Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 16 août 2010

Endroit : QG et ET 1 GBMC Edmonton, 400 croissant Italy, Edmonton (AB)

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 : Art. 130 LDN, possession non autorisée d'une arme prohibée (art. 91(2) C. cr.).
•Chef d'accusation 2 (subsidiaire au chef d'accusation 3) : Art. 130 LDN, voies de fait (art. 266 C. cr.).
•Chef d'accusation 3 (subsidiaire au chef d'accusation 2) : Art. 86 LDN, s'est battu avec une personne justiciable du code de discipline militaire.
•Chef d'accusation 4 (subsidiaire au chef d'accusation 5) : Art. 130 LDN, voies de fait (art. 266 C. cr.).
•Chef d'accusation 5 (subsidiaire au chef d'accusation 4) : Art. 86 LDN, s'est battu avec une personne justiciable du code de discipline militaire.
•Chef d'accusation 6 : Art. 97 LDN, ivresse.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 3, 5 : Coupable. Chefs d'accusation 2, 4 : Une suspension d'instance. Chef d'accusation 6: Retiré.
•SENTENCE : Détention pour une période de 10 jours. L'exécution de la peine de détention a été suspendue.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Campion-Wright, 2010 CM 1015

 

Date : 20100817

Dossier : 201006

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes/ Unité de soutien de secteur, Edmonton

Edmonton (Alberta), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Ex-Soldat J.E.Campion-Wright, contrevenant

 

 

Sous la présidence du Colonel M. Dutil, JMC

 


 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

Introduction

 

[1]               Hier, l’ex-Soldat Campion‑Wright a inscrit un plaidoyer de culpabilité à l’égard du premier chef d’accusation, une infraction punissable aux termes de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, pour possession non autorisée d’une arme prohibée, un coup‑de‑poing américain. Il a aussi inscrit des plaidoyers de culpabilité à l’égard des troisième et cinquième chefs d’accusation, établis aux termes de l’article 86 de la Loi sur la défense nationale, pour s’être battu avec un autre justiciable du code de discipline militaire.

 

[2]               La cour a accepté et enregistré les aveux de culpabilité et ordonné la suspension des poursuites pour ce qui est des deuxième et quatrième chefs d’accusation, et elle vous déclare maintenant coupable relativement aux premier, troisième et cinquième chefs d’accusation. La poursuite avait auparavant retiré le sixième et seul autre chef d’accusation, porté en vertu de l’article 97 de la Loi sur la défense nationale, pour ivresse. Les infractions ont été commises le 14 août 2009, et l’ex‑Soldat Campion‑Wright a été libéré des Forces canadiennes en mars 2010, moins de deux ans après son enrôlement. La cour doit maintenant fixer une sentence qui soit indiquée, juste et équitable. Cependant, la sentence que prononcera la cour doit représenter la mesure nécessaire la moins sévère que dictent les circonstances particulières de l’affaire.

 

[3]               L’imposition d’une sentence en cour martiale vise principalement à contribuer au respect de la loi et au maintien de la discipline militaire en infligeant des peines qui répondent à un ou plusieurs des objectifs suivants : la protection du public, le public incluant les Forces canadiennes; la dénonciation de la conduite illicite; l’effet dissuasif de la peine, non seulement pour le contrevenant, mais aussi pour d’autres personnes qui pourraient être tentées de commettre des infractions semblables; enfin, la réadaptation et la réinsertion sociale du contrevenant.

 

[4]               La sentence prononcée par la cour doit également tenir compte des principes suivants : elle doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction; elle doit tenir compte des antécédents du contrevenant et de son degré de responsabilité; elle devrait être semblable à celles infligées à des contrevenants du même genre pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables. La cour doit aussi respecter le principe selon lequel un contrevenant ne devrait pas être privé de sa liberté si des sanctions moins contraignantes peuvent être indiquées dans les circonstances. Autrement dit, les peines d’incarcération devraient constituer une sanction de dernier recours. Enfin, la sentence infligée devrait être plus ou moins sévère en fonction des circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant.

 

Contexte

 

[5]               Les faits entourant la commission des infractions révèlent qu’au moment de l’incident à l’origine des accusations dont est saisie la cour, l’ex-Soldat Campion‑Wright était un membre de la Force régulière affecté au Centre d’instruction de la Force terrestre, secteur de l’Ouest, à Wainwright, en Alberta.

