Cour martiale
Informations sur la décision
Date de l'ouverture du procès : 12 mai 2008
Endroit : BFC Trenton, Édifice 22, 3e étage, 74 avenue Polaris, Trenton (ON).
Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 (subsidiaire au chef d'accusation 3) : Art. 130 LDN, usage négligent d'une arme à feu (art. 86(1) C. cr.).
•Chef d'accusation 2 (subsidiaire au chef d'accusation 3) : Art. 83 LDN, a désobéi à un ordre légitime d'un supérieur.
•Chef d'accusation 3 (subsidiaire aux chefs d'accusation 1, 2) : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
Résultats
•VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 2, 3 : Arrêt des procédures.
Cour martiale disciplinaire (CMD) (est composée d’un juge militaire et d’un comité)
Contenu de la décision
Référence : R. c. Le Caporal S.A. Strong, 2008 CM 3019
Dossier : 200787
COUR MARTIALE DISCIPLINAIRE
CANADA
ONTARIO
8e ESCADRE DE TRENTON
Date : Le 15 mai 2008
SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL L.-V. D’AUTEUIL, J.M.
SA MAJESTÉ LA REINE
c.
LE CAPORAL S.A. STRONG
(accusé)
DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE POUR FIN DE NON-RECEVOIR FONDÉE SUR L’ABSENCE DE COMPÉTENCE
(prononcée de vive voix)
TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE
INTRODUCTION
[1] Le Caporal Strong est accusé d’une infraction punissable en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale (LDN) pour avoir utilisé une arme à feu de manière négligente, une infraction prévue au paragraphe 86(1) du Code criminel, d’une infraction de désobéissance à un ordre légitime d’un supérieur, qui est prévue à l’article 83 de la LDN et, subsidiairement, d’une infraction concernant un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline, prévue à l’article 129 de la LDN.
[2] À l’ouverture de ce procès devant la cour martiale disciplinaire le 12 mai 2008, avant que ne soit inscrit un plaidoyer et après que les serments ont été prêtés, le Caporal Strong a présenté une demande, dont le procureur de la poursuite a été avisé par écrit le 10 mai 2008 et le juge militaire chargé de présider la cour martiale, le matin du 12 mai 2008, par laquelle il s’oppose à l’instruction du procès au motif que la présente cour martiale disciplinaire n’aurait pas compétence pour procéder à cette instruction.
[3] La requête préliminaire est présentée au moyen d’une demande formulée en vertu de l’alinéa 112.05(5)b) des ORFC en tant que question de droit ou question mixte de droit et de fait devant être tranchée par le juge militaire présidant la cour martiale disciplinaire. comme il est mentionné à l’article 112.07 des ORFC.
PREUVE
[4] La preuve relative à la demande, que j’ai entendue lors d’un voir‑dire, était constituée des éléments suivants :
a. la pièce VD1-1, l’avis de demande. Ce document a été produit en preuve sur consentement;
b. la pièce VD1-2, l’ordre de convocation devant la présente cour martiale, signé par l’administratrice de la cour martiale, Mme S. Morrissey, le 10 avril 2008. Ce document a aussi été produit en preuve sur consentement;
c. la pièce VD1-3, l’acte d’accusation joint à l’ordonnance de convocation et signé le 12 décembre 2007 par le Major J. Caron, un officier assistant et représentant le directeur des poursuites militaires (DPM). Ce document a aussi été produit en preuve sur consentement;
d. les faits et les questions en litige dont la cour martiale a pris judiciairement connaissance en vertu de l’article 15 des Règles militaires de la preuve.
CONTEXTE ET FAITS
[5] La présente demande est déposée par l’accusé sur la foi de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de la cour martiale (CACM) dans Trépanier and Her Majesty the Queen and ex-Corporal Beek, 2008 CMAC 3, le 24 avril 2008. Cet arrêt portait essentiellement sur la constitutionnalité du pouvoir de déterminer le type de cour martiale que l’article 165.14 de la LDN confère au DPM et sur la constitutionnalité des fonctions attribuées à l’administrateur de la cour martiale (ACM) au paragraphe 165.19(1) de la LDN et au paragraphe 111.02(1) des ORFC en ce qui a trait à la convocation de la cour martiale sélectionnée par le DPM et, dans le cas d’une cour martiale générale ou d’une cour martiale disciplinaire, à la nomination des membres.
