Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 26 mai 2008

Endroit : Garnison Valcartier, Quartier-général du camp des cadets, Édifice CC117, Courcelette (QC).

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 : Art. 130 LDN, trafic d'une substance (para. 5(1) LRCDAS).
•Chef d'accusation 2 : Art. 130 LDN, possession d'une substance (para. 4(1) LRCDAS).
•Chefs d'accusation 3, 4 : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
•Chef d'accusation 5 (subsidiaire au chef d'accusation 6) : Art. 115 LDN, a recelé un bien obtenu par la perpétration d'une infraction d'ordre militaire, sachant qu'il a été ainsi obtenu.
•Chef d'accusation 6 (subsidiaire au chef d'accusation 5) : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
•Chef d'accusation 7 : Art. 85 LDN, a menacé verbalement un supérieur.

Résultats
•VERDICTS : Chef d'accusation 1 : Retiré. Chefs d'accusation 2, 3, 4, 6, 7 : Coupable. Chef d'accusation 5 : Une suspension d'instance.
•SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 30 jours.

Cour martiale générale (CMG) (est composée d’un juge militaire et d’un comité)

Contenu de la décision

Citation : R. c. ex-soldat D. St-Onge, 2008 CM 3012

 

Dossier :  200777

 

COUR MARTIALE DISCIPLINAIRE

CANADA

QUÉBEC

GARNISON VALCARTIER

 

Date : 29 mai 2008

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL L.-V. D'AUTEUIL, J.M.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

(Poursuivante)

c.

EX-SOLDAT D. ST-ONGE

(Contrevenant)

SENTENCE

(Prononcée oralement)

 

 

[1]                    Ex-soldat St-Onge, la cour martiale ayant accepté et enregistré votre aveu de culpabilité sur le deuxième, troisième, quatrième, sixième et septième chef d’accusation, la cour vous trouve maintenant coupable de ces chefs.  En conséquence, la cour ordonne une suspension d’instance concernant le cinquième chef d'accusation qui est subsidiaire au sixième chef d’accusation pour lequel la cour vient d’accepter et d’enregistrer votre aveu de culpabilité.  Concernant le premier chef d'accusation, il convient de rappeler que le procureur de la poursuite a décidé de procéder à un retrait de ce chef, et en conséquence, la cour martiale n’a pas à se prononcer sur ce chef car elle n’en a pas été saisie.

 

[2]                    Il est de mon devoir à titre de juge militaire présidant cette cour martiale de fixer la sentence tel que prévu à l’article 193 de la Loi sur la défense nationale.

 

[3]                    Le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour faire respecter la discipline, qui est une dimension essentielle de l’activité militaire dans les Forces canadiennes.  Le but de ce système est de prévenir toute inconduite ou, de façon plus positive, de veiller à promouvoir la bonne conduite.  C’est au moyen de la discipline que les forces armées s’assurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès, en toute confiance et fiabilité.

 


[4]                    Comme le déclare le major Jean-Bruno Cloutier dans sa thèse intitulée Lutilisation de larticle 129 de la Loi sur la défense nationale dans le système de justice militaire canadien :

 

En bout de ligne, pour promouvoir au maximum les chances de succès de la mission, la chaîne de commandement doit être en mesure d'administrer la discipline afin de contrôler les inconduites qui mettent en péril le bon ordre, l'efficacité militaire et finalement la raison d'être de l'organisation, la sécurité nationale.

 

[5]                    Le système de justice militaire voit aussi au maintien de l’ordre public et s’assure que les personnes justiciables du Code de discipline militaire sont punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

 

[6]                    Il est reconnu depuis longtemps que le but d’un système de tribunaux ou de justice militaire distincts est de permettre aux Forces canadiennes de s’occuper des questions qui touchent au Code de discipline militaire et au maintien de l’efficacité et du moral des troupes.  Cela dit, toute peine infligée par un tribunal, qu’il soit civil ou militaire, doit représenter l’intervention minimale nécessaire qui est adéquate dans les circonstances particulières de la cause.  Ce principe est aussi conforme au devoir du tribunal d’infliger une peine proportionnée à la gravité de l’infraction et aux antécédents du contrevenant, comme le prévoit l'alinéa 112.48(2)b) des ORFC.

