Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 5 mai 2008

Endroit : Garnison Valcartier, l'Académie, Édifice 534, Courcelette (QC).

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 (subsidiaire au chef d'accusation 2) : Art. 127 LDN, en raison de négligence envers les directives a accompli un acte relatif à un objet susceptible de constituer une menace pour la vie ou les biens, acte qui était de nature à causer la mort ou des blessures corporelles.
•Chef d'accusation 2 (subsidiaire au chef d'accusation 1) : Art. 129 LDN, négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
Résultats
•VERDICTS : Chef d'accusation 1 : Coupable. Chef d'accusation 2 : Non coupable.
•SENTENCE : Une amende au montant de 500$.

Cour martiale disciplinaire (CMD) (est composée d'un juge militaire et d'un comité)

Contenu de la décision

Citation : R. c. soldat S.J.L.S. Bergeron, 2008 CM 3011

 

Dossier : 200802

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

CANADA

QUÉBEC

GARNISON VALCARTIER

 

Date : 7 mai 2008

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL L.-V. D'AUTEUIL, J.M.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

(Poursuivante)

c.

SOLDAT S.J.L.S. BERGERON

(Requérant)

DÉCISION CONCERNANT UNE VIOLATION ALLÉGUÉE DE LARTICLE 7 DE LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS POUR ABUS DE PROCÉDURE DE LA PART DE LA POURSUITE

(Prononcée oralement)

 

 

[1]                    Le soldat Bergeron est accusé de négligence envers les directives parce

qu'il aurait accompli un acte relatif à un objet susceptible de constituer une menace pour la vie ou les biens, acte qui était de nature à causer la mort ou des blessures corporelles, contrairement à l'article 127 de la Loi sur la Défense nationale, et subsidiairement, il est accusé de négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline pour ne pas avoir mis en application les directives de tirs qui lui avaient été émises dans le cadre d'une formation pratique relative au tir d'une grenade C-13, le tout contrairement à l'article 129 de la Loi sur la Défense nationale.

 

[2]                    Au début de ce procès par cour martiale disciplinaire, soit le 5 mai 2008,

avant de nier ou d'avouer sa culpabilité à l'égard de chaque chef d'accusation, l'avocat de la défense qui représente le soldat Bergeron a présenté une requête pour laquelle un avis écrit avait été reçu par le bureau de l’administrateur de la cour martiale le 22 avril 2008, visant à obtenir de la cour martiale une ordonnance en vertu de l’article 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après la Charte) prononçant l'arrêt des procédures.

 

 


[3]                    Cette requête préliminaire est présentée dans le cadre de l'article

112.05(5)(e) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ci-après les ORFC) à titre de question de droit ou question mixte de droit et de fait à être tranché par le juge militaire qui préside la cour martiale disciplinaire, telle que prévue à l'article 112.07 des ORFC.

 

[4]                    La preuve au soutien de cette requête est composée :

 

a.  Des témoignages entendus dans l'ordre de leur apparition : le témoignage du requérant, le soldat Bergeron, le témoignage du major Giroux, de l'adjudant-maître Chiasson, de l'adjudant Hêtu et du sergent Deschênes ;

 

b.  De la pièce VD1-1, l'avis de requête ;

 

c.  De la pièce VD1-2, le chapitre VI des instructions permanentes d'opérations du centre d'instruction du secteur du Québec de la force terrestre (ci après le CI SQFT) et intitulé « les peines mineures ; »

 

d.  De la pièce VD1-3, le chapitre 4, instructions - estafette en service, pour le CI SQFT ; et

 

e.  La connaissance judiciaire prise par la cour des faits et questions contenues dans la règle 15 des Règles militaires de la preuve.

