Cour martiale
Informations sur la décision
Date de l'ouverture du procès : 12 décembre 2006
Endroit : BFC/USS Gagetown, Édifice F-1, Oromocto (NB)
Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 : Art. 130 LDN, possession en vue du trafic (art. 5(2) LRCDAS).
•Chef d'accusation 2 : Art. 130 LDN, possession de substances (art. 4(1) LRCDAS).
•Chef d'accusation 3 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
Résultats
•VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 2, 3 : Arrêt des procédures.
Contenu de la décision
Référence : R. c. Ex-soldat J.S. Brisson 2008 CM 3004
Dossier : 200618
COUR MARTIALE PERMANENTE
CANADA
NOUVEAU-BRUNSWICK
BASE DES FORCES CANADIENNES DE GAGETOWN
Date : 11 juin 2008
SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL L.-V. d'AUTEUIL, J.M.
SA MAJESTÉ LA REINE
c.
EX-SOLDAT J.S. BRISSON
(accusé)
DÉCISION CONCERNANT UNE VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 7 ET DE L’ALINÉA 11d) DE LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS POUR DÉFAUT DE PERMETTRE À L’ACCUSÉ DE CHOISIR LE MODE DE SON PROCÈS
(prononcée de vive voix)
INTRODUCTION
[1] L’ex-soldat Brisson est accusé, sous le régime de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, d’abord de possession de PCP en vue d’en faire le trafic, contrairement au paragraphe 5(2) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, en deuxième lieu, de possession de marijuana, contrairement au paragraphe 4(1) de cette même Loi; il est également accusé, sous le régime du paragraphe 129(2) de la Loi sur la défense nationale, de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline pour avoir consommé de la marijuana contrairement à l’article 20.04 des Ordonnances et règlements royaux (ORFC).
[2] Après que les serments eurent été prêtés et que l’accusé eut plaidé non coupable devant la cour martiale aux trois accusations figurant sur l’acte d’accusation, la poursuite a commencé à présenter sa cause le 20 septembre 2007 et la cour martiale a ajourné l’instruction du procès une première fois pendant cette même journée. Par la suite, du 18 au 22 février 2008, la cour martiale a continué à entendre les témoins de la poursuite et elle a décidé d’ajourner l’affaire jusqu’au 9 juin 2008.
[3] Le 9 juin 2008, l’ex-soldat Brisson a présenté une demande dont l’avocat de la poursuite et le juge militaire chargé de présider la cour martiale le 1er juin 2008 ont reçu un avis écrit et par laquelle l’accusé entendait s’opposer à l’instruction du procès en raison de l’absence de compétence de la présente cour martiale permanente en l’espèce.
[4] L’accusé présente sa demande à titre de requête fondée sur la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) et soutient avoir été privé de son droit constitutionnel de choisir le mode de son procès, lequel droit est garanti par l’article 7 et l’alinéa 11d) de la Charte; l’accusé me demande donc d’arrêter les procédures conformément au paragraphe 24(1) de la Charte.
[5] Subsidiairement, l’accusé présente sa demande au moyen d’une requête préliminaire fondée sur les alinéas 112.05(5)b) et e) des ORFC, soit à titre de question de procédure que doit trancher le juge militaire présidant la cour martiale permanente, comme le prévoit le paragraphe 112.03(2) des ORFC.
LA PREUVE
[6] La preuve relative à la demande, qui a été entendue lors d’un voir-dire dont j’ai ordonné la tenue, se composait des éléments suivants :
Pièce VD3-1, l’avis de demande, qui a été produit en preuve sur consentement;
Pièce VD3-2, l’ordre de convocation devant la présente cour martiale, qui a été signé par l’administrateur de la cour martiale, M. Cotter, le 22 août 2006, et qui a également été produit en preuve sur consentement;
Pièce VD3-3, l’acte d’accusation joint à l’ordre de convocation et signé le 7 novembre 2005 par le major S.D. Richards, officier assistant et représentant le directeur des poursuites militaires. Ce document a aussi été produit en preuve sur consentement;
Les faits et les questions en litige dont la cour martiale a pris judiciairement connaissance en vertu de l’article 15 des Règles militaires de la preuve.
