Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 9 septembre 2010

Endroit : 3e Escadre Bagotville, Édifice 81, 2e étage, Alouette (QC)

Chefs d'accusation
•Chefs d'accusation 1, 2 : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 2 : Coupable.
•SENTENCE : Une amende au montant de 700$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Gagnon, 2010 CM 1016

 

                                                                                                                  Date : 20100910

                                                                                                                 Dossier : 201042

 

                                                                                                    Cour martiale permanente

 

                                                                             Base des Forces canadiennes Bagotville

                                                                                                 Saguenay, Québec, Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal J.P.S. Gagnon, contrevenant

 

 

Devant : Colonel M. Dutil, J.M.C.

 


 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

[1]               Le caporal Gagnon a reconnu sa culpabilité à deux accusations portées aux termes de l'article 129 de la Loi sur la défense nationale, soit des actes préjudiciables au bon ordre et à la discipline. Les deux chefs d'accusation sont identiques à l'exception des périodes visées par chacun des chefs d'accusation. Il lui était reproché d'avoir accédé à l'aide d'un ordinateur de la Défense nationale, à de la pornographie et de la nudité, contrairement aux Ordres de sécurité des systèmes d'information du réseau métropolitain de la 3e Escadre Bagotville portant sur l'utilisation des systèmes informatiques. Le premier chef d'accusation réfère à un acte commis le ou vers le 18 octobre 2008, alors que le deuxième chef d'accusation réfère à la période comprise entre le 1er avril et le 27 juin 2008.

 

[2]               Quant au 1er chef d'accusation on réfère au 18 octobre 2008 alors que dans le 2e chef d'accusation on réfère des incidents entre le 1er avril et le 27 juin 2009. Les faits entourant cette affaire révèlent que le 26 juin 2009, un collègue du caporal Gagnon s’est présenté à la section météo, du bâtiment 234 de l’escadre, pour le début de son quart de travail de soir en remplacement du caporal Gagnon qui terminait sa journée de travail. Cette personne découvre alors deux images à caractère pornographique imprimées représentant deux jeunes femmes nues sur l'imprimante de la section. Cette personne a rapporté l’incident à son supérieur. Le 29 juin 2009, l'officier de sécurité des systèmes informatiques du groupe de service, information et télécommunication de la 3e Escadre Bagotville, est mis au fait que des photos à caractère pornographiques avaient été trouvées sur une imprimante de la section météo. Il est rapidement établi que les photos étaient reliées au compte d'utilisateur du caporal Gagnon. Le lendemain, le caporal Gagnon rencontre son supérieur et l'officier de sécurité des systèmes informatiques qui lui présentent les éléments de leur recherche impliquant le caporal Gagnon. Celui-ci admis à son superviseur avoir imprimé ces deux photos à caractère pornographique trouvés sur l’imprimante le 26 juin 2009.

 

[3]               Le 7 juillet 2009, à la demande de la police militaire, l'officier de sécurité des systèmes informatiques effectue des recherches plus approfondies sur le serveur de l’imprimante de la section météo, qui lui ont permis de répertorier toutes les photos que le caporal Gagnon avait imprimé entre le 28 avril et le 27 juin 2009. Cette personne a trouvé 80 photos à caractère pornographique. Le 9 juillet 2009, le Service National des Enquêtes saisit des disques durs des ordinateurs déterminés comme étant les ordinateurs utilisés par le caporal Gagnon pour des fins d'analyse par la GRC. Cette analyse révèlera que 607 photos de pornographie y avaient transitées, toutes reliées au compte informatique de l'accusé. Les recherches de la GRC révèlent également que l’accès aux sites de pornographie a été fait en grande majorité le 18 octobre 2008.