 

[6]               Le 14 août 2009, les Soldats Goodwill et Shaw se trouvaient au mess des caporaux et soldats à la BFC Wainwright; le Soldat Campion‑Wright s’y trouvait également. Vers 22 h 30, le Soldat Goodwill a proposé au Soldat Campion‑Wright de vider un verre d’un trait. Lorsque le Soldat Goodwill a demandé à la barmaid de leur servir les verres, celle-ci a refusé de servir de l’alcool au Soldat Campion‑Wright parce qu’elle jugeait qu’il en avait déjà trop consommé.

 

[7]               Peu après, le Soldat Goodwill a observé le Soldat Campion-Wright discutant avec le membre du personnel de service au mess des caporaux et soldats, qui lui avait demandé de partir parce qu’il était dans tous ses états.

 

[8]               Le Soldat Goodwill a abordé le Soldat Campion‑Wright et a offert de le raccompagner à pied jusqu’à la caserne. Après une brève dispute, le Soldat Campion‑Wright a accepté, et les deux soldats ont quitté le mess.

 

[9]               Après qu’ils eurent quitté le mess, le Soldat Campion‑Wright a commercé à argumenter avec le Soldat Goodwill. Celui‑ci a mis son bras autour du Soldat Campion‑Wright en l’encourageant à marcher en direction des logements. Le Soldat Campion‑Wright a résisté aux efforts de son compagnon et a tenté de retourner au mess. Alors que le Soldat Goodwill déployait des efforts physiques pour ramener le Soldat Campion‑Wright vers la caserne, le contrevenant l’a poussé au sol et le Soldat Goodwill s’est éraflé un coude.

 

[10]           Deux membres de la police militaire sont arrivés sur les lieux et ont vu l’affrontement entre les Soldats Campion‑Wright et Goodwill. Ils ont commencé à parler avec le Soldat Campion‑Wright, qui a insisté pour être autorisé à retourner au mess. Les membres de la police militaire ont permis au Soldat Goodwill de partir, et celui‑ci est retourné au mess, où il a rejoint le Soldat Shaw.

 

[11]           Peu après, les Soldats Goodwill et Shaw ont décidé de quitter le mess. En sortant, ils ont aperçu les membres Gaudreau et Martin de la police militaire en compagnie du Soldat Campion‑Wright. Le Soldat Shaw s’est adressé à la PM et a demandé l’autorisation de raccompagner le Soldat Campion‑Wright à pied à la caserne. Le Sergent Gaudreau a accepté, puis les membres de la police militaire sont montés dans leur véhicule et ont suivi le groupe de soldats pendant que ceux‑ci se dirigeaient vers leurs logements.

 

[12]           Le Soldat Shaw a accompagné le Soldat Campion‑Wright jusqu’à l’entrée de leur logement, mais le Soldat Campion‑Wright a de nouveau tenté de partir. Le Soldat Shaw a physiquement retenu le Soldat Campion‑Wright, lui disant que c’était assez pour la soirée et qu’il devrait aller dormir. Le contrevenant a donné un coup de poing au visage du Soldat Shaw. Ce dernier a alors fait appel à la police militaire, qui a mis le Soldat Campion‑Wright en état d’arrestation.

 

[13]           Le Caporal Martin, l’un des membres de la police militaire, a procédé à une fouille accessoire à l’arrestation du contrevenant. Pendant la fouille, le Soldat Campion‑Wright a dit à la police qu’il avait un coup‑de‑poing américain en métal dans sa poche. Le Caporal Martin a trouvé l’objet dans la poche arrière gauche du pantalon du Caporal Martin et l’a saisi. L’objet en métal communément appelé « coup‑de‑poing américain » consiste en une bande de métal comportant des trous pour les doigts et conçue pour être placée sur les doigts de la main. Le Soldat Campion‑Wright ne disposait d’aucun permis l’autorisant à posséder cette arme prohibée.

 

