Cour martiale
Informations sur la décision
Date de l'ouverture du procès : 22 avril 2008
Endroit : Garnison Valcartier, édifice 534, l’Académie, Courcelette (QC).
Chef d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, possession sans excuse légitime de substances explosives (art. 82(1) C. cr.).
Résultats
•VERDICT : Chef d’accusation 1 : Coupable.
•SENTENCE : Une amende au montant de 500$.
Contenu de la décision
Citation : R. c. caporal J. Dubé, 2008 CM 3009
Dossier : 2007-69
COUR MARTIALE PERMANENTE
CANADA
QUÉBEC
GARNISON VALCARTIER
Date : 22 avril 2008
SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL L.-V. D'AUTEUIL, J.M.
SA MAJESTÉ LA REINE
(Poursuivante)
c.
CAPORAL J. DUBÉ
(Contrevenant)
SENTENCE
(Prononcée oralement)
[1] Caporal Dubé, la Cour ayant accepté et enregistré votre aveu de culpabilité sur le premier chef d’accusation se trouvant sur l'acte d'accusation, la cour vous trouve maintenant coupable de ce chef.
[2] Le système de justice militaire constitue l'ultime recours pour faire respecter la discipline, qui est une dimension essentielle de l’activité militaire dans les Forces canadiennes. Le but de ce système est de prévenir toute inconduite, ou, de façon plus positive, de veiller à promouvoir la bonne conduite. C’est au moyen de la discipline que les forces armées s'assurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès, en toute confiance et fiabilité.
[3] Comme le déclare le major Jean-Bruno Cloutier dans sa thèse intitulée,
« L’utilisation de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale dans le système de justice militaire canadien: »
« En bout de ligne, pour promouvoir au maximum les chances de succès de la mission, la chaîne de commandement doit être en mesure d'administrer la discipline afin de contrôler les inconduites qui mettent en péril le bon ordre, l'efficacité militaire, et finalement, la raison d'être de l'organisation, la sécurité nationale. »
[4] Le système de justice militaire voit aussi au maintien de l’ordre public et s’assure que les personnes justiciables du Code de discipline militaire sont punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.
[5] Il est reconnu depuis longtemps que le but d’un système de tribunaux ou de justice militaire distincts est de permettre aux Forces canadiennes de s’occuper des questions qui touchent au Code de discipline militaire et au maintien de l’efficacité et du moral des troupes. Cela dit, toute peine infligée par un tribunal, qu’il soit civil ou militaire, doit être la moindre possible dans les circonstances. Ce principe est conforme au devoir du tribunal d’infliger une peine proportionnée à la gravité de l’infraction et aux antécédents du contrevenant, comme le prévoit l'alinéa 112.48(2)b) des ORFC.
[6] Dans le cas qui nous occupe, le procureur de la poursuite et l’avocat de la défense ont présenté une suggestion commune sur le principe de la peine à prononcer. Ils ont recommandé que la cour vous condamne à une réprimande et à une amende. Toutefois, ils diffèrent sur le montant de l'amende que cette cour devrait vous imposer. La poursuite suggère un montant de $1000 alors que votre avocate de la défense soumet qu'un montant de $300 refléterait mieux les principes applicables en matière de sentence.
[7] La cour martiale n’est pas liée par cette recommandation. Il est toutefois de jurisprudence constante que seuls des motifs incontournables et convaincants peuvent lui permettre de s'en écarter. Il est aussi généralement reconnu qu’elle ne devrait agir ainsi que lorsqu’il serait contraire à l’intérêt public de l’accepter et que cela aurait pour effet de déconsidérer l’administration de la justice.
[8] La cour a pris en considération les recommandations respectives des avocats en fonction des faits pertinents, tels qu'ils se dégagent du sommaire des circonstances, et de leur importance. Elle a également examiné ces recommandations en fonction des principes de la détermination de la peine, notamment ceux qui sont énoncés aux articles 718, 718.1 et 718.2 du Code criminel dans la mesure où ils ne sont pas incompatibles avec le régime des peines prévu sous le régime de la Loi sur la défense nationale. Ces principes sont les suivants :
premièrement, la protection du public et le public comprend, en l’occurrence, les intérêts des Forces canadiennes;
deuxièmement, la punition du contrevenant;
troisièmement, l’effet dissuasif de la peine, non seulement sur le contrevenant, mais aussi sur toute personne qui pourrait être tentée de commettre de telles infractions;
quatrièmement, l’isolement, au besoin, des délinquants du reste de la société, y compris des membres des Forces canadiennes;
cinquièmement, l'imposition de peines semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables; et,
sixièmement, la réhabilitation et la réinsertion du contrevenant.
