Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 13 décembre 2011

Endroit : NCSM Prevost, 19 rue Becher, London (ON)

Chefs d'accusation
•Chefs d’accusation 1 : Art. 129 LDN, négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats
•VERDICT : Chef d’accusation 1 : Coupable.
•SENTENCE : Une amende au montant de 2000$

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Scagnetti, 2011 CM 4030

 

Date :  20111213

Dossier :  201151

 

Cour martiale permanente

 

Navire canadien de Sa Majesté Prevost

London (Ontario), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Le Colonel (à la retraite) P.E. Scagnetti, contrevenant

 

 

Devant : Lieutenant-colonel J-G Perron, J.M.

 


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Colonel Scagnetti, après avoir accepté et inscrit votre plaidoyer de culpabilité à l’accusation no 1, la cour vous déclare maintenant coupable de cette accusation. Vous avez plaidé coupable à l’accusation d’avoir manié une carabine C-8 de manière imprudente, contrairement à l’obligation qui vous incombait, ce qui a provoqué l’éjection d’une cartouche non éclatée, laquelle manoeuvre constitue une négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline. La cour doit maintenant déterminer une peine juste et appropriée en l’espèce.

 

[2]               L’exposé des circonstances, dont vous avez formellement admis que les faits qui y sont énoncés constituent une preuve concluante de votre culpabilité, fournit à la cour les circonstances entourant la perpétration de l’infraction.

 

[3]               Lors de l’infraction, vous travailliez au Collège de commandement et d’état‑major de l’Armée nationale afghane, à Kabul (Afghanistan), à titre de chef d’équipe et de mentor en chef dans le cadre du Cours élémentaire de commandement et d’état-major. Vous étiez affecté à l’opération ATTENTION au soutien de la Contribution canadienne à la Mission de formation en Afghanistan.

 

[4]               Le matin du 29 mai 2011, vous vous trouviez dans un bureau du Collège faisant l’objet d’une occupation partagée lorsqu’un exercice de tir de sécurité a soudainement été annoncé. Vous vous êtes rendu à la pièce où se trouvait votre équipement de protection individuel (EPI), avez revêtu votre gilet pare-balles et avez commencé à enfiler votre veste tactique. Vous n’avez cependant pas réussi à monter le fermoir éclair de votre veste tactique à ce moment-là. Vous avez précipité vos mouvements afin de répondre le plus rapidement possible à l’appel relatif à l’exercice.

 

[5]               Un major de l’infanterie canadienne, qui avait déjà revêtu son propre équipement et avait déverrouillé l’armoire d’armes située dans le couloir adjacent au bureau, est allé chercher votre carabine C-8 qui s’y trouvait, y a inséré un chargeur et vous a remis votre carabine C-8 non armée. Par la suite, le major a quitté le couloir pour se rendre à la place qui lui avait été assignée aux fins de l’exercice. Vous vous êtes subséquemment rendu vous aussi à la place qui vous avait été assignée dans le bureau.

 

[6]               À votre arrivée dans le bureau, vous vous êtes dirigé vers la fenêtre et avez fermé les rideaux. Vous avez ensuite posé votre arme sur le bureau, monté le fermoir éclair de votre veste tactique, revêtu et ajusté votre casque, mis vos gants et saisi votre arme, après quoi vous avez commencé à vous tourner vers la fenêtre. Il y avait alors deux interprètes afghans qui étaient présents dans la pièce. Un des interprètes vous a demandé s’il pouvait vous poser une question au sujet d’un document. C’est à ce moment que votre doigt a appuyé sur la gâchette, de sorte qu’une cartouche non éclatée a été éjectée et s’est logée dans le mur situé à côté de votre bureau.

 

[7]               Après vous être assuré que personne n’avait été blessé, vous avez placé l’arme dans un coin, retiré le chargeur et une autre cartouche insérée dans la chambre, afin de le vider complètement. Vous avez ensuite déchargé l’arme une deuxième fois et l’avez placée sur le rebord de fenêtre, ainsi que le chargeur. Vous avez alors ouvert la fenêtre afin de permettre à la fumée de s’échapper, vous avez ramassé le boîtier éjecté et tenté de savoir où se trouvait la cartouche éjectée. Elle était passée à travers un babillard, ce qui avait fait un trou dans le mur de béton situé derrière.

 

[8]               Lorsqu’il a entendu le seul coup de carabine qui avait été tiré, le major a confirmé qu’il n’y avait aucun danger dans le couloir et s’est ensuite rendu au bureau. Vous avez demandé au major de vérifier le fonctionnement de votre arme, ce qu’il a fait. De l’avis du major, la carabine C-8 fonctionnait de la façon prévue. Vous avez demandé au major de préparer une déclaration. Vous avez également demandé aux deux interprètes de préparer leurs propres déclarations écrites et de les remettre au major. Vous avez ensuite téléphoné au Commandant du camp canadien à Kabul, afin de signaler le coup de feu accidentel et les mesures subséquentes que vous avez prises. Vous avez également signalé l’incident au mentor en chef du Collège, soit un officier français. Plus tard, vous avez demandé à un sergent canadien de vérifier le fonctionnement de l’arme. Le sergent a apparemment estimé que la carabine C‑8 fonctionnait comme prévu. Vous avez préparé une déclaration écrite détaillée au sujet de l’incident et avez remis cette déclaration au major.

