Cour martiale
Informations sur la décision
Date de l’ouverture du procès : 4 juillet 2007.
Endroit : BFC Trenton, 74 avenue Polaris, édifice 22, 3e étage, Astra (ON).
Chefs d’accusation
•Chefs d’accusation 1, 2, 3 : Art. 130 LDN, possession d’une substance (art. 4 LRCDAS).
Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 3 : Coupable.
•SENTENCE : Un blâme et une amende au montant de 2000$.
Contenu de la décision
Référence : R. c. ex-Caporal P.J. Prince, 2007 CM 4020
Dossier : 2006107
COUR MARTIALE PERMANENTE
CANADA
ONTARIO
BASE DES FORCES CANADIENNES TRENTON
Date : 4 juillet 2007
SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL J-G PERRON, J.M.
SA MAJESTÉ LA REINE
c.
EX-CAPORAL P.J. PRINCE
(Contrevenant)
SENTENCE
(Prononcée de vive voix)
TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE
[1] Ex-Caporal Prince, après avoir accepté et inscrit votre plaidoyer de culpabilité relativement aux premier, deuxième et troisième chefs d’accusation, la cour vous déclare coupable de ces chefs d’accusation.
[2] Le sommaire des circonstances, dont vous avez officiellement reconnu les faits en tant que preuve concluante de votre culpabilité, éclairent la cour quant au contexte dans lequel ces infractions ont été commises.
[3] Les principes de détermination de la peine, qui sont d’ailleurs les mêmes devant une cour martiale et devant un tribunal civil de juridiction criminelle au Canada, ont été formulés de différentes manières. En général, ces principes s’appuient sur le besoin de protéger le public, ce qui inclut, bien entendu, les Forces canadiennes. Les principes fondamentaux sont ceux de la dissuasion, qui comprend la dissuasion particulière, c’est-à-dire l’effet dissuasif produit sur une personne en particulier, ainsi que la dissuasion générale, c’est-à-dire l’effet dissuasif produit sur toute personne qui pourrait être tentée de commettre des infractions du même genre. Ces principes comprennent également le principe de la réprobation du comportement illégal et, enfin et surtout, celui de l’amendement ou de la réadaptation du contrevenant. Il revient à la cour de déterminer ce qui protégera le mieux le public : la dissuasion, la réadaptation, la réprobation ou une combinaison de ces principes.
[4] La cour a également tenu compte de l’orientation suggérée par les articles 718 à 718.2 du Code criminel du Canada. Les objectifs consistent à dénoncer le comportement illégal; à dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions; à isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société; à favoriser la réinsertion sociale des délinquants; à assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité; et à susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.
[5] La cour est aussi tenue, lorsqu’elle inflige une peine, de suivre les directives de l’article 112.48 des Ordonnances et règlements royaux, qui lui impose de tenir compte de toute conséquence indirecte du verdict ou de la peine et de prononcer une peine proportionnelle à la gravité de l’infraction et aux antécédents du délinquant. La cour a également pris en compte le fait que les peines infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables ne devraient pas différer de manière disproportionnée. La cour a aussi le devoir d’infliger la peine qui soit la moins sévère tout en étant suffisante pour maintenir la discipline.
[6] La Cour d’appel de la cour martiale, dans l’arrêt R. c. L.P., (1998) CACM-418, a clairement énoncé que le juge appliquant la peine ne devait pas dévier de la recommandation conjointe à moins que la peine proposée ne jette le discrédit sur la justice ou ne soit contraire à l'intérêt général. La poursuite et votre avocat ont tous les deux proposé que vous écopiez d’un blâme et d’une amende de 2 000 $.