 

[5]                    Les événements au soutien de la présente requête auraient eu lieu entre le

6 et 8 octobre 2006 à la garnison Valcartier, Courcelette, province de Québec.  Dans l'avant-midi du 6 octobre 2006, le peloton du cours de qualification de soldats (ci-après le QS) 0612 se trouvait sur un champ de tir de grenades pour une formation pratique. Lorsque le soldat Bergeron, membre de ce peloton, s'est présenté dans la baie de tir pour procéder à l'exercice de tir d'une vraie grenade, il est allégué qu'il aurait omis de mettre en application les directives reçues, causant ainsi un bris de sécurité.

 

[6]                    Toujours ce vendredi 6 octobre en avant-midi, à la fin de l'exercice de

tirs de grenades, ce bris de sécurité a été rapporté à l'adjoint de sécurité du champ de tir, l'adjudant Hêtu, qui était aussi le commandant adjoint du peloton.  Il décide de faire immédiatement enquête en rencontrant l'instructeur impliqué qui lui a rapporté l'incident, soit le sergent Deschênes, puis en rencontrant le présumé fautif, le soldat Bergeron.  Le retour des candidats à la garnison se fait en véhicule, et pendant ce temps, l'adjudant s'assure que des déclarations écrites sont remplies par le personnel impliqué dans l’incident.

 

[7]                    Le tout est rapporté au commandant de compagnie, le major Giroux.  Ce


dernier rencontre les instructeurs et ensuite le soldat Bergeron.  C'est l'étape de la confirmation des faits, telle que qualifiée par le major Giroux dans son témoignage.  Par la suite, ce dernier révise le dossier du soldat Bergeron, et il prend la décision que de l'entraînement supplémentaire sur la manipulation des armes, et plus particulièrement la grenade, est nécessaire pour ce soldat.  En raison de la nature grave et particulière de l’incident qui implique au surplus la manipulation d’une arme, tâche essentielle pour un soldat recevant une formation de fantassin, le major Giroux prend cette décision, sachant qu’un conseil d'évaluation de progrès aura à statuer ultérieurement sur le fait de décider de maintenir le soldat Bergeron sur ce cours de soldats ou qu'il reprenne entièrement le cours ou qu'il soit retiré du cours avec une recommandation de libération des Forces canadiennes.

 

[8]                    Il est important aussi de reconnaître que la décision de faire comparaître

rapidement le soldat Bergeron devant un conseil d'évaluation de progrès se prenait dans un contexte où il ne restait qu'environ deux semaines à faire à ce cours de formation.  En conséquence, et tel qu’expliquer par le major Giroux, il était important, d'une part, de corriger le manquement constaté, et d'autre part, de donner l'opportunité au soldat concerné de démontrer qu'il était capable de se corriger.

 

[9]                    Le major Giroux a donc ordonné que de l'entraînement supplémentaire

soit donné sur la grenade au soldat Bergeron.  Cependant, il n'a jamais précisé les modalités de cet entraînement, laissant ainsi aux instructeurs concernés la responsabilité de la mise en oeuvre de son ordre.  C'était ainsi que l'adjudant-maître Chiasson, occupant le poste de sergent-major de la compagnie, a vu à l'exécution de l'ordre du major.  Il s'est assuré que des instructeurs qualifiés seraient disponibles pour fournir l'entraînement supplémentaire au soldat Bergeron.

 

[10]                  L'adjudant Hêtu, qui avait été aussi informé de la décision, s'est assuré

que le tout soit fait rapidement et le plus correctement possible.  Selon lui, le soldat Bergeron aurait été informé directement par le major Giroux en ce qui a trait à l'entraînement supplémentaire.  L’adjudant aurait décidé de faire coïncider cette période d’entraînement avec le fait que le soldat Bergeron avait été préalablement identifié quelques jours auparavant comme personne en devoir pour remplir le poste d’estafette, alors que les instructeurs identifiés par l’adjudant-maître Chiasson étaient aussi en devoir.  Dans les faits, la désignation de candidats en devoir était une tâche du cours de QS, et il était normal pour le QS 0612 d’avoir identifié des candidats pour cette tâche selon le processus décrit par l’adjudant-maître Chiasson.

