ne se rappelait pas combien de temps cet incident avait duré.

 

[27]                  La Caporal S. a été contre‑interrogée de manière détaillée. Elle a confirmé qu’elle avait consenti seulement à se faire masser le dos et les genoux ou la région des quadriceps. Elle n’a pas consenti à ce qu’on touche ses parties intimes : ses seins, ses fesses et son sexe. Elle a reconnu que, même si elle était en colère contre le Caporal McCallum parce qu’il avait touché ses seins et ses fesses, elle avait consenti à ce qu’il lui masse la [traduction] « région des quadriceps » après s’être tournée vers lui.

 


[28]                  J’appliquerai maintenant le critère formulé dans l’arrêt R. c. W. (D.). La cour a des raisons d’avoir des doutes au sujet du témoignage du Caporal McCallum. Ce dernier n’est pas considéré comme un témoin crédible et digne de foi. Bien qu’il ait témoigné clairement, avec confiance et franchise pendant son interrogatoire principal, son attitude a été très différente pendant son contre‑interrogatoire. Il a été respectueux envers le procureur de la poursuite, mais j’ai trouvé qu’il était particulièrement sur ses gardes et sur la défensive pendant son contre‑interrogatoire. Ses réponses étaient plutôt approximatives et sa voix n’était pas claire. Il jetait un coup d’oeil à son avocat après pratiquement chaque réponse donnée au procureur de la poursuite.

 

[29]                  Pendant tout son témoignage, le Caporal McCallum a tenté de se présenter comme une personne irréprochable. Il s’est décrit comme un bon soldat capable de réussir des cours difficiles et exigeants sur le plan physique, tout en aidant les autres membres moins compétents de son équipe de tir avec lesquels il ne s’entendait pas bien et qui ne l’aidaient pas. Ses réponses évasives aux questions qui lui ont été posées au cours de son contre‑interrogatoire sur les discussions à caractère sexuel entre les hommes et les femmes à Meaford ne sont qu’un exemple de ses efforts pour se présenter seulement sous un jour favorable. De plus, lorsqu’il aurait eu une relation avec la Caporal S. en septembre 2005, il lui aurait dit, malgré le fait qu’elle aurait été gentille avec lui au départ, de se tenir loin de lui parce qu’il avait entendu dire qu’elle répandait de fausses histoires sur son compte, le dépeignant comme un mauvais soldat. Bien qu’il reconnaisse lui avoir parlé de façon agressive, il ne se rappelait pas exactement ce qu’il lui avait dit. Il se souvenait par contre qu’elle l’avait traité de « tas de merde » lorsqu’elle lui avait répondu. À mes yeux, cela montre également que le Caporal McCallum n’est pas prêt à admettre quoi que ce soit de négatif à son sujet.

 

[30]                  Le Caporal McCallum a affirmé au cours de son interrogatoire principal qu’il avait suivi un EP avec la Caporal S. et que celle‑ci avait échoué les quelques EP auxquels elle avait participé. Il s’est ensuite contredit lorsqu’il a précisé au cours de son contre‑interrogatoire qu’il n’était pas présent lorsqu’elle avait échoué les EP.

 


[31]                  Le Caporal McCallum a affirmé au cours de son interrogatoire principal qu’il était déçu d’avoir perdu son premier partenaire de l’équipe de tir, mais que le fait que la Caporal S. remplaçait cette personne ne le dérangeait pas. Il a admis sans se faire prier qu’il ne s’entendait pas bien avec la Caporal S., qu’il se disputait avec elle régulièrement et que toute la section le savait probablement. Le commandant de sa section lui aurait dit de bien s’entendre avec la Caporal S. puisqu’il avait déjà réussi le cours. Il n’était pas impressionné par la Caporal S. parce qu’il pensait qu’elle était un mauvais soldat. Au cours de son contre‑interrogatoire, il a reconnu avoir ri d’elle et l’avoir insultée. Il a dit aussi qu’elle ne pouvait pas s’occuper de son matériel ou de son espace et qu’il avait dû l’aider lors des inspections, même si elle‑même ne l’avait pas aidé. Il a déclaré également qu’il n’avait aucun respect pour elle et qu’il lui avait fait savoir clairement qu’il ne l’aimait pas. Les impressions négatives qu’il avait d’elle ne coïncident pas avec le sentiment d’indifférence que, selon ses propos, elle lui inspirait comme partenaire de l’équipe de tir.

