Cour martiale
Informations sur la décision
CACM 512 - Appel accordé
Date de l’ouverture du procès : 11 mars 2008.
Endroit : BFC Petawawa, édifice L-106, Petawawa (ON).
Chef d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 83 LDN, a désobéi à un ordre légitime d’un supérieur.
Résultats
•VERDICT : Chef d’accusation 1 : Coupable
•SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 750$.
Contenu de la décision
Référence : R. c. Caporal-chef C. A. Matusheskie, 2008 CM 3013
Dossier : 200770
COUR MARTIALE PERMANENTE
CANADA
BFC PETAWAWA
ONTARIO
Date : 13 mars 2008
SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL L.-V. D’AUTEUIL, J.M.
SA MAJESTÉ LA REINE
c.
CAPORAL-CHEF C. A. MATUSHESKIE
(accusé)
Décision concernant une allégation de violation de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés relativement à un abus de procédure
(prononcée de vive voix)
INTRODUCTION
[1] Le caporal-chef Matusheskie est accusé d’avoir désobéi à un ordre légitime d’un supérieur, contrairement à l’article 83 de la Loi sur la défense nationale (LDN).
[2] À l’ouverture de son procès devant la cour martiale permanente le 11 mars 2008, avant qu’il inscrive son plaidoyer, mais après qu’il eut prêté serment, l’accusé, le caporal Matusheskie, a informé verbalement la cour, par l’entremise de son avocate, de son intention de demander immédiatement un arrêt des procédures en application du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, alléguant la violation d’un droit que l’article 7 de la Charte lui garantit. Plus précisément, l’avocate de l’accusé soutient qu’en retirant une accusation portée conformément au paragraphe 165.12(12) de la LDN, quatre jours avant le début du procès devant la cour martiale et en déposant le même jour la même accusation comportant du texte supplémentaire dans la section des détails, soit l’accusation dont la cour est saisie aujourd’hui, la poursuite a commis un abus de procédure qui justifie un arrêt des procédures.
[3] La requête préliminaire est présentée au moyen d’une demande fondée sur l’alinéa 112.05(5)e) des Ordres et règlements royaux (ORFC), à titre de question de droit ou de question mixte de fait et de droit devant être tranchée par la cour.
[4] La cour a autorisé la présentation de la demande conformément au paragraphe 112.04(3) des ORFC. L’avocat de la poursuite a fait connaître, dans un courriel daté du 6 mars 2008, son intention de retirer l’accusation et de la remplacer par une accusation identique comportant toutefois du texte supplémentaire dans la section des détails. L’avocate de la défense a immédiatement répondu par courriel à l’avocat de la poursuite en l’informant de son intention de s’opposer à cette mesure, comme le montre la pièce VD1-9. Le 7 mars 2008, le directeur adjoint des poursuites militaires a retiré l’accusation et produit le même jour la même accusation comportant du texte supplémentaire dans la section des détails. Par la suite, l’administrateur adjoint de la cour martiale a signé un nouvel ordre de convocation pour le 11 mars 2008, soit la même date que celle qui figurait sur l’ordre de convocation précédent, la pièce VD1-7. Le nouvel ordre de convocation et le nouvel acte d’accusation ont été signifiés à l’accusé le 10 mars 2008, soit la veille de l’ouverture du procès devant la présente cour martiale permanente.
[5] Le 6 mars 2008, l’avocat de la poursuite a appris que l’accusé avait l’intention de s’opposer au dépôt de la même accusation comportant du texte supplémentaire dans les détails; cependant, ce n’est que le matin du 11 mars 2008, soit la date fixée pour le début du procès, qu’il a appris que la contestation prendrait la forme d’une demande fondée sur l’article 7 et sur le paragraphe 24(1) de la Charte. Malgré ce fait, l’avocat de la poursuite a mentionné clairement qu’il était prêt à procéder au sujet de la demande, estimant qu’il avait suffisamment de détails au sujet de la nature de celle-ci.
