Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 12 février 2008.
Endroit : BFC Kingston, édifice E-37, pièce 221, Kingston (ON).
Chef d’accusation:
• Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, possession de substances (art. 4(1) LRCDAS).
Résultats:
• VERDICT : Chef d’accusation 1 : Non coupable.

Contenu de la décision

Référence  : R. c. ex-Caporal B.D. O'Toole, 2008 CM 3003

 

Dossier : 2007-32

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

CANADA

ONTARIO

BASE DES FORCES CANADIENNES KINGSTON

 

Date : le 14 février 2008

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL L.-V. D'AUTEUIL, J.M.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

c.

EX-CAPORAL B.D. O'TOOLE

(Accusé)

 

VERDICT

(Rendu de vive voix)

 

 

INTRODUCTION

 

[1]                                         Lex-Caporal OToole est accusé dune infraction punissable en vertu de larticle 130 de la Loi sur la défense nationale pour avoir été en possession de marijuana en violation du paragraphe 4(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

 

[2]                                         Les faits sur lesquels repose ce chef daccusation se rapportent à des événements qui se sont déroulés le 11 mai 2006 à la Base des Forces canadiennes de Kingston, dans lédifice B-77, « mod » 1, chambre D. Plus particulièrement, une quantité de marijuana a été saisie dans la chambre de laccusé alors quil se trouvait au travail, en vertu dun mandat de perquisition obtenu le même jour par la police militaire.

 

LA PREUVE

 

[3]                                         La preuve présentée devant cette cour se compose pour lessentiel des éléments suivants :

 


a. Les témoignages entendus au cours du procès, à savoir le témoignage de Mme Tera Lee Asselstine, du Caporal (à la retraite) Duncan et de Mme Tabitha Gosse;

 

b. Pièce 3, les admissions faites par laccusé par écrit conformément à lalinéa 37b) des Règles militaires de preuve;

 

c. Pièce 4, un DVD sur lequel est enregistrée la déclaration faite par laccusé au cours de linterrogatoire mené par lenquêteur de la police militaire le 7 juin 2006;

 

d. Pièce 5, le résultat du formulaire de dépistage des drogues en laboratoire obtenu à la suite du test durine auquel il sest soumis le 16 mai 2006.

 

LES FAITS

 

[4]                                         Au cours de la matinée du 11 mai 2006, un représentant du commissaire des incendies a procédé à linspection semestrielle du bâtiment B-77 situé au sein de la Base des Forces canadiennes de Kingston. Laccusé, lex-Caporal OToole, se trouvait alors être le seul occupant de la chambre D du « mod »1 dans lenceinte du même bâtiment.

 

[5]                                         Avant que linspection ait lieu, laccusé a quitté sa chambre sans en verrouiller la porte. En fait, il agissait de la sorte de manière systématique, en sachant que son amie de cœur, Mme Gosse, avait pris lhabitude depuis quelques mois de rentrer dans sa chambre afin de vérifier sil sétait levé assez tôt pour ne pas être en retard au travail. Selon les déclarations quil a faites à la police, il ne laurait pas vue ce matin-là. Daprès le témoignage de Mme Gosse, elle laurait vu quelques minutes le matin en question. En rentrant dans la pièce, elle la trouvé sur le point de sortir. Il voulait prendre un café chez Tim Hortons avant de se rendre au travail de bonne heure, ce qui explique pourquoi il était prêt à partir à cette heure-là. Il est donc parti en la laissant seule dans la pièce.

 

[6]                                         Au moment de lincident, Mme Gosse et lex-Caporal OToole se fréquentaient depuis près de deux ans. Même si elle vivait chez ses grands-parents, il nétait pas rare quelle séjourne et dorme dans sa chambre les fins de semaine et pendant les vacances. Pour cette raison, il nest donc pas surprenant quelle ait laissé certains de ses vêtements dans la commode. Ce matin-là, elle a changé de vêtements pour aller travailler chez Tim Hortons.

