Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 10 novembre 2008

Endroit : Peterson Air Force Base, the Staff Judge Advocate courtroom, Colorado Springs, Colorado

Chefs d'accusation
•Chefs d'accusation 1, 2 : Art. 83 LDN, a désobéi à un ordre légitime d'un supérieur.
•Chef d'accusation 3 : Art. 90 LDN, s'est absenté sans permission.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 2, 3 : Coupable.
•SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 500$.

Cour martiale disciplinaire (CMD) (est composée d'un juge militaire et d'un comité)

Contenu de la décision

Référence : R. c. Matelot-chef R.J. Middlemiss, 2009 CM 1002

 

Dossier : 200857

 

 

 

COUR MARTIALE GÉNÉRALE

UNITÉ DE SOUTIEN DES FORCES CANADIENNES COLORADO SPRINGS

COLORADO SPRINGS (COLORADO)

ÉTATS-UNIS DAMÉRIQUE

 

Date : 9 janvier 2009

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU COLONEL M. DUTIL, J.M.C.

 

MATELOT-CHEF R.J. MIDDLEMISS

(demandeur)

c.

SA MAJESTÉ LA REINE

(défenderesse)                       

 

DÉCISION RELATIVE À UNE DEMANDE ALLÉGUANT ATTEINTE AUX DROITS DE LACCUSÉ SOUS LE RÉGIME DE LALINÉA 2d) DE LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS

(prononcée de vive voix)

 

 

INTRODUCTION

 

[1]   La présente espèce est une demande relative à une question de droit, tendant à faire établir que les ordres donnés au demandeur dassister au dîner militaire dautomne du personnel OUTCAN du NORAD tenu le 9 novembre 2007 portent atteinte au droit de non-association que lui garantit lalinéa 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), et que la justification de cette atteinte ne peut se démontrer sous le régime de larticle premier de ladite Charte. Le demandeur soutient en outre que lordre connexe de payer sa place à ce dîner porte aussi atteinte au même droit.

 

LA PREUVE

 

[2]   La preuve produite devant la cour consiste dans les éléments suivants :

 


1) les faits et autres éléments dont la cour a pris judiciairement connaissance en application de larticle 15 des Règles militaires de la preuve, y compris lOAFC 27‑1 (Mess);

 

2) le témoignage de M. Kenneth Reynolds, historien, qui a déposé en tant quexpert concernant lhistoire et lévolution des mess et des dîners militaires dans les Forces canadiennes;

 

3) les pièces déposées devant la cour par consentement des parties et aux seules fins spécifiées par elles, notamment :

 

a.  sous la cote M3‑2, un exposé conjoint des faits rendant compte des événements qui se sont produits entre le 11 octobre et le 9 novembre 2007 et qui ont conduit à la mise en accusation du demandeur devant la cour; 

 

b. sous la cote M3‑3, un extrait dune publication des Forces canadiennes intitulée « Administration des mess », dont la dernière mise à jour remonte à 1984 et qui expose les principes des FC touchant les dîners militaires;

 

c.  sous la cote M3‑5, un livre de E.C. Russell intitulé Coutumes et traditions des Forces armées canadiennes, publié en 1980 et adopté comme publication des Forces canadiennes;

 

d.  sous la cote M3‑6, des extraits dun document intitulé « Directives du CEMD aux commandants », dont la dernière modification date de 2008.

 