LE CONTEXTE ET LES FAITS
[7] La présente demande est déposée par l’accusé à la lumière de la décision que la Cour d’appel de la cour martiale (CACM) a rendue dans Trepanier and Her Majesty the Queen and ex-Corporal Beek, 2008 CMAC 3, le 24 avril 2008. Essentiellement, cette décision portait sur la constitutionnalité du pouvoir du directeur des poursuites militaires (DPM) de déterminer le type de cour martiale (article 165.14 de la LDN) et d’imposer cette décision à l’administrateur de la cour martiale (ACM) (paragraphe 165.19(1) de la LDN et paragraphe 111.02(1) des ORFC) afin que celui-ci convoque une cour martiale et procède à la nomination des membres dans le cas d’une cour martiale disciplinaire ou d’une cour martiale générale.
[8] Je n’ai pas l’intention d’analyser à nouveau la décision que la CACM a rendue dans Trepanier. À cet égard, je renvoie les deux parties aux commentaires que j’ai formulés à ce sujet aux paragraphes 19 à 33 de la décision que j’ai rendue dans l’affaire du caporal Strong.
[9] Toutefois, j’aimerais rappeler que la CACM a fait deux choses dans la décision Trepanier :
a. Elle a déclaré nul ab initio le pouvoir conféré par la LDN au DPM de déterminer le type de cour martiale devant juger un accusé et, en conséquence, elle a déclaré constitutionnellement invalide l’article 165.14 de la LDN et le passage « conformément à la décision du [DPM] prise aux termes de l’article 165.14 » figurant dans le paragraphe 165.19(1) de la LDN et dans le paragraphe 111.02(1) des ORFC.
b. Elle a établi qu’une personne assujettie au Code de discipline militaire et accusée d’une infraction d’ordre militaire doit avoir la possibilité d’exercer son droit de choisir le type de cour martiale par laquelle elle veut être jugée après que le DPM a prononcé la mise en accusation, et que ce droit ne peut être exercé par personne d’autre.
[10] L’instruction devant la présente cour martiale permanente devait débuter à l’origine le 12 décembre 2006. Cependant, à la demande de l’avocat de la poursuite, qui a soulevé des circonstances inhabituelles, mais logiques, j’ai ajourné les procédures, avec le consentement des deux avocats, au 13 août 2007. À cette date, l’accusé n’ayant pas comparu devant moi, j’ai alors décerné un mandat d’arrestation contre lui. Le 19 septembre 2007, l’accusé a été amené devant la cour et l’enquête sur le cautionnement s’est déroulée devant moi. J’ai libéré l’accusé sous réserve de certaines conditions, conformément à l’engagement qu’il a signé.
[11] Le 20 septembre 2007, l’accusé, l’avocat de la poursuite, l’avocat de la défense et moi-même, en qualité de juge militaire chargé de présider la cour martiale permanente, étions présents à la base des Forces canadiennes de Gagetown afin de procéder. La cour martiale s’est ouverte et les serments ont été prêtés conformément aux paragraphes 112.05(1) à (4) des ORFC. J’ai ensuite demandé à l’accusé d’inscrire un plaidoyer à l’égard de chacune des trois accusations figurant sur l’acte d’accusation, ce qu’il a fait. L’accusé a plaidé non coupable aux trois accusations. Le procès relatif à ces accusations a débuté et l’avocat de la poursuite a commencé à présenter sa preuve et fait entendre son premier témoin.