 

[9]               Plus tard le même jour, un armurier a examiné votre arme et a préparé un rapport écrit dans lequel il a mentionné qu’il n’avait constaté [traduction] « aucune faille susceptible de provoquer un tir accidentel de cette arme ». Avant votre affectation, vous aviez reçu une formation appropriée et aviez les compétences voulues pour utiliser la carabine C-8.

 

[10]           Comme la Cour d’appel de la cour martiale l’a souligné, la détermination de la peine est un processus fondamentalement subjectif et individualisé où le juge du procès a l’avantage d’avoir vu et entendu tous les témoins; il s’agit sans doute de l’une des tâches les plus difficiles que le juge du procès doit remplir (voir R c Tupper 2009 CMAC 5, par. 13).

 

[11]           La Cour d’appel de la cour martiale a également mentionné en toutes lettres que les objectifs fondamentaux de la détermination de la peine, qui sont énoncés dans le Code criminel du Canada s’appliquent dans le contexte du système de justice militaire et qu’un juge militaire doit examiner ces objectifs lors de la détermination de la peine (voir R c Tupper, par. 30). L’objectif fondamental de la détermination de la peine est de contribuer au respect de la loi et à la protection de la société, ce qui comprend les Forces canadiennes, par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a)                  dénoncer le comportement illégal;

b)                  dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;

c)                  isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

d)                 favoriser la réinsertion sociale des délinquants;

e)                  assurer la réparation des torts causé aux victimes ou à la collectivité;

f)                   susciter la conscience de leur responsabilité chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.

 

[12]           La cour doit décider si la protection du public serait mieux servie par la dissuasion, la réinsertion sociale, la dénonciation ou une combinaison de ces facteurs. Les dispositions du Code criminel liées à la détermination de la peine, soit les articles 718 à 718.2, prévoient un processus individualisé selon lequel il faut prendre en considération non seulement les circonstances de l’infraction, mais aussi la situation particulière du contrevenant (voir R c Angelillo, 2006 CSC 55, au par. 22). Une peine doit également respecter le principe de l’harmonisation des peines (voir R c L.M., 2008 CSC 31, au par. 17). Le principe de proportionnalité constitue un élément central de la détermination de la peine (voir R c Nasogaluak, 2010 CSC 6, au par. 41). Au paragraphe 42 de cette dernière décision, la Cour suprême du Canada précise que le principe de la proportionnalité signifie que la sanction ne doit pas dépasser ce qui est juste et approprié compte tenu de la culpabilité morale du délinquant et de la gravité de l’infraction.

 

[13]           La cour doit également infliger une peine équivalant au minimum nécessaire pour maintenir la discipline. L’infliction d’une peine dans le contexte militaire vise essentiellement le rétablissement de la discipline chez le contrevenant et dans les rangs de la société militaire. La discipline constitue l’une des conditions fondamentales de l’efficacité opérationnelle de toute force armée.

 

[14]           Les avocats de la poursuite et de la défense ont proposé conjointement une amende de 2 000 $ à titre de peine. La Cour d’appel de la cour martiale a souligné en toutes lettres que le juge appelé à prononcer une peine ne peut rejeter la recommandation conjointe des avocats, à moins que la peine proposée ne soit de nature à déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle ne soit pas dans l’intérêt public.

 

[15]           Je décrirai maintenant les circonstances aggravantes et les circonstances atténuantes dont j’ai tenu compte pour déterminer la peine qui convient en l’espèce. À mon avis, les circonstances suivantes sont des circonstances aggravantes :

 

a)                  La décharge négligente d’une arme est habituellement perçue comme un incident majeur et devrait être considérée comme une infraction grave du point de vue subjectif. La décharge négligente dans une baie sécurisée ou dans des circonstances où l’arme est tournée en direction de la cible est habituellement considérée comme une infraction moins grave que dans les cas où la négligence se produit dans des endroits comme un bureau ou à proximité de personnes qui ne se méfient pas. Chaque cas doit être examiné à la lumière de ses propres faits et circonstances;

 

b)         Nous comprenons tous l’importance d’exercer un contrôle parfait sur nos armes. Nous recevons une formation sur le maniement de nos armes afin d’assurer la sécurité d’autrui. Bien que la cour n’ait pas compris la façon dont une cartouche s’est retrouvée dans la chambre de votre carabine C‑8 et les raisons pour lesquelles celle-ci était armée et prête à être utilisée, elle a été informée que vous acceptiez pleinement la responsabilité de votre négligence. Apparemment, vous avez été pris par surprise et l’incident s’est produit alors que vous vous hâtiez pour vous acquitter de vos responsabilités associées à l’exercice de manoeuvres de sécurité. Votre attention a également été détournée par la présence de l’interprète afghan. Personne n’a été blessé, mais il s’agit simplement d’un heureux hasard; la situation aurait pu être différente.