[7] L’objectif fondamental de la peine est le rétablissement de la discipline chez le contrevenant et dans les rangs des Forces armées. La discipline est cette qualité que tout membre des FC doit avoir, et qui lui permet de faire passer les intérêts du Canada et des Forces canadiennes avant ses intérêts personnels. Cela est nécessaire parce que les membres des Forces canadiennes doivent obéir rapidement et de leur plein gré aux ordres licites, même si ceux-ci peuvent avoir des conséquences dévastatrices sur le plan personnel, comme des blessures ou même la mort. Quoique la discipline soit une qualité qui est enseignée et promue par les Forces canadiennes dans le cadre de la formation et des exercices, il s’agit en définitive d’une qualité interne qui est l’une des conditions essentielles à l’efficacité opérationnelle de toute force militaire.
[8] La Cour suprême du Canada a évoqué la notion de discipline au sein des Forces armées au paragraphe 60 de son arrêt R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259. La Cour y déclare ce qui suit :
Le but d'un système de tribunaux militaires distinct est de permettre aux Forces armées de s'occuper des questions qui touchent directement à la discipline, à l'efficacité et au moral des troupes. La sécurité et le bien-être des Canadiens dépendent dans une large mesure de la volonté d'une armée, composée de femmes et d'hommes, de défendre le pays contre toute attaque et de leur empressement à le faire. Pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace. Les manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil.
[9] La Cour suprême du Canada citait ensuite une précédente décision de la Cour fédérale, MacKay c. Rippon [1978] 1 C.F. 233, dans laquelle la Cour fédérale faisait le commentaire suivant, à la page 235 :
Sans code de discipline militaire, les Forces armées ne pourraient accomplir la fonction pour laquelle elles ont été créées. Vraisemblablement ceux qui s'enrôlent dans les Forces armées le font, en temps de guerre, par patriotisme et, en temps de paix, pour prévenir la guerre. Pour qu'une force armée soit efficace, il faut qu'il y ait prompte obéissance à tous les ordres licites des supérieurs, respect des camarades, encouragement mutuel et action concertée; il faut aussi respecter les traditions du service et en être fier. Tous les membres des Forces armées se soumettent à un entraînement rigoureux pour être à même, physiquement et moralement, de remplir le rôle qu'ils ont choisi et, en cela, le respect strict de la discipline est d'une importance capitale.
Plusieurs infractions de droit commun sont considérées comme beaucoup plus graves lorsqu'elles deviennent des infractions militaires, ce qui autorise l'imposition de sanctions plus sévères. Les exemples en ce domaine sont légion, ainsi le vol au détriment d'un camarade. Dans l'armée la chose est plus répréhensible puisqu'elle porte atteinte à cet « esprit de corps » si essentiel, au respect mutuel et à la confiance que doivent avoir entre eux des camarades, ainsi qu'au moral de la vie de caserne. Pour un citoyen, en frapper un autre, c'est se livrer à des voies de faits punissables en tant que telles, mais pour un soldat, frapper un officier supérieur, c'est beaucoup plus grave; c'est porter atteinte à la discipline et, en certains cas, cela peut équivaloir à une mutinerie. À l'inverse, l'officier qui frappe un soldat commet aussi une infraction militaire sérieuse. Dans la vie civile, un citoyen peut à bon droit refuser de travailler, mais le soldat qui agit ainsi commet une mutinerie, ce qui est une infraction des plus graves, passible de mort en certains cas. De même, un citoyen peut quitter son emploi en tout temps, sa conduite ne sera entachée que d'inexécution d'obligations contractuelles mais, pour un soldat, agir ainsi constitue une infraction sérieuse, qualifiée d'absence sans permission et, s'il n'a pas l'intention de revenir, de désertion.
Un autre exemple d’infraction devant être punie plus sévèrement dans le système de justice militaire que dans le système civil est la possession de drogues illicites.
Circonstances atténuantes
[10] J’examinerai d’abord la preuve relative aux circonstances atténuantes. La poursuite a soumis des commentaires favorables sur votre disposition à assumer la responsabilité de vos actes. Vous avez collaboré immédiatement avec la police et le fait que vous ayez plaidé coupable dès le début a réduit considérablement le travail et le coût que nécessite la préparation d’un procès. Ces infractions n’ont pas été commises dans un établissement de défense, et aucun autre membre des FC n’y a participé.