[14]           Outre les documents administratifs versés en preuve durant l’audience relative à la sentence, la cour a entendu les témoignages de M. Campion‑Wright, le contrevenant, et de Mme Briscoe, la mère du contrevenant. Une série de lettres éclairant le contexte dans lequel la chaîne de commandement a décidé de libérer M. Campion‑Wright complète la preuve. D’entrée de jeu, il est parfaitement clair que le bref séjour de M. Campion‑Wright au sein des Forces canadiennes n’a pas été impressionnant. Celui‑ci a joint les Forces canadiennes comme soldat d’infanterie en décembre 2008 à l’âge de vingt ans, une année après avoir obtenu son diplôme d’études secondaires. Il a commencé son instruction de recrue en janvier 2009 à Saint‑Jean. Durant son instruction de base, il a été accusé et déclaré coupable, dans le cadre d’un procès sommaire, d’infractions afférentes à deux incidents distincts liés à la conduite. Après s’être qualifié, il a été transféré au Centre d’instruction de la Force terrestre, secteur de l’Ouest, à la Base des Forces canadiennes Wainwright, pour y suivre le cours de qualification militaire de base, en mai 2009. Il a rapidement acquis une piètre réputation, exacerbée par son mauvais rendement, des problèmes de comportement et une consommation très excessive d’alcool ainsi qu’une propension à susciter des affrontements avec ses compagnons militaires. C’est dans ce contexte que le contrevenant s’est attiré des ennuis le 14 août 2009 relativement à l’incident à l’origine des accusations devant la cour. Malheureusement, son comportement ne s’est pas amélioré pour autant. Le 30 septembre 2009, au terme d’un procès sommaire, il a été déclaré coupable d’ivresse pour un incident survenu une semaine plus tôt et pour défaut de se conformer à la condition, qui lui avait été imposée le 1er septembre 2009, de s’abstenir de toute consommation d’alcool. Le 23 septembre 2009, M. Campion‑Wright a de nouveau enfreint la condition, imposée le jour même, de s’abstenir de consommer de l’alcool : il a été repéré dans trois bars locaux de Wainwright. Le 2 octobre 2009, on lui a remis un avis officiel de consommation excessive d’alcool et ordonné de se présenter en conséquence à la SEM. Le 5 octobre 2009, M. Campion‑Wright a fait l’objet d’une évaluation par M. Woodsworth, le conseiller en toxicomanie. Le 29 octobre 2009, au terme d’un procès sommaire, le contrevenant a été déclaré coupable des incidents du 23 septembre 2009. Il a été condamné à 21 jours de détention et à 500 $ d’amende. Le contrevenant a été libéré de la caserne disciplinaire le 18 novembre 2009, après avoir purgé sa peine. La chaîne de commandement a entamé la procédure de libération au titre de l’alinéa 5f) peu après avoir conclu que M. Campion‑Wright ne pouvait être employé avantageusement dans les Forces canadiennes. Le contrevenant a été libéré des Forces le 23 mars 2010. Il vit actuellement avec sa mère et son beau-père près de Chase, en Colombie‑Britannique, et il aide ces derniers dans le ranch familial.

 

[15]           Il est tout à fait évident que le principal facteur des problèmes de comportement qu’a connus le contrevenant durant son emploi au sein des Forces canadiennes a été la consommation excessive d’alcool. Il ressort tout aussi clairement que la peine d’emprisonnement qui lui a été infligée en octobre 2009 a provoqué un changement d’attitude et fait naître chez lui le sens des responsabilités. Le 13 décembre 2009, un caporal a présenté la déclaration suivante à la chaîne de commandement afin d’appuyer le maintien du contrevenant dans les Forces canadiennes – et les documents suivants dont je citerai de larges extraits constituent la pièce 8 ou y sont joints.

 

 

[16]           Le 13 décembre 2009, donc, le Caporal Wyatt a déclaré ce qui suit :

 

[traduction]

« La présente lettre de recommandation a pour but d’appuyer le maintien du Soldat Campion‑Wright dans les Forces canadiennes. Je réside au bâtiment 626 avec le Soldat Campion‑Wright et j’ai été témoin de plusieurs des problèmes de discipline que celui‑ci a eus dans le passé et qui l’ont conduit au point où il se trouve dans sa carrière. Je connais très peu de choses concernant le Soldat Campion‑Wright lorsqu’il est en repos, et je me limiterai donc à témoigner de son professionnalisme et de son comportement lorsqu’il est de service. Au cours des derniers mois, le Soldat Campion‑Wright s’est amendé, notamment en ce qui concerne sa consommation excessive d’alcool, le fait de provoquer des affrontements avec ses compagnons et son comportement médiocre. À son retour de la caserne disciplinaire, j’ai observé une très nette amélioration chez le Soldat Campion‑Wright; il a mis fin à des altercations survenues entre nos pairs en employant un raisonnement clair et un bon jugement. Il a réussi à gérer la situation en faisant preuve de sang-froid et en montrant sa capacité de se dissocier de la situation pour éviter de devenir lui‑même inamical. Le Soldat Campion‑Wright a amélioré la qualité de la tenue de ses effets personnels, dans ses quartiers, afin de se mériter des commentaires de son commandant, ce qui, selon moi, traduit un accroissement de ses efforts personnels, de son aptitude et de sa fierté, des éléments que les Forces canadiennes recherchent chez les recrues. Au moment de la rédaction des présentes, le Soldat Campion‑Wright s’est vu confier la responsabilité de surveiller l’aile A du bâtiment 626. Il doit notamment veiller à ce que chacun soit éveillé et présent pour l’appel et à ce que les tâches de la station soient effectuées, et il a aussi certaines autres petites responsabilités. Lorsque ces fonctions lui ont été confiées, le Soldat Campion‑Wright est immédiatement venu solliciter mon aide, et j’ai pu l’aider à préparer une liste à jour des tâches de station pour l’aile A. Il s’agit là de qualités et de responsabilités que le Soldat Campion‑Wright n’aurait pas été en mesure d’assumer ni de mener à bien avant son entraînement correctif et sa sanction disciplinaire. Je crois que le Soldat Campion‑Wright a éprouvé de la difficulté à s’adapter à l’éthos militaire. Toutefois, je suis également persuadé qu’il est maintenant prêt à l’adopter de tout cœur. »