 

[4]               Lors de sa rencontre avec le Service national des enquêtes, le caporal Gagnon a reconnu avoir eu accès à des sites de pornographie adulte sur des systèmes informatiques de la Défense nationale durant ses heures de travail, et ceci en contravention des Ordres de Sécurité des systèmes d’information du réseau métropolitain de la 3e Escadre de Bagotville. Durant l’enquête du Service national des enquêtes, il a été déterminé qu’environ 21 sites de pornographie adulte différents avaient été visités par le caporal Gagnon sur des systèmes informatiques de la Défense nationale. Le caporal Gagnon connaissait la politique d’utilisation des réseaux électroniques de la 3e Escadre Bagotville qui interdit l’accès à du matériel pornographique ou obscène sur un système informatique du réseau métropolitain de la 3e Escadre de Bagotville.

 

[5]               La poursuite recommande à la cour d'imposer une sentence composée d'une réprimande et d'une amende au montant de 1500 dollars, alors que la défense soumet qu'une peine de 200 dollars serait une sentence juste et suffisante dans les circonstances. S'appuyant tant sur les circonstances de l'affaire que de la preuve présentée lors de l'audition portant sur la détermination de la sentence, les procureurs en arrivent à des suggestions substantiellement différentes. Au soutien de leur position respective, ils invitent cette cour à prendre en compte les motifs et les conclusions des décisions récentes suivantes : R c. Adjudant G. Charest, 2007 CM 4010, 28 mars 2007; R. c. Corporal J.W. Campbell, 2007 CM 1025, 20 novembre 2007; ainsi que R. c. Lieutenant F. Déry, 2008 CM 4018, 9 décembre 2008.  La cour ne retient pas la décision de la cour martiale permanente du 16 août 2001 dans l'affaire R. c. Commodore E.J. Lehre, 2001 CM 26, puisque les motifs ne permettent pas de comprendre les circonstances de ladite affaire et que les circonstances particulières du contrevenant ne sont aucunement comparables avec celle du Commodore Lehre. Il est opportun de souligner les éléments importants des affaires Charest, Campbell et Déry.

 

[6]               Dans l'affaire Campbell, les procureurs avaient présenté une suggestion commune pour que la cour impose une sentence de blâme et une amende de 2000 dollars. La cour entérina cette recommandation. Le contrevenant avait plaidé coupable à deux chefs d'accusation de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline aux termes de la Loi sur la défense nationale. Il s'agissait d'une violation à la politique d'utilisation d'internet qui découlaient de l'utilisation non-autorisée d'un ordinateur et de la divulgation du nom d'utilisateur et du mot de passe du contrevenant à des collègues en poste à l'étranger afin qu'il puisse communiquer avec leurs familles parce que ceux-ci n'étaient pas en mesure de le faire avec leur propre compte et mot de passe en raison de la fiabilité des ordinateurs. Une circonstance particulièrement atténuante révélait que le caporal Campbell avait vu son engagement en service de  réserve de Classe "B" résilié prématurément par les autorités militaires en raison d'une accusation supplémentaire portée contre l'accusé, mais qui fut l'objet d'un retrait par le directeur des poursuites militaires avant le début des procédures de la cour martiale.

 

[7]               La cour martiale de l'adjudant Charest a fait, elle-aussi, l'objet d'une suggestion commune sur sentence par les avocats en présence qui fut entérinée par le juge, soit une réprimande et une amende de 1500 dollars à la suite d'un plaidoyer de culpabilité relativement à deux chefs d'accusation d'avoir accédé à des sites pornographiques à partir d'ordinateurs de la défense. Les circonstances ne permettaient pas d'établir que le contrevenant avait visité ces sites, soit 275 sites, durant les heures de travail. La cour avait retenu, outre le plaidoyer de culpabilité du contrevenant,  que celui-ci avait été libéré des Forces canadiennes pour les mêmes faits et qu'il avait eu jusque là une carrière militaire sans tache de plus de 25 ans.