[12] Cependant, pour des raisons stratégiques, l’avocat de la poursuite a annoncé qu’il avait l’intention de procéder à un voir-dire au sujet de l’admissibilité de trois déclarations faites par l’accusé. Compte tenu de la durée éventuelle du voir-dire et du temps qui resterait pour la poursuite de l’affaire pendant cette même semaine, les deux avocats et moi-même avons convenu de reporter la cause au 18 février 2008. Du 18 au 20 février 2008, le voir-dire demandé par l’avocat de la poursuite a eu lieu et, le 22 février 2008, j’ai décidé que les trois déclarations en question étaient admissibles au procès. Un deuxième témoin a ensuite été entendu ce même jour et j’ai rendu une décision au sujet de l’admissibilité de différentes pièces. Après cette décision, étant donné que l’avocat de la défense n’était pas disponible pour procéder la semaine suivante, le procès a été reporté au 9 juin 2008, avec le consentement des deux parties.
[13] Les deux parties admettent que, entre le moment où la CACM a rendu sa décision et celui où les avocats ont débattu la présente demande devant la cour martiale, soit entre le 24 avril et le 9 juin 2008, l’accusé n’a jamais eu la possibilité de choisir le type de cour martiale par laquelle il voulait être jugé pour les accusations dont la présente cour martiale est saisie.
LA QUESTION EN LITIGE
A. La procédure
[14] La demande de l’accusé concerne précisément la situation que je viens tout juste d’exposer et qu’il a décrite dans sa demande comme le fait qu’il n’a pas pu exercer le droit que lui garantit la Constitution, plus précisément l’article 7 et l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), de choisir le type de procès qu’il souhaite avoir. En conséquence, il prétend que la présente cour martiale permanente n’a pas compétence pour le juger et il me demande, à titre de réparation, que je suspende l’instance en application du paragraphe 24(1) de la Charte.
[15] Avant de procéder à l’analyse, je dois déterminer le sens exact de la présente instance afin de trancher de manière appropriée la question de droit soulevée par l’accusé dans sa demande. Dans R. c. Caporal S.A. Strong, 2008 CM 3019, j’ai décidé, le 15 mai 2008, d’accueillir en partie la requête portant sur la même question de compétence que celle dont je suis saisi en l’espèce et j’ai mis fin aux procédures après que l’accusé eut fait connaître son intention de ne pas subir son procès devant la cour martiale disciplinaire que je présidais. Dans l’affaire Strong, la demande a été présentée avant le début de l’instruction devant la cour martiale disciplinaire, soit avant le dépôt du plaidoyer de l’accusé (voir la note relative à l’article 110.10 des ORFC pour savoir à quel moment débute le procès devant une cour martiale.
[16] Étant donné que j’estimais que la compétence de la cour était contestée et que l’accusé avait soulevé la question à titre de motif justifiant une fin de non‑recevoir conformément à l’alinéa 112.05(5)b) des ORFC, j’ai décidé que la question serait traitée, à ce stade de l’instance, comme une question de procédure seulement et qu’elle n’exigeait pas une analyse juridique de la violation possible des droits constitutionnels que l’article 7 et l’alinéa 11d) de la Charte garantissent à l’accusé, ni une analyse juridique de la nécessité que j’ordonne une suspension de l’instance en application du paragraphe 24(1) de la Charte.
[17] En d’autres termes, je devais décider, avant l’ouverture du procès, si la cour martiale disciplinaire que j’étais chargé de présider était la tribune compétente pour entendre l’affaire disciplinaire concernant le caporal Strong, étant donné que celui-ci n’avait pas choisi d’être jugé par ce type de cour. Conformément à la décision que la Cour d’appel de la cour martiale a rendue dans l’affaire Trepanier, susmentionnée, j’ai répondu par l’affirmative à cette question, pourvu que l’accusé choisisse d’être jugé par cette cour. Or, l’accusé m’a dit en toutes lettres qu’il ne voulait pas être jugé par cette cour. J’ai donc mis fin à l’instance.