[3]   Selon les faits portés devant la cour, le demandeur était aux moments pertinents  membre de lUnité de soutien des Forces canadiennes (USFC) Colorado Springs. Le 11 octobre 2007, la commandante de cette unité  a informé le personnel des Forces canadiennes affecté à Colorado Springs que le dîner militaire dautomne aurait lieu le 9 novembre 2007 au Peterson Air Force Base Club (salle de réunion de la base aérienne Peterson). Cette annonce portait que le personnel des Forces canadiennes était vivement encouragé à y assister. Le 11 octobre 2007, la commandante a avisé le demandeur que la présence à ce dîner militaire était obligatoire. Le prix de la place à ce dîner pour les membres de lunité était fixé à 35 dollars. Le 31 octobre 2007, le demandeur a envoyé au maître de 2e classe Starling un courriel portant quil nassisterait pas au dîner, étant donné que lordre de la commandante était selon lui illégitime, et il a demandé à voir la disposition réglementaire qui était censée lobliger à assister à ce dîner et à y payer sa place. Il a mis en question la légitimité de lordre dans le contexte de lannonce susdite de la commandante, selon laquelle les membres du mess étaient vivement encouragés à assister au dîner. Le 1er novembre 2007, le demandeur a envoyé à son supérieur (Starling) un autre courriel où il demandait à être dispensé du dîner militaire, étant donné quil lui serait difficile de faire cette dépense imprévue. Il ajoutait que, à en juger par son expérience, il ne pensait pas que ce dîner serait agréable pour lui. Le maître de 2e classe Starling lui a répondu que les dîners militaires étaient conçus pour renforcer lesprit de corps. Il attendait du demandeur, ajoutait‑il, que, en tant que chef subalterne, il encourage la présence aux dîners militaires et donne lexemple à ses subordonnés. Le 2 novembre 2007, le maître de 2e classe Starling a transmis à la commandante la demande de dispense du dîner militaire formulée par le matelot-chef Middlemiss. Le 5 novembre 2007, le capitaine Whelan a donné au demandeur, en présence du maître de 1re classe Hilliard, lordre formel dassister au dîner militaire, au motif que celui‑ci constituait une cérémonie officielle et, à ce titre, un rassemblement auquel il était tenu de participer. Le demandeur a adopté la position comme quoi cet ordre était illégitime. Le capitaine Whelan lui a alors demandé de trouver un autre moyen pour contester la politique, plutôt que de ne pas assister au dîner militaire. Le matelot-chef Middlemiss a demandé un exemplaire de lexposé de la politique applicable. Il a envoyé au capitaine Whelan un courrier le priant de lui communiquer le texte du règlement portant obligation pour un membre de lunité de dépenser son argent pour assister à un dîner militaire. Il y déclarait encore une fois que, selon lui, lordre de la commandante et lordre du capitaine Whelan dassister au dîner étaient illégitimes. Il y demandait enfin de plus amples éclaircissements.

 

[4]           Le paragraphe 11 du document produit sous la cote M3‑3, intitulé « Administration des mess », est libellé comme suit :

 

Les dîners régimentaires fournissent aux membres dun mess loccasion de se rencontrer dans des circonstances officielles, mais dans une atmosphère amicale, et ils permettent au membre le plus élevé en grade ou à son (ses) invités(s) de sadresser à lensemble du mess. Selon la coutume et de tradition, ce qui dans le contexte militaire équivaut à une extension du droit commun, les dîners régimentaires sont considérés comme un rassemblement et tous doivent y assister, à moins den être exemptés par le commandant de la base, le président du conseil dadministration du mess ou une autre personne autorisée.

 

[5]   Le 5 novembre 2007, le maître de 2e classe Starling a montré ce paragraphe au demandeur et lui en a envoyé un exemplaire par courrier électronique. Le lendemain, le demandeur a envoyé au président du comité du mess une réponse par courriel portant quil ne serait pas présent au dîner militaire. Le 8 novembre 2007, le maître de 2e classe Starling a ordonné au demandeur de payer sa place à ce dîner, qui devait avoir lieu le lendemain. Le demandeur a refusé et a informé les personnes présentes quil navait pas lintention dassister au dîner. Celui‑ci a eu lieu comme prévu le 9 novembre 2007. Le demandeur ny assistait pas et ny a pas payé sa place. Ce sont là les faits portés devant la cour qui ont donné lieu aux accusations et qui sont pertinents pour la présente demande.