[6] Compte tenu de la nature très récente de ces faits ainsi que de la position que la poursuite a prise en l’espèce, la cour estime que l’accusé a établi un motif raisonnable à l’appui de l’omission de sa part de donner un avis écrit de sa demande et a autorisé la présentation de celle-ci.
LA PREUVE
[7] La preuve relative à la demande se composait uniquement de quelques documents, soit les suivants :
Pièce VD1-1, l’exposé conjoint des faits;
Pièce VD1-2, procès-verbal de procédure disciplinaire (procès‑verbal) signé le 20 mars 2007 au sujet du caporal-chef Matusheskie;
Pièce VD1-3, déclaration écrite du servent S.D. Mercredi;
Pièce VD1-4, lettre du directeur adjoint des poursuites militaires signée le 16 octobre 2007 au sujet du dépôt d’une accusation à l’encontre du caporal‑chef Matusheskie;
Pièce VD1-5, lettre d’envoi signée le 16 octobre 2007 par laquelle le directeur adjoint des poursuites militaires transmet une copie d’un acte d’accusation à signifier au caporal-chef Matusheskie;
Pièce VD1-6, acte d’accusation visant le caporal-chef Matusheskie et comportant une seule accusation fondée sur l’article 83 de la LDN, lequel acte d’accusation a été signé par l’avocat de la poursuite le 15 octobre 2007;
Pièce VD1-7, ordre de convocation signé par l’administrateur de la cour martiale le 10 décembre 2007 au sujet de la tenue d’une audience de la cour martiale permanente à 9 h, le 11 mars 2008, à la BFC de Petawawa à l’égard du caporal-chef Matusheskie;
Pièce VD1-8, résumé écrit de sept pages d’une conversation téléphonique qui a eu lieu le 10 octobre 2007 entre l’avocat de la poursuite et le sergent Mercredi;
Pièce VD1-9, copie papier de courriels échangés entre l’avocat de la poursuite et l’avocate de la défense le 6 mars 2008;
Pièce VD1-10, ordre de convocation signé par l’administrateur adjoint de la cour martiale le 7 mars 2008 au sujet de la tenue d’une audience de la cour martiale permanente à 9 h, le 11 mars 2008, à la BFC de Petawawa à l’égard du caporal-chef Matusheskie;
Pièce VD1-11, acte d’accusation visant le caporal-chef Matusheskie et comportant une seule accusation fondée sur l’article 83 de la LDN, lequel acte d’accusation a été signé par l’avocat de la poursuite le 7 mars 2008;
Graphique qui illustre la poignée d’armement et le levier d’armement d’un fusil C7 et qui est tiré du manuel sur le fusil C7 de 5,56 mm et sur la carabine C8 de 5,56 mm, publication n° B-BL-317-018/PT-001 autorisée par le Chef d’état-major de la Défense;
L’admission d’office par la cour des faits en litige conformément à l’article 15 des Règles militaires de la preuve, plus précisément l’admission d’office du contenu du manuel sur le fusil C7 de 5,56 mm et sur la carabine C8 de 5,56 mm, publication B-BL-317-018/PT-001 autorisée par le Chef d’état-major de la Défense conformément au paragraphe 15(2) des Règles militaires de la preuve.
LES FAITS
[8] L’incident qui constitue le fondement de l’accusation dont la cour est saisie serait survenu les 15 et 16 janvier 2007, à l’emplacement de l’unité du 3e bataillon du Royal Canadian Regiment, 3 RCR, à la base des Forces canadiennes de Petawawa. Selon la documentation portée à la connaissance de la cour, le sergent Mercredi travaillait alors à la section des armes légères du 3 RCR et le caporal-chef Matusheskie travaillait sous les ordres de celui-ci.
[9] Le 15 janvier 2007, le sergent Mercredi aurait ordonné directement au caporal-chef Matusheskie de ne pas apporter de modifications aux poignées d’armement qui devaient être installées sur les fusils C7 appartenant au personnel de l’EMOL avant d’avoir reçu d’Ottawa une confirmation de l’autorisation relative à cette mesure.