 

[11]                  Par contre, le soldat Bergeron affirme que c'est l'adjudant qui l'a informé


de la décision du commandant de compagnie.  Toujours selon lui, l'adjudant lui aurait aussi indiqué qu'il serait en devoir comme estafette à compter du vendredi soir jusqu'au dimanche en fin de journée, tâche dont il n’était nullement au courant auparavant.  Il a aussi conclu des propos de l'adjudant qu'il serait consigné à ses quartiers pour les périodes où il ne serait pas en devoir.  Il a conclu aussi que c’est en raison de l’incident du matin qu’il se retrouvait dans cette situation, qui lui est apparu comme une punition au sens de l’imposition d’une peine.  Il déclare que tout ce qui lui est arrivé en relation avec cet incident lui semble suffisant et que les présentes procédures sont abusives car elles ne visent qu’à le punir encore une autre fois pour la même chose.

 

[12]                  Toujours en cette journée du vendredi, le soldat Bergeron a effectué la

marche forcée de 13 km avec les autres membres de son peloton durant l'après-midi, puis il s'est rendu à sa chambre, a pris une douche et il s'est rapporté au sous-officier de service en devoir à l'heure convenue et tel qu’ordonné.  Le vendredi soir, il a reçu de l'entraînement supplémentaire.  Selon lui, il a copié le manuel de la grenade mot pour mot.  Selon le sergent Deschênes, qui était le sous-officier en service, le soldat Bergeron aurait reçu une formation pratique qui s'est tenue à l'extérieur des bâtiments.  Il ne nie pas non plus qu’il soit possible que le soldat Bergeron ait reçu de l’entraînement supplémentaire avec un autre instructeur ce soir là.

 

[13]                  Le soldat Bergeron est retourné à sa chambre le vendredi soir ou, selon

lui, il était consigné.  Le samedi matin, il s'est présenté au sous-officier en devoir, qui était probablement le caporal-chef Breton, et il a reçu de l'entraînement supplémentaire sur la grenade, à la fois théorique et pratique, pour une période d'environ deux heures. Durant le reste de la journée, le soldat Bergeron a effectué son devoir d'estafette jusqu'à environ 21 heures.  Puis, il est retourné à ses quartiers, considérant qu'il y était consigné. Finalement, le dimanche, il a effectué son devoir d'estafette entre neuf heures et 21 heures et puis il est retourné à ses quartiers, considérant toujours qu'il y était consigné. Le lendemain matin, il a repris ses activités normales de formation avec son peloton.

 

[14]                  L'article 7 de la charte se lit comme suit :

 

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne ; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale. 

 

[15]                  La conduite de l'État alors qu'il poursuit un individu peut faire l'objet

d'une analyse minutieuse, particulièrement lorsque l'équité du procès est en jeu. Tel qu'affirmé par la cour suprême du Canada dans R. c. OConnor, [1995] 4 R.C.S. 411, au paragraphe 73 :

 