 


[6]   Le demandeur a prié la cour daccepter M. Kenneth Reynolds comme témoin expert touchant le contexte historique de lexistence des mess et des dîners militaires (ou dîners régimentaires) dans les Forces canadiennes, ce que la cour a fait. M. Reynolds est docteur en histoire et a occupé le poste dofficier adjoint du patrimoine des Forces canadiennes au ministère de la Défense nationale pendant plusieurs années. Il fait des recherches savantes et écrit sur le patrimoine militaire canadien pour des publications officielles; il a notamment participé à létablissement de la publication 007 des Forces canadiennes, intitulée Coutumes et traditions des Forces armées canadiennes[1]. Il a expliqué dans son témoignage que les mess, dans le contexte britannique, remontent aux XVIIe et XVIIIe siècles. M. Reynolds a essentiellement proposé un bref survol des chapitres 2 et 3 de louvrage de E.C. Russell produit sous la cote M3‑5. Il a dressé un tableau de lhistoire de lappartenance obligatoire aux mess depuis lorigine jusquà aujourdhui et montré que ceux‑ci sont conçus pour contribuer au moral et à lesprit de corps des militaires. Il a aussi parlé de lorigine des dîners militaires ou régimentaires, qui constituent des cérémonies officielles, régies par une multitude de coutumes et de traditions, lesquelles varient souvent selon le contexte et lunité. M. Reynolds a expliqué que les dîners militaires forment lun des aspects sociaux de la fonction des mess; ils sont importants en ce quils contribuent à la socialisation et à linstruction, et donnent aux membres de lunité loccasion de faire connaissance ou de mieux se connaître, ainsi que dacquérir de lexpérience dans un contexte à la fois social et officiel. Les dîners militaires contribuent en principe au renforcement de la cohésion et de lesprit de corps. Dans le cas idéal, ils servent à lapprentissage des  valeurs militaires et au perfectionnement professionnel. De même, on devrait pouvoir y apprendre les traditions et les coutumes de lunité ou de lorganisation. M. Reynolds a déclaré que lune des caractéristiques communes des dîners militaires est le caractère obligatoire de la présence à ces dîners. Il a ajouté que la politique en vigueur touchant les dîners régimentaires quon trouve exposée dans le manuel dadministration des mess[2] découle de louvrage susdit de E.C. Russell. M. Reynolds a aussi exprimé son opinion concernant labsence de règles et de politiques écrites sur les dîners militaires avant 1970. Bien quil ne puisse se fonder sur aucun document déterminé, il a émis lhypothèse que la nécessité de formuler par écrit une politique sur les dîners militaires pouvait être mise en rapport avec la transformation de la société civile qua connue cette période, marquée par le recul des réunions et cérémonies officielles et de létiquette qui leur est liée. À son avis, la présence aux dîners militaires a toujours été obligatoire. Tout en admettant labsence de règle écrite à ce sujet, il a émis lopinion que chacun savait alors quil devait assister aux dîners militaires et navait pas besoin quon le lui rappelle. Cest là la preuve produite devant la cour aux fins de la présente demande.

 


LES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

 

Le demandeur

 

[7]   Le demandeur soutient que les ordres quil a reçus dassister au dîner militaire dautomne du personnel OUTCAN du NORAD et dy payer sa place ne sont pas des ordres légitimes, au motif quils portent atteinte aux droits que lui garantit lalinéa 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). Il prie la cour de prononcer les mesures de réparation suivantes :

 

1. une ordonnance portant que ces ordres nétaient pas légitimes;

 

2. une ordonnance portant que le lieu où sest tenu le dîner militaire nétait pas son lieu de service;

 

3. une directive prescrivant au comité de la cour martiale générale de rendre un verdict de non-culpabilité sur tous les chefs daccusation.

 

[8]   Le demandeur soutient que lobligation dassister à un dîner militaire et lobligation dy payer sa place portent atteinte aux droits que lui garantit lalinéa 2d) de la Charte. Il fait valoir que la politique actuelle des Forces canadiennes concernant les dîners militaires porte atteinte à son droit de non-association ou à la garantie qui le protège contre lassociation forcée. Il invoque principalement à lappui de ses prétentions deux arrêts de la Cour suprême du Canada : Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de lOntario[3] et R. c. Advance Cutting & Coring (2001)[4]. Il cite en outre larrêt R. c. Scott[5] de la Cour dappel de la cour martiale à lappui de la thèse que la justification de ces ordres ne peut se démontrer sous le régime de larticle premier de la Charte, au motif que la politique actuelle relative aux dîners militaires ne remplit pas dobjet militaire clairement défini.

