Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 8 avril 2008.

Endroit : BFC Esquimalt, édifice 30-N, 2nd étage, Victoria (CB).

Chefs d’accusation
•Chefs d’accusation 1, 2 : Art. 129(2) LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
•Chefs d’accusation 3, 4, 7, 9, 10 : Art. 90 LDN, s’est absenté sans permission.
•Chef d’accusation 5 (subsidiaire au chef d’accusation 6) : Art. 75h) LDN, agissant comme sentinelle a dormi.
•Chef d’accusation 6 (subsidiaire au chef d’accusation 5) : Art. 124 LDN, a exécuté avec négligence une tâche militaire.
•Chef d’accusation 8 : Art. 125c) LDN, dans l’intention d’induire en erreur, a fait disparaître un document gardé à des fins militaires.
•Chef d’accusation 11 : Art. 129(2) LDN, négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 3, 8 : Non coupable. Chefs d’accusation 4, 6, 7, 9, 10, 11 : Coupable. Chef d’accusation 5 : Une suspension d’instance.
•SENTENCE : Un blâme et une amende au montant de 2000$.

Contenu de la décision

Référence : R. c. Matelot de 1re classe J.R. Lueke, 2008 CM 3007

 

Dossier : 2007-66

 

COUR MARTIALE PERMANENE

CANADA

COLOMBIE-BRITANNIQUE

BASE DES FORCES CANADIENNES ESQUIMALT

 

Date : 10 avril 2008

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL L.-V. D'AUTEUIL, J.M.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

c.

MATELOT DE 1re CLASSE J.R. LUEKE

(contrevenant)

 

SENTENCE

(prononcée de vive voix)

 

 

[1]                    Ex-matelot de 1re classe Lueke, après avoir accepté et inscrit votre plaidoyer de culpabilité relativement aux quatrième, sixième, septième, neuvième, dixième et onzième chefs d’accusation, la cour vous déclare maintenant coupable de ces accusations. En conséquence, elle ordonne que les procédures relatives à la cinquième accusation soient suspendues, étant donné qu’il s’agit d’un chef d’accusation subsidiaire par rapport au sixième et que l’avocat de la poursuite a accepté le plaidoyer s’y rapportant. À titre d’information, la cour a déjà conclu que vous n’étiez pas coupable des premier, deuxième, troisième et huitième chefs d’accusation, la poursuite n’ayant présenté aucun élément de preuve à leur sujet.

 

[2]                    Le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour faire respecter la discipline - une dimension essentielle de l’activité militaire - dans les Forces canadiennes. Le but de ce système est d’empêcher toute inconduite ou, de façon plus positive, de promouvoir la bonne conduite. C’est au moyen de la discipline que les Forces armées s’assurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès et d’une manière fiable.

 


[3]                    Comme l’a écrit le major Jean-Bruno Cloutier dans sa thèse au sujet du système de justice militaire canadien, « en bout de ligne, pour promouvoir au maximum les chances de succès de la mission, la chaîne de commandement doit être en mesure d’administrer la discipline afin de contrôler les inconduites qui mettent en péril le bon ordre ». Le système de justice militaire veille aussi au maintien de l’ordre public et assure que les personnes justiciables du Code de discipline militaire sont punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

 

[4]                    Il est reconnu depuis longtemps que le but d’un système de justice ou de tribunaux militaires distinct est de permettre aux Forces armées de trancher les questions qui relèvent du respect du Code de discipline militaire et qui touchent le maintien de l’efficacité et du moral des troupes. Ceci étant dit, toute peine infligée par un tribunal, qu’il soit civil ou militaire, doit être la moins sévère qui soit adaptée aux circonstances. Ce principe est conforme au devoir du tribunal de « prononce[r] une sentence proportionnée à la gravité de l’infraction et aux antécédents du contrevenant », comme le prévoit l’alinéa 112.48(2)b) des ORFC. Dans la présente affaire, l’avocat de la poursuite a soutenu que la peine minimale que je devrais infliger au contrevenant dans les circonstances est une peine d’emprisonnement d’une période variant de 14 à 21 jours. Pour sa part, l’avocat de la défense a fait valoir que la peine qui conviendrait le mieux dans les circonstances serait une réprimande sévère et une amende de plus de 1 000 $.