 

[17]           Le 11 décembre 2009, le compagnon de chambre de M. Campion‑Wright a fait les remarques suivantes, dans le cadre de la même démarche – je cite là encore un document de la pièce 8. La lettre dont voici un extrait a été écrite le 11 décembre 2009 par le Caporal Grey :

 

 

 

 

[traduction]

« Je connais le Soldat Campion‑Wright, qui est un bon ami et un camarade militaire du peloton de la Force terrestre, secteur de l’Ouest, Wainwright, depuis environ six mois maintenant. Je suis actuellement son compagnon de chambre au bâtiment 626, A328. Avant de me lier d’amitié avec le Soldat Campion‑Wright, j’ai toujours pensé qu’il était colérique parce qu’il se créait souvent des ennuis et ressentait un besoin impérieux de sortir et de boire tout le temps, ce qui lui valait des accusations et des séjours en cellule. Après de multiples entraînements correctifs et de nombreuses rencontres avec l’adjudant et les sous‑officiers, il a enfin décidé de réorienter sa vie et a fini par se rendre compte que tout ce qu’il souhaite dans la vie est de devenir un militaire des Forces canadiennes et y faire carrière à long terme. Le Soldat Campion‑Wright a pris plusieurs mesures pour être une meilleure personne en général et pour devenir un modèle dans les Forces canadiennes. Il a participé à un grand nombre de rendez‑vous chez le conseiller en toxicomanie et il prend des mesures de précaution lorsqu’il se rend à des bars, que ce soit à l’extérieur de la base ou dans la base. Quand le Soldat Campion‑Wright décide de sortir avec ses amis, il ne consomme pas d’alcool, tout au plus prend-il une boisson gazeuse; il sort pour le plaisir de se trouver en compagnie de ses amis, veillant à ce qu’ils passent un moment agréable et gardant un œil sur ses compagnons militaires pour qu’ils ne s’attirent pas d’ennuis. Le Soldat Campion‑Wright fait tout ce qu’il peut pour se rendre utile au bâtiment 626 et dans la base, que ce soit en aidant un autre soldat ou en faisant des courses pour les sergents. À titre de caporal en poste ici au PAI, je dois dire que le Soldat Campion‑Wright satisfait maintenant aux normes et qu’il est un modèle pour quiconque dans son entourage. À l’occasion des deux dernières inspections tenues ici au PAI, notre commandant et notre SMC ont fait de nombreux commentaires et compliments au sujet du Soldat Campion‑Wright, parce qu’il est l’un des seuls soldats ici qui sont à la hauteur sur le plan des effets personnels, de la tenue et du comportement. Cette reconnaissance le motive à s’efforcer de faire constamment mieux. J’aimerais que le Soldat Campion‑Wright puisse demeurer dans les Forces canadiennes. Je pense qu’il serait un atout pour les FC et deviendrait un militaire de premier ordre, parce que je peux constater que le Soldat Campion‑Wright fait maintenant les bons choix et s’améliore de façon à être un soldat d’infanterie de premier plan. Je ne demanderais pas mieux que d’avoir quelqu’un comme le Soldat Campion‑Wright à mes côtés en toute situation. »

 

[18]           Dans le même ensemble de documents, le 11 janvier 2010, le Soldat Campion‑Wright, naturellement, a écrit une lettre dans laquelle il expose ses objections quant à l’intention de son unité de recommander sa libération. En résumé, il explique avoir effectué des changements radicaux dans sa vie depuis les mesures disciplinaires prises contre lui et après avoir purgé 21 jours de détention. 