 


[9]   Le demandeur défend vigoureusement la thèse que lobligation dassister à un dîner militaire et dy payer sa place impose ce que la Cour suprême du Canada appelle une conformité idéologique et, à ce titre, porte atteinte à son droit de non-association. Cette obligation est une tradition qui avait cours avant la promulgation de la Charte et dont lobjet était de promouvoir léthos, les valeurs et les coutumes militaires. Le demandeur fait valoir quon utilise contre lui les articles 83 et 90 de la Loi sur la défense nationale pour imposer lapplication du paragraphe 11 du manuel dadministration des mess[6], qui nest quune déclaration de principes et non un ensemble de prescriptions qui auraient force de loi. Enfin, selon le demandeur, cette obligation dassister aux dîners militaires et dy payer sa place ne remplit pas le critère de proportionnalité exposé dans larrêt R. c. Oakes[7].

 

[10] Le demandeur insiste sur le fait quil ne conteste pas ladhésion obligatoire aux mess ni le paiement obligatoire des droits y afférents. Se fondant sur la démarche exposée par le juge Bastarache dans Advance Cutting & Coring concernant le critère applicable au contexte dune atteinte au droit de non-association, il soutient plutôt quil suffit dexiger dune personne quelle participe à une activité contre sa volonté pour quon puisse dire quil lui est imposé une « conformité idéologique ». Selon lavocat du demandeur, la question de la conformité idéologique dans la présente espèce ne se rapporte pas au refus daccepter et de promouvoir les valeurs militaires dans les Forces canadiennes. Il soutient plutôt que cest le fait de forcer le demandeur à faire une dépense quil navait pas prévue et lidée implicite que la participation au dîner militaire serait agréable alors que lui-même pensait, sur la foi de son expérience personnelle, quil ne sy amuserait pas qui constituent limposition dune conformité idéologique, laquelle, selon le demandeur, porte atteinte aux droits que lui garantit lalinéa 2d) de la Charte.

 

La défenderesse

 

[11] Lavocat de la défenderesse soutient que la présente demande devrait être rejetée. À la suite dun examen des arrêts-clés de la Cour suprême du Canada portant sur la liberté dassociation garantie par lalinéa 2d) de la Charte, il rappelle que les droits que prévoit cet alinéa sont des droits importants quon ne devrait pas invoquer à propos de questions futiles. Lalinéa 2d) de la Charte, fait‑il valoir, ne protège pas les activités de lassociation, mais le droit dassociation. Il faut donc interpréter le droit de non‑association dans ce contexte.

 


[12] Lavocat de la défenderesse affirme en outre que les récriminations du demandeur visent les activités de lassociation, et non lassociation elle-même, cest‑à‑dire les Forces canadiennes. Il fait valoir que la liberté dassociation garantie par la Charte protège les aspects des activités qui sont liés à lassociation et non ces activités en soi. Pour quune activité soit protégée par la Charte, il faut que celle‑ci en parle ailleurs quà lalinéa 2d). Lavocat de la défenderesse explique que le demandeur na pas mis en cause son association à lorganisation militaire, mais plutôt une activité déterminée de cette organisation et lobligation den payer le prix. Il fait valoir que sil était vrai quun ordre enjoignant à un membre des Forces canadiennes de se présenter quelque part et de faire quelque chose puisse porter atteinte aux droits que lui garantit lalinéa 2d), la justification de chaque ordre devrait être démontrée sous le régime de larticle premier. Un membre des Forces canadiennes, explique‑t‑il, ne peut décider à son gré à quelle activité il acceptera de participer, à moins que lactivité à laquelle on lui ordonne de participer ne soit protégée par une autre disposition de la Charte. Lavocat de la défenderesse ne conteste pas que la liberté dassociation comprenne la liberté ou le droit de non-association. Cependant, affirme‑t‑il, ce droit négatif ne devrait être invoqué quà propos de questions dune importance égale à celles qui ont été examinées dans le contexte des contestations de la liberté positive dassociation, et non dans le contexte de lobligation de participer à un dîner militaire, qui nest quune activité. Par conséquent, fait valoir lavocat de la défenderesse, la preuve établit que les dîners militaires ou régimentaires sont profondément implantés dans les traditions et coutumes des Forces canadiennes, et que la politique et les principes qui prévoient la participation obligatoire à de telles activités remplissent un objet militaire légitime.

