Cour martiale
Informations sur la décision
Date de l’ouverture du procès : 8 novembre 2006.
Endroit : BFC Trenton, édifice 22, 3e étage, 74 avenue Polaris, Astra (ON).
Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, voies de fait (art. 266 Cr. C.).
•Chef d’accusation 2 : Art. 97 LDN, ivresse.
Résultats
•VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Coupable. Chef d’accusation 2 : Retiré.
•SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 1000$.
Contenu de la décision
Référence : R. c. Crawley, 2006 CM 82
Dossier : S200682
COUR MARTIALE PERMANENTE
CANADA
ONTARIO
BASE DES FORCES CANADIENNES TRENTON
Date : le 8 novembre 2006
SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL J-G PERRON, J.M.
SA MAJESTÉ LA REINE
c.
L’Adjudant-chef B.J. Crawley
(Accusé)
SENTENCE
(Prononcée de vive voix)
TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE
[1] Adjudant-chef B.J. Crawley, la Cour, ayant accepté et enregistré votre plaidoyer de culpabilité au chef d’accusation, vous en déclare maintenant coupable. Comme la poursuite a retiré le premier chef d’accusation, le tribunal n’a pas à se prononcer sur celui-ci.
[2] Le sommaire des circonstances, dont vous avez officiellement reconnu les faits en tant que preuve concluante de votre culpabilité, éclaire la présente cour quant au contexte dans lequel vous avez commis l’infraction. Au cours de votre témoignage, vous avez également fourni d’autres précisions sur les circonstances de la perpétration de l’infraction. Le 2 novembre 2005, lorsque vous étiez très ivre, vous avez placé votre bras autour de la taille de Mlle Kaylene Cartwright et vous l’avez retenue contre vous pendant environ 30 secondes contre son gré. La plaignante, Mlle Cartwright, venait tout juste d’avoir 16 ans au moment de l’infraction et elle travaillait comme serveuse à l’occasion du dîner régimentaire du Service de logistique et d’ingénierie de l’escadre ce soir-là. L’incident s’est produit vers la fin du dîner, au moment du service du dessert. Vous avez indiqué dans votre témoignage que vous étiez tellement ivre que vous ne vous souvenez pas de ce qui s’est produit pendant de longs moments au cours du repas ni de cet incident.
[3] Pour déterminer la peine appropriée, la cour a tenu compte des circonstances de cette affaire, des circonstances atténuantes soulevées en preuve, des circonstances aggravantes présentées par la poursuite, des observations de la poursuite et de la défense ainsi que des principes de détermination de la peine applicables en toute circonstance.
[4] Au Canada, les principes de détermination de la peine, qui sont d’ailleurs les mêmes devant une cour martiale et devant un tribunal civil de juridiction criminelle, ont été énoncés
[5] Au Canada, les principes de détermination de la peine, qui sont d’ailleurs les mêmes devant une cour martiale et devant un tribunal civil de juridiction criminelle, ont été énoncés de différentes manières. En général, ils s’appuient sur le besoin de protéger le public, ce qui, bien sûr, comprend en l’espèce les Forces canadiennes. Les principes fondamentaux sont la dissuasion, qui comprend aussi bien l’effet dissuasif produit sur la personne visée, que l’effet dissuasif général, produit sur toute personne qui pourrait être tentée de commettre une infraction du même genre. Ces principes comprennent également le principe de la dénonciation du comportement illégal, et, le dernier mais non le moindre, le principe de l’amendement et de la réinsertion sociale du délinquant.
[6] Il revient au tribunal de déterminer si la protection de la collectivité serait mieux servie par la dissuasion, par la réinsertion sociale, par la dénonciation ou par une combinaison de ces principes.
[7] En infligeant une peine, la cour doit suivre les directives de l’article 112.48 des ORFC qui lui impose de tenir compte de toutes les conséquences indirectes de sa décision ou de la peine qu’il prononce, et d’infliger au contrevenant une sentence proportionnée à la gravité de son infraction et à ses antécédents.
[8] Le tribunal a également tenu compte de l’orientation suggérée, et il s’agit bien d’une suggestion car elle n’a aucun effet contraignant sur le tribunal pour les fins de la détermination de la peine, par les articles 718, 718.1 et 718.2 du Code criminel du Canada. Ces principes et ces articles du Code criminel sont là pour dénoncer le comportement illégal, dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions, isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société, favoriser la réinsertion sociale des délinquants, assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité, et susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.
[9] La cour a également tenu compte du principe voulant que les peines infligées aux contrevenants qui commettent des infractions similaires dans des circonstances comparables ne soient pas disproportionnées. Le tribunal a également le devoir d’infliger la peine la plus clémente compatible avec le maintien de la discipline dans les rangs.
