Cour martiale
Informations sur la décision
Date de l'ouverture du procès : 16 juin 2008
Endroit : NCSM STAR, 650 rue Catherine Nord, Hamilton (ON)
Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 (subsidiaire au chef d'accusation 2) : Art. 129 LDN, négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
•Chef d'accusation 2 (subsidiaire au chef d'accusation 1) : Art. 129(2) LDN, négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
Résultats
•VERDICTS : Chef d'accusation 1 : Non coupable. Chef d'accusation 2 : Retiré.
Cour martiale disciplinaire (CMD) (est composée d’un juge militaire et d’un comité)
Contenu de la décision
Référence : R. c. Sergent S. Gardiner, 2008 CM 3021
Dossier : 2007-83
COUR MARTIALE DISCIPLINAIRE
CANADA
ONTARIO
NAVIRE CANADIEN DE SA MAJESTÉ STAR
Date : 19 juin 2008
SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL L-V. D’AUTEUIL, J.M.
SA MAJESTÉ LA REINE
c.
SERGENT S. GARDINER
(accusé)
DÉCISION RELATIVE À UNE DEMANDE D’ACQUITTEMENT POUR ABSENCE DE PREUVE PRIMA FACIE
(prononcée de vive voix)
[1] Le sergent Gardiner est accusé, aux termes du paragraphe 129(1) de la Loi sur la défense nationale (LDN), d’avoir fait preuve de négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline, parce qu’il n’aurait pas porté l’arme qui lui avait été remise (C7) en tout temps pendant qu’il se déplaçait à bord d’un véhicule Bison près de la ville de Kandahar, en Afghanistan, comme il devait le faire.
[2] Comme le prévoient les Ordonnances et règlements royaux (ORFC), lorsque la poursuite a terminé la présentation de sa preuve, la défense a le droit de demander un verdict d’acquittement au motif que la poursuite n’a pas présenté une preuve prima facie, c’est-à-dire une preuve relative à tous les éléments essentiels d’une infraction qui, s’ils étaient crus par le juge des faits et demeuraient incontestés, justifieraient une déclaration de culpabilité.
[3] Le 18 juin 2008, après que la poursuite eut terminé la présentation de sa preuve, l’accusé a présenté, conformément au paragraphe 112.05(13) des ORFC, une demande d’acquittement pour absence de preuve prima facie à l’égard de la seule et unique accusation apparaissant à l’acte d’accusation, au motif que la poursuite n’avait présenté en l’espèce aucune preuve concernant deux éléments essentiels de l’infraction énoncée à l’article 129 de la Loi sur la défense nationale.
[4] La preuve que le procureur de la poursuite a présentée devant la cour martiale se compose essentiellement des éléments suivants :
a. les témoignages entendus soit, dans l’ordre de comparution, celui du sergent Robinson, celui du sergent Lalonde et celui de l’adjudant‑maître Van Houtte;
b. la connaissance judiciaire prise par la cour des éléments visés par l’article 15 des Règles militaires de la preuve.
[5] Cette requête, qui est formulée après la présentation de la preuve de la poursuite, est différente d’une demande d’acquittement fondée sur l’existence d’un doute raisonnable. Dans le deuxième cas, il se peut qu’il y ait des éléments de preuve qui permettraient à un jury ayant reçu des directives appropriées de déclarer l’accusé coupable, mais que ces éléments de preuve soient insuffisants pour établir la culpabilité hors de tout doute raisonnable. Étant donné que le concept du doute raisonnable entre en jeu seulement après que toute la preuve a été présentée, il ne peut être invoqué que si l’accusé a choisi de ne pas présenter de preuve ou a terminé sa présentation.
[6] La cour ne peut pas tenir compte de la qualité de la preuve pour décider si la poursuite a présenté, pour chaque élément essentiel de l’accusation, une preuve quelconque qui ferait en sorte qu’un jury équitable ayant reçu des directives appropriées pourrait condamner l’accusé. Je dis bien « pourrait », et non « devrait ».
[7] Dans l’arrêt États-Unis d’Amérique c. Shephard, [1977] 2 R.C.S. 1067, à la page 1080, le juge Ritchie a formulé comme suit le critère applicable aux fins d’un verdict imposé :
... selon qu’il existe ou non des éléments de preuve au vu desquels un jury équitable, ayant reçu des directives appropriées, pourrait conclure à la culpabilité.
[8] De plus, il incombe à l’accusé d’établir selon la prépondérance des probabilités que ce critère est rempli.
[9] Le critère est le même, qu’il s’agisse d’éléments de preuve directs ou circonstanciels, mais son application varie selon le type des éléments de preuve présentés par la poursuite. Si la thèse de la poursuite s’appuie entièrement sur des éléments de preuve directs, l’application du critère sera simple. Si le juge décide que la poursuite a présenté une preuve directe à l’égard de chacun des éléments de l’infraction, il devra rejeter la demande. La seule question à trancher sera de savoir si la preuve est vraie, et cette tâche revient au juge des faits. Lorsque l’établissement d’un élément essentiel de l’infraction dépend d’une preuve circonstancielle, la question à trancher au procès ne sera pas seulement de savoir si cette preuve est vraie. Le juge devra plutôt se demander, s’il accepte la véracité de cette preuve, si les conclusions qu’en tire la poursuite sont les bonnes. Le juge devra évaluer la preuve et se demander si celle-ci peut raisonnablement appuyer les conclusions de la poursuite. Il ne se demandera pas s’il tirerait les mêmes conclusions et n’évaluera pas non plus la crédibilité. La question se limitera à savoir si la preuve, dans la mesure où on lui prête foi, peut raisonnablement appuyer une conclusions de culpabilité.