 

[19]           Le 20 janvier 2010, le Major Nolan, commandant du TSC [Training Support Company ou compagnie de soutien de l’instruction], a écrit au commandant et a recommandé la libération de M. Campion‑Wright. Voici un extrait de sa lettre, datée du 20 janvier 2010 :

 

[traduction]

« Nous recommandons que le Soldat Campion‑Wright soit libéré des Forces canadiennes en vertu du motif 5f), conformément au document de référence A. Cette recommandation est fondée sur sa conduite passée, qui est inférieure à la norme, ainsi que sur ses déficiences, les mesures disciplinaires prises contre lui et les incidents répétés de consommation excessive d’alcool. Ces facteurs ont eu une incidence importance sur sa capacité d’exercer adéquatement ses fonctions de soldat d’infanterie et font en sorte qu’il n’est pas avantageusement employable dans les FC. Depuis son retour de la caserne disciplinaire en novembre 2009, le Soldat Campion-Wright n’a fait l’objet d’aucune nouvelle mesure administrative, il a terminé sans difficulté sa période de surveillance de counseling initial et il a accompli toutes les tâches qui lui ont été assignées. Il a participé à des séances quotidiennes de conditionnement physique et a effectué toutes les activités prescrites avec une attitude positive. Actuellement, le Soldat Campion‑Wright est rattaché à la Compagnie B pour servir de force ennemie et contribuer au service général dans les différents cours. Il a exprimé le souhait de compléter l’instruction de fantassin MR PP 1. Malgré les progrès qu’il a réalisés, les infractions passées du Soldat Campion‑Wright soulèvent encore de grandes difficultés quant à sa conduite durant les périodes de repos. Les différentes accusations portées contre lui comportent trois chefs de défaut de se conformer aux conditions de sa libération ainsi que des accusations répétées d’ivresse, comme l’indique le document de référence B. Actuellement, il attend son procès en cour martiale relativement à six accusations. En outre, le Soldat Campion‑Wright n’a pas réagi de façon satisfaisante aux conditions accompagnant sa libération de détention, démontrant une fois de plus qu’il s’adapte mal à la structure et à la discipline du service militaire. En conclusion, je suis d’avis que le Soldat Campion‑Wright continuera d’éprouver des difficultés d’adaptation au mode de vie militaire. Le Soldat Campion‑Wright ayant été déclaré coupable sept fois d’infractions à la LDN et devant encore répondre devant la cour martiale de six accusations additionnelles, le tout dans une période de 12 mois, il n’a pas démontré à sa chaîne de commandement qu’il peut être un militaire efficace et productif des FC. Une certaine amélioration a été constatée dans son attitude et dans son rendement dans les quatre dernières semaines, mais cela n’est pas suffisant pour rétablir la confiance que j’ai perdue à l’égard de ce soldat. Je demeure d’avis que si le Soldat Campion‑Wright est maintenu dans les FC, son rendement et sa conduite déclineront vraisemblablement, et j’estime très probable qu’il commettra une nouvelle infraction. »

 

[20]           C’est sur la foi de cet avis que le 21 janvier 2010, le commandant a écrit au QGDN pour informer l’autorité de libération de l’opinion de la chaîne de commandement quant au statut de M. Campion-Wright à titre de membre des Forces canadiennes. Je citerai un bref extrait de la lettre signée le 21 janvier 2010 par le Lieutenant‑colonel Morrison : [traduction]  « Bien que la conduite du Soldat Campion‑Wright se soit améliorée depuis qu’il a été libéré de la caserne disciplinaire en novembre, sa chaîne de commandement estime toujours qu’il devrait être libéré des Forces canadiennes. La gravité et le nombre des accusations dont il a été trouvé coupable, et celles qui sont encore pendantes, indiquent que le Soldat Campion‑Wright ne possède pas les traits de caractère nécessaires pour être membre des Forces canadiennes. » (Au paragraphe 2) (Non souligné dans l’original)

 