 


[7]                                         Elle a déclaré que ce nest quune fois dans la chambre de lex-Caporal OToole quelle a réalisé avoir laissé dans son sac à main deux sacs de marijuana. Elle a expliqué à la cour quen tant que consommatrice régulière depuis plusieurs années, il était normal quelle en ait sur elle. Elle a indiqué que la drogue avait été achetée plus tôt dans le courant de la semaine et quelle lavait partagée avec des amis la veille au soir. Elle avait malheureusement oublié de la mettre ailleurs.

 

[8]                                         Elle a déclaré devant la cour quelle était bien consciente du fait que lex-Caporal OToole ne pouvait avoir de rapport de quelque manière que ce soit avec la drogue, ou avec des gens qui en consommaient, parce que cela pouvait mettre en péril son statut de membre des Forces canadiennes. Cest la raison pour laquelle elle ne lui avait dit à aucun moment depuis le début de leur relation quelle-même en consommait.

 

[9]                                         Elle a expliqué à la cour quelle avait décidé ce matin-là de laisser la drogue avec le papier zigzag sur le bureau de la chambre de lex-Caporal OToole et quelle a déposé une pipe à côté, à un endroit dont elle ne pouvait se souvenir. En fait, elle a laissé la drogue à portée de vue, sans prêter égard aux conséquences de son geste, parce quelle était pressée de se rendre à son travail. Elle avait déjà reçu deux avertissements de retard, et le fait den recevoir un troisième aurait signifié pour elle un congédiement par son employeur. Elle a indiqué avoir verrouillé la porte et pensé quelle se débrouillerait pour récupérer la drogue avant que son petit ami retourne à sa chambre, même si elle navait aucune clé pour y accéder.

 

[10]                                     Plus tard dans la matinée, linspection incendie a eu lieu. Elle a pour lessentiel consisté en un contrôle des détecteurs de fumée situés dans les chambres. La préposée au nettoyage dans cet édifice, Mme Asseline, accompagnait le représentant du commissaire des incendies afin de lui permettre daccéder à chaque chambre du bâtiment. Pour ce faire, elle avait en sa possession une clé passe-partout.

 

[11]                                     En ouvrant la porte de la chambre de lex-Caporal OToole, elle a remarqué que la chambre était en désordre. Elle a également vu les deux sacs contenant selon elle de la drogue. Elle est sortie de la pièce et la police militaire a été contactée.

 

[12]                                     Le Caporal Duncan, un agent de la police militaire en service ce jour-là, sest rendu dans lédifice et a remarqué la présence de sacs contenant de la drogue sur le bureau. Il a donc appelé son collègue, qui a obtenu un mandat de perquisition. Plus tard dans le courant de la matinée, le mandat de perquisition a été exécuté et les deux sacs, dont le contenu a par la suite été formellement identifié comme étant de la marijuana, ont été saisis.

 

[13]                                     Lex-Caporal OToole a été interrogé le 7 juin 2006 par le Caporal Duncan relativement à cette affaire. Il a nié être le propriétaire de la drogue trouvée dans sa chambre et a déclaré ne jamais avoir consommé de drogue depuis quil a joint les Forces canadiennes en 2002. Lorsquil a été interrogé sur limplication de sa petite amie dans cette affaire en tant que propriétaire ou consommatrice de la drogue trouvée dans sa chambre, il a répondu quil navait aucun commentaire à faire à ce sujet.

 


[14]                                     Lex-Caporal OToole a été accusé dans le cadre de cette affaire en août 2006. Lincident en cause a été lune des raisons ayant motivé sa libération des Forces canadiennes en janvier 2007. Il a intenté un recours en réparation de son préjudice subi à la suite de son congédiement, lequel est toujours en instance.