[10] Les éléments essentiels de l’infraction visée au paragraphe 129(1) de la LDN sont les suivants :
a. l’identité de l’accusé;
b. la date et le lieu;
c. le fait que l’omission alléguée dans l’acte d’accusation a réellement eu lieu;
d. le fait que l’omission constituait une négligence blâmable;
e. le préjudice causé au bon ordre et à la discipline.
[11] Afin de prouver l’existence d’un préjudice causé au bon ordre et à la discipline aux termes du paragraphe 129(1) de la LDN, la poursuite devait présenter des éléments de preuve établissant :
a. la norme de comportement exigée;
b. le fait que l’accusé savait ou aurait dû savoir quel était le comportement attendu de lui;
c. le fait que l’omission reprochée à l’accusé constituait une contravention à la norme de comportement;
d. le fait que cette contravention a causé un préjudice au bon ordre et à la discipline.
[12] L’avocate de la défense a reconnu qu’une preuve avait effectivement été présentée à la cour martiale relativement à certains éléments essentiels de l’infraction, soit l’identité de l’accusé ainsi que la date et le lieu. Cependant, elle a souligné que la poursuite n’avait présenté aucun élément de preuve au sujet de la négligence reprochée dans l’acte d’accusation et au sujet du caractère blâmable de la négligence. De plus, elle a fait valoir qu’aucune preuve n’avait été présentée au sujet du préjudice causé au bon ordre et à la discipline, lequel préjudice constitue un élément essentiel de l’infraction.
[13] En ce qui a trait à l’élément essentiel de la négligence, la cour doit décider si la poursuite a présenté des éléments de preuve au sujet du comportement de l’accusé en soi, qui constitue l’actus reus, et au sujet de l’élément mental requis, soit la mens rea. D’abord, le concept de négligence visé à l’article 129 de la Loi sur la défense nationale doit être considéré comme un concept pénal. En général, un comportement constituant un écart par rapport à la norme à laquelle on s’attendrait à voir se conformer une personne raisonnablement prudente forme la base tant de la négligence civile que de la négligence pénale. Cependant, contrairement à la négligence civile, qui s’intéresse à la répartition de la perte, la négligence pénale vise à sanctionner un comportement blâmable. Suivant les principes fondamentaux de la justice militaire, les règles relatives à la négligence pénale doivent tenir compte non seulement du comportement dérogeant à la norme, mais également de l’état mental de l’auteur de l’infraction. Selon les commentaires formulés au paragraphe 7 de l’arrêt R. c. Beatty, 2008 CSC 5, le critère objectif modifié établi dans R. c. Hundal, [1993] 1 R.C.S. 867, reste le critère approprié pour déterminer la mens rea requise dans le cas des infractions militaires fondées sur la négligence qui sont prévues au Code de discipline militaire.
[14] L’actus reus doit être défini en fonction de la norme applicable et du fait que le comportement de l’accusé dérogeait à cette norme. La cour en arrive à la conclusion que la poursuite a présenté certains éléments de preuve au sujet de la norme applicable, soit l’obligation, pour les militaires qui sortent de l’aérodrome de Kandahar, de porter en tout temps leur arme personnelle, y compris le fusil C7. De plus, elle a présenté certains éléments de preuve montrant que le comportement de l’accusé allait à l’encontre de la norme applicable, étant donné qu’il appert de la preuve que l’accusé portait son fusil C7 lorsqu’il a quitté l’aérodrome de Kandahar à bord du véhicule Bison, mais qu’il ne la portait pas pendant son retour du lieu de la destination de la mission.
[15] En ce qui a trait à la mens rea applicable à la négligence en vertu de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale, les remarques que la Cour suprême du Canada a formulées aux paragraphes 48 et 49 de l’arrêt Beatty, susmentionné, sont très pertinentes :
[48] Toutefois, il n’est pas nécessaire de prouver une mens rea subjective du type que je viens de décrire pour établir l’infraction, puisque la faute que visait le législateur en adoptant l’art. 249 englobe une gamme plus étendue de comportements. Par conséquent, bien que la preuve de la mens rea subjective soit clairement suffisante, elle n’est pas essentielle. Dans le cas d’infractions de négligence comme celle qui nous intéresse, le fait de commettre l’acte interdit, en l’absence de l’état mental de diligence approprié, peut en effet suffire pour constituer la faute requise. On détermine la présence d’une mens rea objective en appréciant le comportement dangereux par rapport à la norme que respecterait une personne raisonnablement prudente. Si le comportement dangereux constitue un « écart marqué » par rapport à cette norme, l’infraction sera établie. Comme nous l’avons vu, ce qui constitue un « écart marqué » par rapport à la norme que respecterait un conducteur raisonnablement prudent est une affaire de degré. Le manque de diligence doit être suffisamment grave pour mériter d’être puni. Il n’y a aucun doute qu’un comportement de quelques secondes peut constituer un écart marqué par rapport à la norme de la personne raisonnable. Néanmoins, comme l’a souligné avec justesse le juge Doherty dans l’arrêt Willock, [traduction] « un comportement de si courte durée se produisant pendant la conduite d’un véhicule, conduite par ailleurs irréprochable à tous égards, suggère davantage l’extrémité civile que l’extrémité criminelle du continuum de la négligence » (par. 31). Bien que l’affaire Willock concerne l’infraction de négligence criminelle, qui se situe à un point plus élevé sur le continuum de la conduite négligente, cette observation s’applique tout autant à l’infraction de conduite dangereuse.