[10] Cependant, le 16 janvier 2007, le sergent Mercredi aurait constaté que le caporal-chef Matusheskie avait apporté ce jour-là des modifications aux poignées d’armement et installé celles-ci sur les fusils C7. Le sergent Mercredi aurait alors ordonné au caporal-chef Matusheskie d’enlever les poignées d’armement qu’il avait installées sur les fusils C7 et de les démonter.
[11] Par suite d’une déclaration faite par le sergent Mercredi (pièce VD1‑3), le 20 mars 2007, maître-adjudant R.J. Duncan a déposé une accusation conformément à l’article 129 de la LDN à l’encontre du caporal-chef Matusheskie, parce que celui-ci a remplacé les poignées d’armement habituelles des fusils C7 par des poignées d’armement de modèle Badger sans avoir reçu la demande de travaux nécessaire. Voici les détails de l’accusation figurant sur le procès-verbal (pièce VD1-2) :
[traduction] Vers le 16 janvier 2007, à la base des Forces canadiennes/l’unité de soutien régionale de Petawawa, en Ontario, l’accusé a apporté des modifications aux armes C7 en remplaçant les poignées d’armement par des poignées de modèle Badger sans avoir reçu une demande de travaux autorisant les modifications.
[12] Le 10 octobre 2007, au cours de sa vérification postérieure à l’accusation, l’avocat de la poursuite a téléphoné au sergent Mercredi afin de discuter de la question. Le résumé de la conversation téléphonique a été consigné par écrit par un technicien juridique qui a écouté l’entretien (pièce VD1-8). Il appert clairement de ce résumé qu’une poignée d’armement de modèle Badger est une poignée d’armement modifiée. Avant de permettre l’installation d’une poignée d’armement de modèle Badger, le sergent Mercredi voulait s’assurer que cette installation pouvait être faite et le résumé comporte des explications au sujet des raisons pour lesquelles le sergent Mercredi cherchait à obtenir l’autorisation d’une personne compétente à Ottawa à cette fin. Comme il était technicien d’armement, le fait d’installer la poignée d’armement de modèle Badger sur les fusils C7 sans savoir si cette installation était possible équivaudrait quant à lui à modifier une arme sans autorisation.
[13] Le résumé écrit montre également que le principal sujet de la conversation était le remplacement de la poignée d’armement habituelle du fusil C7 par la poignée d’armement de modèle Badger. Il est vrai qu’un levier a été mentionné deux ou trois fois pendant la conversation, mais il n’a nullement été question du fait que la modification du levier de la poignée d’armement habituelle a pour effet de transformer celle-ci en poignée d’armement de modèle Badger.
[14] Comme l’explique l’avocat de la poursuite et comme le montre le graphique porté à l’attention de la cour (pièce VD1-12), le levier d’armement fait partie de la poignée d’armement. Cependant, lorsque l’avocat de la poursuite a porté l’accusation en octobre 2007, la procédure disciplinaire portait principalement sur le fait que le caporal‑chef Matusheskie aurait remplacé les poignées d’armement normales par des poignées d’armement de modèle Badger sur les fusils C7 du personnel de l’EMOL, contrairement à un ordre qu’il avait reçu d’un supérieur.
[15] Par la suite, l’accusation portée par le directeur des poursuites militaires concernait le fait que le caporal-chef Matusheskie avait modifié les fusils C7 contrairement à l’ordre qu’il avait reçu. L’accusation, était maintenant fondée sur l’article 83 de la LDN, soit la désobéissance à un ordre légitime (pièce VD1-6). Voici les détails de l’accusation figurant sur l’acte d’accusation que l’avocat de la poursuite a signé le 15 octobre 2007 :
[traduction] Vers le 16 janvier 2007, à la base des Forces canadiennes de Petawawa, en Ontario, ou à proximité de celle-ci, l’accusé a apporté des modifications aux fusils C7 après avoir reçu l’ordre de ne pas le faire du sergent Mercredi, S. D.