 

[7]                    La cour a pris en considération les recommandations respectives des avocats en fonction des faits pertinents, tels que présentés dans le cadre de ce procès, et de leur importance.  Elle a également examiné ces recommandations en fonction des principes de la détermination de la peine, notamment ceux qui sont énoncés aux articles 718, 718.1 et 718.2 du Code criminel dans la mesure où ils ne sont pas incompatibles avec le régime des peines prévu sous le régime de la Loi sur la défense nationale.  Ces principes sont les suivants:

 

premièrement, la protection du public et le public comprend, en l’occurrence, les intérêts des Forces canadiennes ;

 

deuxièmement, la punition du contrevenant ;

 

troisièmement, l’effet dissuasif de la peine, non seulement sur le contrevenant, mais aussi sur toute personne qui pourrait être tentée de commettre de telles infractions;

 

quatrièmement, l’isolement au besoin des délinquants du reste de la société, y compris des membres des Forces canadiennes;

 


cinquièmement, l’imposition de peines semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables;  et

 

sixièmement, la réhabilitation et la réinsertion du contrevenant.  Le tribunal a également tenu compte des arguments avancés par les avocats, notamment la jurisprudence qu’ils ont produit, les témoins qu’ils ont présentés et les documents qu’ils ont déposés en preuve.

 

[8]                    La cour est d’avis qu’en matière de possession et d’usage de drogue, et en  raison de la nature des autres accusations relatives à la possession sans autorisation de munitions et à l’insubordination, que la nécessité de protéger le public exige d’infliger une peine qui met l’accent d’abord sur l’effet dissuasif général, puis sur la dissuasion spécifique, la dénonciation et la punition du contrevenant.  Il est important de retenir que le principe de dissuasion général implique que la peine infligée devrait non seulement dissuader le contrevenant de récidiver mais aussi dissuader toute autre personne qui se trouve dans une situation analogue de se livrer aux mêmes actes illicites.

 

[9]                    En l’espèce, la cour est saisie d’une infraction de possession de cannabis sur une période de 16 mois, contrairement à la Loi sur les drogues et autres substances, de deux infractions d’acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline pour un usage non autorisé d’une drogue sur une période de 28 mois, contrairement à l’article 20.04 des ORFC, soit du cannabis et de la métamphétamine, d’une infraction d’acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline pour avoir possédé sans autorisation des munitions appartenant aux Forces canadiennes, et finalement, d’une infraction d’insubordination pour avoir menacé verbalement un supérieur.  Il s’agit d’infractions sérieuses, mais la cour a l’intention d’infliger ce qu’elle considère être la peine minimale applicable dans les circonstances.

 

[10]                  De plus, afin de bien comprendre le sérieux et la gravité des infractions reliées à la possession et à l’usage d’une drogue dans un contexte militaire, il est important de rappeler les raisons exprimées sur ce sujet par la cour d’appel de la cour martiale dans l’affaire MacEachern c. J., 4 C.A.C.M. 447, dans laquelle le juge Addy dit :

 


À cause des tâches particulièrement importantes et dangereuses que les militaires peuvent, en tout temps et à bref délai, être tenus d'exécuter et du travail d'équipe qu'exige l'accomplissement de ces tâches, lesquelles nécessitent souvent l'utilisation d'armes et d'instruments hautement techniques et potentiellement dangereux, il ne fait aucun doute que les autorités militaires sont tout à fait justifiées d'attacher une très grande importance à ce qu'aucun stupéfiant ne se trouve ni ne soit utilisé dans les établissements ou les formations militaires ni à bord des navires ou des aéronefs.  Les autorités militaires ont peut-être davantage intérêt que les autorités civiles à ce qu'aucun membre des forces armées n'utilise ni ne distribue de stupéfiants et, en fin de compte, à en empêcher tout usage.

 

[11]                  Pour en arriver à ce qu’elle croit être une peine juste et appropriée, la cour a également tenu compte des circonstances aggravantes et atténuantes suivantes.