[16]           Bien que ces activités expliquent peut-être pourquoi votre esprit était ailleurs, elles n’excusent pas l’omission de votre part de veiller à ce que votre carabine ne représente aucun danger et demeure sous votre contrôle en tout temps. Les mesures que vous avez prises depuis cet incident montrent clairement qu’à titre d’officier d’infanterie expérimenté, vous connaissez et comprenez ces principes fondamentaux.

 

[17]           Par ailleurs, les circonstances atténuantes me semblent être les suivantes :

 

a)         Vous n’avez pas de fiche de conduite et il s’agit de votre première infraction;

 

b)         Bien que deux personnes aient vu la décharge négligente et qu’une troisième l’ait entendue, vous avez immédiatement accepté votre responsabilité à l’égard de vos gestes et avez pris des mesures positives pour signaler l’incident aux autorités des Forces canadiennes, afin d’assurer la tenue d’une enquête approfondie à son sujet;

 

c)         Vous avez pleinement collaboré lors de l’enquête en matière disciplinaire; vous avez déclenché l’enquête en demandant à un major canadien et aux interprètes afghans de préparer des déclarations écrites. Vous avez également souligné, dans une note que vous avez adressée le 5 juillet 2011 au conseiller juridique principal de votre déploiement, que vous souhaitiez que la date de votre procès soit fixée à brève échéance, car une réaction disciplinaire apparemment rapide s’imposait, indépendamment du grade de la personne concernée. Vous avez également mentionné qu’à votre avis, il s’agissait du premier incident de la sorte et qu’il était [traduction] « important de donner le ton rapidement au sujet de ce type d’incident pour le reste de l’opération ». Vous avez ajouté dans votre note que vous souhaitiez plaider coupable.

 

d)         Ce genre de collaboration lors de l’enquête et le dépôt d’un plaidoyer de culpabilité sont habituellement perçus comme des facteurs atténuants. Cette approche n’est généralement pas considérée comme une approche qui va en contradiction avec le droit de garder le silence et le droit de demander à la Couronne de prouver hors de tout doute raisonnable les chefs d’accusation qui pèsent contre l’accusé. On y voit plutôt un moyen pour les tribunaux d’imposer une peine moins sévère, parce que le plaidoyer de culpabilité signifie généralement que les témoins n’ont pas à témoigner et que les frais liés à une procédure judiciaire seront largement réduits. Ces frais auraient été élevés, étant donné que deux témoins sont originaires de l’Afghanistan. De plus, on interprète généralement le plaidoyer de culpabilité comme une reconnaissance du fait que l’accusé entend assumer la responsabilité de ses actes illégaux et du préjudice qui en a découlé;

 

e)         Fort heureusement, personne n’a été blessé et les dommages causés au babillard et au mur ont été minimes. J’ai été informé que les interprètes afghans ne se trouvaient pas dans vos arcs de tir au moment de la décharge négligente et que la cartouche n’a pas ricoché, mais qu’elle est demeurée logée dans le mur de béton.

 

f)         J’ai passé en revue les rapports d’évaluation figurant à la pièce 8. Dans chacun de ceux-ci, vous êtes décrit comme une personne qui s’acquitte fort bien de ses fonctions et dont l’aptitude au leadership est remarquable. Vous avez été affecté en Sierra Leone pour une période de six mois en 2004-2005, à titre de commandant de la Force opérationnelle canadienne, et en Afghanistan pour une période d’environ neuf mois, en 2010-2011. Vous avez eu l’occasion de commander votre régiment et le 33e Groupe‑brigade du Canada. Vous avez bien servi le Canada et vous avez connu une carrière riche et gratifiante. Malheureusement, cette carrière doit se terminer par un léger blâme. Je dis léger, parce que l’infraction en cause en est une de négligence et non de faute volontaire et que personne n’a été blessé. Les mesures que vous avez prises par suite de l’incident représentent assez bien votre personnalité et vos accomplissements tout au long de votre carrière.

 

[18]           Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, la jurisprudence et les observations du procureur de la poursuite et de l’avocat de la défense, je conviens avec ces derniers que la présente affaire n’est pas aussi grave que les affaires Atkinson et Ménard, tranchées par la cour martiale. Je conviens également avec le procureur de la poursuite que le principe de la dissuasion générale est le seul principe de détermination de la peine qu’il est nécessaire d’appliquer en l’espèce. J’en suis donc venu à la conclusion que la peine proposée est adéquate, eu égard au grade et à la position que vous occupiez lors de l’infraction ainsi que des circonstances particulières de celle-ci. Je suis aussi d’avis que la peine proposée n’est pas de nature à déconsidérer l’administration de la justice et qu’elle est dans l’intérêt public. Par conséquent, je souscris à la recommandation conjointe du procureur de la poursuite et de l’avocat de la défense.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[19]           VOUS CONDAMNE à payer une amende de 2 000 $.


 

Avocats :

 

Capitaine de vaisseau J.C. Maguire, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Colonel D.K. Fullerton, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat du Colonel (à la retraite) P.E. Scagnetti

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