 

[15]                                     Mme Gosse a fait savoir à la cour quil ny avait quune semaine quelle avait révélé à lex-Caporal OToole son implication quant à la drogue qui avait été saisie dans sa chambre le 11 mai 2006 et dont elle était lunique propriétaire. Elle a indiqué avoir gardé pour elle cette information, en pensant que le système judiciaire ne pourrait pas condamner un innocent. Depuis la libération de son petit ami des Forces canadiennes, ils vivent ensemble. Elle a indiqué que même sil avait été renvoyé des Forces canadiennes, elle pensait quil était préférable de préserver le secret de linformation quant à la propriété de la drogue parce quelle était convaincue quil en allait du bien-être de son petit ami.

 

 

LE DROIT APPLICABLE ET LES ÉLÉMENTS ESSENTIELS DES ACCUSATIONS

 

[16]                                     Le paragraphe 4(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances dispose ce qui suit :

 

   4. (1) Sauf dans les cas autorisés aux termes des règlements, la possession de toute substance inscrite aux annexes I, II ou III est interdite. 

 

[17]                                     Ainsi, il incombait à la poursuite de prouver les éléments essentiels suivants hors de tout doute raisonnable : la poursuite avait le fardeau de prouver lidentité de laccusé ainsi que la date et le lieu tels quinvoqués dans lacte daccusation. La poursuite devait en outre prouver les éléments suivants : la nature de la substance, en loccurrence de la marijuana, qui peut être trouvée à lannexe II de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, ainsi que la possession de la substance.

 

[18]                                     En ce qui concerne lélément essentiel de possession de la substance, la définition du terme « possession » est prévue à larticle 2 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Elle est ainsi formulée :

 

2. (1) ... « possession » Sentend au sens du paragraphe4(3) du Code criminel;

 

[19]                                     Ensuite, le paragraphe 4(3) du Code criminel dispose ce qui suit :

 

4. (3) Pour lapplication de la présente loi :

 


a) une personne est en possession dune chose lorsquelle la en sa possession personnelle ou que, sciemment :

 

(i) ou bien elle la en la possession ou garde réelle dune autre personne,

 

(ii) ou bien elle la en un lieu qui lui appartient ou non ou quelle occupe ou non, pour son propre usage ou avantage ou celui dune autre personne;

 

b) lorsquune de deux ou plusieurs personnes, au su et avec le consentement de lautre ou des autres, a une chose en sa garde ou possession, cette chose est censée en la garde et possession de toutes ces personnes et de chacune delles.

 

[20]                                     Cela signifie que pour prouver hors de tout doute raisonnable que laccusé avait la possession de la marijuana saisie dans sa chambre, le poursuivant devait prouver que lex-Caporal OToole était au courant de lexistence de la substance, quil avait offert son consentement et quil avait la garde de la substance.???

 

[21]                                     Avant que la cour expose son analyse juridique, il convient de traiter de la présomption dinnocence et de la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable, qui est inextricablement liée au principe fondamental de tous les procès pénaux. Ces principes sont évidemment très bien connus des avocats, mais dautres personnes dans la salle daudience peuvent ne pas les connaître aussi bien.

 

[22]                                     Il est juste de dire que la présomption dinnocence est peut-être le principe le plus fondamental de notre droit pénal, et le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable est un élément essentiel de la présomption dinnocence. Pour les questions qui relèvent du Code de discipline militaire, tout comme pour celles qui relèvent du droit criminel, toute personne accusée dune infraction criminelle est présumée innocente jusquà ce que la poursuite prouve quelle est coupable hors de tout doute raisonnable. Un accusé na pas à prouver son innocence. Cest à la poursuite quil incombe de prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments de linfraction.

 

[23]                                     La norme de la preuve hors de tout doute raisonnable ne sapplique pas à chacun des éléments de preuve, ou à chacune des preuves séparées, présentés à lappui de la thèse défendue par la poursuite, mais plutôt à lensemble de la preuve sur laquelle cette dernière se fonde pour établir la culpabilité de laccusé. Il incombe à la poursuite de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de laccusé. Ce fardeau de preuve nest jamais transféré à laccusé.