 

[12]                  La cour considère comme aggravants les facteurs suivants :

 

a.  Premièrement, la gravité objective des infractions.  Vous avez été trouvez coupable d’une infraction aux termes de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale pour possession de moins de 30 grammes de cannabis, contrairement à l’article 4(1) de la Loi sur les drogues et autres substances.  Cette infraction est passible d’une amende ne dépassant pas mille dollars ou d’un emprisonnement pour une période maximale de 6 mois ou les deux ou une peine moindre, en vertu de l’application de l’article 4(5) de la Loi sur les drogues et autres substances.  Il s’agit d’une infraction qui, objectivement, demeure relativement grave.  Vous avez aussi été trouvé coupable de trois infractions aux termes de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale pour des actes préjudiciables au bon ordre et à la discipline en raison d’un usage non autorisé d’une drogue contrairement à l’article 20.04 des ORFC, soit du cannabis et de la métamphétamine, et pour avoir possédé sans autorisation des munitions appartenant aux Forces canadiennes.  Finalement, vous avez été trouvez coupable d’une infraction aux termes de l’article 85 de la Loi sur la défense nationale pour insubordination parce que vous avez menacé verbalement un supérieur.  Ces infractions sont passibles au maximum de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté ou d’une peine moindre.  Il s’agit d’infractions objectivement graves ;

 

b.  Deuxièmement, la gravité subjective des infractions.  Concernant la possession et l’usage de drogues :

 


i.  La durée de la possession et de l’usage des drogues.  En ce qui a trait au cannabis, il appert que le contrevenant a été en possession de celle-ci pour une période de 16 mois et qu’il en a fait usage d’une manière régulière pour une période de 28 mois.  Le contrevenant a été membre des Forces canadiennes pour une période de 58 mois, et en tenant compte du fait qu’il a fait usage de drogue avant la période pour laquelle il fait l’objet de ces accusations, la cour ne peut que constater qu’il a fait usage d’une drogue pour au moins la moitié de sa carrière au sein des Forces canadiennes.  Il est clair que la cour ne fait pas face à un banal usage ponctuel par un militaire d’une drogue, mais à quelqu’un qui a clairement décidé d’en faire une habitude.  Quant à l’usage de la métamphétamine, il est évident que le contrevenant en faisait un usage occasionnel mais qu’il l’a fait tout au cours de la période de 28 mois visée par l’accusation.  Encore une fois, malgré que cela représente un usage probablement plus espacé dans le temps, il n’en reste pas moins qu’il s’agissait pour le contrevenant d’une habitude et qu’il pouvait se retrouver certaines fois sous l’influence de plus d’une drogue ;

 

ii.  La quantité importante de cannabis que l’accusé avait en sa possession.  Il appert des circonstances décrites au sommaire des circonstances que le contrevenant avait, à une période ou à une autre, approximativement 28 grammes, une once, de cannabis qu’il se procurait à environ tous les deux mois pour satisfaire ses besoins personnels.  Cela aurait pu être plus ou être moins.  La preuve ne permet pas d’établir une quantité supérieure à 30 grammes, mais elle permet d’établir qu’elle était très importante parce qu’elle était proche de cette limite imposée par la loi en ce qui a trait à la distinction qui doit être faite pour décider de la sentence qui peut être imposée.  Évidemment, cette quantité diminuait au fur et à mesure que l’ex-soldat St-Onge consommait la drogue ;

 

iii.  Le contexte dans lequel avait lieu l’usage des drogues.  Il apparaît clair à la cour que le contrevenant consommait en dehors des lieux de travail, soit dans ce qui a été qualifié par le contrevenant de contexte social, c’est-à-dire en présence d’autres militaires, alors qu’il socialisait avec eux chez lui ou à d’autres endroits.  Il est clair qu’un militaire qui fait usage délibérément d’une drogue en présence d’autres militaires sur une période continue, même si ce n’est pas sur les lieux de travail, ne constitue pas en soi l’exemple à suivre.  Le fait de transgresser les directives et les politiques des Forces canadiennes sur les drogues en présence d’autres militaires des Forces canadiennes, quel que soit l’endroit, constitue en soi un facteur aggravant car il envoie un très mauvais message aux autres militaires sur le plan disciplinaire ;