[16] L’accusation a été portée le 16 octobre 2007 (pièce VD1-4) et une copie de l’acte d’accusation a été envoyée au commandant du caporal-chef Matusheskie pour signification à l’accusé (pièce VD1-5).
[17] Le 10 décembre 2007, l’administrateur de la cour martiale a signé un ordre de convocation enjoignant à l’accusé de comparaître devant une cour martiale permanente à 9 h le 11 mars 2008, à la BFC de Petawawa, afin de répondre à l’accusation énoncée sur l’acte d’accusation produit comme pièce VD1-7.
[18] Le 6 mars 2008, après avoir tenu une conversation téléphonique avec le sergent Mercredi au sujet des exigences administratives liées à la tenue d’une audience devant la cour martiale, l’avocat de la poursuite a appris que ce témoin avait vu le caporal-chef Matusheskie tenant une boîte de poignées d’armement le 16 janvier 2007, le jour de l’incident. Vingt minutes plus tard, l’avocat de la poursuite a rappelé le témoin, parce qu’il ne comprenait pas les propos de celui-ci. Il a alors appris du sergent Mercredi que les poignées d’armement dont on avait modifié le levier pour en faire des poignées de modèle Badger n’ont jamais été installées sur les fusils C7 appartenant au personnel de l’EMOL. Les poignées d’armement ont été commandées séparément, tout comme le levier d’armement. L’idée était de modifier les poignées d’armement commandées en posant le nouveau levier sur celles-ci, puis de remplacer les poignées d’armement habituelles des fusils C7 par les nouvelles poignées ainsi modifiées. Selon le témoin, le caporal-chef Matusheskie aurait modifié les poignées d’armement sans les installer sur quelque fusil que ce soit, ce qui serait différent du fait d’avoir posé une partie modifiée d’une arme sur l’arme elle-même.
[19] Environ une heure après cette dernière conversation avec le témoin, l’avocat de la poursuite a informé l’avocate de la défense, par courriel (pièce VD1-9), de cette nouvelle version des événements donnée par le sergent Mercredi. Il a ensuite avisé l’avocate qu’il retirerait l’accusation figurant sur l’acte d’accusation (pièce VD1‑6) et déposerait la même dans laquelle il ajouterait du texte supplémentaire dans la section des détails afin de préciser que c’était une partie du fusil C7, la poignée d’armement qui avait été modifiée, et non le fusil lui-même. L’avocate de la défense a répondu par courriel qu’elle s’opposerait à cette démarche.
[20] Le 7 mars 2008, le directeur adjoint des poursuites militaires a retiré l’accusation et déposé une accusation identique comportant toutefois du texte supplémentaire dans la section des détails. Le même jour, l’administrateur adjoint de la cour martiale a signé un nouvel ordre de convocation (pièce VD1-10) enjoignant à l’accusé de comparaître devant une cour martiale permanente au même endroit, à la même date et à la même heure que ceux qui étaient mentionnés sur l’ordre de convocation précédent.
[21] L’infraction mentionnée dans le nouvel acte d’accusation signé par l’avocat de la poursuite le 7 mars 2008 (pièce VD1-11) était la même que celle qui figurait dans l’acte d’accusation précédent, soit l’infraction prévue à l’article 83 de la LDN. En fait, le nouvel acte d’accusation était le même que le précédent, sauf en ce qui a trait à l’élément modifié, soit les poignées d’armement des fusils C7 plutôt que les fusils C7 eux-mêmes. Voici les détails de la nouvelle accusation portée devant la cour :
[traduction] Vers le 16 janvier 2007, à la base des Forces canadiennes de Petawawa, en Ontario, ou à proximité de celle-ci, l’accusé a apporté des modifications aux poignées d’armement des fusils C7 après avoir reçu l’ordre de ne pas le faire du sergent Mercredi, S. D.
Cette nouvelle accusation a été signifiée le lundi 10 mars 2008.