[6] Le 12 décembre 2007, un représentant autorisé du DPM a signé un acte d’accusation concernant l’accusé ‑ la pièce VD1-3 ‑ où il est indiqué [traduction] « Sera jugé par la cour martiale disciplinaire ». L’acte d’accusation a été transmis à l’ACM à une date inconnue. Le 10 avril 2008, l’ACM a signé un ordre de convocation d’une cour martiale disciplinaire afin qu’il soit statué sur les trois accusations décrites dans l’acte d’accusation. L’ordre de convocation indiquait que la cour martiale disciplinaire aurait lieu à 9 h, le 12 mai 2008, au troisième étage de l’édifice 22, situé au 74, avenue Polaris, sur la Base des Forces canadiennes Trenton.
[7] À l’heure et à la date indiquées dans l’ordre de convocation, le juge militaire chargé de l’affaire, les membres du comité, les membres substituts, le procureur de la poursuite, l’avocat de la défense et l’accusé se sont présentés à l’endroit fixé par l’ACM. La cour martiale s’est ouverte et les serments ont été prêtés conformément aux paragraphes 112.05(1) à (4) des ORFC. Finalement, la présente demande a été déposée par l’accusé.
[8] Les deux parties conviennent que, entre le moment où l’arrêt de la CACM a été rendu et le moment où l’avocat s’est adressé à la cour martiale en l’espèce, soit entre le 24 avril et le 13 mai 2008, l’accusé n’a jamais eu la possibilité de choisir le type de cour martiale par laquelle il voulait être jugé pour les accusations dont est saisie la présente cour martiale.
LA QUESTION EN LITIGE
A. La portée de la question
i. La procédure
[9] La demande de l’accusé concerne précisément la situation que je viens tout juste d’exposer et qu’il a décrite dans sa demande comme le fait qu’il n’a pas pu exercer le droit que lui garantit la Constitution, plus précisément l’article 7 et l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), de choisir le type de procès qu’il souhaite avoir.
[10] En conséquence, il prétend que la présente cour martiale disciplinaire n’a pas compétence pour le juger et il me demande, à titre de réparation, que je suspende l’instance, probablement en application du paragraphe 24(1) de la Charte.
[11] Avant de procéder à l’analyse, je dois déterminer le sens exact de la présente instance afin de trancher de manière appropriée la question de droit soulevée par l’accusé dans sa demande.
[12] Les alinéas 112.05(5)b) à d) des ORFC prévoient la possibilité de soulever des questions de droit ou mixtes de droit et de fait précises devant la cour martiale au début du procès. L’accusé peut demander que l’instance soit précisée, modifiée ou arrêtée avant que le procès ne débute réellement, soit avant qu’il inscrive un plaidoyer.
[13] L’alinéa 112.05(5)e) des ORFC permet aux deux parties de soulever des questions de droit qui ne sont pas expressément visées aux alinéas 112.05(5)b) à d).
[14] Lorsque la compétence de la cour est en cause, la question doit être soulevée en vertu de l’alinéa 112.05b) des ORFC parce que c’est la raison pour laquelle l’accusé s’oppose à l’instruction du procès. Cette disposition renvoie expressément à l’article 112.24 des ORFC. L’absence de compétence est expressément mentionnée dans les motifs justifiant une fin de non‑recevoir, à l’alinéa 112.24(1)a) :
112.24 – FINS DE NON‑RECEVOIR
(1) Un accusé peut présenter une fin de non-recevoir pour l’un des motifs suivants :
a) la cause n’est pas de la compétence de la cour;
[...]
[15] Les paragraphes 112.24(6) et (8) des ORFC prévoient la réparation que la cour doit prononcer lorsqu’elle fait droit à une fin de non‑recevoir :
(6) Si la cour fait droit à une fin de non-recevoir à l’égard de tous les chefs d’accusation, elle met fin à l’instance.