 

[8]               Finalement, l'affaire Déry est celle d'un officier qui était employé en service de Classe "B" et qui occupait les fonctions d'officier des technologies d'information et d'officier de sécurité des systèmes d'information du Camp d'instruction d'été des cadets de Cap-Chat au cours de l'été 2005. Plus précisément, entre le 16 juin et le 19 août 2005, il avait visionné une vidéo pornographique, téléchargé de la musique en utilisant un logiciel et branché un portable au réseau malgré le fait que ces actions étaient prohibées par une ordonnance. Il avait également invité un caporal, un membre de la Force de la réserve et non un cadet, à visionner la vidéo pornographique en sa compagnie durant les heures de travail. Il savait que sa conduite était interdite. La poursuite avait suggéré que la cour impose une sentence composée d'un blâme et d'une amende de 1200 dollars, alors que la défense proposait une amende au montant de 500 dollars. La cour retenait comme circonstances aggravantes le fait qu'il s'agissait d'un manquement important de la part du contrevenant à son devoir d'officier de sécurité des réseaux informatiques et plus particulièrement le fait qu'une des femmes apparaissant sur le vidéo était une anciennes cadette de son propre corps de cadets de l'armée. Outre le plaidoyer de culpabilité, un délai de plus de trois ans depuis la commission de l'infraction, le jeune âge relatif du contrevenant au moment de l'infraction, la cour retenait comme circonstance atténuante le fait qu'il n'avait plus été employé depuis février 2006, conséquence directe de l'enquête dont il avait été l'objet. Il est opportun de rappeler les motifs du juge qui présidait cette affaire aux paragraphes 6 et 8 de son jugement avant qu'il inflige l'amende de 750 dollars:

 

[6] [...] La situation devant cette cour est bien différente des deux causes qui me furent présentées par la poursuite. Vous étiez un jeune officier avec peu d'expérience qui a fait un usage inapproprié des systèmes informatiques qui est bien différent de l'usage dans le cas du capitaine de vaisseau Banks et dans le cas du caporal Campbell. Vos caractéristiques personnelles sont aussi bien différentes de ces deux autres contrevenants.

 

[]

 

[8] Une sentence juste et adéquate dans un tel cas d'un bris d'une directive si bien connue de tous les membres des Forces canadiennes doit refléter la gravité de ce genre d'infraction mais aussi les antécédents du contrevenant. Ayant examiné la jurisprudence et les faits de cette affaire, je suis d'avis que la sentence suivante incorpore adéquatement les principes de détermination de la peine et qu'elle constitue la sentence la plus minimale pour assurer la protection du public et le maintien de la discipline dans les Forces canadiennes. Je ne crois pas qu'un blâme est une peine nécessaire à ce moment-ci compte tenu des facteurs atténuants de cette affaire.

 

[9]               La poursuite n'a appelé aucune preuve lors de l'audition. Outre, le sommaire des circonstances, elle a déposé les documents usuels qui portent sur les états de service de l'accusé et l'information relative à sa solde et à ses indemnités. L'accusé, caporal Gagnon, n'a pas de fiche de conduite, ni de dossier criminel. La défense a déposé en preuve trois documents avec le consentement de la procureure de la poursuite. Cette preuve indique que le caporal Gagnon a été accusé pour les faits entourant cette affaire le 4 février 2010 et que l'une des trois accusations qui apparaissaient au procès-verbal de procédure disciplinaire lui reprochait d'avoir accédé à de la pornographie juvénile contrairement à l'article 163.1(4.1) du Code criminel. Cette accusation n'a pas fait l'objet d'une mise en accusation de la part du directeur des poursuites militaires. Le caporal Gagnon a également fait l'objet d'une mesure corrective le 29 juin 2010, sous la forme d'une mise en garde et surveillance, pour les événements qui ont fait l'objet des accusations devant cette cour. Cette mesure corrective se terminera à la fin de l'année. Finalement, un document intitulé "Sommaire annuel d'erreurs 2009-10" qui indique les observations horaires du caporal Gagnon et son pourcentage d'erreur pour cette période a été produit en preuve. Ce document n'ajoute rien au témoignage du caporal Gagnon sur la manière dont il s'est acquitté de ses fonctions entre avril 2009 et mars 2010.