ANALYSE
[22] L’article 7 de la Charte est ainsi libellé :
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.
[23] La conduite de l’État dans le cadre des poursuites visant un particulier peut être examinée de près, notamment lorsque l’équité du procès est en jeu. Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411, au paragraphe 73 :
Ainsi que je l'ai déjà mentionné, la doctrine de l'abus de procédure reconnue en common law a été appliquée dans un certain nombre de circonstances différentes mettant en cause la conduite de l'État en ce qui concerne l'intégrité du système judiciaire et l'équité du procès de la personne accusée...Il existe, en outre, une autre catégorie résiduelle de conduite visée par l'art. 7 de la Charte. Cette catégorie résiduelle ne se rapporte pas à une conduite touchant l'équité du procès ou ayant pour effet de porter atteinte à d'autres droits de nature procédurale énumérés dans la Charte, mais envisage plutôt l'ensemble des circonstances diverses et parfois imprévisibles dans lesquelles la poursuite est menée d'une manière inéquitable ou vexatoire au point de contrevenir aux notions fondamentales de justice et de miner ainsi l'intégrité du processus judiciaire.
[24] La cour estime que les faits sous-jacents à la présente demande exigent une analyse sous cette catégorie résiduelle de conduite que la Cour suprême du Canada a mentionnée et qui est visée par l’article 7 de la Charte.
[25] D’abord, la cour doit décider si le retrait d’une accusation et le dépôt de la même accusation comportant du texte supplémentaire dans la section des détails à peine quatre jours avant le procès constituent un abus de procédure de la part de la poursuite. Si elle répond par l’affirmative à cette question, la cour devra ensuite déterminer la réparation qu’il convient d’accorder, ce qui peut comprendre l’arrêt des procédures.
[26] Tel qu’il est mentionné plus haut, le 7 mars 2008, le directeur des poursuites militaires a décidé de retirer l’accusation déposée le 15 octobre 2007 contre l’accusé, le caporal-chef Matusheskie. Ce retrait de l’accusation a été fait conformément au pouvoir qui lui est accordé en vertu du paragraphe 165.12(2) de la LDN.
165.(2) Il peut retirer une mise en accusation déjà prononcée; toutefois, le retrait de la mise en accusation après le début du procès en cour martiale est subordonné à l’autorisation de celle-ci.
[27] Il est primordial de souligner que l’accusation a été retirée avant le début de l’audience devant la cour martiale, qui avait été fixée au 11 mars 2008. Dans les circonstances, le DPM avait toute la latitude voulue pour retirer l’accusation et n’était pas tenu de solliciter l’autorisation de la cour.
[28] Le même jour, le 7 mars 2008, l’avocat de la poursuite a signé un nouvel acte d’accusation et, par conséquent, le DPM a déposé la même accusation comportant les mots supplémentaires dans la section des détails. Tel qu’il est mentionné plus haut, l’accusation était la même, mais les détails ont été modifiés. En fait, trois mots ont été ajoutés dans cette section. Comme le prévoit le paragraphe 165.12(3) de la LDN, le retrait de la mise en accusation n’empêche pas le DPM d’exercer plus tard une poursuite à son égard :
165.(3) Le retrait de la mise en accusation n’empêche pas l’exercice ultérieur d’une poursuite à son égard.
[29] L’exercice du pouvoir du DPM de retirer une accusation avant le début de l’audience devant la cour martiale et d’engager plus tard une poursuite à son égard ne constitue pas en soi un abus de procédure. Au contraire, et comme l’a bien expliqué la Cour d’appel de la cour martiale dans R. c. Forsyth, 2003 CMAC 9, au paragraphe 22 :
[traduction] 22. Demander le retrait d’une dénonciation ne peut constituer un abus de procédure. La Couronne y a droit, avant ou après l’inscription d’un plaidoyer. La possibilité de porter une nouvelle accusation découle implicitement du retrait d’une accusation. La préservation de ce droit constitue souvent, d’ailleurs, le motif d’une telle demande. Le retrait d’une accusation au pénal a pour conséquence, au plan juridique, de préserver la possibilité pour la Couronne de porter une nouvelle accusation si elle le juge opportun, jusqu’à ce qu’expire tout délai de prescription applicable (se reporter à R. c. Karpinski, précité, au paragraphe 15).