Le tribunal a également tenu compte des arguments avancés par les avocats, notamment la jurisprudence qu’ils ont produit et les documents qu’ils ont déposé en preuve.
[9] La cour convient avec le procureur de la poursuite que la nécessité de protéger le public exige d’infliger une peine qui met l’accent sur l'effet dissuasif général et aussi spécifique. Il est important de retenir que l'effet dissuasif général implique que la peine infligée devrait non seulement dissuader le contrevenant de récidiver, mais aussi dissuader toute autre personne qui se trouve dans une situation analogue de se livrer aux mêmes actes illicites.
[10] En l’espèce, la cour est saisie d’une infraction de possession sans excuse légitime d’une substance explosive contrairement à l’alinéa 82(1) du Code Criminel, soit d’une grenade fumigène et de deux pétards (thunderflash). Il s’agit d’une infraction contre l’ordre publique qui est sérieuse, mais la cour a l’intention d’infliger ce qu’elle considère être la peine minimale applicable dans les circonstances.
[11] Pour en arriver à ce qu’elle croit être une peine juste et appropriée, la cour a également pris en comte les circonstances aggravantes et les circonstances atténuantes suivantes.
[12] La cour considère comme aggravants les facteurs suivants :
a. Premièrement, la gravité objective de l’infraction. Vous avez été trouvez coupable d’une infraction aux termes de l’article 130 de la Loi sur la Défense nationale pour avoir possédé sans excuse légitime une substance explosive contrairement à l’alinéa 82(1) du Code criminel. Le texte de cette infraction indique qu’une personne qui l’a commet est passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans ou une peine moindre. Il s’agit d’une infraction qui, objectivement, est grave;
b. Deuxièmement, la gravité subjective de l’infraction. Au moment de la commission de l’infraction, lorsque vous avez pris sans aucun droit, possession des substances durant l’année 2005, vous avez fait preuve d’insouciance et d’un manque total de jugement. Vous avez d’abord délibérément menti afin de conserver les substances explosives en déclarant que vous n’en aviez aucune;
c. Puis, malgré vos connaissances sur le danger minimal que ces substances représentaient, vous les avez gardées à votre domicile sans aucune autre forme de précaution, exposant vos proches qui n’avaient pas la même connaissance que vous de ces substances, à un danger potentiel ayant pu résulter en des blessures mortelles ou non, dépendant des circonstances. À preuve que cela était perçu comme un danger potentiel, votre mère aurait représenté ces substances comme étant de la dynamite;
d. Troisièmement, vous avez abusé de la confiance mise en en vous, autant de la part de vos pairs que de vos supérieurs. Même s’il s’agit d’un geste fort probablement spontané afin de satisfaire votre besoin de curiosité, vous avez trahi leur confiance en mentant à ceux qui vous entouraient pour obtenir ce que vous vouliez et en trahissant la confiance de ceux qui croyaient que vous disiez la vérité. De plus, tous ces gens étaient convaincus que vous aviez un jugement suffisant pour évaluer correctement un tel danger, compte tenu que vous étiez plus fréquemment exposé à ce genre de substance dans le cadre de votre travail. Contrairement à la confiance que ces gens avaient en vous, vous avez fait preuve d’une insouciance certaine en n’oubliant tout simplement que vous déteniez de telles substances explosives sur une très longue période de temps.
[13] La cour considère comme atténuants les facteurs suivants :
a. Par votre plaidoyer de culpabilité, vous témoignez manifestement de vos remords et de votre sincérité dans votre intention de continuer à représenter un actif très solide pour les Forces canadiennes et la société canadienne. La cour ne voudrait en aucune façon compromettre vos chances de succès, car la réhabilitation constitue toujours un élément clé dans la détermination de la peine d’un contrevenant;
b. Le fait que vous n’ayez aucune fiche de conduite ni de dossier criminel pour des infractions comparables.
c. Vos excellents états de service au sein des Forces canadiennes. Le rapport d’appréciation du personnel introduit comme preuve devant cette cour et le témoignage de l’adjudant Isabel démontrent clairement que suite au fait que vous avez avoué avoir commis l’infraction pour laquelle vous êtes devant cette cour aujourd’hui, vous avez démontré un professionnalisme, une intégrité et un dévouement exemplaire qui vous honore. Ainsi, vous avez su rapidement regagner la confiance de votre entourage et démontré amplement que vous aviez retenu une leçon essentielle de la profession des armes en relation avec la commission de cette infraction : Servir votre pays et vos compagnons d’armes avant vous-même. Il appert que vous avez démontré un certain potentiel pour accéder à un grade supérieur en raison des qualités que vous avez démontrées lors de votre déploiement sur une mission en Afghanistan. Je vous encourage à continuer dans cette direction qui vous semble prometteuse.