 

[10]           La cour a entendu les témoignages du caporal Gagnon et de sa conjointe. Outre le fait d'élaborer sur les circonstances entourant la commission des infractions, le témoignage du caporal Gagnon met en lumière les motivations personnelles qui l'ont mené à la commission des infractions. De plus, cette preuve expose les événements vécus par la famille Gagnon à la suite des accusations et des défis personnels et professionnels qu'ils doivent affronter aujourd'hui et dans l'avenir du fait du comportement répréhensible du caporal Gagnon.

 

[11]           Le caporal Gagnon est âgé de 31 ans et il est au service des Forces canadiennes depuis 10 ans, les 7 dernières au sein de la Force régulière. Il est technicien en météorologie. Lui et sa conjointe vivent en couple depuis 6 ans. Ils ont deux jeunes enfants: un fils ainé né en mai 2007 et un autre né en février 2010. Le caporal Gagnon est en congé parental jusqu'en novembre 2010. Depuis leur arrivée à Bagotville, ils vivent dans le secteur des logements familiaux.

 

[12]           Le caporal Gagnon a témoigné à l'effet qu'il considère avoir entretenu un rapport malsain de dépendance envers la pornographie depuis plusieurs années. Il explique que cette curiosité à consulter de la pornographie chez-lui se satisfaisait à l'insu de sa conjointe qui en était profondément peinée. Elle lui avait demandé de cesser ce comportement. Plutôt que de cesser, il continuait, mais en essayant de ne pas laisser de trace. C'est ce qui l'aurait emmené à poser les gestes qui lui sont reprochés devant cette cour et qui apparaissent au sommaire des circonstances.  Le caporal Gagnon a témoigné que ses fonctions l'amène à travailler souvent seul les soirs et les fins de semaine. Le tout aurait commencé alors qu'il consultait internet durant les heures de travail pour trouver une image qui correspondait à un personnage qu'il utilise dans le cadre d'un jeu de société intitulé "Donjons et Dragons". Il voulait ainsi montrer ce personnage à ses collègues de travail qui connaissaient son intérêt pour ce jeu de société. Or, ses recherches l'ont amené sur un site internet qui révéla à l'écran l'image d'une femme à demi vêtue à sa grande surprise. Il ne comprenait pourquoi, le réseau internet lui permettait d'accéder à ce type de matériel. Il n'en fallait pas plus pour qu'il n'y voit là l'opportunité de pouvoir consulter de la pornographie à l'extérieur de la maison, sans que sa conjointe le sache, puisqu'elle déplorait son comportement. Le sommaire des circonstances nous rappelle l'ampleur de cette consultation non-autorisée.

 

[13]           Le caporal Gagnon a admis avoir accédé à des sites de pornographie adulte sur des systèmes informatiques de la défense durant ses heures de travail, dès qu'il fut confronté tant par ses supérieurs que par les enquêteurs du SNE le 30 juin 2009, et c'est là qu'il admit les faits. C'est par la suite que les événements ont pris une tournure qu'il n'avait pas anticipée. Selon ses dires, les policiers le soupçonnaient alors d'avoir également eu accès à de la pornographie juvénile. Il en est informé en juillet 2009. D'ailleurs, une accusation est portée contre lui à cet effet le 4 février 2010. Entre juillet 2009 et février 2010, l'attente des accusations est particulièrement difficile pour le couple Gagnon. La machine à rumeurs s'est mise en branle.

 

[14]           Le caporal Gagnon est affecté au plus haut point. Selon ses dires, il ne peut accepter le fait d'être perçu comme une personne qui abuserait des enfants. Il se sent détruit, sale. Il entretient des pensées suicidaires. Il n'ose plus s'approcher des enfants, y compris ses propres enfants.  Le caporal Gagnon et sa conjointe affirment qu'il est devenu méconnaissable, verbalement agressif et impatient, y compris avec ses enfants. Le couple Gagnon se disputent et pleurent souvent. Depuis les évènements et plus particulièrement depuis le moment où on le soupçonnait d'avoir accédé à de la pornographie juvénile, il doit prendre des antidépresseurs et des somnifères. Cette situation a profondément minée la confiance qui les unissait, même s'il disait à sa conjointe qu'il n'avait pas accédé à de la pornographie juvénile. Malgré cela, il devait faire fi des rumeurs et garder la tête haute. Comme les témoins l'ont bien illustré, le caporal Gagnon portait un masque pour passer au travers.