 


iv.  Le contrevenant a fait l’objet de plusieurs mesures administratives, mais la cour retient particulièrement ceci :  alors qu’il était sur son cours de qualification de soldat, le contrevenant a fait l’objet d’un retrait de ce cours, à l’automne 2003 ou au début de l'hiver 2004, en raison de son aveu quant à l’usage de drogue.  Il a donc été averti une première fois sur ce sujet, et le 16 février 2004, il a fait l’objet d’une mise ne garde et surveillance d’une durée d’une année, spécifiquement sur cette question.  Ainsi, s’il faisait usage à nouveau de drogue, il était avisé que son commandant d’unité recommanderait alors sa libération des Forces canadiennes.  Il a recommencé le cours de qualification de soldat, a fait son cours de qualification de fantassin avancé, PP1, et il a été transféré officiellement à son unité à la fin du mois de juin 2004.  Malgré l’avis formel reçu, le contrevenant a admis aux policiers en novembre 2006 qu’il avait fait usage de drogue durant ses 28 premiers mois au sein de son unité, soit entre juillet 2004 et novembre 2006.  C’est donc en toute connaissance de cause qu’il a fait un usage régulier de drogue et qu’il en a même possédé.  Il s’agit donc là d’une forme de préméditation car ce qu’il faisait était tout à fait planifié et ne découlait pas d’une décision prise sur le coup sans y avoir réfléchi auparavant ; et

 

v.  L’ex-soldat St-Onge a démontré une totale insouciance quant aux actes qu’il a commis, que ce soit concernant le fait qu’il mettait constamment en péril son aptitude et sa capacité à remplir ses tâches en tout temps à bref délai en raison de son usage de drogue, ou que ce soit en raison de l’exemple qu’il donnait aux autres militaires en ne respectant aucunement la politique de tolérance zéro quant à l’usage de la drogue par les membres des Forces canadiennes.  L’insouciance blâmable dont a fait preuve le contrevenant dans les circonstances de cette cause constitue, en soi, un facteur aggravant que la cour se doit de considérer.

 

c.  Les facteurs aggravants concernant la possession sans autorisation de

munitions :

 

i.  La nature des munitions :  trois des quatre types de munitions qui étaient en possession du contrevenant sont des cartouches réelles.  Il est vrai que la quantité de chacune était très limitée, mais il n’en reste pas moins qu’elles avaient toutes l’habilité de blesser ou de tuer si elles étaient percutées.  En soi, elles constituaient un danger.  Quant aux 200 cartouches à blanc de type 5.56 mm, même si elles ne comportent pas de balles et ne sont que des douilles, il n’en reste pas moins qu’elles contiennent une substance explosive qui représente aussi un certain danger si ce type de balle était percuté ;

 

ii.  Il est clair que quel que soit la raison, le contrevenant n’avait aucune intention de retourner ces munitions.  Il a bien dit à la cour qu’il désirait les garder à titre de trophées lors de son témoignage et qu’il les avait entreposées en conséquence ; et


iii.  Afin de s'approprier et de conserver ces munitions, le contrevenant n’a pas hésité à déclarer aux autorités militaires qu’il n’était en possession d’aucune munition avant de quitter les lieux d’entraînement, alors que cela était tout à fait faux.                        

 

d.  Concernant l’insubordination :

 

i.  La nature des paroles constitue un facteur aggravant car ce qui a été dit par l’ex-soldat St-Onge visait non seulement à faire comprendre qu’il ne respectait pas l’autorité à qui il s’adressait, mais aussi à susciter la crainte quant à l’intégrité physique de cette autorité ; et

 

ii.  Le grade du supérieur en question.  Ici, le contrevenant s’adressait à un adjudant, une autorité qui lui est nettement supérieur en grade et en expérience chez les militaires de rang et pour lequel il n’a démontré aucun respect.

 

[13]                  La cour considère comme atténuants les facteurs suivants :

 

a.  Par votre plaidoyer de culpabilité, vous témoignez manifestement de vos remords et de votre sincérité dans votre intention de continuer à représenter un actif solide pour la société canadienne.  La cour ne voudrait en aucune façon compromettre vos chances de succès car la réhabilitation constitue toujours un élément clé dans la détermination de la peine d’un contrevenant ;

 

b.  L’absence d’une fiche de conduite ou de dossier criminel pour des infractions similaires ;

 

c.  Le fait que vos gestes quant à la drogue, aux munitions et à votre insubordination n’ont pas eu de conséquences concrètes et fâcheuses à l’égard d’autres personnes :

