Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 5 mai 2008

Endroit : Garnison Valcartier, l'Académie, Édifice 534, Courcelette (QC).

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 (subsidiaire au chef d'accusation 2) : Art. 127 LDN, en raison de négligence envers les directives a accompli un acte relatif à un objet susceptible de constituer une menace pour la vie ou les biens, acte qui était de nature à causer la mort ou des blessures corporelles.
•Chef d'accusation 2 (subsidiaire au chef d'accusation 1) : Art. 129 LDN, négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
Résultats
•VERDICTS : Chef d'accusation 1 : Coupable. Chef d'accusation 2 : Non coupable.
•SENTENCE : Une amende au montant de 500$.

Contenu de la décision

Citation : R. c. Soldat S.J.L.S. Bergeron, 2008 CM 3017

 

Dossier : 200802

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

CANADA

QUÉBEC

GARNISON VALCARTIER

 

Date : 9 mai 2008

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL L.-V. D'AUTEUIL, J.M.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

(Poursuivante)

c.

SOLDAT S.J.L.S. BERGERON

(Accusé)

DÉCISION CONCERNANT UNE REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR LACCUSÉ À LEFFET QUIL Y A UNE ABSENCE DE PREUVE PRIMA FACIE SUR UN DES ÉLÉMENTS ESSENTIELS DUNE INFRACTION

(Prononcée oralement)

 

 

[1]                    Le soldat Bergeron est accusé de négligence dans la manutention de matières dangereuses contrairement à l'article 127 de la Loi sur la Défense nationale, et subsidiairement, il est accusé de négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline pour ne pas avoir mis en application les directives de tirs qui lui avaient été émises dans le cadre d'une formation pratique relative au tir d'une grenade C-13, contrairement à l'article 129 de la Loi sur la Défense nationale.

 

[2]                    Tel que prescrit dans les ordonnances et les Règlements royaux applica-

bles aux Forces canadiennes (ci-après les ORFC), lorsque le procureur de la poursuite à terminer la présentation de sa preuve, l'accusé peut demander d'être déclaré non coupable à l'égard d'un chef d'accusation parce que le procureur de la poursuite n'a pas établi une preuve prima facie, c'est-à-dire une cause dans laquelle il y a quelque preuve sur tous les éléments essentiels d'une accusation et si cru par le juge des faits, amène une condamnation.

 

[3]                    En conséquence, le 8 mai 2008, suivant la déclaration du procureur de la


poursuite à l'effet que sa preuve était close, et en conformité avec l'article 112.05(13) des ORFC, l'accusé a présenté une requête pour absence de preuves prima facie à l'égard du deuxième chef d'accusation qui se trouve sur l’acte d'accusation, alléguant que le procureur de la poursuite n’a présenté aucune preuve devant cette cour en ce qui a trait à l’un des éléments essentiels de l'infraction portée en vertu de l'article 129 de la Loi sur la Défense nationale.

 

[4]                    La preuve présentée par le procureur de la poursuite dans le cadre de ce

procès par cour martiale disciplinaire est la suivante :

 

a.  Les témoignages entendus, dans l'ordre de leur apparition : le témoignage du lieutenant Massé, du sergent Deschênes, du sergent Longval, du caporal-chef St-Onge-Martel, du bombardier-chef Rochefort et de l'adjudant Hêtu ;

 

b.  La pièce 4, une représentation photographique du champ de tir de grenade à la garnison Valcartier ;

 

c.  La pièce 5, un extrait du manuel sur les armes, volume 7, portant sur les grenades et pyrotechniques ;

 

d.  La pièce 6, un extrait du manuel sur les grenades à fragmentation, description et instructions d’entretien ;

 

e.  La pièce 7, le test de maniement sur la grenade à  fragmentation C-13 passé par le soldat Bergeron dans le cadre de son cours ; et finalement

 

f.  La connaissance judiciaire prise par la cour des faits et questions contenues dans la règle 15 des Règles militaires de la preuve.

 

[5]                    Ce genre de requête, présentée immédiatement après que le procureur de

la poursuite a déclaré sa preuve close, est différente de celle relative à une demande d'acquittement sur la base d'un doute raisonnable.  Ce dernier argument est à l'effet qu'il existe quelque preuve sur tous les éléments essentiels d’une accusation et sur laquelle un jury équitable, ayant reçu des directives appropriées, pourrait conclure à la culpabilité, mais qui est insuffisante pour établir la culpabilité hors de tout doute raisonnable. Puisque le concept de doute raisonnable n’entre pas en jeu tant que toute la preuve n'a pas été présentée, la notion de doute raisonnable ne peut pas être considérée ici, à moins que l'accusé est décidé de ne pas présenter de preuve ou avoir déclaré sa preuve close, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

 

[6]                    Je n’ai pas à considérer la qualité de la preuve en déterminant s’il existe

quelque preuve qui a été présentée par le procureur de la poursuite sur chacun des éléments essentiels de l’infraction se trouvant au deuxième chef d’accusation en vertu duquel un jury équitable, convenablement instruit en droit, pourrait prononcer un verdict de culpabilité.