 


[24]                                     Le tribunal doit déclarer la personne non coupable sil subsiste un doute raisonnable quant à sa culpabilité, à la suite de lexamen de lensemble de la preuve. Lexpression « hors de tout doute raisonnable » est utilisée depuis très longtemps. Elle fait partie de notre histoire et des traditions de notre système de justice. Dans R. c. Lifchus (1997) 3 R.C.S. 320, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directives pour le doute raisonnable. Les principes décrits dans laffaire Lifchus ont été appliqués dans de nombreuses autres décisions de la Cour suprême et des tribunaux dappel. Essentiellement, un doute raisonnable nest pas un doute exagéré ou frivole. Il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou un préjugé. Il repose sur la raison et le bon sens. Cest un doute qui survient à la fin du procès et qui est fondé non seulement sur ce que la preuve révèle au tribunal mais également sur ce quelle ne lui révèle pas. Le fait quune personne ait été accusée nest pas une indication du fait quelle est coupable, et jajouterai que les seules accusations dont laccusé doit répondre sont celles qui figurent sur lacte daccusation présenté au tribunal.

 

[25]                                     Au paragraphe 242 de la décision R. c. Starr, (2000) 2 R.C.S. 144, la Cour suprême a statué ce qui suit :

 

[...] une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer quelle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités.

 

[26]                                     Par contre, il faut se rappeler quil est pratiquement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue. La partie poursuivante na pas à le faire. La certitude absolue est une norme de preuve qui nexiste pas en droit. La partie poursuivante na que le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de laccusé, en lespèce lex-Caporal OToole. Pour placer les choses en perspective, si le tribunal est convaincu que laccusé est probablement ou vraisemblablement coupable, il doit lacquitter car la preuve dune culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[27]                                     Mais quentend-on par « preuve »? La preuve peut consister en des témoignages sous serment ou des déclarations solennelles de personnes appelées à témoigner sur ce quelles ont vu ou fait. La preuve peut également comprendre des documents, des photographies, des cartes ou dautres éléments de preuve matérielle présentés par les témoins, des témoignages de témoins-experts, des admissions formelles de faits par la poursuite ou la défense et des éléments dont le tribunal prend connaissance doffice.

 

[28]                                     Il nest pas rare que des preuves présentées au tribunal soient contradictoires. Les témoins ont souvent des souvenirs différents dun événement. Le tribunal se doit de déterminer quel est le témoignage quil juge crédible.

 


[29]                                     La crédibilité nest pas synonyme de vérité et labsence de crédibilité nest pas synonyme de mensonge. Plusieurs facteurs sont à prendre en compte dans lévaluation par le tribunal de la crédibilité du témoignage dun témoin. Par exemple, le tribunal évaluera la possibilité quavait le témoin dobserver, les raisons quil a de se souvenir. Il se demandera, par exemple, si les événements valaient la peine dêtre notés, sils étaient inhabituels ou frappants, ou relativement sans importance et, par conséquent, à juste titre plus facile à oublier. Le témoin a-t-il un intérêt dans lissue du procès, autrement dit, a-t-il une raison pour favoriser la poursuite ou la défense, ou est-il impartial? Ce dernier facteur sapplique dune manière quelque peu différente à laccusé. Bien quil soit raisonnable de présumer que laccusé ait intérêt à se faire acquitter, la présomption dinnocence ne permet pas de conclure que laccusé mentira lorsquil décide de témoigner.

 

[30]                                     Un autre élément dans la détermination de la crédibilité dun témoin réside dans sa capacité apparente à se souvenir. Le comportement du témoin quand il témoigne est un facteur dont on peut se servir pour évaluer sa crédibilité : le témoin répondait-il aux questions, était-il honnête et franc dans ses réponses, ou évasif, hésitant? Argumente-t-il sans cesse? Finalement, son témoignage était-il cohérent en lui-même et compatible avec les faits qui nont pas été contestés?