 

i.  Sans vouloir excuser votre geste ou en atténuer la portée, la cour tient quand même compte du fait que vous avez décidé délibérément de ne jamais consommé sur un établissement de défense ou durant votre travail en raison de l’impact que cela pourrait avoir sur votre capacité à performer dans ce contexte ;

 


ii.  De plus, il n’a pas été démontré que la possession sans autorisation de munitions constitue un fléau ou un problème au sein des Forces canadiennes.  La cour considère comme atténuant le fait que vous n’ayez pas laissé au vu et au su de tous les munitions en votre possession, démontrant ainsi que vous étiez conscient, jusqu’à un certain point, du danger que cela représentait si elles étaient tombées entre d’autres mains ; et           

 

iii.  Finalement, quant à l’insubordination, la cour retient du contexte qui lui a été présenté qu’il existait une dynamique particulière entre vous et l’adjudant Lapalme qui n’est pas totalement étrangère à ce qui est arrivé, ce qui fait en sorte que l’adjudant n’a peut être pas aidé à arrêter la situation avant qu’elle ne dégénère, jusqu’au moment où vous avez prononcé les paroles faisant l’objet de l’accusation, et aussi du fait que vous étiez dans un état émotionnel et physique qui pouvait vous amener beaucoup plus rapidement à agir et parler comme vous l’avez fait.

 

d.  Votre âge et votre potentiel de carrière au sein de la communauté canadienne ; âgé de 23 ans, vous avez de nombreuses années devant vous pour contribuer positivement à la société canadienne ;

 

e.  Le fait d’avoir eu à faire face à cette cour martiale, qui est annoncée et accessible au public, et qui a eu lieu en présence de certains de vos collègues et de certains de vos pairs a certainement eu un effet dissuasif très important sur vous et sur eux.  Le message est que le genre de conduite que vous avez eu en ce qui a trait aux drogues, aux munitions et à un supérieur ne sera toléré d’aucune manière et que ce genre de comportement sera réprimé en conséquence;

 

f.  Le délai à traiter cette affaire.  La cour ne veut blâmer personne dans la présente cause, mais comme l’a exprimé l’avocat de la défense, plus la question au chapitre de la discipline est réglée rapidement et plus la peine imposée sera pertinente et efficace pour le moral et la cohésion des membres de l’unité.  Le temps écoulé depuis que l’incident a eu lieu est un des facteurs qui rend moins pertinent d’envisager une sanction plus sévère comportant un effet dissuasif quelconque.  Cependant, il convient de rappeler qu’il s’est écoulé 19 mois depuis les perquisitions qui ont permis la découverte des objets et du comportement de l’accusé ayant menés aux présentes accusations devant cette cour, et 13 mois depuis que les premières accusations importantes ont été portées, soient celles relatives à la possession et l’usage de drogue.  Il appert que le dossier a suivi son cours et que rien de vraiment anormalement long se soit produit, au point où la cour devrait accorder un poids plus important à ce facteur atténuant qu’aux autres.  La cour est d’avis qu’il doit être considéré mais dans la proportion qui lui est appropriée dans les circonstances; et

 


g.  Le fait que votre carrière militaire se soit terminée en raison de la commission d’infractions reliées à la drogue, combiné à toutes les autres infractions qui font l'objet du présent procès, au point où votre carrière a fait l’objet d’une révision administrative et que les Forces canadiennes y ont mis fin en vous libérant sous le motif 5(f) parce que vous étiez considéré inapte à continuer votre service militaire, constitue un facteur atténuant qui doit être considéré.  Cette mesure administrative ne peut être considérée par la cour comme une punition en soi qui découle des incidents liés aux accusations devant cette cour, mais comme une conséquence liée à votre comportement au soutien de ces mêmes accusations et dont la cour doit tenir compte en déterminant la sentence appropriée dans cette cause.

 

[14]                  La cour se doit de tenir compte de l’attitude démontré par l’accusé à l’égard des infractions qu’il a commises.  Il est vrai, comme je l’ai mentionné auparavant, que le contrevenant, par son plaidoyer de culpabilité, reconnaît qu’il a transgressé les règles et que sur ce sujet, il a démontré des remords.  Par contre, il est clair que sur la base du témoignage du major Arsenault concernant l’attitude du contrevenant, et aussi sur la base du témoignage du contrevenant lui-même quant à sa position sur les infractions pour lesquelles il a avoué sa culpabilité, il n’en demeure pas moins que l’ex-soldat St-Onge éprouve des remords et des regrets très limités par rapport à ce qui est arrivé.

