Cour martiale
Informations sur la décision
Date de l’ouverture du procès : 12 décembre 2006.
Endroit : Garnison Valcartier, édifice 534, l’Académie, Courcelette (QC).
Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, voies de fait (art. 266 C. cr.).
•Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
Résultats
•VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Une suspension d’instance. Chef d’accusation 2 : Coupable.
•SENTENCE : Une amende au montant de 200$.
Contenu de la décision
Citation : R. c. Soldat J.D.P. Fortin, 2006 CM 97
Dossier : S200697
COUR MARTIALE PERMANENTE
CANADA
QUÉBEC
4e COMPAGNIE DE POLICE MILITAIRE
MANÈGE MILITAIRE SAINT-MALO, QUÉBEC
Date : 12 décembre 2006
SOUS LA PRÉSIDENCE DU : COLONEL M. DUTIL, J.M.C.
SA MAJESTÉ LA REINE
(Poursuivante)
c.
SOLDAT J.D.P. FORTIN
(Contrevenant)
SENTENCE
(Rendue oralement)
[1] Soldat Fortin, la Cour ayant accepté et enregistré votre aveu de culpabilité au 2e chef d'accusation, la Cour vous trouve maintenant coupable du 2e chef d'accusation et elle ordonne une suspension d'instance à l'égard du 1er chef d'accusation.
[2] Le soldat Fortin a reconnu sa culpabilité à une accusation portée aux termes de l'article 129 de la Loi sur la défense nationale pour un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline, soit d'avoir harcelé un collègue de travail, aspirant policier militaire, contrairement à la DOAD 5012-0. Cette infraction a été commise lors de leur cours de qualification de base de policier militaire durant l'été 2005 à Borden, Ontario. Les faits entourant la commission de cette infraction démontrent qu'au retour d'une soirée bien arrosée où le soldat Fortin était le conducteur désigné, la victime ainsi qu'un autre collègue, assis à l'arrière du véhicule dans lequel ils prenaient place, se sont échangés des coups de poing sur l'épaule à la blague. Une fois arrivé à la base, ils sortent du véhicule et le manège continue. La victime, en état d'ébriété, est ramenée à sa chambre par ses collègues. À la suggestion du soldat Fortin, ils décident alors de menotter la victime à la blague. Le soldat Fortin utilise ses propres menottes afin d'y parvenir avec l'aide d'un collègue alors qu'un autre filme l'événement. La victime demande alors d'être libérée à deux reprises. Le soldat Fortin acquiesce à sa demande en se servant de la clé de ses menottes pour la dégager. Quelques jours plus tard, la victime porte plainte à la police militaire. Le soldat Fortin s'excuse formellement auprès de sa victime au moyen d'une lettre, et ça le jour où la plainte a été portée. Il assume alors l'entière responsabilité de ses gestes. L'enquête est rapidement conclue et le soldat Fortin fait part de son intention de plaider coupable à la première occasion.
[3] Après avoir entendu les représentations de l'avocat de la défense sur sentence, la poursuite a demandé à la cour de modifier sa recommandation relativement à la sentence que cette cour devrait imposer pour lui substituer une soumission commune sur sentence d'infliger une peine de 200 dollars, et la Cour tient à préciser qu'il s'agit là d'un comportement très responsable de la part du procureur et de la poursuite et je tiens à le féliciter pour son professionnalise compte tenu des représentations qui ont été faites par son collègue. Donc, comme je le faisais remarquer plus tôt, l'obligation d'en arriver à une sentence adéquate incombe au tribunal qui a le droit, tout de même, de rejeter la proposition conjointe des avocats. Il est toutefois de jurisprudence constante que seuls des motifs incontournables peuvent permettre au tribunal de s'écarter de la proposition conjointe. Ainsi, le juge devrait accepter la soumission commune des avocats à moins qu'elle ne soit jugée inadéquate ou déraisonnable, contraire à l'ordre public ou qu'elle déconsidérerait l'administration de la justice. Par exemple, si elle tombe à l'extérieur du spectre des sentences qui auraient été précédemment infligées pour des infractions semblables. En contrepartie, les avocats sont tenus d'exposer au juge tous les faits à l'appui de cette proposition commune et la Cour est satisfaite que cela a été fait dans la présente cause.
[4] Comme le soulignait le procureur de la poursuite, la Cour suprême du Canada a reconnu dans l'arrêt R. c. Généreux que :
Pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace.
Et elle a souligné que dans le contexte particulier de la discipline militaire, les manquements à la discipline devaient être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil.
Ces directives de la Cour suprême ne permettent toutefois pas au tribunal militaire d'imposer une sentence composée d'une ou plusieurs peines qui seraient au-delà de ce qui est requis dans les circonstances de l'affaire. En d'autres mots, toute peine infligée par un tribunal, qu'il soit militaire ou qu'il soit civil, doit toujours représenter l'intervention minimale requise.
[5] En déterminant la sentence qu'elle considère être appropriée et minimale dans cette affaire, la Cour a pris en compte les circonstances entourant la commission de l'infraction telle qu'elle a été révélée par le sommaire des circonstances dont vous avez accepté la véracité, soldat Fortin; la preuve documentaire déposée devant la cour, y compris l'énoncé commun des faits; les autres documents qui ont été déposés devant la cour évidemment; et les témoignages qui ont été entendus, c'est-à-dire celui du capitaine Leblond, ainsi que votre propre témoignage. La Cour a pris en compte également les plaidoiries des avocats et la jurisprudence citée dans le cadre d'une analyse des principes applicables en matière de détermination de la sentence.