[10] Le tribunal doit aussi garder à l’esprit que le but ultime de la peine est le rétablissement de la discipline chez le délinquant et dans les rangs des Forces armées. L’Adjudant-chef Fleming a décrit la discipline comme un attribut essentiel au bon moral d’un groupe et déclaré qu’elle constituait, pour les troupes, un guide leur permettant de distinguer le bien du mal. Il est également venu dire que le rôle d’un adjudant-chef dans les Forces canadiennes était de s’assurer que les principes du leadership soient bien inculqués aux militaires du rang. Enfin, il a ajouté que le respect se gagne au mérite et que l’exemple personnel prime par dessus tout parce qu’il s’agit d’un instrument de leadership.
CIRCONSTANCES ATTÉNUANTES
[11] Votre plaidoyer de culpabilité et les excuses que vous avez présentées aujourd’hui aux Forces canadiennes et à Mlle Cartwright pour l’avoir indisposée lors du dîner régimentaire témoigne de votre remords pour les événements survenus le 2 novembre 2005 et de votre volonté d’assumer la pleine responsabilité de vos gestes. Votre plaidoyer de culpabilité a également pour effet d’éviter à la plaignante d’avoir à venir témoigner, lui épargnant ainsi une autre source d’anxiété.
[12] Au cours de vos 35 années de service dans les Forces canadiennes, vous êtes parvenu à gravir les échelons jusqu’au rang d’adjudant-chef. Vous en êtes également à votre première infraction.
[13] Vos gestes ont été faits sous l’influence de l’alcool, au point que vous ne vous souvenez plus de l’incident tellement vous étiez ivre. Toutefois, face à cette situation, vous avez immédiatement décidé de rencontrer le conseiller en matière d’alcoolisme et de toxicomanie de votre escadre pour discuter de votre problème et trouver un moyen de le régler. La première étape de cette cure consistait à participer au programme Bellwood. M. Mageau estime que vos perspectives de demeurer sobre sont bonnes.
[14] Selon vos dires et le témoignage de l’Adjudant-chef Fleming, ce genre de comportement vous est totalement étranger et doit être attribué à votre degré élevé d’ébriété. Bien que vos deux témoins de moralité soient de vos amis, leur témoignage non contredit vous décrit comme un homme qui ne se comporte généralement pas de la façon qui vous vaut de vous retrouver devant ce tribunal aujourd’hui. Bien que l’ébriété puisse expliquer votre comportement, elle ne constitue pas une excuse pour autant. Enfin, le tribunal note que l’infraction qui vous est reprochée se situe au bas de l’échelle pour les infractions de ce genre.
CIRCONSTANCES AGGRAVANTES
[15] La plaignante avait tout juste 16 ans au moment de l’infraction. Vous avez placé votre bras autour de sa taille près de ses fesses et vous l’avez tiré vers vous lorsqu’elle a tenté de vous échapper. Vous lui parliez et vous étiez en état d’ébriété très avancé. Tout ceci s’est produit lors d’un dîner régimentaire de tous grades et il y aurait eu au moins trois témoins. Mais aucune preuve n’a été présentée devant ce tribunal quant au grade de ces témoins. Le tribunal ne peut donc pas, et il le répète, ne peut pas émettre l’hypothèse, très vraisemblable vu votre rang d’adjudant-chef, que des subalternes aient pu être témoins de votre comportement inacceptable.
[16] La plaignante a été très perturbée par vos gestes. Elle n’a pu trouver le sommeil ce soir-là. Elle a pleuré beaucoup. Elle a dû appeler ses parents, les réveiller, pour qu’ils viennent la chercher. Il lui a fallu quelques jours pour se ressaisir. Comme l’a dit son beau-père, [TRADUCTION] « il lui a fallu quelques jours pour passer par-dessus l’incident, en tirer de l’expérience et reprendre sa vie normale ». Bien que le Caporal-chef Leroux n’ait pas utilisé l’expression « expérience de vie », ce n’est pas le genre d’expérience de vie à laquelle une personne de 16 ans devrait s’attendre en travaillant comme serveuse à l’occasion d’un dîner régimentaire.