[21]           L’ex‑Soldat Campion‑Wright et Mme Briscoe, la mère du contrevenant, ont témoigné dans le cadre de l’audience relative à la sentence. L’ex‑Soldat Campion‑Wright a affirmé qu’il ne se souvenait pas clairement des événements à l’origine des accusations, parce qu’il était trop ivre quand ils se sont produits. Il se souvient toutefois avoir été arrêté par la police militaire ce soir-là et avoir dit à la police qu’il avait un coup‑de‑poing américain dans sa poche. L’Ex‑Soldat Campion‑Wright a admis d’emblée être le seul responsable des incidents, et j’accepte son témoignage comme étant un signe de remords authentique concernant la conduite qu’il a eue ce soir-là. Le contrevenant a reconnu que son comportement, et plus particulièrement sa consommation excessive d’alcool, lui a coûté non seulement sa carrière, mais aussi le respect de sa famille et de ses amis. Il ne fait aucun doute que ce jeune homme a accompli des progrès importants dans son cheminement pour devenir un jeune adulte responsable et fiable. Bien qu’il puisse avoir été extrêmement déçu de la décision de sa chaîne de commandement de recommander sa libération malgré les efforts sincères et appréciables qu’il a déployés pour s’amender et mettre sa vie en ordre après avoir purgé une période de détention en novembre 2009, il poursuit sur la bonne voie depuis, une constatation largement corroborée par le témoignage de sa mère. Tous deux ont livré un témoignage sincère, honnête et convaincant. La cour reconnaît certainement que M. Campion‑Wright a fait d’énormes progrès. Il a établi que ses chances de réadaptation sont non seulement bonnes, mais aussi solidement  étayées.  

 

[22]           L’ex‑Soldat Campion‑Wright a expliqué s’être procuré le coup‑de‑poing américain en juillet 2009 à la suite d’un incident survenu peu avant ceux de l’espèce, alors que lui-même et son ami ont été agressés dans un bar local de Wainwright. Ils étaient alors tous les deux fortement intoxiqués. Il a déclaré qu’il estimait pouvoir utiliser l’arme prohibée pour assurer sa propre protection, au besoin, parce que l’enquête policière n’avait donné aucun résultat. Le contrevenant a volontiers reconnu que cette réaction était irresponsable. L’ex‑Soldat Campion‑Wright a affirmé qu’il transportait le coup‑de‑poing américain pour la première fois le 14 août 2009, parce qu’il prévoyait boire et se rendre dans des bars locaux ce soir-là.

 

[23]           Quant aux accusations portées en vertu de l’article 86 de la Loi sur la défense nationale, les incidents montrent essentiellement que la consommation excessive d’alcool a été leur élément déclencheur. Il est utile de mettre en perspective l’utilisation habituelle et appropriée d’une accusation relative aux querelles et aux désordres. La note qui accompagne l’article 103.19 des ORFC énonce :

 

Les infractions relevant de l’article 86 de la Loi sur la défense nationale sont formulées de façon à fournir à l’autorité les moyens appropriés de supprimer les querelles et les désordres en des circonstances où ils peuvent avoir de sérieuses conséquences. Par exemple, une bagarre à bord d’un navire, d’un aéronef ou en un endroit qui contient des substances explosives ou des appareils précieux et délicats peut avoir des résultats extrêmement graves. Des accusations ne devraient pas être portées sans discernement aux termes du présent article dans le cas de simples chamailleries isolées. 

 

Thèse des parties

 

[24]           L’avocate de la poursuite recommande que la cour inflige une réprimande et une amende de 2 000 $ au contrevenant. Elle soutient que cette sentence renforcerait l’importance de mettre l’accent sur l’effet dissuasif général et spécifique et sur la dénonciation de la conduite. À son avis, les facteurs aggravants en l’espèce comprennent la fiche de conduite du contrevenant, qui inclut une déclaration de culpabilité antérieure pour querelles et désordres liés au recours à la violence envers autrui. Elle fait valoir que le fait que les victimes étaient des amis militaires qui essayaient d’aider le contrevenant à éviter des ennuis, constitue aussi un facteur aggravant dans les circonstances. La cour est d’accord. L’avocate de la poursuite estime en outre que le rôle joué par l’alcool constitue un facteur aggravant en l’espèce. Cette thèse est difficile à concilier avec la décision de la poursuite de retirer l’accusation d’ivresse. Elle plaide également que la possession d’une arme prohibée est une infraction grave sur le plan objectif et que les membres des FC sont tenus à des normes plus rigoureuses, parce qu’ils sont entraînés au maniement des armes. Au soutien de sa recommandation, l’avocate de la poursuite a remis à la cour un cahier de décisions antérieures de cours martiales. J’ai examiné ces affaires, et les faits propres à chacune d’elles peuvent être distingués de ceux de l’espèce. La cour estime que les cas soumis n’ont qu’une pertinence incidente et qu’ils ne peuvent offrir un éventail significatif de sentences dans les circonstances. Quant à un possible problème de possession ou d’usage d’armes prohibées à la Base des Forces canadiennes Wainwright ou au sein des Forces canadiennes, l’avocate de la poursuite a déclaré que ce n’était pas le cas. Enfin, cette dernière demande à la cour de rendre une ordonnance fondée sur le paragraphe 491(1) du Code criminel et l’article 179 de la Loi sur la défense nationale et prescrivant la confiscation du coup‑de‑poing américain saisi par la police militaire.