[30] Cependant, même si la poursuite était légalement autorisée à retirer une accusation et à déposer la même, après y avoir ajouté des détails très similaires, cela ne signifie pas pour autant que la cour ne peut examiner les motifs sous-jacents à cette conduite de la Couronne.
[31] Il convient de rappeler les remarques suivantes que Madame la juge McLachlin, de la Cour suprême du Canada, a formulées dans R. c. Scott, [1990] 3 R.C.S. 979, à la page 1007 :
En résumé, l'abus de procédure peut avoir lieu si: (1) les procédures sont oppressives ou vexatoires; et (2) elles violent les principes fondamentaux de justice sous-jacents au sens de l'équité et de la décence de la société. La première condition, à savoir que les poursuites sont oppressives ou vexatoires, se rapporte au droit de l'accusé d'avoir un procès équitable. Cependant, la notion fait aussi appel à l'intérêt du public à un régime de procès justes et équitables et à la bonne administration de la justice. J'ajouterais que j'interprète ces conditions de façon cumulative.
[32] Il appartient à l’accusé d’établir selon la prépondérance des probabilités qu’il y a abus de procédure. Il appert clairement des faits que ce n’est que le 6 mars 2008 que la poursuite a été informée, par son témoin principal, que la modification reprochée dans l’acte d’accusation portait non pas sur le fusil C7, mais sur la poignée d’armement de celui-ci et que, lorsque l’accusé aurait apporté cette modification, ladite poignée n’a jamais été installée sur le fusil. Il s’agissait là d’un renseignement nouveau pour l’avocat de la poursuite. Auparavant, la poursuite avait le droit de croire, comme elle l’a montré à la cour, que la preuve disponible montrait qu’une poignée d’armement modifiée avait été installée sur un fusil C7.
[33] Étant donné que le procès devait avoir lieu quatre jours plus tard, l’avocat de la poursuite a décidé en moins d’une heure de retirer l’accusation et de déposer la même en y ajoutant d’autres renseignements dans la section des détails. Dès que l’avocat de la poursuite a pris cette décision, il en a informé l’avocate de la défense. En moins d’un jour, l’accusation a été retirée et la même accusation comportant des détails supplémentaires a été déposée, ce qui a permis à l’administrateur adjoint de la cour martiale de délivrer un nouvel ordre de convocation le même jour. L’avocat de la poursuite a permis à l’avocate de la défense d’interroger le témoin afin de contester ce nouvel élément d’information.
[34] Comme la Cour d’appel de la cour martiale l’a dit au paragraphe 23 de la décision Forsyth susmentionnée, [traduction] « [O]n est bien loin d’avoir atteint en l’espèce la preuve décisive – requise pour qu’il y ait abus de procédure – de motifs inacceptables, de mauvaise foi ou d’un acte si répréhensible qu’il choque la conscience de la collectivité ». De plus, la cour estime qu’aucun motif indirect, oppression ou préjudice excessif à l’endroit de l’accusé n’a été établi selon la prépondérance des probabilités. Tout au plus, l’accusé a démontré qu’il aurait peut-être eu besoin de temps supplémentaire pour préparer sa cause, étant donné qu’il est accusé maintenant d’avoir modifié une partie d’un fusil C7 plutôt que le fusil C7 lui-même. Effectivement, la cour a été informée que l’accusé aurait peut-être besoin de témoins supplémentaires pour présenter sa défense et qu’il ne pouvait les trouver à brève échéance.