[…]
(8) Si la cour ne fait pas droit à une fin de non-recevoir à l’égard de tous les chefs d’accusation, elle :
a) met fin à l’instance sur tout chef d’accusation pour lequel elle a fait droit à une fin de non-recevoir;
b) continue le procès sur tout chef d’accusation pour lequel elle n’a pas fait droit à une fin de non-recevoir.
[16] Ainsi, il est évident aux yeux de la cour que la question de la compétence doit être traitée comme une question de procédure en conformité avec les dispositions de l’article 112.24 des ORFC, et non dans le cadre d’une analyse d’une prétendue violation des droits garantis à l’accusé par l’article 7 et l’alinéa 11d) de la Charte. Cette prétendue violation pourrait cependant être invoquée par l’accusé plus tard au cours de l’instance, en vertu de l’alinéa 112.05(5)e) des ORFC.
[17] J’aurais aussi tendance à être d’accord avec le procureur de la poursuite lorsqu’il affirme que, si je conclus que la présente cour martiale disciplinaire n’a pas compétence pour juger l’accusé, je n’ai certainement pas compétence non plus pour suspendre l’instance. Comment puis‑je suspendre une chose qui n’a pas commencé?
[18] Je suis d’avis que la question de la compétence soulevée par l’accusé dans sa demande doit être traitée conformément aux dispositions de l’alinéa 112.05(5)b) et de l’article 112.24 des ORFC. À cette étape‑ci de l’instance, j’estime que cette question n’exige pas une analyse juridique de la violation possible des droits constitutionnels garantis à l’accusé par l’article 7 et l’alinéa 11d) de la Charte, ni une analyse juridique de la nécessité que j’ordonne une suspension de l’instance en application du paragraphe 24(1) de la Charte.
ii. L’arrêt Trépanier de la CACM
[19] Le 24 avril 2008, la Cour d’appel de la cour martiale a rendu sa décision dans Trépanier and Her Majesty the Queen and ex-Corporal Beek, dont il a été question ci‑dessus. Il ressort clairement de la lecture de cet arrêt que l’affaire portait sur la constitutionnalité de la LDN et des dispositions connexes des ORFC, plus précisément l’article 165.14 et le paragraphe 165.19(1) de la LDN et le paragraphe 111.02(1) des ORFC, qui traitait du pouvoir du DPM de déterminer le type de cour martiale qui jugera un accusé.
[20] La CACM a d’abord conclu que la possibilité, pour un accusé, de choisir le mode de procès fait partie du droit à une défense pleine et entière et au contrôle de la présentation de sa défense, qui est garanti à l’alinéa 11d) de la Charte car il est inclus dans le droit à un procès équitable. La CACM a dit ce qui suit à ce sujet au paragraphe 93 de son arrêt :
[traduction]
[93] En toute déférence, le droit en cause en l’espèce n’est pas le droit de choisir, mais le droit, pour un accusé, de présenter une défense pleine et entière et de contrôler la présentation de sa défense, lequel est garanti à l’alinéa 11d) de la Charte car il est inclus dans le droit à un procès équitable. Comme il a été mentionné précédemment, il s’agit d’un droit constitutionnel qui, selon l’arrêt Swain de la Cour suprême du Canada, est exigé par les principes de justice fondamentale. L’intimée reconnaît que : voir le paragraphe 48 de son mémoire des faits et du droit. C’est dans ces circonstances cependant que le droit de choisir le juge des faits peut porter atteinte au droit constitutionnel de l’accusé à une défense pleine et entière et au contrôle de la présentation de cette défense au point de le priver de ce droit constitutionnel en violation des principes de justice fondamentale.