 

[32]                  Lorsqu’un caporal‑chef lui a demandé de faire des efforts pour bien s’entendre avec la Caporal S., le Caporal McCallum aurait tenté de le faire en lui massant le dos à deux reprises comme elle le lui demandait. Elle aurait enlevé son chemisier et il lui aurait massé les épaules, le dos et le bas du dos. Le premier massage aurait été fait pendant le cours de QEI en juillet 2005. Il faisait noir et toute la section était apparemment présente dans la tente. Le Caporal McCallum a indiqué dans son témoignage que la Caporal S. lui a alors demandé de la masser un peu plus bas et qu’il a refusé. Elle se serait retournée vers lui, ce qui l’aurait mis mal à l’aise. Il se serait alors dirigé vers son lit de camp.

 

[33]                 Le Caporal McCallum aurait donné un deuxième massage à la Caporal S. au milieu ou aux trois quarts du DP 2A. Il lui aurait donné ce massage parce qu’ils avaient eu quelques disputes et qu’il essayait d’améliorer leur relation. Elle lui aurait demandé de lui faire un massage et il a accepté. Elle aurait de nouveau enlevé son chemisier et il lui a massé les épaules, le dos et le bas du dos. Elle se serait à nouveau retournée sur le dos et aurait laissé entendre que [traduction] « quelque chose de plus sexuel devrait se produire ». Le Caporal McCallum était toutefois incapable de se rappeler les termes exacts employés par la Caporal S.. Mal à l’aise, il est sorti de la tente. Il aurait été seul avec la Caporal S. dans la tente à ce moment‑là. Le Caporal McCallum a mentionné aussi dans son témoignage que, le lendemain, la Caporal S. lui a dit qu’[traduction] « elle devait aller à la salle de bain pour se masturber parce cela avait été tellement bon ».

 

[34]                  À ces deux occasions, le Caporal McCallum aurait arrêté de masser le dos de la Caporal S. et aurait quitté son lit où elle se serait retournée face à lui. Il a expliqué pourquoi il était mal à l’aise à ce moment‑là. Il a indiqué qu’il avait été accusé de fraternisation au cours de l’été précédent et que l’accusation s’était finalement révélée non fondée. Il a expliqué qu’il ne voulait pas avoir le même genre de problème pendant le cours en 2005 si on le découvrait assis sur la couchette d’une fille ayant les seins nus.

 


[35]                  Ainsi, le Caporal McCallum craignait d’être accusé de fraternisation et était préoccupé par les conséquences que cette accusation pourrait avoir sur lui. Il aurait toutefois, dans le but de réparer les choses, accepté à deux reprises de masser le dos d’une femme ayant la poitrine dénudée dans la tente de sa section, tard le soir. Il ne s’est pas opposé à sa décision d’enlever son chemisier. Il lui aurait de nouveau massé le dos alors qu’elle avait les seins nus et qu’ils étaient seuls dans la tente et ce, même après les propositions qu’elle lui avait faites au cours du premier massage et qu’il avait repoussées. Encore une fois, il aurait été la victime des avances ou des propositions indésirées de la Caporal S.. Il se rappelait la remarque crue qu’elle lui avait faite le lendemain matin, mais non ce qu’elle aurait dit lorsqu’elle lui avait fait des avances sexuelles le soir précédent. Compte tenu de son inquiétude concernant le dépôt possible d’accusations de fraternisation et leurs conséquences, j’estime qu’il est difficile de croire sa version des faits concernant ces deux massages.

 

[36]                  Par conséquent, en raison des contradictions contenues dans son témoignage, de ses réponses évasives et circonspectes et de son attitude pendant son contre‑interrogatoire, ainsi que du manque de réalisme de certaines de ses réponses et explications, la cour ne juge pas crédible le témoignage du Caporal McCallum en ce qui a trait à sa description des massages et du démenti qu’il a opposé à ces allégations.

 

[37]                  La cour doit maintenant se pencher sur le deuxième volet du critère formulé dans l’arrêt R. c. W. (D.). Le Caporal McCallum a nié catégoriquement toutes les allégations sur lesquelles repose l’accusation d’agression sexuelle déposée contre lui. Selon son témoignage, aucun des deux massages qu’il a donnés à la Caporal S. avec le consentement de celle‑ci n’est survenu le 16 août 2005. J’ai déjà indiqué que je ne crois pas sa version des faits. Je dois maintenant déterminer si son témoignage suscite toujours, dans mon esprit, un doute raisonnable quant à sa culpabilité. Pour les raisons que j’ai déjà exposées, le témoignage du Caporal McCallum ne me laisse aucun doute raisonnable quant à sa culpabilité.

