Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 5 mai 2008

Endroit : Garnison Valcartier, l'Académie, Édifice 534, Courcelette (QC).

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 (subsidiaire au chef d'accusation 2) : Art. 127 LDN, en raison de négligence envers les directives a accompli un acte relatif à un objet susceptible de constituer une menace pour la vie ou les biens, acte qui était de nature à causer la mort ou des blessures corporelles.
•Chef d'accusation 2 (subsidiaire au chef d'accusation 1) : Art. 129 LDN, négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
Résultats
•VERDICTS : Chef d'accusation 1 : Coupable. Chef d'accusation 2 : Non coupable.
•SENTENCE : Une amende au montant de 500$.

Contenu de la décision

Citation : R. c. soldat S.J.L.S. Bergeron, 2008 CM 3018

 

Dossier : 200802

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

CANADA

QUÉBEC

GARNISON VALCARTIER

 

Date : 11 mai 2008

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL L.-V. D'AUTEUIL, JUGE MILITAIRE

 

SA MAJESTÉ LA REINE

(Poursuivante)

c.

SOLDAT S.J.L.S. BERGERON

(Contrevenant)

SENTENCE

(Prononcée oralement)

 

 

[1]                    Le 10 mai 2008, le comité de cette cour martiale disciplinaire a reconnu coupable le soldat Bergeron de négligence dans la manutention de matières dangereuses.  Il est de mon devoir à titre de juge militaire présidant cette cour martiale de fixer la sentence, telle que prévue à l’article 193 de la Loi sur la Défense nationale.

 

[2]                    Le système de justice militaire constitue l'ultime recours pour faire respecter la discipline, qui est une dimension essentielle de l’activité militaire dans les Forces canadiennes.  Le but de ce système est de prévenir toute inconduite ou, de façon plus positive, de veiller à promouvoir la bonne conduite.  C’est au moyen de la discipline que les forces armées s'assurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès, en toute confiance et fiabilité.

 

[3]                    Comme le déclare le major Jean-Bruno Cloutier dans sa thèse intitulée,

« L’utilisation de l’article 129 de la Loi sur la Défense nationale dans le système de justice militaire canadien : »

 

En bout de ligne, pour promouvoir au maximum les chances de succès de la mission, la chaîne de commandement doit être en mesure d'administrer la discipline afin de contrôler les inconduites qui mettent en péril le bon ordre, l'efficacité militaire, et finalement, la raison d'être de l'organisation, la sécurité nationale. 


[4]                          Le système de justice militaire voit aussi au maintien de l’ordre public et s’assure que les personnes justiciables du Code de discipline militaire sont punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

 

[5]                    Il est reconnu depuis longtemps que le but d’un système de tribunaux ou de justice militaire distincts est de permettre aux Forces canadiennes de s’occuper des questions qui touchent au Code de discipline militaire et au maintien de l’efficacité et du moral des troupes.  Cela dit, toute peine infligée par un tribunal, qu’il soit civil ou militaire, doit être la moindre possible dans les circonstances.  Ce principe est conforme au devoir du tribunal d’infliger une peine proportionnée à la gravité de l’infraction et aux antécédents du contrevenant, comme le prévoit l'alinéa 112.48(2)b) des ORFC.

 

[6]                    La cour a pris en considération les recommandations respectives des avocats en fonction des faits pertinents, telles que présentées dans le cadre de ce procès et de leur importance.  Elle a également examiné ces recommandations en fonction des principes de la détermination de la peine, notamment ceux qui sont énoncés aux articles 718, 718.1 et 718.2 du Code criminel dans la mesure où ils ne sont pas incompatibles avec le régime des peines prévues sous le régime de la Loi sur la Défense nationale.  Ces principes sont les suivants : premièrement, la protection du public et le public comprend, en l’occurrence, les intérêts des Forces canadiennes ; deuxièmement, la punition du contrevenant ; troisièmement, l’effet dissuasif de la peine, non seulement sur le contrevenant, mais aussi sur toute personne qui pourrait être tentée de commettre de telles infractions ; quatrièmement, l’isolement, au besoin, des délinquants du reste de la société, y compris des membres des Forces canadiennes ; cinquièmement, l'imposition de peines semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables ; et, sixièmement, la réhabilitation et la réinsertion du contrevenant.  Le tribunal a également tenu compte des arguments avancés par les avocats, notamment la jurisprudence qu’ils ont produite et les documents qu’ils ont déposés en preuve.