d. L’absence de préméditation concernant le geste que vous avez commis et la coopération dont vous avez fait preuve avec les autorités chargées de l’enquête menée dans cette affaire.
e. Le fait qu’il s’agisse d’un geste qui se situe très bas en terme d’échelle de gravité.
f. Le fait que vous ayez admis avoir commis l’infraction lorsque vous avez été confronté pour la première fois par les autorités policières concernant ce sujet. Vous avez fait preuve de remords dès ce moment, geste que vous avez renouvelé tout au long du processus judiciaire vous ayant mené devant cette cour.
g. Les faits et les circonstances de l’espèce, notamment le fait que votre geste n’ait pas eu de conséquences concrètes et fâcheuses à l’égard de vos proches et du public en général, qu’il s’agit d’un geste ponctuel et unique, démontrant un comportement très inhabituel de votre part. De plus, il n’a pas été démontré que la possession sans excuse légitime de substances explosives constitue un fléau ou un problème au sein des Forces canadiennes.
h. Le fait d’avoir eu à faire face à cette cour martiale qui est annoncée et accessible au public, et qui a eu lieu en présence de certains de vos collègues et de certains de vos pairs a certainement eu un effet dissuasif très important sur vous et sur eux. Le message est que ce genre de conduite dans le milieu de travail ne sera toléré d’aucune manière et que cela sera réprimé en conséquence. Dans le contexte de la preuve entendue par cette cour, elle demeure convaincu que vous ne devriez pas vous retrouver devant un autre tribunal pour une infraction du même genre ou de tout autre genre, dans le futur.
[14] En dernier lieu, j’aimerais souligner le fait, caporal Dubé, que cette affaire aurait pu être réglée plus promptement et probablement avant votre déploiement. Considérant votre intention exprimée clairement à votre avocate de plaider coupable à la première occasion, n’eut été du fait que l’autorité de renvoi a pris environ cinq mois à transmettre le dossier au directeur des poursuites militaires, tous les acteurs présents aujourd’hui auraient peut-être pu se réunir plus tôt et disposer de ce dossier. Je ne connais pas les raisons exactes qui ont incité l’autorité de renvoi à prendre un tel délai, mais il est clair que lorsque qu’une telle chose se produit, en apparence, cela jette un doute sur l’intention réel de la chaîne de commandement située au plus haut niveau d’agir de manière expéditive dans un tel dossier. Je ne dis pas qu’il s’agit d’un tel cas ici, mais j’espère que je ne serai pas exposé à une situation semblable dans le futur.
[15] La cour estime que la suggestion commune sur le principe de la sentence à être imposée par cette cour n’est pas déraisonnable dans les circonstances. Par conséquent, la cour accepte la recommandation formulée par les avocats de vous condamner à une réprimande et à une amende, étant donné qu’elle n’est pas contraire à l’intérêt public et n’aura pas pour effet de déconsidérer l’administration de la justice. Par contre, il appartient à la cour de fixer le montant de l’amende puisque les recommandations des avocats varient sur cet aspect de la sentence.
[16] J’ai aussi examiné la question de savoir s’il convient en l’espèce de rendre une ordonnance interdisant au contrevenant de posséder une arme, tel que me l’y oblige l’article 147.1 de la Loi sur la Défense nationale. À mon avis, une telle ordonnance n’est ni souhaitable, ni nécessaire pour protéger la sécurité d’autrui ou du contrevenant dans les circonstances de ce procès, et je ne rendrai aucune ordonnance à cet effet.
[17] Une peine équitable et juste doit tenir compte de la gravité de l’infraction et de la responsabilité du contrevenant dans le contexte précis de l’espèce. Caporal Dubé, levez-vous. La cour vous condamne donc à réprimande et une amende de 500.00 $. L’amende doit être payée en deux versements mensuels consécutifs de 250 $, le premier versement débutant le 1er mai 2008. Si, pour une raison ou pour une autre, vous étiez libéré des Forces canadiennes avant d’avoir fini de payer cette amende, le montant total impayé devra être versé avant votre libération. La cour n’émet pas d’ordonnance aux termes de l’article 147.1 de la Loi sur la Défense nationale.
[18] Les procédures concernant la cour martiale permanente du caporal Dubé sont maintenant terminées.
LE LIEUTENANT-COLONEL L.-V. D'AUTEUIL, J.M.
Avocats :
Capitaine de corvette M. Raymond, Directeur des poursuites militaires, Région de l’Est
Avocat de la poursuivante
Major L. D'Urbano, Directeur du service d'avocats de la défense
Avocate du caporal J. Dubé