[17] La décision rendue par la Cour d’appel de la cour martiale dans l’affaire R. c. Dixon, 2005, CACM-477, offre à ce tribunal quelques orientations pour la détermination d’une peine appropriée. Bien que cette affaire traite de pornographie juvénile, les principes de détermination de la peine qu’elle contient s’appliquent également à tout type de procédure disciplinaire. Au paragraphe 33 de sa décision dans l’affaire Dixon, la Cour d’appel de la cour martiale déclare :
Dans l’affaire Woroby, le tribunal avait décidé d’infliger, parmi les peines possibles, une amende élevée dans le but de dénoncer et de dissuader le comportement reproché. En appel, les juges de la Cour d’appel du Manitoba, des juges d’expérience, ont examiné les principes applicables pour déterminer l’amende qu’il convient d’imposer pour ce type d’infraction. La Cour d’appel a dit que, comme le prévoit l’article 718.1 du Code, la : « peine est proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant ». Elle a ensuite mentionné l’alinéa 718.2b) qui prévoit : « l’harmonisation des peines, c’est‑à‑dire l’infliction de peines semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables ». Autrement dit, la Cour d’appel a réitéré les principes de parité, d’égalité et de justice fondamentale en matière de détermination de la peine.
[18] La poursuite a cité au tribunal trois causes de jurisprudence au soutien de sa recommandation d’infliger une réprimande et une amende de 1 000 $ à 1 500 $.
[19] Le tribunal juge pertinente la cause de l’Adjudant Lavoie devant la Cour martiale permanente. L’accusé, l’Adjudant Lavoie, était en état d’ébriété à l’occasion d’une activité sociale militaire et il avait porté la main sur un soldat de sexe féminin de façon déplacée. Il a plaidé coupable à des accusations de harcèlement et de s’être trouvé en état d’ébriété. Quoique les accusations soient différentes de celles de la présente affaire, les circonstances sont sensiblement les mêmes. Il faut aussi noter que l’accusé devant la Cour martiale permanente était simple adjudant et non adjudant-chef. L’Adjudant Lavoie a été condamné à une réprimande et à une amende de 750 $.
[20] Dans la présente affaire, le tribunal estime que la peine imposée doit surtout viser la dissuasion générale. Vous avez manifestement fait tous les efforts pour vous réadapter et pour régler votre problème de dépendance. Votre plaidoyer de culpabilité indique qu’une mesure de dissuasion spécifique n’est pas nécessaire dans le cas présent. Bien que vos gestes du 2 novembre 2005 aient été répréhensibles et qu’ils aient porté atteinte à l’intégrité physique et émotive de la victime, vos actes et vos efforts pour régler vos problèmes de dépendance à l’alcool sont dignes de mention.
[21] Le tribunal estime les risques de récidive que vous présentez sont minimes.
[22] Vos gestes ont eu des effets graves sur une adolescente qui ne devrait pas avoir à s’attendre à être saisie par un sous-officier, ou par quiconque d’ailleurs, lorsqu’elle travaille dans l’un de nos mess. La dignité de toute personne doit être respectée en tout temps.
[23] Du fait de votre rang et de votre place au sein de l’ESIT, les attentes à votre endroit étaient élevées. Vous étiez supposé être un modèle de leadership pour les militaires du rang de la 8e escadre. Bien que les gestes reprochés ne vous ressemblent pas, vous n’en restez pas moins responsable. L’alcool ne peut tout excuser. Les importantes circonstances atténuantes dans cette affaire sont contrebalancées par la nature de vos gestes, l’âge de la plaignante et les effets qu’ils ont eus sur celle-ci. Il faut également tenir compte de votre grade et de vos fonctions pour déterminer votre degré de responsabilité. La peine appropriée dans la présente affaire doit viser surtout la dissuasion générale, c’est-à-dire qu’elle doit envoyer à tous les militaires un signal clair que ce genre de comportement ne sera pas toléré. La peine doit également être la moindre possible propre à assurer la protection du public et le maintien de la discipline.
[24] Le versement d’une caution ou l’imposition d’une amende de 200 $ serait certainement de nature à déconsidérer l’administration de la justice militaire et à être perçu comme une absolution de ce genre de comportement.
[25] Adjudant-chef Crawley, levez-vous s’il vous plaît. Vous ayant déclaré coupable de l’infraction reprochée, la cour vous condamne à une réprimande et à une amende de 1 000 $.Cette amende sera payable par mensualités de 100 $ chacune, à compter du 1er décembre 2006. Si vous étiez libéré des Forces canadiennes avant d’avoir fini de payer cette amende, le montant total impayé devrait être soldé la veille de votre libération.
LE LIEUTENANT-COLONEL J-G PERRON, J.M.
AVOCATS
Le Major S. MacLeod, Direction des poursuites militaires
Procureur de Sa Majesté la Reine
Le Capitaine de corvette M. Reesink, Direction du service d’avocats de la défense
Avocat de l’Adjudant-chef B.J. Crawley