[21] La CACM a ensuite conclu que le pouvoir de déterminer le type de cour martiale devant juger un accusé qui est conféré au DPM par la LDN contrevient à l’article 7 et à l’alinéa 11d) de la Charte. Elle a écrit au paragraphe 103 de son arrêt :
[traduction]
[103] Pour les motifs exposés en l’espèce, nous croyons que l’article 165.14, le paragraphe 165.19(1) et le paragraphe 111.02(1) des ORFC contreviennent à l’article 7 et à l’alinéa 11d) de la Charte. À notre avis, en accordant à la poursuite, dans le système de justice militaire, le droit de choisir le juge des faits devant qui le procès d’une personne accusée d’infractions graves prévues par le Code criminel aura lieu, comme le font l’article 165.14 et le paragraphe 165.19(1) de la LDN, on prive cette personne de la protection constitutionnelle accordée aux contrevenants en matière pénale afin de faire en sorte qu’ils aient un procès équitable et on contrevient ainsi aux principes de justice fondamentale [...]
[22] La CACM a aussi conclu que ces dispositions de la LDN et des ORFC ne pouvaient pas être sauvegardées en vertu de l’article premier de la Charte (voir les paragraphes 104 et 105 de Trépanier).
[23] Au cours de l’audience, on a discuté de la portée de la réparation accordée par la CACM au regard de l’article 165.14 et du paragraphe 165.19(1) de la LDN et du paragraphe 111.02(1) des ORFC. La CACM a dit ce qui suit à ce sujet dans sa conclusion, aux paragraphes 137 et 138 de son arrêt :
[traduction]
[137] Pour ces motifs, nous accueillerons en partie l’appel de l’appelant et, comme il l’a demandé, nous déclarerons que l’article 165.14 et le paragraphe 165.19(1) de la LDN, ainsi que le paragraphe 111.02(1) des ORFC, contreviennent à l’article 7 et portent atteinte au droit à un procès équitable qui est garanti à l’alinéa 11d) de la Charte et qu’ils sont inopérants.
[138] Nous rejetterons la demande de l’intimée concernant la suspension d’un an de l’effet de la présente décision.
[24] Il ne fait aucun doute, à mon avis, que la CACM s’est référée au paragraphe 52(1) de la Charte et a dit que ces dispositions étaient invalides ab initio.
[25] En premier lieu, la CACM a employé le terme [traduction] « inopérants » au paragraphe 137 de son arrêt. Ce terme traduit clairement le concept juridique de l’invalidité d’une règle de droit et est aussi celui qui est utilisé au paragraphe 52(1) de la Charte :
52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.
[26] En deuxième lieu, la CACM a procédé à l’analyse qui doit être effectuée dans une affaire de ce genre selon l’arrêt Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, de la Cour suprême du Canada, en particulier lorsqu’elle a déterminé si l’effet de la déclaration d’invalidité de ces dispositions de la LDN et des ORFC devait être suspendu temporairement.
[27] La CMAC a clairement déclaré invalide tout l’article 165.14 de la LDN, mais qu’en est‑il des deux autres dispositions?
[28] Le paragraphe 165.19(1) de la LDN et le paragraphe 111.02(1) des ORFC, qui reproduit le paragraphe 165.19(1) de la LDN, traitent du pouvoir de l’ACM de convoquer une cour martiale conformément à la décision du DPM prise aux termes de l’article 165.14, et, dans le cas d’une cour martiale générale ou d’une cour martiale disciplinaire, d’en nommer les membres.
[29] En statuant que le paragraphe 165.19(1) de la LDN et le paragraphe 111.02(1) des ORFC sont inopérants, la CACM dit‑elle que l’ACM ne peut plus convoquer une cour martiale et nommer les membres d’une cour martiale générale ou d’une cour martiale disciplinaire?
[30] Il ressort clairement de l’arrêt Schachter, précité, qu’une déclaration d’invalidité ne s’applique qu’aux dispositions qui, selon un tribunal, sont « incompatibles » avec la Constitution, comme l’indique le paragraphe 52(1) de la Charte. Le juge Lamer a écrit dans cet arrêt :
L’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 n’a pas pour effet de restreindre le tribunal à l’examen du libellé employé par le législateur lorsqu’il détermine l’incompatibilité entre une loi et la Constitution. L’article 52 ne précise pas que les termes d’une loi qui sont incompatibles avec la Constitution sont inopérants. Il précise que la Constitution rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit. Par conséquent, l’incompatibilité peut s’entendre tant de ce qui a été omis du libellé de la loi que de ce qui y a été inclus à tort.