 

[31]                                     Il peut y avoir de légères contradictions involontaires et elles ne signifient pas nécessairement que le témoignage devrait être écarté. Cependant, il en est autrement dans le cas dun mensonge délibéré. Cela est toujours grave et peut vicier le témoignage en tout ou en partie.

 

[32]                                     Le tribunal nest tenu daccepter le témoignage de personne à moins que celui-ci ne lui paraisse crédible. Cependant, il jugera un témoignage digne de foi à moins davoir une raison de ne pas le croire.

 

[33]                                     Après cet exposé sur la charge de la preuve et sur la norme de la preuve, jexaminerai maintenant les questions en litige dont est saisie la cour et traiterai des principes juridiques.

 

ANALYSE

 

[34]                                     Daprès la preuve qui lui a été présentée, la cour estime que la seule question en litige se rapporte à la possession de marijuana par laccusé. En dautres termes, lex-Caporal OToole était-il au courant de la situation, y avait-il consenti et avait-il la garde de la marijuana qui a été saisie dans sa chambre?

 

[35]                                     Tous les autres éléments essentiels, y compris la preuve de la nature de la drogue saisie, ont été établis hors de tout doute raisonnable par la poursuite, essentiellement au moyen des admissions faites par laccusé.

 

[36]                                     Afin de se prononcer sur la question de la possession, le tribunal doit dans un premier temps tirer certaines conclusions quant à la crédibilité des témoins, en raison de la nature de la preuve en lespèce.

 


[37]                                     Mme Asselstine a témoigné de façon calme et franche. Elle était totalement désintéressée par rapport à laffaire et elle a fourni des explications claires et cohérentes quant à la manière dont linspection de prévention des incendies a été menée et aux circonstances dans lesquelles elle a remarqué la présence de la drogue dans la chambre de laccusé. Son témoignage est crédible et fiable.

 

[38]                                     Le Caporal (à la retraite) Duncan a témoigné de manière claire et directe. Son témoignage était cohérent et empreint de respect, et il avait un très bon souvenir des événements concernant lexécution du mandat de perquisition et linterrogatoire de laccusé. Il sest contenté de décrire ce quil avait vu et entendu, ni plus, ni moins. Son témoignage est crédible et fiable.

 

[39]                                     Le témoignage de Mme Gosse comportait des contradictions et était quelque peu incohérent. Tout dabord, étant donné la très haute importance et lattention quelle a accordées lors de son témoignage au fait quelle savait que son petit ami ne pouvait en aucun cas être mêlé à une affaire de drogue en raison de son emploi, en particulier dans un contexte où elle en était elle-même consommatrice, fait quelle lui a caché depuis le début de leur relation jusquà la semaine dernière, il est très difficile de comprendre pour quelle raison elle aurait laissé une quantité de marijuana aussi importante que 19 grammes à portée de vue dans sa chambre. Il ne lui aurait fallu que quelques secondes pour cacher les deux sacs dans la commode de la chambre quelle avait à sa disposition pour ses propres besoins, ou encore ailleurs, et cela même si elle était pressée. En laissant la drogue à portée de vue, comme elle la affirmé, elle a pris le risque de mettre en jeu leur relation parce quil aurait pu découvrir de la sorte quelle consommait de la drogue et quil ne pouvait donc pas lui faire confiance. Surtout, comme elle la dailleurs souligné lors de son témoignage, les autorités des Forces canadiennes étaient également susceptibles de trouver la drogue dans la chambre de son petit ami et prendre en conséquence des mesures à son encontre, ce qui est arrivé dans les faits. Les mesures quelle soutient avoir prises à légard de la disposition de la drogue le 11 mai 2006 dans la chambre de son petit ami ne correspondent pas aux craintes quelle indique avoir eues quant au risque que lex-Caporal OToole soit associé à la drogue.