 

[15]           La conjointe du caporal Gagnon a, elle-aussi, était profondément meurtrie par les évènements. Bien sûr, elle savait que son conjoint consultait de la pornographie adulte bien avant les incidents et elle lui avait dit que cela lui déplaisait. Le fait que son conjoint soit accusé d'avoir fait usage non-autorisée des systèmes informatiques de la défense pour avoir accédé à de la pornographie adulte n'est sûrement pas pour lui plaire, mais ce n'est pas ça qui les a détruit comme couple. Il ne fait aucun doute que ce sont les rumeurs qui ont tôt fait de circuler relativement à des allégations que le caporal Gagnon avait accédé à de la pornographie juvénile qui furent dévastatrices. Selon la preuve, ils se sont vite sentis exclus de leur voisinage, et ce bien avant février 2010, date du dépôt des accusations. Elle a témoignée que cela l'a démoli. La conjointe du caporal Gagnon a fait une dépression et n'a cessé de se questionner depuis l'été 2009 sur l'avenir de leur couple et de leurs enfants. De son conjoint, elle ne sait pas si elle sera capable de le revoir comme avant. Ils ont témoigné recevoir de l'aide psychologique depuis plusieurs mois, en particulier le caporal Gagnon qui tente de résoudre son besoin de visionner de la pornographie.

 

[16]           Or un fait important, voire troublant, est particulièrement révélateur. Sous prétexte de connaître certains détails de l'enquête concernant son conjoint, et ce bien avant le dépôt des accusations, une voisine se permettait d'émettre des commentaires à la conjointe du caporal Gagnon qui l'ont mené à perdre confiance en lui. Selon ce qu'on lui disait, elle ne savait pas si elle devait confronter le caporal Gagnon au sujet des allégations relatives à la pornographie juvénile. Selon la conjointe du caporal Gagnon, cette voisine, n'était nulle autre que l'épouse d'un policier militaire. La cour doit préciser que lorsqu'une personne est formellement accusée d'une infraction sérieuse, ceci est du domaine public. Cette réalité emporte souvent avec elle la stigmatisation de l'accusé et de sa famille. Lorsqu'une personne est soupçonnée d'avoir commis un acte criminel et que l'incident qui en est à la source est également du domaine public, par exemple par l'entremise des médias ou des témoins d'une scène de crime, cela a souvent le même effet. Une telle réalité est inévitable. Or ce n'est pas de ce dont il s'agit ici. Dans cette affaire, un policier au fait des détails d'une enquête qui n'est pas du domaine public partage certaines informations relatives à l'enquête avec son épouse qui, elle, interprète ladite information pour partager ses états d'âme avec la conjointe d'un suspect. Si elle s'avère le moindrement avérée, cette situation soulève en soi des questions importantes sur le respect des règles de confidentialité qui régissent les policiers dans le cadre de leurs fonctions. Les autorités policières voudront peut-être faire la lumière sur les faits qui entourent ce bris apparent du devoir de confidentialité de la part d'un des leurs.

 

[17]           L'imposition d'une sentence est la tâche la plus difficile d'un juge. La Cour suprême du Canada a reconnu dans l’arrêt R. c. Généreux[1] que « pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace. » Elle a souligné que dans le contexte particulier de la discipline militaire, les manquements à la discipline devaient être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil. Or, le droit ne permet pas à un tribunal militaire d’imposer une sentence qui se situerait au-delà de ce qui est requis dans les circonstances de l’affaire. En d’autres mots, toute peine infligée par un tribunal, qu’il soit civil ou militaire, doit être individualisée et représenter l’intervention minimale requise puisque la modération est le principe fondamental de la théorie moderne de la détermination de la peine au Canada.