73  Ainsi que je l'ai déjà mentionné, la doctrine de l'abus de procédure reconnue en common law a été appliquée dans un certain nombre de circonstances différentes mettant en cause la conduite de l'État en ce qui concerne l'intégrité du système judiciaire et l'équité du procès de la personne accusée. Pour cette raison, je ne crois pas utile de parler de l'existence de quelque «droit à la protection contre l'abus de procédure» dans la Charte. Selon les circonstances, différentes garanties en vertu de la Charte pourront entrer en jeu. Par exemple, lorsque l'accusé prétend que la conduite du ministère public l'a empêché d'être jugé dans un délai raisonnable, on peut mieux attaquer ces abus en ayant recours à l'al. 11b) de la Charte, au sujet duquel la jurisprudence de notre Cour a maintenant établi des lignes directrices assez claires (Morin, précité). De même, les circonstances peuvent indiquer une violation du droit de l'accusé à un procès équitable, [droit] prévu à l'art. 7 et à l'al. 11d) de la Charte. Dans ces deux situations, le souci pour les droits individuels de l'accusé peut être accompagné d'un souci pour l'intégrité du système judiciaire. Il existe, en outre, une autre catégorie résiduelle de conduite visée par l'art. 7 de la Charte. Cette catégorie résiduelle ne se rapporte pas à une conduite touchant l'équité du procès ou ayant pour effet de porter atteinte à d'autres droits de nature procédurale énumérés dans la Charte, mais envisage plutôt l'ensemble des circonstances diverses et parfois imprévisibles dans lesquelles la poursuite est menée d'une manière inéquitable ou vexatoire au point de contrevenir aux notions fondamentales de justice et de miner ainsi l'intégrité du processus judiciaire.

 

[16]                  En ce qui concerne le fait pour le requérant d'établir que la conduite du

poursuivant constitue un abus de procédure, il est important de rappeler les propos du juge McLachlin dans la décision R. c. Scott, [1990] 3 R.C.S. 979, lorsqu’elle dit à la page 1007 :

 

En résumé, l'abus de procédure peut avoir lieu si : (1) les procédures sont oppressives ou vexatoires ; et (2) elles violent les principes fondamentaux de justice sous‑jacents au sens de l'équité et de la décence de la société. La première condition, à savoir que les poursuites sont oppressives ou vexatoires, se rapporte au droit de l'accusé d'avoir un procès équitable. Cependant, la notion fait aussi appel à l'intérêt du public à un régime de procès justes et équitables et à la bonne administration de la justice. J'ajouterais que j'interprète ces conditions de façon cumulative. Bien que, dans l'arrêt R. c. Keyowski, [1988] 1 R.C.S. 657, aux pp. 658 et 659, le juge Wilson ait utilisé la conjonction "ou" à l'égard de ces deux exigences, elles me paraissent toutes deux des composantes essentielles exprimées dans la jurisprudence touchant l'arrêt des procédures et figurent toutes deux parmi les considérations mentionnées dans les arrêts R. c. Jewitt, [1985] 2 R.C.S. 128, et R. c. Conway, précité. Ce ne sont pas toutes les occasions d'inéquité ou de conduite vexatoire dans un procès qui soulèvent la question de l'abus de procédure. L'abus de procédure renvoie à un degré tel d'inéquité ou de conduite vexatoire qu'il porte atteinte aux notions fondamentales de justice et de ce fait attaque l'intégrité du processus judiciaire. Selon les termes utilisés dans l'arrêt Conway, l'atteinte au franc‑jeu et à la décence est disproportionnée à l'intérêt de la société d'assurer que les infractions criminelles soient efficacement poursuivies. 

 

[17]                  Il appartient donc au requérant de prouver, par prépondérance de preuve,

l’existence d’un abus de procédure au sens ci-haut décrit en vertu de l’article 7 de la Charte.

 

[18]                  Pour ce faire, je dois donc d’abord déterminer la nature exacte des


actions prises par les représentants de l’État, soit la chaîne de commandement, à l’égard du soldat Bergeron suite à l’incident allégué du 6 octobre 2006 survenu le matin au champ de tir de grenade et dans lequel il était impliqué et qui fait l'objet d'accusations devant cette cour aujourd'hui.  Par la suite, je serai en mesure de déterminer si les procédures devant cette cour martiale disciplinaire constituent une atteinte au franc jeu et à la décence qui est disproportionnée à l'intérêt de la société d'assurer que les infractions d'ordre militaire soient efficacement poursuivies.