[11] Votre plaidoyer de culpabilité témoigne de façon tangible du fait que vous reconnaissez votre responsabilité. La preuve indique qu’après votre arrestation, vous aviez l’impression d’avoir laissé tomber votre équipe. Bien qu’il soit question, dans votre fiche de conduite, d’une absence sans permission et d’une conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline (deux infractions datant du 6 juin 2000), il s’agit là de mentions qui remontent à il y a sept ans et qui n’ont rien à voir avec les infractions en cause en l’espèce.
[12] Le fait que vous ayez fréquenté ce qui semble être une clinique pour les toxicomanes illustre de façon favorable votre détermination à ne plus posséder de drogues illicites. Bien que les éléments de preuve dont je dispose ne me permettent pas de savoir quelle quantité exacte de marijuana vous aviez en votre possession au moment de ces infractions, il semble qu’il s’agisse d’une quantité relativement faible. La cour tient compte également du délai qu’il y a eu avant la tenue d’un procès sur ces chefs d’accusation.
[13] Votre commandant, le major Boucher, a décrit le rôle essentiel que vous avez joué au sein de la compagnie de défense nucléaire, biologique et chimique interarmées; il estimait que vous étiez un bon soldat sur lequel on pouvait compter pour qu’il s’acquitte de ses fonctions. Vous étiez très apprécié par l’équipe, et les membres de votre propre unité avaient confiance en vous. Vous êtes l’un des premiers membres de cette unité, et il semble qu’à ce titre, vous aviez des responsabilités plus lourdes que celles des autres membres de l’unité. Les incidents en cause dans ces chefs d’accusation ont eu des conséquences immédiates sur votre vie; vous avez été muté à la section d’entretien de l’unité, mais vous avez continué à faire un excellent travail. Vous avez fini par être libéré conformément à l’alinéa 5f) de l’article 15.01 des ORFC. Vous avez maintenant un emploi et semblez poursuivre activement une nouvelle carrière.
Facteurs aggravants
[14] J’examinerai maintenant les facteurs aggravants en l’espèce. Le poursuivant recommande que la peine infligée en l’espèce soit assez lourde pour dissuader d’autres personnes de commettre des infractions du même genre, c’est-à-dire que les principes de dissuasion générale et de réprobation soient appliqués dans la détermination de la peine appropriée. La réinsertion sociale ne doit pas être considérée comme un facteur important ici puisque, selon les éléments de preuve, vous avez fait des efforts pour vous réadapter en ayant recours aux services de counseling en matière de toxicomanie offerts par les Forces canadiennes.
[15] Bien que vous ayez été un membre apprécié de l’équipe de votre unité, les incidents en cause dans ces chefs d’accusation ont eu des conséquences immédiates pour l’unité. Le major Boucher a été contraint de vous destituer de votre poste d’opérateur de reconnaissance en raison de la nature des allégations. Il lui fallait avoir, dans ce poste, quelqu’un en qui il sentait qu’il pouvait avoir totalement confiance en raison du rôle extrêmement spécialisé et primordial que joue l’unité dans la défense du Canada. Le major Boucher devait également veiller à ce que la confiance et la réputation dont jouissait son unité auprès des organismes qui comptaient sur elle, notamment la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et la Deuxième Force opérationnelle interarmées (FOI 2), demeurent au niveau élevé qui était exigé pour assurer le succès de la mission. Il devait également dissiper les doutes exprimés par le quartier général supérieur et les autres unités et organismes en ce qui concerne la consommation de drogues illicites au sein de l’unité.