[6] Lorsqu'il s'agit de donner une sentence appropriée à un accusé pour les fautes qu'il a commises et à l'égard des infractions dont il est coupable, certains objectifs sont visés à la lumière des principes applicables en matière de détermination de la sentence, évidemment ces principes peuvent varier légèrement d'un cas à l'autre, et l'importance qui est attribuée à chacun de ces objectifs et de ces principes doit toutefois être adaptée ou modulée aux circonstances de l'affaire. Évidemment, pour contribuer à l'un des objectifs essentiels de la discipline militaire, soit le maintien d'une force armée professionnelle disciplinée, opérationnelle et efficace, les objectifs et les principes peuvent s'énoncer comme suit :
premièrement, la protection de la société y compris les Forces canadiennes;
deuxièmement, la punition et la dénonciation du contrevenant;
troisièmement, la dissuasion du contrevenant, et quiconque, de commettre les mêmes infractions;
quatrièmement, la réhabilitation et la réforme du contrevenant;
cinquièmement, la proportionnalité à la gravité des infractions et le degré de responsabilité du contrevenant;
sixièmement, l'harmonisation des peines; et
finalement, la Cour prendra en compte les circonstances atténuantes et aggravantes liées à la situation du contrevenant ainsi qu' à la perpétration des infractions.
[7] Dans la présente cause, je suis d'avis que la sentence doit mettre l'emphase principalement sur la dissuasion générale, et je suis d'accord avec les procureurs à l'effet que les chances de récidive de votre part, soldat Fortin, sont à tout le moins ou à toute fin pratique inexistantes. En fait, le comportement qui vous est reproché découle ni plus ni moins que d'un profond manque de jugement de votre part, et ce dans le cadre d'une blague de très mauvais goût entre aspirants policiers militaires. La Cour partage l'opinion de la poursuite à l'effet qu'on est en droit de s'attendre à beaucoup mieux de tels individus qui sont recrutés pour faire respecter la loi. Et la Cour ne croit pas qu'il soit nécessaire dans les circonstances de cette affaire que la sentence mette l'emphase sur le principe de la dissuasion spécifique de l'accusé. Les conséquences directes et indirectes que le verdict et la sentence ont sur le contrevenant ici sont certes toujours pertinentes, mais le contexte de cette affaire démontre clairement que l'attente du procès lui-même, même si le contrevenant est responsable des actes qui l'ont amené devant cette cour, a déjà eu un impact significatif dans la progression de sa jeune carrière militaire même si les gestes qui lui sont reprochés sont relativement mineurs dans l'échelle de gravité des crimes relativement similaires, et ce comme en faisait mention le procureur de la poursuite. Mais, il faut retenir également que cette cour ne met pas en doute le bien-fondé des autorités militaires d'avoir exercé leur pouvoir discrétionnaire en retirant le contrevenant de sa formation qui l'aurait amené à être déployé en Afghanistan.
[8] En considérant quelle sentence serait appropriée, la Cour a pris en considération les facteurs aggravants et les facteurs atténuants suivants. Elle a considéré comme aggravant :
La nature de l'infraction et la peine prévue par le législateur. L'article 129 de la Loi sur la défense nationale prévoit comme peine maximale la destitution ignominieuse du service de Sa Majesté et il s'agit d'une infraction qui est objectivement sérieuse.
Deuxièmement, le caractère dégradant que vous avez fait subir à votre collègue avec l'assistance de vos autres collègues. Vous avez abusé de son état d'ébriété avancé pour profiter de la situation là où la victime n'était pas en mesure de se défendre en le menottant et en le filmant de surcroît.
Quant aux facteurs atténuants, la Cour retient les éléments suivants :
Premièrement, votre aveu de culpabilité devant cette cour. À la lumière de votre témoignage, la Cour considère que cet aveu est sincère et qu'il signifie que vous regrettez votre geste. Vous avez malheureusement outrepassé les limites permises en vous en prenant physiquement à un collègue qui ne semblait pas, définitivement pas, partager votre blague, et ce même si il était sévèrement intoxiqué. La Cour accepte que vous vous soyez laissé emporter parce ce que, à ce moment-là, vous croyiez que c'était une plaisanterie entre collègues, or, il s'agissait d'une erreur manifestement sérieuse.
Deuxièmement, la Cour retient comme élément atténuant votre rendement avant les événements ainsi que ceux qui sont postérieurs à l'événement, et ce jusqu'à aujourd'hui. La preuve devant cette cour ne laisse planer aucun doute de vos qualités professionnelles et personnelles. C'est du moins ce que la Cour retient en lisant vos évaluations, vos rapports de rendement ou les rapports de cours plutôt, ainsi que le témoignage du capitaine Leblond. Il semble que vous ayez un bon potentiel pour être un actif au sein des Forces canadiennes et la société en général.
Quant à ce qui a trait à un troisième facteur atténuant, la Cour retient que c'est votre première expérience avec le système disciplinaire et pénal, et j'ose espérer votre dernière expérience avec le système disciplinaire ou pénal.
Et quatrièmement, la Cour a considéré comme atténuant le délai écoulé depuis la commission de l'infraction pour une affaire qui était, somme toute, peu complexe.
[9] Pour ces motifs, la Cour accepte la soumission commune des parties et elle vous condamne à l'amende au montant de 200 dollars qu'elle considère être la sentence minimale pour assurer la protection du public et le maintien de la discipline dans les circonstances. Faites sortir le soldat Fortin.
COLONEL M. DUTIL, J.M.C.
Avocats :
Capitaine de corvette M.D.M. Raymond, Procureur militaire régional, Région de l'est
Avocat de la poursuivante
Major C.E. Thomas, Directeur du Service des avocats de la défense
Avocat du soldat J.D.P. Fortin