 

[5]                    La cour qui prononce la peine d’un contrevenant relativement aux infractions qu’il a commises doit poursuivre certains objectifs en fonction des principes de la détermination de la peine qui s’appliquent. Il est reconnu que ces principes et objectifs varient légèrement selon le cas, mais il faut toujours les adapter aux circonstances de l’espèce ainsi qu’au contrevenant.

 

[6]                    Afin de contribuer à l’un des objectifs essentiels de la discipline militaire, soit le maintien d’une force armée professionnelle et disciplinée qui soit opérationnelle, efficace et efficiente, les objectifs et principes de la détermination de la peine peuvent être formulés ainsi : premièrement, la protection du public, et cela comprend évidemment les Forces canadiennes; deuxièmement, la punition et la dénonciation de la conduite illégale; troisièmement, la dissuasion du contrevenant et d’autres de commettre de telles infractions; quatrièmement, la réinsertion des contrevenants; cinquièmement, la proportionnalité par rapport à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant; sixièmement, l’infliction d’une peine semblable aux peines imposées à des contrevenants du même genre pour des infractions comparables commises dans des circonstances similaires; enfin, toute circonstance aggravante ou atténuante liée à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant.

 

[7]                    En l’espèce, il est nécessaire d’assurer la protection du public par l’imposition d’une peine qui mettra l’accent principalement sur la dénonciation et sur l’effet dissuasif général. L’effet dissuasif général signifie que la peine infligée doit dissuader non seulement le contrevenant de récidiver, mais aussi toute personne qui, se trouvant dans une situation analogue, serait tentée de se livrer aux mêmes actes illicites. De plus, il est nécessaire d’appliquer le principe de la réinsertion en tenant compte des circonstances particulières de la présente affaire.

 


[8]                    Pour en arriver à ce que je considère comme une peine juste et appropriée, j’ai tenu compte des facteurs atténuants et aggravants qui suivent.

 

[9]                    Je considère comme des facteurs aggravants les circonstances qui suivent :

 

a. Premièrement, la gravité objective des infractions. Les infractions dont vous avez été accusé sont prévues à l’article 129 de la Loi sur la défense nationale, soit une négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline, qui est passible, au maximum, de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté, à l’article 124 de la Loi sur la défense nationale, soit l’exécution négligente d’une tâche ou mission militaire, qui est également passible, au maximum, de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté, et à l’article 90 de la Loi sur la défense nationale, soit l’absence sans permission, qui est passible, au maximum, d’un emprisonnement de moins de deux ans.

 

b. En deuxième lieu, la gravité subjective des infractions. En exécutant de façon négligente, par vos absences, vos fonctions comme sentinelle au point d’accès du NCSM Whitehorse, qui était amarré le long du quai pour une période de quatre heures, vous avez mis en jeu la sécurité du bâtiment et vous avez créé un fardeau additionnel pour vos compagnons de bord, qui ont dû vous surveiller et exécuter vos tâches pendant ce temps.

 

c. En troisième lieu, le fait que vous étiez un navigateur expérimenté et bien formé et que, à titre de matelot de 1re classe, vous deviez donner l’exemple, ce en quoi vous avez échoué de façon lamentable lorsque les infractions ont été commises.

 

d. Le fait que vous vous êtes absenté sans permission à maintes reprises, ce qui montre de votre part le manque total de respect non seulement à l’égard des horaires fixés par votre chaîne de commandement, mais également à l’endroit de vos pairs et de votre chaîne de commandement à l’époque.

 

e. Le fait qu’en agissant de la sorte en l’espèce, vous avez montré clairement à tous les membres de l’équipage qui se trouvaient avec vous qu’il était impossible de vous faire confiance, ce qui explique bien pourquoi plusieurs personnes ne voulaient plus être associées de près à vous.

 


f. L’existence d’une fiche de conduite liée à des infractions similaires. Il appert clairement de ce document ainsi que des infractions auxquelles vous avez plaidé coupable en l’espèce que vous avez eu beaucoup de mal à vous comporter de la façon convenable attendue du matelot de 1re classe et à vous conformer à certains éléments de base de la discipline militaire, et ce, à compter du moment où vous êtes monté à bord du NCSM Whitehorse jusqu’à celui où vous avez quitté le bâtiment. Votre fiche de conduite montre clairement que ce n’est pas la première fois que vous comparaissez devant un tribunal militaire en raison de l’omission de votre part d’entretenir votre logement conformément aux exigences, malgré l’avertissement clair qui vous avait été donné à ce sujet, ou en raison de vos absences répétées sans permission.