[16] La possession de drogues illicites est une infraction grave prévue à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Elle constitue une infraction mixte, ce qui signifie que, dans le cas d’une poursuite civile, si le poursuivant opte pour un mode plus grave de poursuite pour ce qui est de la marijuana, la peine maximale qu’un tribunal peut imposer est un emprisonnement maximal de cinq ans moins un jour. Par conséquent, il est manifeste, d’après ce régime de détermination de la peine, que le Parlement considère la possession de marijuana comme une infraction grave et qu’il souhaite punir les délinquants en conséquence et dissuader d’autres personnes de commettre ces infractions.
[17] Vous, comme tous les autres membres des Forces canadiennes, étiez parfaitement au courant de la politique stricte des Forces canadiennes en ce qui concerne la possession de drogues illicites. La possession de drogues illicites est un manquement grave au Code de discipline militaire et ne peut être tolérée au sein des Forces canadiennes. La possession de drogues illicites, qui conduit logiquement soit à la consommation, soit au trafic, porte atteinte aux valeurs fondamentales de notre société militaire.
[18] J’ai cité, un peu plus tôt, un passage d’un arrêt de la Cour suprême du Canada qui portait sur la discipline au sein des Forces canadiennes et sur le rôle des Forces canadiennes. Nous jouons un rôle essentiel dans la société canadienne; nous pouvons avoir recours à la violence pour défendre notre pays et pour accomplir les tâches qui nous sont attribuées par notre gouvernement démocratiquement élu. Ce pouvoir et ces tâches sont aussi accompagnés de très grandes responsabilités et obligations. Les hommes et les femmes qui reçoivent l’ordre de mettre leur vie en danger au Canada et à l’étranger doivent être sains de corps et d’esprit. Nous sommes formés pour nous acquitter de nos tâches et nous sommes tenus de les exécuter au meilleur de nos capacités. Nous devons également être confiants que nos camarades d’armes se montreront à la hauteur des tâches afin de veiller au succès de la mission et à la sécurité de nos troupes. Quiconque possède une expérience opérationnelle dans les Forces canadiennes se rend compte que la consommation de drogues constitue une menace directe à l’efficacité opérationnelle des Forces et une menace à la sécurité de notre personnel et de notre équipement.
[19] Vous étiez membre d’une unité à niveau de préparation élevé qui n’a aucun équivalent au Canada. On attendait beaucoup de vous et des autres membres de cette unité en raison du rôle essentiel qu’elle joue dans la protection des Canadiens. Par vos actes, vous avez terni l’image de votre unité et celle des Forces canadiennes. J’espère que vous en aurez tiré des leçons. Ex-Caporal Prince, veuillez vous lever.
[20] Vous avez fait des efforts pour vous réadapter. À en juger d’après les efforts que vous avez faits pour cesser de consommer de la drogue ou, du moins, d’en posséder, votre bon rendement au travail, le fait qu’aucun élément récent n’ait été porté à votre fiche de conduite et votre plaidoyer de culpabilité, il n’est pas nécessaire d’appliquer les principes de dissuasion particulière en l’espèce. Bien que ces infractions constituent des manquements graves au Code de discipline militaire, vos actes et les efforts que vous avez faits en rapport avec ces infractions méritent d’être soulignés favorablement.
[21] La cour estime que la présente peine doit surtout insister sur la dissuasion générale et sur la dénonciation. Compte tenu des fortes circonstances atténuantes qui existent en l’espèce et ayant à l’esprit la directive donnée par la Cour d’appel de la cour martiale dans l’arrêt R. c. L.P., j’accepte la recommandation conjointe selon laquelle la peine la plus clémente compatible avec le maintien de la discipline dans les rangs en l’espèce est un blâme et une amende au montant de 2 000 $.
[22] L’audience tenue par la présente cour martiale permanente concernant l’ex-caporal Prince est levée.
LIEUTENANT-COLONEL J-G PERRON, J.M.
Avocats :
Major S. MacLeod, Direction des poursuites militaires
Procureur de Sa Majesté la Reine
Capitaine de corvette J. McMunagle, Direction du service d’avocats de la défense
Avocat de l’ex-caporal Prince