 

DÉCISION

 

Analyse juridique

 

[13] La question en litige devant la cour nest pas celle de savoir si lordre dassister à un dîner militaire et dy payer sa place est un ordre illégitime au motif quil porterait atteinte à la liberté de non-association garantie par lalinéa 2d) de la Charte. La question que la cour doit trancher est plus limitée et peut se formuler comme suit : Lobligation pour un membre des Forces canadiennes dassister à un dîner militaire et dy payer sa place, dans le contexte de la politique en vigueur des Forces canadiennes concernant les dîners militaires, met-elle en jeu la protection de lalinéa 2d) de la Charte? Et, dans laffirmative, la justification de cette restriction du droit ainsi garanti peut-elle se démontrer sous le régime de larticle premier de la même Charte?

 


[14] La cour ne souscrit pas à lidée que lobligation faite à un membre des Forces canadiennes dassister à un dîner militaire doive être considérée comme une question futile dans le contexte de lalinéa 2d) de la Charte. Le fait que la Cour suprême du Canada ait examiné des droits aussi importants dans la société contemporaine que ceux de négociation collective et de grève dans le contexte de leur protection sous le régime de lalinéa 2d) nempêchera pas notre cour détudier en conformité avec les principes juridiques applicables la question de savoir sil a été porté atteinte aux droits du demandeur dans la présente espèce. Je pense comme ce dernier que les deux arrêts principaux concernant le droit de non-association sont Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de lOntario et R. c. Advance Cutting & Coring (2001). Dans Lavigne, une petite majorité a statué que la garantie de liberté dassociation comprend le droit de non-association. Le juge Laforest a conclu que lobligation de payer la cotisation syndicale ne constituait pas un fait dassociation forcée, sauf si le syndicat utilisait les cotisations à dautres fins que la représentation de ses membres. La juge McLachlin, qui nétait pas encore juge en chef, a souscrit à lidée que le droit dassociation comprenait le droit de non-association, mais a conclu que lalinéa 2d) navait pas été enfreint, puisque le paiement de la cotisation navait pas associé le cotisant à des idées ou à des valeurs auxquelles il nadhérait pas volontairement. Dans Advance Cutting & Coring (2001), la Cour suprême a examiné la validité de dispositions législatives dans le contexte de lindustrie de la construction au Québec, où les ouvriers étaient obligés dappartenir à lun des cinq syndicats reconnus par la loi pour pouvoir travailler. Huit juges ont conclu que le droit de non-association était protégé par lalinéa 2d) de la Charte. Le juge Lebel, qui sexprimait aussi au nom des juges Arbour et Gonthier, a conclu que cette disposition ne protégeait le droit de non-association que si lassociation forcée imposait une « conformité idéologique ». Il a en outre conclu que la loi en question nimposait pas aux travailleurs beaucoup plus que « la simple obligation dêtre membre dun syndicat. Elle ne [créait] aucun mécanisme visant à faire respecter une conformité idéologique »[8]. Il sest en conséquence prononcé pour la confirmation de cette loi. Le juge Bastarache, avec laccord de la juge en chef McLachlin (les juges Major et Binnie étant dissidents), adhérait en général à lanalyse proposée par le juge Lebel du critère constitutionnel, à cette réserve près que, selon lui, le simple fait dobliger un travailleur à devenir membre dun syndicat contre sa volonté équivalait à limposition dune conformité idéologique. Il a aussi conclu que la justification du principe de latelier syndical ne pouvait se démontrer sous le régime de larticle premier et quil convenait donc dinvalider la loi attaquée. Le juge Iacobucci a rejeté le critère adopté par le juge Lebel et proposé son propre critère, selon lequel, dans le cas où lÉtat impose une obligation dassociation à des personnes que réunissent déjà inévitablement les nécessités de la vie, par exemple celles du travail, et où lassociation sert le bien commun ou favorise le bien-être collectif, lalinéa 2d) nest pas enfreint à moins que cette association forcée ne menace un droit à la liberté déterminé. Il a conclu que les dispositions attaquées étaient invalides, mais il les a confirmées à la suite de son analyse de lapplication de larticle premier. Enfin, la juge LHeureux‑Dubé sest prononcée en faveur de la confirmation des dispositions contestées, au motif que, selon elle, lalinéa 2d) ne garantissait pas le droit de non-association.