 

[15]                  Le major Arsenault a témoigné de manière claire et cohérente.  Il a bien expliqué comment il a connu le contrevenant et comment il en est venu à vouloir le supporter et l’aider.  Il a bien expliqué que l’ex-soldat St-Onge avait de la difficulté à respecter certains styles de leadership au sein de sa compagnie et qu’il était instable dans son humeur et son comportement durant toute la période qu’il l’a connu, soit plus ou moins environ 12 mois.  Son témoignage est fiable et crédible.

 

[16]                  L’ex-soldat St-Onge a témoigné de manière franche et directe.  Il n’a pas hésité à dire ce qu’il pensait en répondant aux questions qui lui étaient posées par l’avocate de la défense.  Son témoignage était teinté d’une certaine émotivité, pour ne pas dire parfois d’une émotivité certaine, et la cour a bien senti sa frustration de devoir rendre son témoignage dans le cadre de certaines règles de preuve applicables à cette cour et il ne s’est pas gêné pour lui expliquer son point de vue sur le sujet.  Son témoignage a aussi démontré qu’il a une perspective bien arrêtée sur les gestes qu’il a commis et que c’est la seule qui doit être considérée.  Cela est consistant avec ce qui a été décrit par le major Arsenault dans son témoignage et les circonstances des infractions révélées par le sommaire des circonstances.

 


[17]                  Il est clair que l’ex-soldat St-Onge comprend et admet qu’il a transgressé des règles importantes quant à la possession et l’usage de la drogue, mais il n’y voit rien de répréhensible car à son avis, il n’y a rien de mal à faire usage d’une drogue dans un contexte militaire, même si cela est interdit pas la loi ou les règlements, dans la mesure où il s’assure d’appliquer des mesures de contrôle afin d’annihiler toute conséquence de sa consommation sur l’accomplissement de ses tâches dans le cadre de son travail.  Ainsi, à son avis, le fait de faire un usage social de cannabis et de métamphétamine répond aux exigences de la politique des Forces canadiennes ou, à tout le moins, limite l’impact d’un tel usage dans le cadre de l’application de cette politique.

 

[18]                  Malheureusement, comme je l’ai expliqué auparavant, ce n’est nullement dans cette perspective qu’est abordée la question de l’usage d’une drogue au sein des Forces canadiennes par un militaire justiciable du Code de discipline militaire en tout temps.  Il a été décidé par les autorités militaires que l’usage d’une drogue ne serait permis sous aucun prétexte, sauf dans les trois cas précis énoncés à l’article 20.04 des ORFC, en raison du danger associé aux instruments et outils utilisés ainsi que celui associé à la rapidité et aux types d’intervention et de mission que les Forces canadiennes sont appelées à accomplir.  Cette approche a d’ailleurs été confirmée par les cours martiales, incluant celles que j’ai présidées, et surtout aussi par la cour d’appel de la cour martiale dans l’affaire MacEachern que j’ai cité plus haut.  Ainsi, contrairement à ce que prétend le contrevenant, le contexte dans lequel a lieu l’usage d’une drogue lorsqu’on est un militaire au sein des Forces canadiennes ne peut seul en soi excuser la commission de cet acte.  Il est vrai que la loi fait une distinction quant à la peine à être infligée en raison du type de drogue qui fait l’objet de la possession, et par le fait même de l’usage, mais cette seule distinction ne peut servir d’excuse pour les actes commis.

 

[19]                  Encore plus surprenant est le fait que le contrevenant ait déclaré continuer à faire usage actuellement de drogue.  Malgré le fait qu’il a plaidé coupable à une accusation relative à la possession de drogue, il semble clair que le contrevenant croit que sa perspective sur cette question de possession et d’usage doit primer sur l’application de la loi et des décisions judiciaires en cette matière.  De tels propos démontrent clairement une incompréhension totale par l’ex-soldat St-Onge des valeurs véhiculées dans notre société par les lois et règlements applicables en matière de drogue.