 

[38]                  J’appliquerai maintenant le troisième volet du critère. Je dois me poser plus précisément la question suivante : compte tenu de la preuve que j’admets, suis‑je convaincu hors de tout doute raisonnable de la culpabilité du Caporal McCallum?

 

[39]                  La Caporal S. a indiqué dans son témoignage que le Caporal McCallum lui avait massé le dos à maintes reprises au cours de l’été 2005. Ils se seraient disputés régulièrement au cours de la même période. Les premiers massages ont peut‑être été acceptables, mais le Caporal McCallum aurait tenté de toucher la poitrine de la Caporal S. ainsi que ses fesses. La Caporal S. a décrit des massages à caractère de plus en plus sexuel. Elle aurait clairement et catégoriquement dit au Caporal McCallum d’arrêter; elle aurait utilisé un langage vulgaire pour le lui faire comprendre, mais il continuait. Elle a déclaré sous serment à la police de Windsor en novembre 2005 qu’elle avait arrêté de lui demander de la masser après le premier massage au cours duquel le Caporal McCallum aurait touché ses seins parce qu’elle était mal à l’aise. Elle a pourtant déclaré dans son témoignage qu’elle avait accepté ses offres de massage pendant tout l’été et elle aurait enlevé son chemisier même s’il essayait constamment de lui faire des attouchements qu’elle n’aimait pas et qu’elle le lui avait fait clairement comprendre. Même si ses massages la mettaient mal à l’aise, elle a continué d’accepter ses offres parce que, selon ce qu’elle dit, [traduction] « elle ne peut pas résister à un massage du dos ». La cour estime que cette explication manque de réalisme.

 


[40]                  La Caporal S. a mentionné dans son témoignage qu’elle avait accepté d’enlever son chemisier comme le Caporal McCallum le proposait. Elle a toutefois dit qu’elle était mal à l’aise au début parce qu’elle avait un petit surplus de poids. Elle a enlevé son chemisier lors de chaque massage et s’en est servi pour se couvrir la poitrine. Bien qu’elle ait dit au Caporal‑chef Golding du SNEFC au cours d’une entrevue enregistrée sur bande magnétoscopique le 8 décembre 2005 que même le fait d’enlever son chemisier devant son petit ami la mettait mal à l’aise, il ressort de son témoignage qu’elle a volontairement enlevé son chemisier pour montrer son dos à un homme qu’elle connaissait à peine au départ et qui, par la suite, a toujours été hostile à son endroit et essayait de la caresser contre son gré. Encore une fois, la cour estime que cette preuve est très suspecte.

 

[41]                  Le 16 août 2005, le Caporal McCallum lui aurait offert de la masser ou aurait commencé à lui masser le dos. Elle a enlevé son sweat‑shirt. Il lui a massé le dos et a essayé de toucher ses seins et [traduction] « la raie de ses fesses ». Elle a mentionné dans son témoignage qu’elle s’était assise sur son lit parce qu’elle était mal à l’aise et en colère, et qu’elle lui aurait dit d’arrêter. Elle n’a pas dit clairement si elle a alors remis son chemisier ou si elle l’a placé devant elle parce qu’elle a donné des réponses contradictoires sur ce sujet pendant son interrogatoire principal.

 

[42]                  La Caporal S. aurait consenti à ce que le Caporal McCallum lui masse la région des quadriceps parce qu’elle avait mal au genou, même après qu’il eut essayé de lui caresser les seins, de toucher ses fesses et de la forcer à toucher son pénis. Les explications qu’elle a données au regard de cette partie de la prétendue agression sont incohérentes. Elle a déclaré qu’elle n’avait pas réagi ou qu’elle était en état de choc après qu’il eut essayé de la forcer à toucher son pénis, mais elle a dit ensuite dans son témoignage qu’elle avait consenti à ce qu’il lui masse les quadriceps. Cette preuve incohérente laisse la cour quelque peu perplexe quant à l’état d’esprit de la Caporal S. au moment des prétendus événements.

 

[43]                  Alors qu’il ressort de ses entrevues avec la police de Windsor et le SNEFC qu’elle se serait allongée sur le dos lorsque le Caporal McCallum aurait mis ses mains dans ses pantalons, la Caporal S. a déclaré dans son témoignage qu’elle était assise sur son lit quand l’incident s’est produit. Il ne s’agit pas d’une incohérence mineure dans la description de la prétendue agression sexuelle.