 

[15] Je ne puis souscrire au moyen du demandeur selon lequel le critère à appliquer à la présente espèce serait celui du juge Bastarache, qui faisait partie du groupe des juges dissidents dans Advance Cutting & Coring (2001). En effet, le critère du juge Lebel, appuyé par deux de ses collègues, est celui quont retenu trois des cinq juges qui formaient la majorité de la Cour.

 


[16] Lorsquil soutient que lobligation dassister à un dîner militaire et dy payer sa place lui imposait une conformité idéologique qui portait atteinte à son droit de non‑association, le demandeur veut dire que limposition dune conformité idéologique consistait en loccurrence dans le fait de le forcer à faire une dépense quil navait pas prévue et dans lidée implicite quil aurait plaisir à assister à ce dîner, contrairement à sa conviction, fondée sur lexpérience personnelle, quil ne sy amuserait pas. Cest un principe bien établi que le droit de non-association nest pas un droit disolement. Lassociation forcée, sous une forme ou une autre, est inhérente au travail collectif. Après avoir examiné les motifs exposés par le juge La Forest dans Lavigne, le juge Lebel a formulé les observations suivantes au paragraphe 195 de larrêt Advance Cutting & Coring (2001) :

 

Jinterprète ces commentaires comme signifiant que lÉtat, la famille et le lieu de travail créent des formes dassociation qui sont en principe à labri dun examen fondé sur la Charte.

 

[...]

 

Le premier droit à la liberté susceptible dêtre menacé par lassociation forcée serait létablissement ou lappui par le gouvernement de parties ou de causes. Le deuxième se définissait comme étant latteinte à la liberté individuelle dadhérer à la cause de son choix. Les troisième et quatrième consistaient en limposition dune conformité idéologique.

 

[17] La cour ne pense pas que lobligation dassister à un dîner militaire et dy payer sa place équivaut à limposition dune conformité idéologique qui porterait atteinte au droit de non-association dun membre des Forces canadiennes, aux motifs quon le forcerait ainsi à faire une dépense imprévue et quil serait implicitement censé trouver du plaisir à ce dîner, contrairement à sa conviction, fondée sur lexpérience personnelle, quil ne sy amuserait pas. Pour paraphraser le juge Lebel, imposer une conformité idéologique consiste à imposer à lindividu des valeurs et une vision du monde contraires aux siennes[9]. Les raisons invoquées par le demandeur pour ne pas assister au dîner militaire reposaient sur sa frustration de se voir obligé de payer sa place à une réunion quil considérait comme désagréable, et non sur son refus dadhérer aux coutumes et aux traditions des Forces canadiennes, ou aux valeurs et fins liées aux dîners régimentaires ou  dunité. Ce contexte particulier ne déclenche pas lapplication de lalinéa 2d).

 

Conclusion

 

[18] Vu lensemble de la preuve, la cour conclut que le demandeur na pas établi que lobligation pour un membre des Forces canadiennes dassister à un dîner militaire et dy payer sa place, dans le contexte de la politique actuelle des Forces canadiennes touchant les dîners de cette nature, porte atteinte à la protection contre lassociation forcée garantie par lalinéa 2d) de la Charte. En conséquence, la demande est rejetée.

 

 

                                                                                             COLONEL M. DUTIL, J.M.C.

 


Avocats :

 

Major A.M. Tamburro, Poursuites militaires régionales, Ottawa

Major S.A. MacLeod, Poursuites militaires régionales, Ottawa

Procureurs de Sa Majesté la Reine

 

Major S. Turner, Direction du service davocats de la défense

Capitaine de corvette P. Lévesque, Direction du service davocats de la défense

Avocats du matelot-chef Middlemiss

 



[1]Voir la pièce  M3-5.

[2]Voir la pièce  M3-3.

[3][1991] 2 R.C.S.  211.

[4][2001] 3 R.C.S.  209.

[5]2004 CACM 2, 22 novembre 2004.

[6]Supra, note 2.

[7][1986] 1 R.C.S. 103.

[8]Supra, note 4, paragraphe 218.

[9]  Ibid., paragraphe 206.

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