 

[20]                  Au surplus, une telle attitude reflète clairement celle qui a toujours guidé l’ex-soldat St-Onge tout au cours de sa carrière militaire :  sa perspective et son appréciation des choses doivent primer, particulièrement dans le cas où une autorité quelconque serait d’avis contraire.  Cela explique plusieurs choses.  D’abord son manque de respect pour les lois, directives et autorités qui les appliquent, sa personnalité instable, son humeur variable et ses difficultés à gérer ses émotions lorsqu’il est contredit, tel que l’a d’ailleurs un peu révélé son propre témoignage devant cette cour et aussi tel que l’a mentionné son propre avocat.

 

[21]                  D’ailleurs, cet aspect de sa personnalité s’est aussi révélé lorsqu’il a fait allusion au fait qu’il gardait les munitions sans autorisation à titre de trophées.  Son insouciance quant au respect des règles et au danger de posséder de tels objets découlent clairement de la même attitude.


[22]                  La cour aimerait ajouter que le fait que la consommation de certains médicaments et l’état d’esprit dans lequel se trouvait le contrevenant en août 2006 pour expliquer son attitude n’apporte pas beaucoup d’éclairage à la cour dans la mesure où aucune explication n’a été fournie quant à la nature des médications, dont une liste a été déposée à titre de preuve, et en tenant compte du fait que les effets reliés à l’usage de drogue peut constituer une explication tout aussi valable quant aux causes qui peuvent avoir contribuer à l’attitude de l’accusé lors de la commission des infractions.

 

[23]                  Le procureur de la poursuite à suggérer à la cour d’imposer au contrevenant une sentence d’emprisonnement pour une période de 30 jours car à son avis, il s’agit de la peine minimale applicable dans les circonstances.  Quant à l’avocat de la défense qui représente le contrevenant, il a indiqué à la cour que toute forme d’incarcération devrait être rejetée par la cour car les circonstances ne démontrent pas qu’il s’agit d’un cas de dernier ressort.  Au contraire, l’imposition d’un blâme et d’une amende au montant de $3000 servirait les fins de la justice dans ce dossier.

 

[24]                  En ce qui concerne l’imposition d’une sentence d’incarcération par cette cour à l’ex-soldat St-Onge, il a été établi dans la décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688 aux paragraphes 38 et 40, qu'une peine d'incarcération devrait être la sanction pénale de dernier recours.  La Cour suprême a précisé que l'incarcération sous la forme de l'emprisonnement n'est adéquate que lorsqu'aucune autre sanction ou combinaison de sanctions n'est appropriée pour l'infraction et le contrevenant.  La présente cour est d'avis que ces principes sont pertinents dans le contexte de la justice militaire en prenant compte, néanmoins, des différences importantes entre le régime de détermination de la peine applicable à un tribunal civil siégeant en matière criminelle et pénale par rapport à un tribunal militaire dont les pouvoirs de punition sont prévus à la Loi sur la défense nationale.

 

[25]                  Cette approche a d’ailleurs été réaffirmée par la cour d’appel de la cour martiale dans sa décision de R. c. Baptista, 2006 C.A.C.M. 1, aux paragraphes 5 et 6 à l’effet que la sentence d’incarcération ne doit être envisagée que dans les cas de derniers ressorts.

 


[26]                  Tout comme le système de justice pénale civile comporte ses particularités, comme par exemple l'emprisonnement avec sursis qui se distingue des mesures probatoires, mais qui constitue néanmoins une véritable peine d'emprisonnement dont les modalités d'application sont différentes et qui permet au contrevenant de purger sa peine d'emprisonnement dans la collectivité lorsqu'il est possible de combiner des objectifs punitifs et correctifs comme l'a précisé la Cour suprême dans l'arrêt Proulx, le système de justice militaire, quant à lui, dispose d'outils disciplinaires comme la détention qui vise à réhabiliter les détenus militaires et à leur redonner l'habitude d'obéir dans un cadre militaire structuré autour des valeurs et des compétences propres aux membres des Forces canadiennes.  La détention peut avoir un effet dénonciateur et dissuasif important, sans toutefois stigmatiser les détenus militaires, au même degré que les militaires condamnés à l'emprisonnement, tels qu'il appert des Notes ajoutées aux articles 104.04 et 104.09 des ORFC.