 

[19]                  La prétention du requérant est à l’effet que le fait d’avoir été placé en

devoir du vendredi soir au dimanche soir, soit pour toute la fin de semaine débutant le 6 octobre 2006, en plus d’avoir été consigné à ses quartiers, constitue ni plus ni moins l’équivalent de l’application d'une peine mineure de consigne aux quartiers par les autorités de l’école de formation, le CI SQFT, qui aurait pu être normalement imposé par un tribunal militaire suite à une condamnation pour une infraction d'ordre militaire. Le requérant, par le biais de son avocat, a concédé que les autres mesures administratives prises en conformité avec les politiques de l'école, soit la signature d'un formulaire d'avertissement et la comparution devant le conseil d'évaluation de progrès, n’ont pas à être considérées dans la détermination par la cour de la nature des actions prises suivant l'incident car elles ont été appliquées dans le cours normal de la gestion d'une telle chose.

 

[20]                  L'intimée dans cette cause soumet pour sa part que suite à l'incident en

question, les autorités militaires ont pris les mesures nécessaires et appropriées afin de corriger et former adéquatement le soldat Bergeron.  En conséquence, la prise de mesures disciplinaires constitue un sujet tout à fait différent qui n'a aucun lien avec les mesures correctives qui ont été appliquées durant la fin de semaine du 6 au 8 octobre 2006.  De plus, elle prétend que le fait que le soldat Bergeron ait été désigné comme estafette en devoir n'a aucun lien avec l'incident en question.

 

[21]                  La nature de la preuve dans cette cause requiert de ma part une analyse

quant à la crédibilité et la fiabilité des témoignages rendus devant cette cour afin d'évaluer correctement le témoignage du requérant à la lumière de l'ensemble de la preuve présentée dans le cadre de cette requête.

 

[22]                  Le soldat Bergeron a témoigné d'une manière directe et honnête.  Il avait


un bon souvenir des événements qu'il a présentés de manière cohérente.  Cependant, il avait une tendance à amplifier ou exagérer sa perception des événements.  Cette disproportion dans sa relation des événements n'était nullement malhonnête mais reflétait clairement sa vision de l'inégalité qui existe entre un soldat en formation et la chaîne de commandement.  À titre d'exemple, après avoir affirmé dans le cadre de son interrogatoire principal qu'il avait fait l'objet d'une mise en garde et surveillance, qui est une mesure administrative formelle et ultime visant à donner une dernière chance à un militaire de se corriger avant de recommander sa libération des Forces canadiennes, il a reconnu dans le cadre du contre-interrogatoire de la poursuite que la mesure administrative dont il avait fait l'objet n'était qu'un avertissement écrit émis dans le cadre de son cours de QS.  Il a d'ailleurs affirmé qu'il avait conclu de son propre chef qu'il était consigné aux quartiers en raison des circonstances et des mesures appliquées et non pas parce que quelqu'un le lui avait clairement indiqué.

 

[23]                  Le major Giroux a témoigné de manière claire et cohérente.  Il a bien

expliqué comment il avait été mis au courant de l'incident, la manière dont il a confirmé les faits et réviser le dossier ainsi que les raisons qui l'ont amené à ordonner de l'entraînement supplémentaire pour le soldat Bergeron.  Il a clairement expliqué à la cour le contexte de sa décision et les autres mesures administratives auxquelles s'exposait le soldat Bergeron dans le cadre de son cours de qualification de soldat.  Son témoignage est fiable et crédible.

 

[24]                  L'adjudant-maître Chiasson a témoigné de manière honnête et cohérente.

Il a bien expliqué ses fonctions et son rôle en tant que sergent-major de la compagnie dans laquelle se trouvait le soldat Bergeron.  Il s'est limité à expliquer ses actions dans la gestion de l'incident du 6 octobre 2006, et il n'a pas tenté de spéculer quant aux actions qui ont été prises puisqu'il n'était pas le superviseur immédiat du soldat Bergeron.  Son témoignage est crédible et fiable.