[31] Il ne fait aucun doute, à mon avis, que, dans l’arrêt Trépanier, la CACM s’est attardée uniquement au pouvoir de déterminer le type de cour martiale devant juger un accusé qui est conféré au DPM par la LDN. Il est vrai que la CACM mentionne d’autres éléments du système des cours martiales dans son arrêt, mais elle le fait uniquement pour mettre en évidence la nécessité de moderniser le système de justice militaire. Ce n’est certainement pas le sujet de son arrêt.
[32] Aussi, vu le sens clair du terme « incompatibles » qui est employé au paragraphe 52(1) de la Charte ‑ la disposition énonçant la suprématie de la Constitution ‑ et de l’arrêt Schachter, qui déterminent la manière dont je dois interpréter l’arrêt Trépanier de la CACM, je conclus que la CACM a déclaré invalide la disposition conférant au DPM le pouvoir de déterminer le type de cour martiale devant juger un accusé, soit seulement la partie du paragraphe 165.19(1) de la LDN et du paragraphe 111.02(1) des ORFC qui fait état de ce pouvoir. En d’autres termes, seul le passage « conformément à la décision du [DPM] prise aux termes de l’article 165.14 » du paragraphe 165.19(1) de la LDN était visé et doit être considéré comme constitutionnellement invalide par suite de l’arrêt de la CACM.
[33] La CACM a examiné également la question du droit de l’accusé de choisir le mode de procès uniquement pour les infractions d’ordre militaire visées à l’article 130 de la LDN. Il semble que la CACM ait laissé entendre que ces infractions, qui sont prévues par le Code criminel, sont suffisamment graves pour obliger le système des cours martiales à donner à l’accusé la possibilité de choisir le type de cour martiale par laquelle il veut être jugé. La CACM n’a rien dit au sujet des infractions d’ordre purement militaire qui sont prévues par le Code de discipline militaire. Étant donné que, dans tous les cas d’infractions d’ordre purement militaire, il est possible que la cour martiale prive l’accusé de sa liberté si elle le reconnaît coupable, je conclus que rien n’empêche le système des cours martiales de donner aussi à une personne accusée d’infractions d’ordre militaire qui ne sont pas punissables en vertu de l’article 130 de la LDN la possibilité de choisir le type de cour martiale par laquelle elle veut être jugée. Il est intéressant de noter que le procureur de la poursuite m’a dit, au sujet de cette question, qu’il ne s’opposait pas à une telle conclusion. À ses yeux, aucune distinction ne doit être faite entre les infractions visées à l’article 130 de la LDN et toutes les autres infractions d’ordre militaire pour ce qui est du choix du type de cour martiale.
[34] Par conséquent, j’estime que la CACM a fait deux choses dans l’arrêt Trépanier :
a. elle a déclaré nul ab initio le pouvoir conféré par la LDN au DPM de déterminer le type de cour martiale devant juger un accusé et, en conséquence, elle a déclaré inconstitutionnellement invalides l’article 165.14 de la LDN et le passage « « conformément à la décision du [DPM] prise aux termes de l’article 165.14 » figurant dans le paragraphe 165.19(1) de la LDN et l’article 111.02(1) des ORFC;
b. elle a établi qu’une personne assujettie au Code de discipline militaire et accusée d’une infraction d’ordre militaire doit avoir la possibilité d’exercer son droit de choisir le type de cour martiale par laquelle elle veut être jugée après que le DPM a prononcé la mise en accusation, et que ce droit ne peut être exercé par personne d’autre.