 

[27]                  Cependant, dans le cas où un militaire est déjà libéré des Forces canadiennes, les objectifs visés par une peine de détention n’ont plus aucune pertinence et seule l’autre forme d’incarcération, prévue à l’échelle des peines, qu’est l’emprisonnement doit être envisagée.

 

[28]                  Au surplus, dans les cas ou l'acte reproché déborde le cadre disciplinaire et qu'il constitue une activité proprement criminelle, alors là, il faut non seulement regarder l'infraction à la lumière des valeurs et des compétences propres aux membres des Forces canadiennes, mais aussi dans l'optique de l'exercice d'une juridiction pénale concurrente.

 

[29]                  Dans cette cause, quatre des infractions pour lesquelles le contrevenant a plaidé coupable sont de nature disciplinaire et une autre, celle relative à la possession de cannabis, constitue une activité à proprement parlé criminelle.  À elle seule, comme je l’ai exprimé d’ailleurs dans d’autres cours martiales comme celle du soldat Noah et du bombardier Kettle, cette infraction n’entraîne pas automatiquement une peine d’incarcération de la nature d’un emprisonnement.  Cependant, lorsqu’elle est combinée à ces autres infractions de nature disciplinaire, et que la cour tient compte de l’ensemble des circonstances atténuantes et aggravantes qui y sont reliées et énumérées auparavant, ainsi que de l’état d’esprit du contrevenant à l’égard de la commission de toutes ces infractions, autant au moment où elles se sont produites qu’au moment de rendre la présente sentence, il apparaît évident à cette cour que l'incarcération sous la forme de l'emprisonnement est la seule sanction adéquate et qu’il n’existe aucune autre sanction ou combinaison de sanctions appropriée pour les infractions et le contrevenant.

 

[30]                  La cour considère donc que l'emprisonnement est nécessaire pour assurer la protection du public et le maintien de la discipline.

 

[31]                  La question qui se pose à ce moment-ci est de savoir quelle devrait-être la durée d'une telle peine d'emprisonnement pour assurer la protection du public et le maintien de la discipline ?

 

[32]                  N’eût été de l’ensemble des circonstances atténuantes qui ont été mises en preuve devant cette cour dans ce dossier, la cour n’aurait aucunement hésité à vous condamner à une peine d’emprisonnement pour une période d’au moins 60 jours.  Cependant, dans une perspective de vous permettre de tourner définitivement la page d’une manière rapide et d’éviter d’affecter totalement la vie que vous essayez de vous refaire dans la société depuis votre libération des Forces canadiennes, la cour est prête à envisager une période plus courte.

 


[33]                  Une peine équitable et juste doit tenir compte de la gravité de l’infraction et de la responsabilité du contrevenant dans le contexte précis de l’espèce.  En conséquence, la cour est d’avis que l’imposition d’une peine d’emprisonnement est en conformité avec l’application de ces principes, compte tenu de l’ensemble des circonstances et des facteurs aggravants et atténuants identifiés par cette cour.

 

[34]                  J’ai aussi examiné la question de savoir s’il convient en l’espèce de rendre une ordonnance interdisant au contrevenant de posséder une arme, tel que me l’y oblige l’article 147.1 de la Loi sur la défense nationale.  À mon avis, une telle ordonnance n’est ni souhaitable, ni nécessaire pour protéger la sécurité d’autrui ou du contrevenant dans les circonstances de ce procès, et je ne rendrai aucune ordonnance à cet effet.

 

 [35]                Ex-soldat St-Onge, levez-vous.  La cour vous condamne à une peine d'emprisonnement pour une période de 30 jours.  La cour n’émet pas d’ordonnance aux termes de l’article 147.1 de la Loi sur la défense nationale.

 

[36]                  Les procédures concernant la cour martiale disciplinaire de l’ex-soldat St-Onge sont maintenant terminées.

 

 

 

                                             LE LIEUTENANT-COLONEL L.-V. D'AUTEUIL, J.M.

 

Avocats :

 

Capitaine de corvette M. Raymond, Directeur des poursuites militaires, Région de l’Est

Avocat de la poursuivante

 

Major L. D'Urbano, Directeur du service d'avocats de la défense

Avocat de l'ex-soldat D. St-Onge

 

 

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