 

[25]                  L'adjudant Hêtu a témoigné calmement et en fournissant de nombreux

détails.  À titre de superviseur immédiat du soldat Bergeron, il a fourni plusieurs détails quant à la séquence des événements.  Il m'est apparu solide dans son témoignage et ayant un excellent souvenir de l'ensemble des événements et des mesures qui ont été prises à l'égard du soldat Bergeron en ce qui a trait à l'incident du 6 octobre 2006.  Son témoignage est fiable et crédible.

 

[26]                  Quant au sergent Deschênes, il a clairement indiqué qu'il n'avait qu'un

vague souvenir des événements de la fin de semaine du 6 au 8 octobre 2006, à l'exception de l'incident lui-même auquel il a assisté personnellement ainsi qu'à l'entraînement supplémentaire qu'il a donné au soldat Bergeron dans la soirée du 6 octobre 2006.  Il est clair que pour ce dont il se souvient, son témoignage est fiable et crédible.

 

[27]                  Après avoir analysé le témoignage du requérant tant à l'égard de son

contenu qu'à la lumière de l'ensemble de la preuve constituée des témoignages ci-haut décrits et des documents déposés comme pièces, j'en viens à la conclusion que son témoignage n'est pas fiable et crédible en ce qui concerne la nature exacte des mesures qui ont été prises à son égard suite à l'incident du 6 octobre 2006.

 

[28]                  L'apprentissage de la discipline dans le cadre d'un cours de formation de


métier de soldat est normal et essentiel.  Le mot « discipline » à une connotation bien particulière dans le monde militaire.  C'est d'ailleurs à cette conclusion qu'en est arrivé l’auteur du rapport de la commission d'enquête sur la Somalie, alors qu'il dit dans son volume 2 au chapitre 18 portant sur la discipline :

 

Le mot « discipline » semblerait avoir un sens distinct lorsqu'on l'emploie dans un contexte militaire, par opposition à son application à la société dans son ensemble telle qu'elle s'exprime dans les usages judiciaires, législatif et policiers. Dans le contexte élargi de la société, la notion de discipline en est venue à signifier l'application des lois, des normes et des principes moraux de façon corrective et, parfois, punitive. La même connotation est de même certainement valable pour les forces armées ; c'est, en fait, l'objet d'une bonne partie du présent chapitre1.

 

Toutefois, il faut bien comprendre que, dans son sens le plus important dans l'usage militaire, le mot sous-entend l'application d'un contrôle en vue de mobiliser l'énergie et la motivation dans la poursuite d'un objectif collectif. Fondamentalement, la discipline, dans son application militaire, est plus positive que négative par nature, car elle cherche activement à canaliser les efforts individuels dans une démarche collective, de sorte qu'il soit possible d'employer la force de façon contrôlée et ciblée.

 

[29]                  Le concept de discipline dans une force armée a pour but d’assurer une

cohésion  entre un grand nombre d’individus pour l’accomplissement d’une mission.  En ce sens, l’apprentissage de la discipline vise ultimement à former des gens qui s’autodisciplineront.  C’est à ce moment que la notion de leadership pourra faire son apparition car il s’agira pour un individu de donner l’exemple par l’autodiscipline.

 

[30]                  Pour y arriver, il existe plusieurs moyens.  Sur ce sujet, l’étude préparée

pour la Commission d'enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie par Martin L. Friedland, intitulée « Contrôle de l'inconduite dans les forces armées, »  illustre bien que le système de justice militaire ne constitue que l’un des outils pour appliquer la discipline dans la perspective d’éduquer et former un militaire sur cette notion.  Comme je l'affirme souvent dans le cadre de mes décisions sur sentence, le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour faire respecter la discipline, qui est une dimension essentielle de l’activité militaire dans les Forces canadiennes.