 

[10]                  J’estime que les circonstances suivantes constituent des facteurs atténuants :

 

a. Votre plaidoyer de culpabilité qui, d’après les faits mis en preuve, traduit un véritable signe de remords et votre désir sincère de demeurer un atout pour la collectivité canadienne et les Forces canadiennes. De plus, le premier maître de deuxième classe Cotey a confirmé au cours de son témoignage que vous regrettiez ce qui s’était passé à bord du NCSM Whitehorse et vous avez réaffirmé personnellement devant moi votre remords au sujet de votre conduite lors de l’incident. La cour ne voudrait pas mettre en péril vos chances de succès, car la réinsertion est un élément clé à prendre en compte dans tous les cas au moment de déterminer la peine à infliger à une personne.

 

b. Votre âge et votre potentiel de carrière comme membre de la collectivité canadienne. Étant donné que vous êtes âgé de près de 22 ans, vous avez plusieurs années devant vous pour apporter une contribution positive à l’ensemble de la société. De plus, vous m’avez fait part de votre intention d’améliorer votre situation en retournant aux études afin d’apprendre un métier. Je vous encourage à le faire, si c’est vraiment ce que vous souhaitez.

 

c. Le fait que votre conduite et votre négligence n’ont entraîné aucune conséquence fâcheuse.

 


d. Le fait que vous avez été libéré des Forces canadiennes en raison de votre conduite. J’ai reconnu clairement que cette mesure administrative ne constitue pas en soi une sanction disciplinaire; cependant, elle a eu un effet dissuasif sur vous et pourrait avoir jusqu’à un certain point un effet dissuasif général sur d’autres personnes. Cette mesure constitue également une forme de dénonciation à l’égard de votre conduite. Vous avez été libéré en application de l’alinéa 5f), parce que vous avez été jugé « inapte à continuer [votre] service militaire ». Il est important de savoir que cette disposition précise « s’applique à la libération d’un officier ou militaire du rang qui, soit entièrement, soit principalement à cause de facteurs en son pouvoir, manifeste des faiblesses personnelles ou un comportement ou a des problèmes de famille ou personnels qui compromettent grandement son utilité ou imposent un fardeau excessif à l’administration des Forces canadiennes », tel qu’il est mentionné au tableau 1 ajouté à l’article 15.01 des ORFC.

 

e. Les problèmes de discipline que vous avez éprouvés à bord du NCSM Whitehorse, lesquels correspondent tout à fait à cette situation; de plus  la preuve portée à ma connaissance me permet de déduire que la possession et la consommation de marijuana n’étaient pas le seul problème dont la chaîne de commandement a tenu compte lorsqu’elle a décidé de vous libérer des Forces canadiennes.

 

f. Vos états de service dans les Forces canadiennes. Sauf pendant la période que vous avez passée à bord du NCSM Whitehorse, vos états de service dans les Forces canadiennes sont bons. De plus, le premier maître de deuxième classe Cotey vous a décrit comme un bon brigadier malgré vos problèmes de comportement au cours de la période que vous avez passée à bord de ce bâtiment.

 

g. Le fait que vous avez décidé, immédiatement après votre libération des Forces canadiennes, de devenir un atout pour la société canadienne et que, grâce à votre attitude, vous avez maintenant l’appui de votre famille et de votre employeur actuel.

 

h. Le fait que vous avez dû comparaître devant la présente cour martiale, ce qui a déjà eu un effet dissuasif non seulement sur vous, mais aussi sur d’autres personnes. La cour est convaincue que vous ne vous retrouverez pas devant un autre tribunal pour une infraction du même genre ou de tout autre genre dans le futur. En fait, depuis votre libération des Forces canadiennes, deux entreprises différentes vous ont engagé et aucun élément de preuve ne montre que vous avez affiché la même attitude personnelle répréhensible que celle que vous aviez lorsque vous étiez à bord du NCSM Whitehorse. La cour est convaincue que vous êtes une bonne personne et que vous avez mis en pratique les leçons que vous avez apprises au cours du procès et de votre expérience au sein des Forces canadiennes en ce qui concerne le respect dont vous devriez faire montre à l’endroit des personnes en autorité, que ce soit au travail ou dans la vie en général. Je suis également convaincu que vous êtes davantage conscient de la nécessité d’accepter certaines choses qui vous déplaisent ou qui peuvent vous rendre malheureux.