 

[18]           Lorsqu'il s'agit de donner une sentence appropriée à un accusé pour les fautes qu'il a commises et à l'égard des infractions dont il est coupable, certains objectifs sont visés à la lumière des principes applicables quoiqu'ils varient légèrement d'un cas à l'autre. Ces principes et ces objectifs apparaissent notamment, lorsqu'ils ne sont pas incompatibles avec le régime de la Loi sur la défense Nationale, aux articles 718, 718.1 et 718.2 du Code criminel et il faut également prendre en compte les exigences impératives pour garantir le maintien d'une force armée disciplinée, opérationnelle et efficace.

 

[19]           Le prononcé de la sentence lors d'une cour martiale a pour objectif essentiel de contribuer au respect de la loi et au maintien de la discipline militaire par l'infliction de peines justes visant entre autres un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a)         dénoncer le comportement illégal;

 

b)         dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;

 

c)         isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

 

d)         favoriser la réinsertion du  contrevenant dans son environnement au sein des Forces canadiennes; et

 

f)         susciter la conscience de leurs responsabilités chez les contrevenants militaires.

 

[20]           La sentence doit également prendre en compte les principes suivants. Elle doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction, les antécédents du contrevenant, ainsi que son degré de responsabilité. La sentence doit prendre également en compte le principe de l'harmonisation des peines, c'est-à-dire l'infliction de peines semblables à celles infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables. La cour a l'obligation, avant d'envisager la privation de liberté, d'examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient. Finalement, la sentence devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l'infraction ou à la situation du contrevenant et prendre en compte toute conséquence indirecte du verdict et de la sentence sur le contrevenant.

 

[21]           Dans cette affaire, la cour considère les circonstances suivantes comme aggravantes:

 

a)         la gravité objective d'une infraction portée aux termes de l'article 129 de la Loi sur la défense nationale qui est punissable comme peine maximale de la destitution ignominieuse du service de Sa Majesté. Il s'agit d'une infraction sérieuse;

 

b)         la nature de l'ordre qui fut violé et la nature de la violation, soit d'avoir accéder à du matériel pornographique adulte expressément visé par la politique d'utilisation des réseaux électroniques de la 3e Escadre de Bagotville. Cette politique vise à assurer la protection du réseau informatique. La poursuite a demandé à la cour de considérer comme aggravant le fait que les actes du contrevenant pouvaient poser un risque à la sécurité du réseau et la possibilité qu'il aurait pu en être contaminé. Ce risque constituerait une circonstance aggravante, si la cour avait entendu de la preuve à cet effet et ce n'est pas du domaine de la connaissance judiciaire. Or, il n'y pas d'éléments de preuve qui porteraient sur le risque de contamination du réseau informatique dans les circonstances de cette affaire.

 

c)         troisièmement, les actes qui vous sont reprochés, Caporal Gagnon, ont eu lieu durant vos heures normales de travail, et ce à de nombreuses occasions. La preuve indique que les disques durs saisis ont permis de répertorier 607 photos de pornographie adulte reliées à votre compte informatique et qu'environ 21 sites de pornographie adulte avaient été consultés.

 

[22]           La cour considère que les circonstances suivantes doivent atténuer la sentence:

 

a)         votre  aveu de culpabilité aux deux accusations qui font l'objet de cette cour martiale. La preuve est sans équivoque qu'il s'agit-là d'une reconnaissance sincère de vos fautes et de l'acception de vos responsabilités;

 

b)         l'absence de fiche de conduite et de dossier criminel;

 

c)         votre situation familiale et financière. Vous et votre conjointe êtes les parents d'une très jeune famille de deux enfants en très bas âge. Vous êtes en congé parental pour quelques mois encore et votre situation financière est fragile. Votre conjointe n'exerce aucun travail rémunéré;