 

[25]           L’avocat de la défense recommande une sentence consistant en une amende de l’ordre de 500 $ à 750 $, payable par versements mensuels de 50 $. Selon lui, il n’est d’aucune utilité d’infliger une réprimande à une personne qui ne sert plus dans les Forces canadiennes. Il reconnaît que la sentence peut avoir pour but de promouvoir les principes de dissuasion générale et de dénonciation. Il affirme toutefois qu’aucune preuve n’indique que les infractions pour lesquelles le contrevenant a plaidé coupable sont répandues dans la communauté militaire. Enfin, l’avocat de la défense avance que la cour n’a pas compétence pour rendre une ordonnance de confiscation de l’arme prohibée ainsi que le demande la poursuite.

 

 

Décision

 

[26]           La cour ne comprend pas comment une peine consistant en une réprimande et en une amende importante contribuerait au respect de la loi et au maintien de la discipline militaire dans les circonstances de l’espèce. Je conviens que les infractions comportant la possession et l’usage d’armes prohibées sont objectivement graves, mais elles sont particulièrement graves lorsqu’elles sont commises pendant la perpétration d’autres infractions criminelles. Néanmoins, l’infraction prévue au paragraphe 91(2) du Code criminel pour possession d’armes prohibées ou d’armes à autorisation restreinte est une infraction mixte. Toute personne déclarée coupable de cette infraction est passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans uniquement si elle a été accusée d’un acte criminel. À défaut, une personne peut faire l’objet d’une déclaration de culpabilité par procédure sommaire pour laquelle elle serait passible d’une amende maximale de cinq mille dollars et d’un emprisonnement maximal de six mois, ou de l’une de ces peines. Je ne partage pas l’avis de l’avocate de la poursuite selon lequel une infraction aux termes du paragraphe 91(2) du Code constitue en soi une infraction grave. Une telle déclaration est bien trop générale. Les circonstances particulières de la possession non autorisée, notamment la nature de l’arme et le contexte entourant la possession, sont de meilleurs indicateurs de la gravité objective de l’infraction. La cour reconnaît que l’avocate de la poursuite n’a pas la possibilité de procéder par voie de procédure sommaire sous le régime de la Loi sur la défense nationale, mais je serais fort surpris que les circonstances de la présente affaire soient jugées si graves que l’avocate de la poursuite eût procédé par mise en accusation si elle en avait eu la possibilité, particulièrement compte tenu du fait que la poursuite n’a pas demandé à la cour de rendre une ordonnance interdisant la possession d’une arme à feu ou d’autres armes en vertu de l’article 147.1 de la Loi sur la défense nationale. Au regard des infractions prévues à l’article 86 de la Loi sur la défense nationale, les faits de l’espèce se situent à l’extrémité inférieure du continuum pour ce type d’infraction.  

 

[27]           Toutefois, la gravité subjective de la présente affaire est importante. De l’avis de la cour, cette affaire constitue un exemple éloquent de l’échec d’un jeune militaire qui ne s’est pas adapté à la vie militaire et à la discipline fondamentale, y compris l’autodiscipline en matière de consommation d’alcool. Son attitude a finalement changé après la période de détention non négligeable qu’il a subie en novembre 2010 pour manquement à des conditions qui lui avaient été imposées auparavant relativement à sa consommation irresponsable d’alcool. En d’autres termes, malgré des signaux très clairs transmis auparavant par sa chaîne de commandement, comme on le voit à sa fiche de conduite, le contrevenant a eu besoin, pour se réveiller, d’une période d’incarcération. Malheureusement, la chaîne de commandement avait perdu la confiance nécessaire en lui, et elle a recommandé sa libération en dépit de ses efforts pour réorienter sa vie. En cette période d’activités intenses, la chaîne de commandement a consciemment décidé que l’avenir de l’ex‑Soldat Campion‑Wright dans les Forces canadienne était grandement compromis et qu’il ne pouvait plus être question de l’y maintenir; la cour ne remet pas cette décision en cause.  