[18] Dans la présente affaire, la demande est présentée après que l’accusé a plaidé non coupable aux accusations et après l’ouverture du procès devant la cour martiale. En fait, elle est formulée pendant que l’avocat de la poursuite présente sa preuve. En conséquence, en raison de l’étape de l’instance au cours de laquelle la demande est présentée, soit pendant le procès lui-même, la question que l’accusé a soulevée doit être examinée de manière différente. Comme la cour sait maintenant que l’accusé n’a pas choisi la cour martiale permanente, quelles sont les répercussions de ce fait sur la poursuite du procès, eu égard à la décision que la CACM a rendue dans Trepanier? Il ne s’agit pas simplement d’une question de procédure. Il s’agit d’une question fondamentale qui concerne l’équité, soit la mesure dans laquelle il est équitable que l’accusé soit jugé par la présente cour martiale alors qu’il est admis qu’il n’a jamais exprimé son intention en ce sens.
[19] Dans les circonstances, il est indéniable que la cour doit analyser le droit de l’accusé à un procès équitable, lequel droit est garanti par l’alinéa 11d) de la Charte. En conséquence, je dois procéder à une analyse juridique de la violation ou négation des droits constitutionnels que l’article 7 et l’alinéa 11d) de la Charte garantissent à l’accusé ainsi que de la nécessité que j’ordonne une suspension de l’instance, comme le demande l’accusé, conformément au paragraphe 24(1) de la Charte.
B. Les questions auxquelles le juge militaire doit répondre pour trancher le litige
[20] Ayant maintenant établi qu’une des questions de droit soulevées par la demande de l’accusé concerne le pouvoir de la présente cour martiale permanente de continuer à juger l’accusé malgré le fait que celui-ci n’a pas choisi ce type de procès et que cette question doit être tranchée à ce stade de l’instance dans le cadre d’une analyse fondée sur la Charte, je dois répondre à deux questions afin d’en arriver à ma décision sur ce point :
a. Le fait que l’ex-soldat Brisson n’a pas choisi le type de cour martiale par laquelle il est jugé, soit une cour martiale permanente, constitue-t-il une négation de son droit à un procès équitable que lui garantissent l’article 7 et l’alinéa 11d) de la Charte?
b. Si la réponse à la première question est affirmative, la suspension de l’instance par la cour, comme le demande l’accusé en l’espèce, constitue-t-elle la réparation convenable et juste dans les circonstances et, dans la négative, quelle est cette réparation?
ANALYSE
A. LE DROIT À UN PROCÈS ÉQUITABLE
[21] Des éléments comme la composition de la cour martiale et son pouvoir en matière de détermination de la peine peuvent influer sur la manière dont l’accusé entend présenter sa défense. La CACM a donc conclu, dans l’affaire Trepanier, qu’il appartient à l’accusé de choisir le type de cour martiale qui le jugera dans le système de justice militaire, étant donné que ce droit relève directement de son droit à un procès équitable que lui garantissent l’article 7 et l’alinéa 11d) de la Charte; en effet, le droit de choisir le juge des faits ou le mode de procès fait partie du principe de justice fondamentale que constitue le droit à une défense pleine et entière. Ce principe explique bien pourquoi la CACM a déclaré constitutionnellement invalide, dans cette même décision, l’article 165.14 de la LDN et le passage « conformément à la décision du directeur des poursuites militaires prise aux termes de l’article 165.14 » figurant dans le paragraphe 165.19(1) de la LDN et dans le paragraphe 111.02(1) des ORFC.
[22] En ce qui a trait aux cours martiales qui ont été convoquées avant la date de la décision que la CACM a rendue dans Trepanier, soit le 24 avril 2008, mais dont les procédures ont eu lieu après cette date, je suis d’avis, pour les raisons que j’ai exposées aux paragraphes 36 à 44 de la décision que j’ai rendue le 15 mai 2008 dans l’affaire Caporal Strong, que la sélection par les représentants du DPM, le 7 novembre 2005, d’une cour martiale permanente pour statuer sur les accusations figurant sur l’acte d’accusation dont la cour est saisie, et la convocation de ce type de cour martiale par l’ACM le 22 août 2006, sont toutes deux légales et valides.