B. Les questions auxquelles le juge militaire doit répondre pour trancher la présente affaire
[35] Ayant confirmé que la question de droit soulevée par l’accusé concerne la compétence de la présente cour martiale disciplinaire pour se prononcer sur les accusations figurant dans l’acte d’accusation à la lumière de l’arrêt Trépanier, précité, de la CACM, je dois répondre à deux questions pour trancher la présente affaire :
a. Premièrement, étant donné que la présente cour martiale a été convoquée avant que l’arrêt Trépanier soit rendu par la CACM, la légalité de la décision et des documents confirmant le type de cour martiale sélectionné par le représentant du DPM pour statuer sur les accusations décrites dans l’acte d’accusation déposé devant la présente cour est‑elle remise en question?
b. Si la réponse à la première question est négative, la présente cour martiale disciplinaire, qui a lieu après que l’arrêt Trépanier a été rendu par la CACM, a‑t‑elle compétence pour statuer sur les accusations décrites dans l’acte d’accusation déposé devant elle, malgré le fait que l’accusé n’a pas eu la possibilité d’exercer son droit de choisir le type de cour martiale par laquelle il voulait être jugé?
i. La première question - La légalité des décisions et des documents qui ont mené à la convocation de la présente cour
[36] Le système des cours martiales n’est pas différent des autres systèmes de justice pénale qui reposent sur la présomption d’innocence. Une décision doit être prise quant aux accusations qu’il convient de déposer, une tâche qui incombe au DPM et à ses représentants, et les accusations doivent être soumises à un tribunal, ce dont est chargé l’ACM. L’arrêt Trépanier de la CACM a cependant apporté un changement quant à la personne qui choisira le type de cour martiale qui devra statuer sur les accusations.
[37] En l’espèce, un représentant du DPM a énoncé les accusations dans l’acte d’accusation et a décidé que ces accusations devaient être soumises à une cour martiale disciplinaire. Ensuite, l’ACM a convoqué une cour martiale disciplinaire pour que celle‑ci statue sur ces accusations.
[38] Tous ces faits sont survenus avant que l’arrêt Trépanier soit rendu par la CACM et, en aucun temps, l’accusé ‑ le Caporal Strong ‑ n’a eu la possibilité de choisir le type de cour martiale par laquelle il voulait être jugé. En fait, il ne pouvait pas le faire suivant la LDN.
[39] Comme je l’ai mentionné précédemment, le pouvoir de déterminer le type de cour martiale qui est conféré au DPM par la LDN a été déclaré invalide par la CACM et cette invalidité existe depuis que les dispositions en question ont été adoptées, de sorte que, si le DPM n’a jamais eu le pouvoir de déterminer le type de cour martiale qui juge le Caporal Strong aujourd’hui et s’il n’a pas le pouvoir de donner des instructions à l’ACM quant au type de cour martiale pour laquelle nous avons été convoqués, quelle est la validité, sur le plan juridique, de sa décision et de l’ordre de convocation signé par l’ACM en vertu duquel nous sommes réunis aujourd’hui?
[40] À ce sujet, le procureur de la poursuite avait soutenu que la décision du DPM et l’ordre de convocation de l’ACM étaient toujours valides conformément au principe de la validité de facto, qui a essentiellement été reconnu et appliqué par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721. Cet arrêt valide les actes commis et les décisions prises par un fonctionnaire en vertu d’un pouvoir invalide à partir du moment où les dispositions sur lesquels ils sont fondés sont entrées en vigueur jusqu’à ce qu’elles soient déclarées invalides par le tribunal. La Cour suprême a écrit au paragraphe 79 de son arrêt :
Il n’y a qu’une seule vraie condition préalable à l’application de ce principe : l’officier de facto doit occuper sa charge sous apparence d’autorité. Cela est conforme à la raison d’être du principe, savoir que les membres du public ayant traité avec l’officier se soient fiés à son statut apparent. Simplement, [traduction] « [l]’officier de facto est celui qui a la réputation d’être l’officier qu’il prétend être, quoiqu’il ne soit pas vraiment officier aux yeux du droit » [...]