 

[44]                  De plus, son témoignage sur la question de savoir s’il faisait noir dans la tente au moment de la prétendue agression contredit la déclaration qu’elle a faite au Caporal‑chef Golding en décembre 2005. Elle a mentionné dans son témoignage que, bien qu’elle ne se souvienne pas avec certitude si les lumières étaient allumées ou non dans la tente, elle pouvait voir dans la tente, alors qu’elle a dit au Caporal‑chef Golding qu’[traduction] « il faisait réellement noir dans la tente ». La cour considère que cette contradiction sur un facteur important qui permettait à la Caporal S. de mieux voir ce qui se passait est importante.

 


[45]                  La Caporal S. a mentionné dans son témoignage qu’elle avait fait une déclaration écrite sous serment à la police de Windsor à la fin de novembre 2005 et qu’elle avait participé à une entrevue enregistrée sur bande magnétoscopique avec le Caporal‑chef Golding du SNEFC le 8 décembre 2005. Elle a mentionné également qu’elle a essayé d’oublier les événements qui seraient survenus le 16 août 2005. Elle avait commencé à oublier lorsque le Lieutenant Rozic lui a téléphoné à Gagetown en mai 2006 pour lui poser des questions dans le cadre de son enquête sommaire sur ces allégations. Elle a déclaré dans son témoignage qu’elle ne se rappelait pas la séquence des événements survenus le 16 août 2005. Quoique les incohérences dans son témoignage soient peut‑être attribuables à son désir d’oublier ces événements, la cour doit évaluer la fiabilité de sa preuve en s’appuyant sur son témoignage et sur ses déclarations antérieures.

 

[46]                  Je me suis servi du passage suivant figurant à la page 344 de l’arrêt R. v. M.G., 93 C.C.C. (3d) 347, rendu par la Cour d’appel de l’Ontario en 1994, pour évaluer la crédibilité de la preuve de la poursuite :

 

[traduction] La meilleure façon dévaluer la crédibilité dun témoin très important consiste probablement à examiner la cohérence entre ce que le témoin a dit à la barre des témoins et ce quil a dit à dautres occasions, que ce soit sous serment ou non. Des contradictions sur des points mineurs ou des détails sont normales et prévisibles. Elles nentachent généralement pas la crédibilité du témoin, en particulier dans le cas des jeunes. Par contre, lorsquelle a trait à un point important sur lequel il est peu probable quun témoin honnête se trompe, la contradiction peut être le signe dune indifférence quant à la vérité. Le juge des faits doit alors essayer de décider sil peut sappuyer sur le témoignage dune personne qui ne semble pas être préoccupée par la vérité.

 

Lincidence des contradictions sur la crédibilité dun témoin très important a été récemment décrite par le juge Rowles, qui sexprimait au nom de la Cour dappel de la Colombie‑Britannique dans larrêt R. v. B. (R.W.) [...] :

 

Lorsque, comme cest le cas en lespèce, la thèse de la Couronne repose entièrement sur le témoignage du plaignant, il est essentiel que la crédibilité et la fiabilité de la preuve de celui‑ci soient évaluées à la lumière de tous les autres éléments de preuve présentés.

 


En lespèce, il y avait un certain nombre dincohérences dans la preuve du plaignant et un certain nombre de contradictions entre cette preuve et le témoignage dautres personnes. Bien quil soit vrai que de légères incohérences ne minent pas toujours déraisonnablement la crédibilité dun témoin, une série dincohérences peut devenir très importante et susciter chez le juge des faits un doute raisonnable quant à la fiabilité de la preuve du témoin. Aucune règle ne prévoit quand un tel doute peut surgir, mais le juge des faits devrait à tout le moins examiner lensemble des incohérences afin de déterminer si la preuve du témoin est fiable, en particulier lorsquil ne dispose daucune preuve corroborante concernant la principale question en litige, comme cétait le cas en lespèce.

 

LE VERDICT

 

Caporal McCallum, veuillez vous lever.

 

[47]                  La Caporal S. a présenté à la cour une preuve que contredisaient d’autres parties de son témoignage ou des déclarations qu’elle avait faites dans le passé à la police de Windsor ou au SNEFC. Son témoignage sur des aspects fondamentaux de l’accusation était aussi parfois incertain, incohérent et ambigu ou manquait de réalisme. Par conséquent, j’estime que son témoignage concernant l’accusation n’est pas digne de foi et n’est pas crédible.

 

J’estime donc que la poursuite n’a pas prouvé l’accusation hors de tout doute raisonnable.

 

Caporal McCallum, la cour vous déclare non coupable de l’accusation d’agression sexuelle.

 

 

                                                             LIEUTENANT-COLONEL J.-G. PERRON, J.M.

 

AVOCATS

 

Le Major S. MacLeod, Direction des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

Le Major C.E. Thomas, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat du Caporal M.F. McCallum

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