 

[40]                                     Ensuite, comme la mis en évidence le poursuivant dans sa plaidoirie, pourquoi aurait-elle laissé les deux sacs de drogue bien en vue avec le papier zigzag dans la chambre en y laissant à côté sa pipe? Elle a apporté cette réponse sans y avoir été invitée par lun ou lautre avocat au cours de son témoignage, et le tribunal ne comprend pas la raison dun tel comportement. Pourquoi ne pas avoir placé ses effets au même endroit si elle avait pour intention de revenir et de les récupérer plus tard? Cette question laissée sans réponse constitue un autre élément qui appuie le caractère incohérent de son histoire.

 


[41]                                     En outre, si son intention était de cacher sa consommation de drogue à son ami et de lui éviter dêtre associé à la drogue, pourquoi aurait-elle laissé bien en vue deux sacs de 19 grammes de marijuana et verrouillé la porte derrière elle, alors quelle nen navait pas la clé, en sen allant sans avoir de meilleure option que de revenir dans la pièce avant le retour de lex-Caporal OToole ce jour-là? Malheureusement pour elle, cette explication incroyable ne tient pas debout??? telle quelle a été présentée à la cour.

 

[42]                                     Enfin, le tribunal a beaucoup de difficulté à croire quaprès la mise en accusation de lex-Caporal OToole et sa libération des Forces canadiennes pour cette même affaire, elle soit parvenue à lui cacher jusquà la semaine dernière que la drogue saisie dans sa chambre le 11 mai 2006 était en réalité la sienne, et quelle en consommait régulièrement. En outre, en se replaçant dans le contexte de lincident, il est vraiment difficile de concevoir que cela ait pris presque deux ans avant quil ne lui demande si elle avait la moindre implication dans cette affaire, surtout si lon tient compte du fait quils entretenaient toujours une relation sérieuse et quelle lui a même exprimé le souhait de se marier avec lui.

 

[43]                                     Lensemble des raisons exposées ci-dessus donnent à penser que le témoignage de Mme Gosse manque de crédibilité et de fiabilité et doit être rejeté quant aux raisons pour lesquelles elle a laissé la drogue bien en vue dans la chambre de son petit ami et au contexte des événements. Cependant, la cour la croit lorsquelle affirme avoir été une consommatrice de marijuana régulière au moment où sest déroulé lincident, et quen conséquence, elle a peut-être apporté la drogue dans la chambre.

 

[44]                                     Au vu de lensemble de la preuve, la cour est convaincue, à partir des témoignages et des éléments de preuve circonstanciels présentés dans cette affaire, que la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable que la chambre D, au « mod 1 » de lédifice B-77, était sous la garde de lex-Caporal OToole. Il était le seul à disposer dune clé de sa chambre et à pouvoir en permettre laccès à ceux quil voulait, y compris sa petite amie. Il est évident pour le tribunal que si Mme Gosse voulait accéder à sa chambre, elle devait le lui faire savoir, de telle sorte quil laisse la porte déverrouillée ou quil laisse simplement la porte ouverte durant sa présence. Même sil existait une clé passe-partout détenue par la femme de ménage, il nexiste aucune preuve permettant détablir que cette personne ou que quelquun dautre ait pu laisser de la drogue dans sa chambre.

 

[45]                                     En ce qui a trait à lélément de connaissance et de consentement, la cour nest pas davis que la poursuite en ait établi la preuve hors de tout doute raisonnable. Aucune preuve directe na été produite par la poursuite au cours du procès quant à cet élément. Cependant, le poursuivant est parti du postulat quétant donné quil avait présenté une preuve circonstancielle suivant laquelle la chambre dans laquelle la drogue avait été saisie était celle de laccusé, que ce dernier était le seul occupant de cette chambre, et que la drogue avait été trouvée bien en vue, la cour devait en déduire que laccusé était au courant de la présence de la drogue dans sa chambre.