[41] Le principe s’applique également aux documents délivrés en vertu d’un acte invalide commis par un fonctionnaire afin de donner effet à ses décisions, comme la Cour suprême du Canada l’a statué dans l’arrêt Bilodeau c. P.G. (Man.), [1986] 1 R.C.S. 449, au paragraphe 9 :
La sommation que l’appelant a reçue a été délivrée conformément à The Summary Convictions Act. Cette loi a été adoptée, imprimée et publiée en langue anglaise uniquement et est invalide selon l’arrêt rendu par cette Cour dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba. Néanmoins, les droits, obligations et autres effets ayant découlé de cette loi demeureront toujours exécutoires s’ils découlent notamment du fait qu’on s’est fié « aux actes de ceux qui ont appliqué les lois invalides » avec l’apparence d’autorité. Le principe de la validité de facto permettra de sauver les actes accomplis, conformément à des lois invalides, par des tribunaux et des juges qui agissaient avec l’apparence d’autorité. Ainsi en l’espèce, le principe de la validité de facto empêche de contester l’efficacité ou le caractère exécutoire de la sommation pour le motif qu’elle a été délivrée conformément à une loi invalide, puisque la sommation a nettement été délivrée avec l’apparence d’autorité en vertu de The Summary Convictions Act.
[42] Il ne fait aucun doute, à mes yeux, que le DPM et l’ACM étaient des fonctionnaires dont la nomination n’est pas remise en question par l’arrêt Trépanier. Le DPM agissait avec l’apparence de droit lorsqu’il a décidé que l’accusé allait être jugé par une cour martiale disciplinaire; l’ACM agissait aussi avec l’apparence de droit lorsqu’elle a délivré l’ordre de convocation de la présente cour martiale.
[43] Le procureur de la poursuite s’est fondé également sur le principe établi dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Hislop, [2007] 1 R.C.S. 429, selon lequel un tribunal peut seulement accorder une réparation rétroactive lorsqu’il crée une nouvelle règle de droit en en invalidant une autre en application du paragraphe 52(1) de la Charte. La Cour suprême du Canada a écrit au paragraphe 93 :
L’application ou la non-application du modèle blackstonien détermine en grande partie s’il convient ou non de limiter l’effet rétroactif de la réparation fondée sur le par. 52(1) et d’accorder une réparation uniquement pour l’avenir. Lorsque le tribunal énonce le droit qui existait, alors la théorie de Blackstone s’applique et la réparation doit être rétroactive. Par contre, lorsqu’il établit une nouvelle règle de droit dans les paramètres généraux de la Constitution, la limitation de la portée rétroactive de sa décision peut être indiquée.
[44] Je ne m’appuie pas sur ce principe pour répondre à la première question en l’espèce, mais je veux simplement faire remarquer que ce principe aurait probablement été applicable pour trancher cette question précise.
[45] Par conséquent, je conclus que la décision du DPM de charger une cour martiale disciplinaire du cas de l’accusé, comme il est indiqué dans l’acte d’accusation déposé devant la présente cour, et l’ordre de convocation délivré par l’ACM qui donnait effet à cette décision sont légales et valides.
[46] Toutefois, le principe de la validité de facto, qui a une incidence sur la validité de tels actes, n’a plus d’effet à partir du moment où la CACM a rendu l’arrêt Trépanier. En fait, comme la CACM n’a pas suspendu l’effet de sa déclaration d’invalidité, le pouvoir légal du DPM de déterminer le type de cour martiale devant juger un accusé et de donner des instructions à l’ACM sur cette question au cours du processus de convocation d’une cour martiale est invalide depuis le 24 avril 2008.
[47] Compte tenu de ce qui précède, la réponse à la première question est négative.
ii. La compétence de la présente cour martiale disciplinaire dans le contexte de l’arrêt rendu par la CACM dans Trépanier
[48] Ayant établi la légalité de la présente cour martiale disciplinaire, je dois maintenant examiner la question de l’application de l’arrêt Trépanier rendu par la CACM afin de donner à l’accusé la possibilité de choisir le type de cour martiale par laquelle il veut être jugé.
[49] Il ne fait aucun doute que, depuis le 24 avril 2008, il appartient à l’accusé assujetti au Code de discipline militaire de choisir le type de cour martiale par laquelle il sera jugé. En d’autres termes, chaque cour martiale tenue après le 24 avril 2008 doit appliquer l’arrêt rendu par la CACM sur cette question.