[7]                    Le test pour un verdict imposé, et qui s’applique dans ce genre de re-

quête, a été formulé par le juge Ritchie dans Etats-Unis d'Amérique c. Shephard, [1977] 2 R.C.S. 1067, à la page 1080, et qui se lit comme suit :

 

...quil existe ou non des éléments de preuve au vu desquels un jury équitable, ayant reçu des directives appropriées, pourrait conclure à la culpabilité.

 

[8]                    Il est important de souligner que le fardeau de preuve appartient à

l’accusé de démontrer, par prépondérance de preuve, que le test est respecté.

 

[9]                    Le test est le même, que la preuve soit directe ou circonstancielle.  C'est

l'application de ce test qui varie dépendant du genre de preuve présentée par la poursuite.  Lorsque la cause de la poursuite repose entièrement sur la preuve directe, l'application du test est simple.  Si le juge détermine que la poursuite a présenté quelque preuve directe sur chacun des éléments essentiels de l'infraction, la requête doit être rejetée.  La seule question qui restera est relative à la véracité de la preuve et cet aspect aura à être débattu par le juge des faits.  Par contre, lorsque la preuve d'un élément essentiel de l'infraction repose sur une preuve circonstancielle, la question à déterminer n'est pas simplement reliée à sa véracité.  Il s'agit aussi, dans la mesure où la preuve est acceptée comme véridique, de déterminer si les inférences se basant sur celle-ci, et tel que proposé par la poursuite, peuvent être faites tel que suggéré.  Le juge doit jauger la preuve en évaluant s’il existe une capacité raisonnable pour cette preuve de supporter les inférences proposées par la poursuite.  Le juge ne se demande pas s’il tirerait de telles inférences et n’en évalue pas la crédibilité.  La seule question est de savoir si la preuve, si elle est crue, peut raisonnablement supporter une inférence concernant la  culpabilité.

 

[10]                  Il a d’abord été suggéré par le procureur de la poursuite que le deuxième

chef d’accusation reflète, tel que libellé, une infraction en vertu de l’article 129(2) de la Loi sur la Défense nationale.

 

[11]                  Le but de l’article 129(2) de la LDN est de donner effet à la

réglementation émise par les autorités civiles en ce qui a trait à « l’organisation, l’instruction, la discipline, l’efficacité et la bonne administration des Forces canadiennes, » tel que mentionné à l’article 12 de la LDN et de voir à l’application  de tous les ordres et directives qui émanent du chef d’état-major de la défense et qui sont requis pour donner effet et voir à la mise en œuvre des décisions et instructions du gouvernement du Canada ou du ministre, tel que mentionné à l’article 18(2) de la LDN.

 

[12]                  D’ailleurs, le major Jean-Bruno Cloutier a bien identifié le but de cet

article dans son ouvrage de maîtrise intitulé, « L’utilisation de l’article 129 de la Loi sur la Défense nationale dans le système de justice militaire canadien », lorsqu’il affirme aux pages 71 et 72 de sa thèse :

 


Le paragraphe 129(2) nest pas quant à lui de nature résiduaire. Cest une infraction de nature spécifique visant à sanctionner la contravention des instruments élaborés aux sous-paragraphes a), b) et c) du paragraphe 129(2). Elle crée une obligation pour les justiciables dobserver les règlements et les ordres énumérés au paragraphe 129(2) qui leur ont été dûment émis, publiés et notifiés.

 

[13]                  En conséquence, il est clair pour moi que le deuxième chef d’accusation

constitue une accusation portée en vertu de l’article 129(1) de la LDN car il réfère à une contravention des directives de tir qui avaient été émises à l’accusé et non à une contravention d’un règlement ou d’un ordre au sens du paragraphe 2 de l’article 129 et qui ont été dûment émis, publiés et notifiés.

 

[14]                  Les éléments essentiels de l’infraction de l’article 129(1) de la LDN sont :

 

a.  L’identité de l’accusé ;

 

b.  La date et l’endroit de l’infraction ;

 

c.  L’acte ou l’omission allégués dans l’acte d’accusation à l’effet qu’il s’est réellement produit ;

 

d.  Le fait que l’acte constitue une négligence ; et finalement

 

e.  Le préjudice au bon ordre et à la discipline.

 

[15]                  En ce qui concerne les éléments essentiels relatifs à l’identité, la date et

l’endroit, il est clair qu’ils ne font pas l’objet de cette requête car l’accusé en a fait une admission formelle durant la présentation de la preuve de la poursuite.