 

[31]                  Sur la question de désigner le soldat Bergeron comme estafette en devoir

pour toute la fin de semaine, incluant le vendredi soir, cela m'apparaît être une mesure prise dans le but de le discipliner en rapport avec un événement particulier.  Qu'il ait été désigné avant ou après l'incident, il n'en reste pas moins étonnant qu'il ait à accomplir cette tâche pour la fin de semaine entière.  Il est clair que ce ne sont pas tous les candidats du cours qui accomplissaient un tel devoir et que la sélection des personnes désignées pouvait se faire sur la base de certains critères inconnus de la cour.  Il est de connaissances générales que la désignation de personnes en devoir dans le cadre d'une formation militaire a pour but justement de familiariser les candidats avec la notion de

« devoir » et dans certaines occasions, de passer un message particulier à certains individus.


[32]                  Dans le cas qui nous occupe, en raison de la longueur du devoir assigné

au soldat Bergeron, il est permis à la cour de conclure que la chaîne de commandement a voulu lui faire comprendre certaines choses.  Par contre, le devoir d'estafette en service n'a rien à voir avec la peine de consigne aux quartiers.  Tel qu'établit dans la pièce VD1-2, la punition de consigne aux quartiers comprend un horaire spécifique qui inclut une série d'inspections de la chambre et de la personne ainsi que des travaux supplémentaires.  La personne condamnée à une telle punition voit ses déplacements contrôlés et restreints au maximum.  En fait, elle n'est plus maître de ses déplacements et doit recevoir une autorisation pour circuler.

 

[33]                  Tel qu'en fait foi la pièce VD1-3, l'estafette en service est un militaire qui

doit se rendre disponible dans un endroit de travail durant une période précise afin d'assister le sous-officier de service dans l'exécution de ses tâches.  L’estafette demeure responsable de ses déplacements dans le cadre de son travail et n’est pas soumise à des inspections ou toute autre restriction qui n’est pas en relation avec son travail.

 

[34]                  Quant au fait que le soldat Bergeron soit retourné à ses quartiers sans

pouvoir en sortir lorsque son devoir d'estafette était terminé, il appert selon une prépondérance de preuve que personne n'avait exigée qu'il fasse une telle chose, et qu'il s'agit plutôt d'une déduction qu'il a faite lui-même en raison des circonstances.  Dans le cas où j'aurais conclu qu’une telle chose lui aurait été imposé, il n'en reste pas moins que cela était loin d'avoir les caractéristiques de l'imposition d’une peine de consigne aux quartiers, que ce soit par cette seule mesure ou par son effet combiné avec le devoir assigné.

 

[35]                  Je conclus donc que le fait que le soldat Bergeron ait été placé en devoir

du 6 au 8 octobre 2006 et d'avoir restreint de lui-même, en raison de sa compréhension des circonstances, ses déplacements entre ses périodes de devoir n'équivaut pas à l'imposition d'une peine de consigne aux quartiers.  J'arriverais à la même conclusion s’il lui avait été imposé de demeurer dans ses quartiers.  En effet, la sentence de consigne aux quartiers comporte des conditions qui n'ont rien à voir avec ce que le soldat Bergeron aurait subi.  En fait, j’arrive à la même conclusion que le juge Barnes dans la cour martiale du capitaine McCallum dans sa décision du 2 octobre 1996, soit que le fait qu’un devoir puisque comporter une période plus longue que la normale n’en fait pas en soi une peine en raison de la commission d’une infraction d’ordre militaire qui serait imposée par un tribunal militaire.

 

[36]                  De plus, il est clair pour moi que l’imposition du devoir au soldat Berge-

ron ne découlait pas d’un ordre donné par un officier ayant le pouvoir de juger et de condamner l’accusé en relation avec cet incident.  Au contraire, seul un tel ordre a pu être donné par un sous-officier qui ne possède pas un tel pouvoir.