 


[11]                  L’alinéa 112.48(2)a) des ORFC oblige la cour à tenir compte des conséquences indirectes de la peine qu’elle inflige. Je dois aussi reconnaître les conséquences directes et indirectes qu’un verdict et une sentence entraîneront vraisemblablement pour vous, y compris les répercussions de toute période d’incarcération comme celle qu’a proposée l’avocat de la poursuite, notamment quant à vos chances de réinsertion dans la collectivité canadienne et quant aux aspects financiers.

 

[12]                  J’aimerais souligner que la présente sentence concerne une personne qui éprouve de la difficulté à se plier à certaines règles de base de la discipline militaire et qui a clairement montré de la sorte son manque d’engagement. Il ne s’agit pas d’une personne qui a du mal à obéir aux ordres, ce qui est différent. Le contrevenant n’a pas plaidé coupable à l’accusation d’avoir désobéi à un ordre légitime et, si la poursuite avait voulu que les incidents reprochés au contrevenant soient examinés sous cet angle, elle aurait dû déposer des accusations en ce sens.

 

[13]                  La personne qui s’absente sans permission n’est pas pour autant incapable de suivre des ordres afin d’exécuter une tâche; il pourrait cependant s’agir d’une personne qui est incapable d’être à l’heure, ce qui risque d’entraîner, en cas de répétition, une perte de confiance de la part d’un superviseur en ce qui a trait à l’exécution d’une tâche ou d’une mission. En bout de ligne, dans le cas de l’équipage d’un bâtiment, une lacune de cette nature pourrait signifier que l’équipage est incapable d’accomplir sa mission ou d’assurer la sécurité du bâtiment en mer, ou encore entraîner des pertes de vies en cas de combat. Les Forces canadiennes ont décidé de libérer le contrevenant avant que la situation dégénère au point d’en arriver là.

 

[14]                  J’aimerais rappeler que les souhaits et les espoirs de la chaîne de commandement en ce qui a trait aux facteurs dont le juge militaire qui préside une cour martiale devrait tenir compte quant à la gravité de la peine n’ont pas leur place en l’espèce. La présente cour martiale permanente et le juge militaire qui la préside possèdent l’indépendance et l’impartialité nécessaires pour prendre une décision concernant la gravité de la peine à l’endroit d’un contrevenant et ne sont nullement liés par les souhaits exprimés par un représentant de la chaîne de commandement à cet égard. En termes clairs, la cour n’accorde aucune importance à ces commentaires précis et n’en tient pas compte.

 

[15]                  Comme la Cour suprême du Canada l’a dit dans R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688, aux paragraphes 38 et 40, et comme la Cour d’appel de la cour martiale l’a confirmé dans R. c. Baptista, 2006 CMAC 1, la peine d’emprisonnement doit être infligée uniquement en dernier recours. Dans la présente affaire, compte tenu de l’ensemble des facteurs aggravants et atténuants, je ne vois aucune raison valable de priver le contrevenant de sa liberté dans les circonstances.

 


[16]                  Une peine équitable et juste devrait tenir compte de la gravité de l’infraction et de la responsabilité du contrevenant dans le contexte précis de la présente affaire. Cela étant dit, la sanction imposée par un tribunal, qu’il soit civil ou militaire, devrait constituer l’intervention minimale qui est nécessaire et adéquate dans les circonstances de l’espèce. Ex-matelot de 1re classe Lueke, veuillez vous lever. La cour vous condamne à une réprimande sévère et à une amende de 2 000 $, laquelle sera payée en versements mensuels de 200 $ à compter du 1er mai 2008 et pendant les neuf mois qui suivront.

 

[17]                 

L’instance devant la présente cour martiale à l’égard de l’ex-matelot de 1re classe Lueke est terminée.

 

 

 

LIEUTENANT-COLONEL L.-V. D'AUTEUIL, J.M.

 

 Avocats :

 

Major J.J. Samson, procureur militaire régional, région de l’Atlantique

Procureur de Sa Majesté La Reine

 

Lieutenant de vaisseau S.C. Leonard, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat de l’ex-matelot de 1re classe J.R. Lueke

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