[49] Si le comportement ne constitue pas un écart marqué par rapport à la norme que respecterait un conducteur raisonnablement prudent, il n’est pas nécessaire de poursuivre l’analyse. L’infraction n’aura pas été établie. En revanche, si le juge des faits est convaincu, hors de tout doute raisonnable, que la conduite objectivement dangereuse constitue un écart marqué par rapport à la norme, il devra considérer la preuve relative à l’état d’esprit véritable de l’accusé — si une telle preuve a été présentée — pour déterminer si elle permet de douter raisonnablement qu’une personne raisonnable, placée dans la même situation que l’accusé, aurait été consciente du risque créé par ce comportement. En l’absence d’une telle preuve, le tribunal pourra déclarer l’accusé coupable.
[16] J’en arrive donc à la conclusion que, pour prouver une infraction de négligence au sens de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale, il suffit d’établir la présence d’une mens rea objective et qu’il n’est pas nécessaire de prouver une mens rea subjective.
[17] Cependant, il est nécessaire d’établir un écart marqué en l’espèce. Cela signifie que la poursuite aurait dû présenter certains éléments de preuve au sujet de la norme de comportement attendue d’un chef d’équipe raisonnablement prudent. Il est nécessaire d’établir cette norme afin que le tribunal puisse décider si le comportement de l’accusé, dans les circonstances, représentait un écart marqué au point d’être blâmable. Le contexte de la mission elle-même ne constitue pas une preuve concernant la norme attendue; il montre simplement qu’un degré plus élevé de diligence aurait été nécessaire.
[18] J’en arrive à la conclusion que la poursuite n’a pas présenté le moindre élément de preuve au sujet de la norme attendue. Comme l’exige la norme applicable, c’est la façon dont l’accusé a porté son fusil C7 pendant qu’il voyageait à bord du véhicule Bison qui est en cause, et non la conséquence découlant de l’omission de porter cette arme. Dans son appréciation objective, le tribunal doit être convaincu, à la lumière de l’ensemble de la preuve, que le comportement en cause constituait un écart marqué par rapport à la norme de diligence raisonnable que respecterait une personne raisonnable dans la même situation que l’accusé. En l’absence de preuve sur la norme de comportement attendue, il est impossible pour un tribunal ayant reçu des directives appropriées de prononcer un verdict de culpabilité.
[19] J’aimerais ajouter que, même si je suis d’avis que des éléments de preuve ont été portés à la connaissance de la cour au sujet de la négligence en l’espèce, je demeure convaincu qu’il n’y a aucune preuve concernant le préjudice causé au bon ordre et à la discipline, qui constitue un autre élément essentiel de l’infraction. La preuve présentée par la poursuite ne comporte aucun élément permettant de déduire des circonstances qu’un préjudice au bon ordre et à la discipline s’est produit comme conséquence naturelle d’un fait prouvé, comme il est mentionné au paragraphe 7 de la décision Sergent B.K. Jones et Sa Majesté La Reine, 2002 CMAC 11.
[20] De plus, la preuve directe et circonstancielle présentée par la poursuite ne comporte pas le moindre élément concernant un préjudice causé au bon ordre et à la discipline. En fait, aucun élément de preuve ne montre que la négligence de l’accusé a causé un préjudice au bon ordre et à la discipline.
[21] En conséquence, la cour en arrive à la conclusion que l’accusé a prouvé selon la prépondérance des probabilités qu’en ce qui concerne la première accusation, il n’y a aucune preuve établissant les éléments essentiels de la négligence et du préjudice causé au bon ordre et à la discipline.
[22] Sergent Gardiner, veuillez vous lever. Je conclus qu’aucune preuve prima facie n’a été établie contre vous relativement à la première accusation apparaissant à l’acte d’accusation, et la cour martiale vous déclare non coupable de cette accusation.
LIEUTENANT-COLONEL L.V. D’AUTEUIL, J.M.
AVOCATS :
Major B. McMahon, Poursuites militaires régionales, région de l’Ouest
Capitaine J.S.P. Doucette, Direction des poursuites militaires
Avocats de Sa Majesté La Reine
Major L. D’Urbano, Direction du service d’avocats de la défense
Avocate du sergent S. Gardiner