 

[7]                    La cour convient avec le procureur de la poursuite que la nécessité de protéger le public exige d’infliger une peine qui met l’accent sur l'effet dissuasif spécifique et aussi général.  Il est important de retenir que celle-ci implique que la peine infligée devrait non seulement dissuader le contrevenant de récidiver, mais aussi dissuader toute autre personne qui se trouve dans une situation analogue de se livrer aux mêmes actes illicites.

 

[8]                    En l’espèce, la cour est saisie d’une infraction de négligence dans la manutention de matières dangereuses.  Il s’agit d’une infraction sérieuse, mais la cour a l’intention d’infliger ce qu’elle considère être la peine minimale applicable dans les circonstances.

 


[9]                    Pour en arriver à ce qu’elle croit être une peine juste et appropriée, la cour a également pris en compte les circonstances aggravantes et les circonstances atténuantes suivantes.

 

[10]                  La cour considère comme aggravants les facteurs suivants :

 

a.  Premièrement, la gravité objective de l’infraction.  Vous avez été trouvé coupable d’une infraction aux termes de l’article 127 de la Loi sur la Défense nationale pour négligence dans la manutention de matières dangereuses.  Cette infraction est passible au maximum d’un emprisonnement maximal de moins de deux ans ou une peine moindre. Il s’agit d’une infraction qui, objectivement, demeure relativement  grave .

 

b.  Deuxièmement, la gravité subjective de l’infraction.  Vous avez suivi et réussi l’entraînement relatif au tir de la grenade C-13.  Dans ce contexte, il est clair que vous aviez été mis au courant du niveau élevé de  soins et d’attention à apporter à un tel engin dans le cadre de sa manipulation en raison du danger potentiel mortel ou de blessure que cela représentait pour vous et les autres personnes qui se trouvaient dans le rayon d’efficacité d’une telle arme.  En d’autres mots, il y avait très peu de place à l’erreur, et vous le saviez.

 

c.  Compte tenu du contexte que je viens de décrire, l’insouciance blâmable dont vous avez fait preuve constitue en soi un facteur aggravant que la cour doit considérer.

 

[11]                  La cour considère comme atténuants les facteurs suivants :

 

a.  La preuve entendue dans le cadre de ce procès ne révèle aucune autre circonstance qui démontre que l’acte que vous avez posé va au-delà de ce qui est requis en droit pour prouver l’élément essentiel de négligence.  En conséquence, la cour en conclut que le geste que vous avez commis se situe au plus bas de l’échelle de gravité.

 

b.  Le fait que vous n’ayez aucune fiche de conduite ni de dossier criminel pour des infractions similaires.

 

c.  Le fait que votre geste n’est pas eu de conséquences concrètes et fâcheuses à l’égard des personnes qui étaient présentes au champ de tir, et qu’il s’agit d’un geste ponctuel et unique démontrant un comportement inhabituel de votre part.  De plus, il n’a pas été démontré que la négligence dans la manutention de matières dangereuses constitue un fléau ou un problème au sein des Forces canadiennes.

 


d.  Le fait que cet incident se soit produit dans un contexte d’entraînement.  Cela n’excuse pas votre geste, mais révèle que vous étiez en période d’apprentissage de votre métier de soldat, ce qui signifie que vous n’aviez pas d’expérience au moment de la commission de l’infraction en ce qui a trait à la manipulation d’une telle arme.  Il se peut fort bien que votre niveau d’inconfort qu’en à la manipulation d’une grenade réelle n’est pas été à son plus haut niveau au moment de la lancer sur le champ de tir, ce qui peut apparaître tout à fait normal dans les circonstances malgré la familiarisation que vous aviez eu auparavant.

 

e.  L’absence totale de préméditation concernant le geste que vous avez commis.

 

f.  Votre âge et votre potentiel de carrière au sein des Forces canadiennes.  Âgé de 21 ans, vous avez de nombreuses années devant vous pour contribuer positivement à la société en général ainsi qu’aux Forces canadiennes.

 

g.  Le fait que des mesures correctives aient été prises immédiatement après l’incident afin de minimiser le risque que vous répétiez un tel geste par l’imposition de l’entraînement supplémentaire.

 

h.  Le fait que votre chaîne de commandement de l’époque ait tenté de vous passer un message concernant cet incident en particulier en vous assignant, presque immédiatement après la commission de l’infraction, comme estafette en devoir pour toute la fin de semaine, soit du vendredi soir au dimanche soir.