 

[16]                  Quant à l’élément essentiel de la preuve de l’acte allégué dans les détails

de l’accusation, le témoignage du sergent Deschênes constitue quelque preuve sur cet aspect.

 

[17]                  Maintenant, en ce qui a trait au fait que l’acte constitue une négligence,

je suis d’avis qu’il y a aussi quelque preuve sur cet aspect.  En effet, le terme négligence fait référence, dans son sens usuel que l’on retrouve dans le dictionnaire « Le petit Robert, » à un manque d’attention ou d’application par une personne qui effectue quelque chose.  Le témoignage du sergent Deschênes permet d’inférer, à tout le moins, quelque preuve sur cet aspect par la description qu’il a faite des directives qui devaient être suivi par tout candidat qui tirait une grenade, et la description des gestes effectués par l’accusé lorsqu’il a procédé au tir de la première de ses deux grenades.

 

[18]                  Finalement, l’avocat de la défense a soulevé dans la présentation de sa


requête qu’il y avait une absence totale de preuve quant à l’élément essentiel de préjudice au bon ordre et à la discipline.  Il est bon de se rappeler ce qui a été évoqué par la cour d’appel de la cour martiale dans la décision de Sergent B.K. Jones et Sa Majesté la Reine, 2002 CACM 11, particulièrement au paragraphe 7 :

 

[7] La preuve du préjudice peut évidemment être déduite des circonstances si la preuve montre clairement quun préjudice sest produit comme conséquence naturelle dun fait prouvé. Toutefois, la norme de preuve est celle de la preuve au-delà de tout doute raisonnable.

 

[19]                  Dans le cas qui nous occupe, aucune preuve quelconque d’un fait dont la

conséquence naturelle constituerait un préjudice au bon ordre et à la discipline n’a été présentée par la poursuite.  Il est vrai qu’il y a quelque preuve présentée par la poursuite à l’effet que le geste d’ouverture de la main de l’accusé qui tenait la grenade a été fait au mauvais moment de la séquence qui avait été enseignée aux candidats et validée auprès de ces derniers pour le tir de grenade.  Cependant, ce geste seul n’a pas pour conséquence naturelle de constituer un préjudice au bon ordre et à la discipline.

 

[20]                  De plus, en l’absence de toute autre preuve quant à l’attitude et à la

réaction de l’accusé en relation avec le geste qu’il a commis, il m’apparaît clair qu’il est impossible de faire toute autre inférence raisonnable qui permettrait de qualifier d’une manière quelconque le geste posé par l’accusé et d’en arriver à la conclusion que quelque preuve a été présentée par la poursuite à l’effet que cette négligence était préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

 

[21]                  Finalement, les autres éléments de preuve introduits par la poursuite et

qui se sont produits avant ou après que l’accusé ait commis le geste qu’on lui reproche ne permet pas de faire une quelconque inférence raisonnable que quelque preuve a été présentée par la poursuite concernant l’élément essentiel de l’infraction qu’est le préjudice au bon ordre et à la discipline.

 

[22]                  J’aimerais souligner le fait que la gravité des circonstances d’une situa-

tion donnée permet d’établir s’il existe une négligence ou non au sens du Code de discipline militaire, mais que par la suite, c’est à l’égard de cette négligence et non du niveau de danger qu’impliquent les circonstances de l’affaire que doit être établi l’existence d’un préjudice au bon ordre et à la discipline.  En ce sens, mettre la vie d’un collègue en danger par la commission d’un geste peut être un fait pertinent à l’établissement de la négligence, mais pas en ce qui a trait au préjudice au bon ordre et à la discipline.

 

[23]                  Je conclus donc que l’accusé a prouvé, par prépondérance de preuve,


qu’il n’y a aucune preuve qui a été faite par la poursuite dans le cadre de la présente cour martiale disciplinaire concernant l’élément essentiel de préjudice au bon ordre et à la discipline en ce qui a trait à l’infraction de négligence au bon ordre et à la discipline qui constitue le deuxième chef d’accusation.

 

[24]                  Soldat Bergeron, levez-vous.  C’est ma décision qu’une preuve prima

facie n’a pas été établie à votre égard par la poursuite quant au deuxième chef d’accusation se trouvant sur l’acte d’accusation, et conséquemment, je vous déclare non coupable de ce chef.

 

 

 

                                             LE LIEUTENANT-COLONEL L.-V. D'AUTEUIL, J.M.

 

Avocats :

 

Major J Caron, Procureur militaire régional, Région de l’Est

Avocat pour le poursuivant

 

Lieutenant-colonel D. Couture,  Direction du service d'avocats de la défense

Avocat de la défense pour le soldat Bergeron

 

 

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