[23] Cependant, comme la CACM n’a pas suspendu l’effet de sa déclaration d’invalidité dans l’affaire Trepanier, le pouvoir légal du DPM de déterminer le type de cour martiale devant juger un accusé et de donner des instructions à l’ACM sur cette question, qui a été maintenu en vigueur par l’application du principe de la validité de facto, est invalide depuis la date de la décision de la CACM, soit le 24 avril 2008. Cela signifie que, depuis cette date, il appartient à l’accusé assujetti au Code de discipline militaire de choisir le type de cour martiale par laquelle il sera jugé. En d’autres termes, chaque cour martiale tenue après le 24 avril 2008 doit appliquer la décision de la CACM sur cette question, y compris les cours martiales qui ont été convoquées avant cette date, quelle que soit l’étape de l’instance.
[24] Essentiellement, comme c’est le cas en matière pénale, depuis le 24 avril 2008, l’accusé sera jugé par la cour martiale qu’il choisira. En fait, depuis le 24 avril 2008 jusqu’à ce jour, l’ex-soldat Brisson s’est vu refuser la possibilité de choisir le type de cour martiale qui statuera sur les accusations figurant sur l’acte d’accusation dont la cour est saisie. En d’autres termes, il n’a jamais choisi d’être jugé par la présente cour martiale permanente. Compte tenu de la décision que la CACM a rendue dans l’affaire Trepanier et des remarques que je viens de formuler au sujet du droit de l’accusé de choisir le type de cour martiale qui le jugera, je suis d’avis que, étant donné qu’il a été privé de la possibilité de faire ce choix, y compris la possibilité de confirmer qu’il désire être jugé par la présente cour martiale permanente, l’ex-soldat Brisson s’est vu refuser le droit à un procès équitable que lui garantissent l’article 7 et l’alinéa 11d) de la Charte, et ce, pour toutes les accusations dont la cour est saisie en l’espèce.
[25] Dans l’affaire Trepanier, la CACM a examiné le droit de l’accusé de choisir le mode de procès uniquement du point de vue des infractions militaires visées à l’article 130 de la LDN. Il semble que la CACM ait laissé entendre que ces infractions, qui sont prévues au Code criminel, sont suffisamment graves pour obliger le système des cours martiales à donner à l’accusé la possibilité de choisir le type de cour martiale par laquelle il veut être jugé. La CACM n’a rien dit au sujet des infractions purement militaires qui sont prévues au Code de discipline militaire. Étant donné que, dans tous les cas d’infractions purement militaires, il est possible que la cour martiale prive l’accusé de sa liberté si elle le reconnaît coupable, je conclus que rien n’empêche le système des cours martiales de donner aussi à une personne accusée d’infractions d’ordre militaire qui ne sont pas punissables en vertu de l’article 130 de la LDN la possibilité de choisir le type de cour martiale par laquelle elle veut être jugée. En conséquence, la réponse à la première question formulée au paragraphe 20 de la présente décision est oui.
B. LA RÉPARATION CONVENABLE ET JUSTE DANS LES CIRCONSTANCES
[26] L’avocat de la défense m’a demandé de suspendre l’instance devant la présente cour martiale, si j’en venais à la conclusion que l’ex-soldat Brisson a été privé du droit à un procès équitable que lui reconnaissent l’article 7 et l’alinéa 11d) de la Charte. D’abord, la présente cour martiale permanente est un tribunal compétent pour accorder une réparation en application du paragraphe 24(1) de la Charte parce que, à ce stade de l’instance, elle a compétence sur l’intéressé et sur l’objet du litige et elle dispose du pouvoir d’accorder la réparation, selon le principe établi dans R. c. Hynes, [2001] 3 R.C.S. 623.