 

i.  Le fait d’avoir eu à faire face à cette cour martiale qui est annoncée et accessible au public et qui a lieu en présence de certains de vos collègues et de certains de vos pairs a certainement eu un effet dissuasif très important sur vous et sur eux.  Le message est que ce genre de conduite sur un champ de tir ne sera tolérée d’aucune manière et que ce genre de comportement sera réprimé en conséquence.  Dans le contexte de la preuve entendue par cette cour, elle demeure convaincue que vous ne devriez pas vous retrouver devant un autre tribunal pour une infraction du même genre ou de tout autre genre dans le futur.

 

j.  Le délai à traiter cette affaire.  La cour ne veut blâmer personne dans la présente cause, mais plus la question au chapitre de la discipline est réglée rapidement, et plus la peine imposée sera pertinente et efficace pour le moral et la cohésion des membres de l’unité.  Le temps écoulé depuis que l’incident a eu lieu est un des facteurs qui rend moins pertinent d’envisager une sanction plus sévère comportant un effet dissuasif quelconque. 

 


[12]                  La cour a du mal à comprendre pourquoi il a fallu neuf mois à l’autorité

de renvoi dans cette affaire pour référer cette cause à la direction des poursuites militaires.  À tout le moins, et en l’absence d’explication, il apparaît clair à cette cour martiale que la plus haute autorité au sein du secteur de Québec de la force terrestre en matière de discipline militaire n’a très peu fait de cas et a peut-être, jusqu’à un certain point, négligé quant au respect de son obligation de traiter cette accusation avec toute la célérité que les circonstances permettent, tel que requis par l’article 162 de la Loi sur la Défense nationale

 

[13]                  En dernier lieu, j’aimerais préciser que malgré le fait que les avocats ont

suggéré à la cour l’imposition de sentences différentes en terme de gravité, leur suggestion respective incluait le fait d’imposer au contrevenant une forme de punition visant à le réhabiliter et à lui redonner l’habitude d’obéir dans un cadre militaire structuré.  Il aurait été ainsi soumis à un régime d’entraînement qui insiste sur les valeurs et les compétences propres aux membres des Forces canadiennes pour lui faire voir ce qui le distingue des autres membres de la société.

 

[14]                  Compte tenu de l’ensemble des circonstances et des facteurs aggravants

et atténuants identifiés par cette cour, il appert évident que le contrevenant n’a aucun besoin d’être soumis à un tel régime de réhabilitation.

 

[15]                  En ce qui concerne l’imposition d’une sentence d’incarcération au soldat Bergeron, telle que mentionnée dans R. c. Gladue, 1999 1 RCS 688 aux paragraphes 38 et 40, et confirmée par la Cour d’appel de la cour martiale dans sa décision de R. c. Baptista, 2006 CACM 1, la sentence d’emprisonnement ne doit être imposée que dans les cas de derniers ressorts.  Ici, encore une fois, compte tenu de l’ensemble des circonstances et des facteurs aggravants et atténuants identifiés par cette cour, je ne vois aucune raison qui justifierait de priver le contrevenant de sa liberté. 

 

[16]                  Une peine équitable et juste doit tenir compte de la gravité de l’infraction

et de la responsabilité du contrevenant dans le contexte précis de l’espèce.  En conséquence, la cour est d’avis que l’imposition d’une amende est en conformité avec l’application de ce principe compte tenu de l’ensemble des circonstances et des facteurs aggravants et atténuants identifiés par cette cour.  Soldat Bergeron, levez-vous.

 

[17]                  La cour vous condamne à une amende de 500 $.  L’amende doit être

payée en deux versements mensuels consécutifs de 250 $, le premier versement débutant le 1er juin 2008.  Si pour une raison ou pour une autre vous étiez libéré des Forces canadiennes avant d’avoir fini de payer cette amende, le montant total impayé devra être versé avant votre libération.

 

[18]                  La cour en arrive à la conclusion qu’il n’est pas souhaitable pour la sécurité du contrevenant ou pour celle d’autrui d’émettre une ordonnance d’interdiction  au sens de l’article 147.1 de la Loi sur la Défense nationale.


[19]                  Les procédures concernant la cour martiale disciplinaire du soldat Bergeron sont maintenant terminées.

 

 

 

                                             LE LIEUTENANT-COLONEL L.-V. D'AUTEUIL, J.M.

 

Avocats :

 

Major J. Caron, Procureur militaire régional, Région de l’Est

Avocat de la poursuivante

Lieutenant-colonel Couture, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat de la défense pour le soldat S.J.L.S. Bergeron

 

 

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