 

[28]           La note A qui accompagne l’article 104.09 des ORFC rend compte avec justesse de la nature même de la punition de détention. Elle énonce, notamment :

 

(A) Comme pour toute mesure disciplinaire, la détention est une punition qui vise à réhabiliter les détenus militaires et à leur redonner l’habitude d’obéir dans un cadre militaire structuré. Ces derniers seront donc soumis à un régime d’entraînement qui insiste sur les valeurs et les compétences propres aux membres des Forces canadiennes, pour leur faire voir ce qui les distingue des autres membres de la société. Des soins spécialisés et des programmes d’orientation seront offerts par ailleurs aux détenus militaires qui en auront besoin pour les aider à surmonter leur dépendance aux drogues et à l’alcool ou à régler des ennuis de santé analogues […]

 

            La détention est une punition de dernier recours. Elle ne doit être infligée que lorsque aucune autre punition ou combinaison de punitions n’est appropriée dans les circonstances, dans le cadre de l’échelle des peines prévues à l’article 139 de la Loi sur la défense nationale. En l’espèce, la détention constitue la peine appropriée qui contribuera au respect de la loi et au maintien de la discipline militaire. Compte tenu des circonstances, cette peine tient compte de façon satisfaisante de l’importance des principes fondamentaux de dissuasion générale et de dénonciation de la conduite à l’égard des infractions commises le 14 août 2009. Une réprimande et une amende ne sont tout simplement pas indiqués. Le fait que le contrevenant ne fait plus partie des Forces canadiennes et qu’il a repris sa vie en main en devenant un jeune adulte responsable ne fait pas de la détention une punition moins appropriée dans les circonstances.

 

[29]           En conséquence, la cour vous condamne à 10 jours de détention, étant donné que cette punition aurait constitué la peine minimale requise si vous aviez été jugé pour ces infractions avant votre dernier procès sommaire et votre libération subséquente des Forces canadiennes, ce en dépit de la présence d’importants facteurs atténuants, parmi lesquels votre jeune âge, votre libération des Forces canadiennes en mars 2010 et votre conduite exemplaire depuis novembre 2009. Cependant, ces importants facteurs atténuants doivent aussi être pris en compte pour déterminer s’il est dans l’intérêt de la justice militaire que vous purgiez cette peine près de six mois après votre libération des Forces canadiennes. Les principes de dissuasion générale et de dénonciation sont fondamentaux en l’espèce, mais la réadaptation d’un jeune homme qui a décidé de reprendre sa vie en main après avoir laissé échapper une carrière prometteuse par sa propre faute est tout aussi fondamentale. Dans les circonstances particulières de l’espèce, la cour conclut qu’il ne serait pas dans l’intérêt de la justice militaire d’ordonner que vous purgiez physiquement la période de détention aujourd’hui. Par conséquent, la cour suspend l’exécution de la peine de détention.  

 

[30]           En dernier lieu, je traiterai de la demande présentée par la poursuite pour obtenir une ordonnance prescrivant la confiscation de l’arme prohibée en vertu du paragraphe 491(1) du Code criminel et de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale. La Cour a décidé que M. Campion‑Wright avait commis une infraction relative à une arme prohibée, en l’occurrence un coup‑de‑poing américain, infraction qui se rapporte plus précisément au premier chef d’accusation qui est punissable aux termes de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale pour violation du paragraphe 91(2) du Code criminel.

 

[31]           Le paragraphe 491(1) du Code criminel ne confère pas aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire de rendre une ordonnance comme celle demandée par la poursuite, contrairement au paragraphe 491(2) du Code. Le paragraphe 491(1) du Code établit un régime qui prévoit la confiscation automatique, au profit de Sa Majesté, de toute arme prohibée ou de tout autre objet y mentionné qui ont été saisis et retenus, dès lors qu’un tribunal a pris la décision dont traite le paragraphe 491(1). De ce fait, l’objet est automatiquement confisqué. Il n’y a pas lieu de répondre à la question de savoir si la cour en l’espèce pourrait rendre une ordonnance en vertu du paragraphe 491(2) du Code aux termes de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale. Le paragraphe 491(1) s’applique. Ces remarques mettent fin aux motifs de la cour en l’espèce.

 

[32]           M. Campion‑Wright, j’ai confiance que vous poursuivrez votre cheminement d’adulte et que vos projets d’avenir seront couronnés de succès. L’instance est terminée.


 

Avocats :

 

Capitaine de corvette S. Leonard, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Major E. Thomas, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat de l’ex‑Soldat J.E.M. Campion‑Wright

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