 


[46]                                     Cependant, est-ce donc la seule conclusion appropriée, logique et raisonnable que la cour peut tirer de ces preuves circonstancielles? La réponse est négative. Il est logique et raisonnable dinférer de façon satisfaisante des éléments de preuve circonstanciels acceptés par cette cour que la drogue a peut-être été laissée dans la chambre de laccusé lors du 11 mai 2006 à son insu et sans son consentement.

 

[47]                                     En se fondant sur la déclaration faite par laccusé à la police et le témoignage de Mme Gosse, il est logique den déduire que dans la matinée du 11 mai 2006, cette dernière a eu accès à la chambre de son petit ami et quelle y est demeurée un certain moment en labsence de laccusé. Il est probable quil ait eu connaissance du fait que sa petite amie consommait de la marijuana, comme le laisse entendre sa réponse à la police militaire, lorsquil a répondu « aucun commentaire » quant à limplication de sa petite amie relativement à la drogue. Savait-il que ce matin-là elle avait apporté de la drogue? Cela est probable, en tenant compte du fait quil savait probablement quelle en consommait. Était-il un consommateur de drogue, ce qui nous aiderait à expliquer la présence de la drogue dans sa chambre? Une fois encore, il nexiste aucune preuve à ce sujet. Était-il au courant du fait quelle avait laissé de la drogue ce matin-là et y avait-il consenti? En labsence dautre preuve, directe ou circonstancielle, il savère très difficile de répondre. Il est probable quelle nait pas été effrayée de laisser la drogue bien en vue dans sa chambre ce matin-là parce quelle savait que cela ne le contrarierait pas. Toutes ces questions et déductions auxquelles aucune réponse na été apportée appuient la conclusion logique, raisonnable et appropriée selon laquelle la marijuana a peut-être été laissée dans sa chambre ce matin-là sans son consentement éclairé.

 

[48]                                     La Cour nest pas en désaccord avec la position du poursuivant lorsquil prétend quil nest pas interdit à cette cour, comme cela a été déclaré dans la décision Re Chambers and The Queen, 20 C.C.C. (3d) 440 à la page 448, de [traduction]« tirer des conclusions appropriées de la preuve quune drogue interdite a été trouvée dans une chambre sous la garde de laccusé lorsquil est également possible dinférer de façon satisfaisante de cette preuve que laccusé était au courant de la présence de la drogue ». Cependant, à partir de la preuve qui a été soumise, il ne sagit pas de la seule conclusion logique, appropriée et raisonnable que cette cour peut tirer.

 

[49]                                     Par conséquent, à la lumière de lensemble de la preuve, la poursuite na pas prouvé, hors de tout doute raisonnable, tous les éléments essentiels de linfraction de possession de marijuana.

 

[50]                                     De plus, en tenant compte des conclusions de cette cour sur les éléments essentiels du paragraphe 4(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et de leur application aux faits de la présente cause, la cour considère que la poursuite ne s'est pas acquittée de son fardeau de preuve en établissant, hors de tout doute raisonnable, que laccusé était bien en possession de marijuana le 11 mai 2006.

 

DÉCISION


 

[51]                                     Ex-Caporal OToole, veuillez vous lever. Ex-Caporal OToole, la cour vous déclare non coupable de la première et unique inculpation figurant sur lacte daccusation.

 

 

LIEUTENANT-COLONEL L.-V. D'AUTEUIL, J.M.

 

Avocats :

 

Le Major A.M. Tamburro, Directeur des poursuites militaires, Ottawa

Procureur de Sa Majesté la Reine

Le Capitaine de corvette J.A. McMunagle, Service des avocats de la défense, Ottawa

Avocat de lex-Caporal B.D. O'Toole

 

 

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