 

[37]                  J’aimerais ajouter que si j'avais conclu qu'il y avait abus de procédure, je


n'aurais pas accordé le remède demandé, soit l'arrêt des procédures.  En effet, tel qu'exprimé par le juge l'Heureux-Dubé dans sa décision de la cour suprême du Canada de R. c. OConnor, précité, aux paragraphes 68 et 69 :

 

68    (). Cependant, il importe de se rappeler que, même si une violation de l'art. 7 est établie selon la balance des probabilités, le tribunal doit quand même déterminer, en vertu du par. 24(1), quelle réparation est convenable et juste. Le pouvoir conféré au par. 24(1) est discrétionnaire, ce qui signifie qu'une violation de l'art. 7 ne donnera pas automatiquement lieu à un arrêt des procédures. En fait, je crois qu'un arrêt des procédures, à titre de réparation, n'est approprié en vertu du par. 24(1) que dans les cas les plus manifestes. Par conséquent, le test pour l'obtention d'un arrêt des procédures continue de relever des «cas les plus manifestes», tant en vertu de la Charte que de la doctrine de l'abus de procédure en common law.

 

69    Le paragraphe 24(1) autorise, de toute évidence, des réparations moins draconiennes qu'un arrêt des procédures lorsque le test «des cas les plus manifestes» n'est pas satisfait, mais que l'on établit, selon la balance des probabilités, qu'il y a eu [une] violation de l'art. 7. À cet égard, le régime de la Charte est plus souple que la doctrine de l'abus de procédure en common law. Ceci n'est, toutefois, pas [là] la raison de conserver un régime de common law distinct. Il est important de reconnaître que la Charte a remplacé, entre les mains des juges, la hache par le scalpel et leur a donné un outil qui permet de façonner mieux que jamais des solutions qui tiennent compte des préoccupations parfois complémentaires et parfois contraires que sont l'équité envers les individus, les intérêts de la société et l'intégrité du système [de justice] judiciaire.

 

[38]                  En conséquence, le remède demandé par le requérant ne peut trouver

application que dans les cas les plus manifestes.  Tel que mentionné par la cour suprême du Canada dans R. c. Regan, [2002] 1 R.C.S. 297, au paragraphe 54 :

 

54.  Que le préjudice découlant de labus touche laccusé, qui ne bénéficie pas dun procès équitable, ou porte [atteinte] à lintégrité du système de justice, larrêt des procédures savère approprié uniquement lorsque deux critères sont remplis :

 

(1)  le préjudice causé par labus en question sera révélé, perpétué ou aggravé par le déroulement du procès ou par son issue ;

 

(2)  aucune autre réparation ne peut raisonnablement faire disparaître ce préjudice. [OConnor, par. 75] 

 

[39]                  J’aurais conclu que les deux critères ci-haut énoncés n’auraient pas été


rencontrés.  Ici, il ne s’agit pas d’un des cas les plus manifestes ou le fait de procéder avec les procédures devant cette cour révélerait, perpétuerait ou aggraverait le préjudice causé au requérant.  De plus, il existe une autre réparation qui pourrait faire disparaître le préjudice car dans la mesure ou cette cour aurait reconnu coupable le requérant de l’une des deux infractions se trouvant à l’acte d’accusation, il est clair que le juge militaire présidant le procès aurait pu facilement tenir compte de l’impact d’actes d’une telle nature à la base de l’abus de procédure comme facteur atténuant et rendre une sentence appropriée dans les circonstances.

 

[40]                  La requête présentée par l'accusé afin que la cour prononce un arrêt des

procédures en vertu de l'article 24(1) de la Charte en raison d’un abus de procédure sous l'article 7 de la Charte est en conséquence rejetée.

 

 

 

 

                                             LE LIEUTENANT-COLONEL L.-V. D'AUTEUIL, J.M.

 

Avocats :

 

Major J Caron, Procureur militaire régional, Région de l’Est

Avocat pour le poursuivant

 

Lieutenant-colonel D. Couture,  Direction du service d'avocats de la défense

Avocat de la défense pour le soldat Bergeron

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.