[50] En matière pénale, le tribunal ne peut tenir un procès ou une enquête préliminaire avant que la personne accusée d’un acte criminel mixte fasse connaître son choix quant à la procédure ou y renonce, sauf si, vu l’infraction qui lui est reprochée, l’accusé n’a aucun choix à exercer. La compétence pour instruire le procès découle de la décision de l’accusé d’être jugé par la cour provinciale et la compétence concernant l’enquête préliminaire résulte de sa décision d’être jugé par la cour supérieure. De plus, aucun tribunal pénal n’a compétence pour accepter un plaidoyer de culpabilité concernant un acte criminel mixte avant que l’accusé ait fait son choix.
[51] Le même raisonnement s’applique en l’espèce. L’arrêt de la CACM est clair sur cette question : depuis le 24 avril 2008, aucune cour martiale de quelque type que ce soit ne peut juger un accusé tant que celui‑ci n’a pas sélectionné le type de cour martiale qu’il souhaite. Cette décision de l’accusé fait partie de son droit à un procès équitable, qui est garanti à l’alinéa 11d) de la Charte, et du principe de justice fondamentale concernant une défense pleine et entière. Des éléments comme la composition de la cour martiale et son pouvoir en matière de peine peuvent influer sur la manière dont l’accusé entend présenter sa défense, et il peut faire son choix en conséquence.
[52] En résumé, l’accusé sera jugé par la cour martiale qu’il choisira.
[53] Par conséquent, la réponse à la deuxième question est « peut-être ». Il appartient à l’accusé de décider s’il veut être jugé par la présente cour martiale disciplinaire.
[54] Par ailleurs, je suis habilité, aux termes de l’article 179 de la LDN, à exercer les mêmes attributions qu’une cour supérieure de juridiction criminelle. Il serait totalement ridicule de mettre fin à la présente instance sans donner à l’accusé la possibilité de dire à la présente cour martiale disciplinaire, qui a été légalement convoquée, s’il veut être jugé par elle.
[55] La situation est la suivante : si je mets fin à l’instance sans demander à l’accusé s’il veut être jugé par la présente cour martiale disciplinaire, l’affaire sera terminée et, une fois que l’accusé aura déterminé le type de cour martiale par laquelle il veut être jugé en conformité avec un mécanisme inconnu, il est possible qu’une cour martiale du même type que la présente soit convoquée. Aussi, pourquoi mettre fin à une instance pour laquelle le même type de cour martiale pourrait éventuellement être convoquée? Il n’en résultera qu’une perte de temps et d’argent.
[56] Au fond, il serait dans l’intérêt de l’accusé, sans toutefois être contraire à l’intérêt public et sans déconsidérer l’administration de la justice, de lui demander s’il veut être jugé par la présente cour martiale disciplinaire.
[57] Ainsi, c’est l’accusé qui décidera seul d’être jugé ou non par la présente cour martiale disciplinaire.
CONCLUSION
[58] La demande présentée par l’accusé en application de l’alinéa 112.05(5)b) des ORFC est accueillie en partie relativement à toutes les accusations. La procédure exceptionnelle décrite ci‑dessous doit être appliquée afin que la présente cour martiale disciplinaire détermine si elle a compétence.
[59] Afin d’appliquer l’arrêt rendu par la CACM dans l’arrêt Trépanier et en conformité avec les attributions conférées à la présente cour martiale disciplinaire par l’article 179 de la LDN, je demanderai à l’accusé s’il veut être jugé par la présente cour martiale disciplinaire. S’il ne le veut pas ou s’il refuse de répondre à ma question, il deviendra évident que la présente cour n’a pas compétence et je mettrai fin à l’instance pour ce qui est de toutes les accusations. Par contre, s’il veut être jugé par la présente cour martiale disciplinaire, il deviendra évident que celle‑ci a compétence et je poursuivrai l’instance.
LE LIEUTENANT-COLONEL L.-V. D’AUTEUIL, J.M.
Avocats :
Le Major B.J.A. McMahon, procureur militaire régional, région du Centre
Procureur de Sa Majesté la Reine
Le Lieutenant-colonel D.T. Sweet, Direction du service d’avocats de la défense
Avocat du Caporal S.A. Strong