[27] En vertu du paragraphe 24(1) de la Charte, le tribunal peut accorder la réparation qu’il estime convenable et juste dans les circonstances. Pour ce faire, il doit exercer un pouvoir discrétionnaire fondé sur son appréciation prudente de la nature du droit et de la violation en cause sur les faits de l’affaire et sur l’application des principes juridiques pertinents. Le tribunal doit également être conscient de son rôle d’arbitre judiciaire et s’abstenir d’usurper les fonctions des autres branches du gouvernement dans le cadre des réparations qu’il accorde. Le rôle du tribunal variera en fonction du droit en cause et du contexte de chaque affaire.
[28] Il existe des facteurs généraux dont je dois tenir compte en évaluant le caractère convenable et juste d’une réparation potentielle. Comme la Cour suprême du Canada l’a mentionné aux paragraphes 52 à 59 de l’arrêt Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation) [2003] 3 R.C.S. 3, la réparation convenable et juste eu égard aux circonstances d’une demande fondée sur la Charte est celle qui permet de défendre utilement les droits et libertés du demandeur et qui fait appel à des moyens légitimes dans le cadre de notre démocratie constitutionnelle. Il s’agit d’une réparation judiciaire qui défend le droit en cause tout en mettant à contribution le rôle et les pouvoirs d’un tribunal. De plus, la réparation convenable et juste est équitable pour la partie visée par l’ordonnance. Étant donné que l’article 24 fait partie d’un régime constitutionnel de défense des droits et libertés fondamentaux consacrés dans la Charte, l’approche judiciaire en matière de réparation doit être souple et tenir compte des besoins en cause. La protection utile des droits garantis par la Charte et, en particulier, l’application de l’alinéa 11d) qui concerne le droit à un procès équitable en permettant à l’accusé de choisir le type de cour martiale peut donc commander, dans certains cas, des réparations d’un genre nouveau.
[29] En ce qui a trait à la suspension de l’instance que l’accusé a demandée relativement à toutes les accusations, il est vrai qu’il s’agirait d’une réparation utile pour lui. Comme je l’ai mentionné plus haut, étant donné que l’accusé n’a pas accordé à la cour le pouvoir de statuer sur les accusations, cette mesure permettrait d’éviter que la négation du droit de l’accusé se perpétue par la poursuite de l’instance sans qu’il soit interrogé sur le mode de procès qu’il veut. Elle tiendrait également compte des circonstances dans lesquelles le droit de l’accusé a été refusé, soit le fait que personne n’a pris la peine de lui demander, depuis le 24 avril 2008, devant quel type de cour martiale il désirait être jugé. De plus, cette réparation serait efficace pour lui, parce qu’elle mettrait fin à une procédure disciplinaire engagée devant un type de cour martiale qu’il n’a jamais choisi.
[30] Cependant, la suspension des procédures serait totalement inéquitable pour la partie visée par l’ordonnance, en l’occurrence, la poursuite, qui représente les intérêts du public, y compris les Forces canadiennes. Tel qu’il est mentionné au paragraphe 58 de l’arrêt Doucet-Boudreau, précité, cette réparation causerait « de grandes difficultés sans rapport avec la défense du droit ».
[31] Fondamentalement, elle aurait pour effet de mettre fin, pour toutes les cours martiales convoquées avant le 24 avril 2008, aux procédures dans le cadre desquelles le droit de choisir le type de cour martiale a été refusé à l’accusé, y compris les procédures engagées devant la présente cour martiale, et d’empêcher la poursuite de présenter les mêmes accusations devant un autre type de cour martiale. À mon avis, cette réparation irait beaucoup plus loin que permettre à l’accusé de choisir le type de cour martiale devant laquelle il veut être jugé. En réalité, cette réparation aurait pour effet de déconsidérer l’administration de la justice, parce qu’elle empêcherait le poursuivant d’exercer des poursuites à l’égard d’infractions disciplinaires et d’infractions militaires de nature pénale, comme celles dont il est question en l’espèce, soit le trafic, la possession et la consommation de drogues, au motif que l’intéressé s’est vu refuser le droit de choisir la tribune qui convient pour l’examen de la question.