 

d)         les circonstances entourant le processus d'enquête qui a mené aux accusations du 4 février 2010, en particulier celle d'avoir accédé à de la pornographie infantile qui n'a jamais fait l'objet d'une mise en accusation formelle par le directeur des poursuites militaires pour qui il n'existait pas de preuve suffisante pour prononcer une telle accusation. La cour est satisfaite que les circonstances entourant le processus ont causé un préjudice important envers votre famille qui est au-delà de celui qui découle normalement lorsqu'une personne est accusé d'avoir commis une infraction criminelle ou pénale. La preuve est abondante et non-contredite que les évènements qui ont entouré l'enquête ont fait l'objet d'indiscrétions qui ont eu un impact particulièrement difficile sur votre famille au grand complet. La stigmatisation abusive a excédé ce qui est normalement acceptable. Peu importe si votre voisine était de bonne foi lorsqu'elle a entretenu des discussions avec votre conjointe au sujet des faits qui faisaient l'objet d'une enquête à votre sujet, elle n'aurait jamais dû avoir cette information en premier lieu qui n'était pas encore du domaine public et qui lui aurait été communiquée par son mari policier militaire. Cette indiscrétion a eu un impact sérieux sur votre famille; et

 

e)         finalement, le fait que vous déjà fait l'objet d'une mesure corrective de mise en garde et surveillance en juin 2010 pour les évènements qui ont fait l'objet des accusations devant cette cour.

 

[23]           La cour est satisfaite que l'ensemble des évènements qui ont précédé la tenue de cette cour martiale pour les infractions d'avoir accédé à de la pornographique adulte durant vos heures de travail, et ce contrairement à la politique de l'Escadre sur l'utilisation des systèmes informatiques, ont eu un impact négatif important sur vous et votre famille. Il faut bien comprendre que l'accès à du matériel pornographique adulte dans le confort de son foyer sur internet ou autrement ne relèvent pas du droit criminel ou pénal, mais de la morale et des relations interpersonnelles. Ce n'est pas ce qui devant cette cour. Ici, la cour doit examiner la violation explicite d'une disposition spécifique qui interdit de consulter de la pornographie sur les ordinateurs de la Défense nationale durant les heures de travail ou non.

 

[24]           La cour est d'avis que la sentence dans cette affaire doit contribuer à la mise en œuvre des principes de la dénonciation du comportement fautif et la dissuasion tant générale que spécifique. La cour se déclare satisfaite qu'en plaidant coupable devant le tribunal, le caporal Gagnon accepte ses responsabilités. La cour reconnaît que le risque de récidive du caporal Gagnon est réel tant qu'il n'aura pas réglé ce qu'il considère lui-même être un problème de consommation de matériel de pornographie adulte, mais la cour est satisfaite et confiante que les risques de récidive du caporal Gagnon sont toutefois très minces dans le contexte de ce qu'il a vécu et fait vivre à sa famille au cours de la dernière année.

 

[25]           Comme l'a conclu mon collègue le juge militaire Perron dans l'affaire Déry, je suis d'avis qu'une réprimande n'est pas nécessaire dans les circonstances. Toutefois, une amende telle que celle qui est suggérée par le procureur de la défense banaliserait les actes reprochés et ne prendraient pas suffisamment en compte les circonstances aggravantes entourant la commission des infractions, et ce, au profit exclusif des circonstances atténuantes du caporal Gagnon. La sentence imposée doit faire preuve de pondération.

 

[26]           Caporal Gagnon, veuillez vous lever. Pour ces raisons, la cour prononce un verdict de culpabilité à l'égard du premier et du deuxième chefs d'accusation portés aux termes de l'article 129 de la Loi sur la défense nationale pour des actes préjudiciables au bon ordre et à la discipline et elle condamne le contrevenant, le caporal Gagnon, à l'amende au montant de 700 dollars. L'amende sera payable par paiements mensuels égaux de 100 dollars à compter d'aujourd'hui.


 

Avocats :

 

Major A. St-Amant, Service canadien des Poursuites militaires

Avocat de la poursuivante

 

Lieutenant de vaisseau M. Létourneau, Direction du service d'avocats de la défense

Avocat de la défense pour le caporal J.P.S. Gagnon



1. [1992] 1 R.C.S. 259.

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