[35] L’avocate de la défense a convenu que, exception faite du nouveau renseignement fourni par le sergent Mercredi, il n’y avait aucun nouvel élément d’information à examiner. Elle a également admis que, dès qu’elle aurait trouvé tous les témoins dont elle a besoin pour présenter la défense de l’accusé, celui-ci ne se trouverait pas dans une position inéquitable. Au contraire, l’accusé sera prêt à procéder, étant donné qu’il a obtenu l’ensemble de la preuve et des renseignements relevant du contrôle de la poursuite. La cour en arrive également à la conclusion que l’accusé n’a pas été induit en erreur ou lésé par la décision de l’avocat de la poursuite de déposer une deuxième fois la même accusation comportant des renseignements supplémentaires dans la section des détails.
[36] L’avocate de la défense a fait valoir que la décision de la poursuite de déposer la même accusation après y avoir ajouté d’autres renseignements dans la section des détails avait pour effet de retarder le déroulement de l’instance. Il demeure évident, aux yeux de la cour, que la poursuite est toujours prête à procéder en l’espèce et c’est la possibilité que l’avocate de la défense ait besoin de temps supplémentaire pour préparer sa cause qui risque d’entraîner un retard. À ce stade-ci, ce retard ne pourrait dépasser trois mois, compte tenu de la disponibilité de tous les intervenants concernés en l’espèce ainsi que du temps de préparation que l’avocate de la défense a demandé. La cour ne croit pas que ce délai nuise à l’accusé à ce stade-ci et, si celui-ci l’estime à propos, il pourra demander plus tard une réparation fondée sur l’alinéa 11b) de la Charte pour cause de délai déraisonnable.
[37] La cour en arrive donc à la conclusion que l’accusé n’a pas démontré selon la prépondérance des probabilités que la poursuite a commis un abus de procédure en retirant une accusation et en déposant la même accusation comportant des mots supplémentaires dans la section des détails à peine quatre jours avant le début du procès.
[38] Cependant, si la cour en était arrivée à la conclusion que la poursuite a commis un abus de procédure, elle aurait été tenue de déterminer la réparation convenable conformément au paragraphe 24(1) de la Charte. L’avocate de la défense a soutenu que, en pareil cas, la seule réparation convenable aurait été l’arrêt des procédures.
[39] L’arrêt des procédures doit être accordé dans les cas les plus manifestes : voir R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411, au paragraphe 68. Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans R. c. Regan, [2002] 1 R.C.S. 297, au paragraphe 54 :
Que le préjudice découlant de l’abus touche l’accusé, qui ne bénéficie pas d’un procès équitable, ou porte atteinte à l’intégrité du système de justice, l’arrêt des procédures s’avère approprié uniquement lorsque deux critères sont remplis :
(1) le préjudice causé par l’abus en question sera révélé, perpétué ou aggravé par le déroulement du procès ou par son issue;
(2) aucune autre réparation ne peut raisonnablement faire disparaître ce préjudice. [O’Connor, au paragraphe 75]
[40] J’en serais arrivé à la conclusion que ces deux critères n’ont pas été remplis. L’avocate de la défense a soutenu principalement que le report des procédures compromettrait sérieusement le droit de l’accusé à une défense pleine et entière. Bien au contraire, étant donné que le procès devant la présente cour martiale aurait eu lieu dans les trois mois suivants, la cour est d’avis que le délai n’aurait causé aucun préjudice irréparable quant au déroulement du procès. La réparation convenable en l’espèce aurait été un ajournement afin de permettre à l’accusé de réévaluer la façon d’utiliser le nouvel élément d’information pour préparer sa défense ou de prendre par ailleurs toute autre décision susceptible de toucher celle-ci.
[41] En conséquence, la demande de l’accusé fondée sur un abus de procédure au titre de l’article 7 et du paragraphe 24(1) de la Charte est rejetée.
LIEUTENANT-COLONEL L-V. D'AUTEUIL, J.M.
AVOCATS :
Major A.M. Tamburro, Direction des poursuites militaires, Région du Centre
Procureur de Sa Majesté La Reine
Major L. D'Urbano, Direction du service d’avocats de la défense
Avocate du caporal-chef C.A. Matusheskie