[32] Eu égard à ce qui précède, quelle serait donc la réparation convenable et juste dans les circonstances? Étant donné que l’accusé se trouve devant une cour martiale permanente, il conviendrait à cette étape de l’instance que la cour lui demande s’il veut toujours être jugé par la présente cour martiale permanente. Ce faisant, la cour accordera une réparation utile qui tiendra compte des circonstances de la violation du droit de l’accusé à un procès équitable. Elle sera équitable envers la poursuite en lui donnant l’occasion d’envisager la possibilité de présenter les mêmes accusations devant un autre type de cour martiale conformément au choix que l’accusé aura fait, s’il décide de ne pas être jugé par la présente cour martiale permanente. Elle fera aussi appel à des moyens légitimes dans le cadre de notre démocratie constitutionnelle, parce qu’elle constitue une solution légitime que la CACM a envisagée dans la décision qu’elle a rendue dans l’affaire Trepanier et que cette approche existe déjà en matière pénale. Enfin, elle mettrait à contribution le rôle et les pouvoirs de la cour martiale, notamment le pouvoir d’exercer ses attributions conformément à l’article 179 de la LDN.
[33] Enfin, la cour fera preuve d’ouverture d’esprit, de souplesse et d’évolution en offrant à l’accusé la possibilité d’exercer, d’une manière convenable et juste, son droit de choisir le type de cour martiale malgré l’absence de mécanisme précis à ce sujet. Si l’accusé informe la présente cour martiale permanente qu’il veut être jugé par celle-ci, toutes les mesures qui ont été prises jusqu’à maintenant en l’espèce seront réputées valables et l’instance engagée devant elle se poursuivra. Si l’accusé refuse de répondre à la question ou qu’il informe la cour martiale permanente qu’il refuse d’être jugé par celle-ci, la cour n’aura d’autre choix que d’ordonner une suspension provisoire de l’instance à l’égard de toutes les accusations, jusqu’à ce que le directeur des poursuites militaires prononce la mise en accusation conformément au choix de l’accusé quant au type de cour martiale devant laquelle il désire être jugé et de mettre fin par conséquent à la présente instance.
Conclusion
[34] La demande fondée sur la Charte que l’accusé a présentée est accueillie à l’égard de toutes les accusations. Le fait que l’ex-soldat Brisson n’a jamais choisi d’être jugé par la présente cour martiale permanente constitue une négation du droit à un procès équitable que lui garantissent l’article 7 et l’alinéa 11d) de la Charte. À titre de réparation convenable et juste dans les circonstances, je demanderai à l’accusé s’il veut être jugé par la présente cour martiale permanente relativement aux accusations figurant sur l’acte d’accusation. S’il répond par la négative ou qu’il refuse de répondre à ma question, j’ordonnerai une suspension provisoire de l’instance relativement à toutes les accusations, laquelle suspension sera en vigueur jusqu’à ce que le directeur des poursuites militaires prononce la mise en accusation de l’accusé à l’égard des accusations figurant sur l’acte d’accusation dont la cour est saisie en l’espèce conformément au choix que celui-ci fera quant au type de cour martiale devant laquelle il veut être jugé, et mettra fin à la présente instance. Cependant, si la réponse de l’accusé est affirmative, la présente cour martiale permanente estimera que toutes les mesures prises jusqu’à maintenant depuis le début des procédures sont valables et poursuivra l’instance.
LIEUTENANT-COLONEL L-V. D'AUTEUIL, J.M.
AVOCATS :
Major B.J.A. McMahon, Direction des poursuites militaires
Procureur de Sa Majesté La Reine
Lieutenant-Colonel D.T. Sweet, Direction du service d’avocats de la défense
Avocat de l’ex-soldat J.S. Brisson