Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 14 juin 2007.

Endroit : 6080 rue Young, 5e étage, salle d’audience, Halifax (NÉ) et BFC Greenwood, Greenwood (NÉ).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, possession de pornographie juvénile (art. 163.1(4) C. cr.).
•Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 130 LDN, accès à la pornographie juvénile (art. 163.1(4.1) C. cr.).
•Chef d’accusation 3 (subsidiaire au chef d’accusation 4) : Art. 130 LDN, possession de pornographie juvénile (art. 163.1(4) C. cr.).
•Chef d’accusation 4 (subsidiaire au chef d’accusation 3) : Art. 130 LDN, accès à la pornographie juvénile (art. 163.1(4.1) C. cr.).
•Chef d’accusation 5 (subsidiaire au chef d’accusation 6) : Art. 130 LDN, possession de pornographie juvénile (art. 163.1(4) C. cr.).
•Chef d’accusation 6 (subsidiaire au chef d’accusation 5) : Art. 130 LDN, accès à la pornographie juvénile (art. 163.1(4.1) C. cr.).
•Chef d’accusation 7 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2 : Retirés. Chefs d’accusation 3, 5 : Une suspension d’instance. Chefs d’accusation 4, 6, 7 : Coupable.
•SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 30 jours.

Contenu de la décision

Citation : R. c. maître de 1re classe J.R.G. Pelletier, 2008 CM 3002

 

Dossier :  2007-05

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

CANADA

NOUVELLE ECOSSE

BASE DES FORCES CANADIENNES GREENWOOD

 

Date :  5 février 2008

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL L.-V. D'AUTEUIL, J.M.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

(Poursuivante)

c.

MAÎTRE DE PREMIÈRE CLASSE J.R.G. PELLETIER

(Contrevenant)

 

 

SENTENCE

(Rendue oralement)

 

 

[1]                    Ex-maître de 1re classe Pelletier, la cour ayant accepté et enregistré

votre aveu de culpabilité sur les chefs daccusation 4, 6 et 7, la cour vous trouve maintenant coupable de ces chefs daccusation.  En conséquence, la cour ordonne larrêt des procédures concernant le 3e et le 5e chefs accusation.  En ce qui a trait au 1er et 2e chefs d'accusation, il convient de rappeler qu'ils ont fait l'objet d'un retrait par la poursuite, et ce, avant davouer votre culpabilité quant aux autres chefs dinfraction. 

 

[2]                    Le système de justice militaire constitue lultime recours pour faire

respecter la discipline, qui est une dimension essentielle de lactivité militaire dans les Forces canadiennes.  Le but de ce système est de prévenir toute inconduite, ou de façon plus positive, de veiller à promouvoir la bonne conduite.  Cest au moyen de la discipline que les Forces armées sassurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès, en toute confiance et fiabilité.

 

[3]                    Comme le déclare le major Jean-Bruno Cloutier dans sa thèse intitulée

Lutilisation de larticle 129 de la Loi sur la défense nationale dans le système de justice militaire canadien:

 


« En bout de ligne, pour promouvoir au maximum les chances de succès de la mission, la chaîne de commandement doit être en mesure d'administrer la discipline afin de contrôler les inconduites qui mettent en péril le bon ordre, l'efficacité militaire et finalement la raison d'être de l'organisation, la sécurité nationale. »

 

Le système de justice militaire voit aussi au maintien de lordre public et sassure que les personnes justiciables du code de discipline militaire sont punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

 

[4]                    Il est reconnu depuis longtemps que le but dun système distinct de

tribunaux militaires est de permettre aux Forces canadiennes de soccuper des questions qui touchent au code de discipline militaire et au maintien de lefficacité et du moral des troupes.  Cela dit, toute peine infligée par un tribunal, quil soit civil ou militaire, doit représenter lintervention minimale requise dans les circonstances.  Ce principe est conforme au devoir du tribunal dinfliger une peine proportionnée à la gravité de linfraction et aux antécédents du contrevenant, comme le prévoit l'alinéa 112.48(2)b) des ORFC.

 

[5]                    Dans le cas qui nous occupe, le procureur de la poursuite et lavocat de la

défense ont présenté une suggestion commune sur la peine. Ils ont recommandé que la cour vous condamne à 30 jours demprisonnement.  La cour martiale nest pas liée par cette recommandation.  Il est toutefois de jurisprudence constante que seuls des motifs incontournables peuvent lui permettre de s'en écarter.  Il est aussi généralement reconnu quelle ne devrait agir ainsi que lorsquil serait contraire à lintérêt public de laccepter et que cela aurait pour effet de déconsidérer ladministration de la justice.

 

[6]                    Il est aussi important de réitérer le fait, comme je lai déjà mentionné lors de mes explications de linfraction daccès à la pornographie juvénile dans le cadre de lacceptation de votre aveu de culpabilité, que les dispositions actuelles du Code criminel prévoyant limposition dune peine minimale demprisonnement de 45 jours pour linfraction daccès à la pornographie juvénile, ne sont pas applicables aux circonstances de cette cause car la commission des infractions reprochées est survenue avant lentrée en vigueur de ces dispositions.

 

[7]                    La cour a pris en considération les recommandations respectives des

avocats en fonction des faits pertinents, tels quils se dégagent du sommaire des circonstances, et de leur importance.  Elle a également examiné ces recommandations en fonction des principes de la détermination de la peine, notamment ceux qui sont énoncés aux articles 718, 718.1 et 718.2 du Code criminel dans la mesure où ils ne sont pas incompatibles avec le régime des peines prévu sous le régime de la Loi sur la défense nationale.  Ces principes sont les suivants :

 


premièrement, la protection du public et le public comprend, en loccurrence, les intérêts des Forces canadiennes ;

 

deuxièmement, la punition du contrevenant ;

 

troisièmement, leffet dissuasif de la peine, non seulement sur le contrevenant, mais aussi sur toute personne qui pourrait être tentée de commettre de telles infractions ;

 

quatrièmement, lisolement, au besoin, des délinquants du reste de la société, y compris des membres des Forces canadiennes ;

 

cinquièmement, limposition de peines semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables ; et

 

sixièmement, la réhabilitation et la réinsertion du contrevenant. 

 

Le tribunal a également tenu compte des arguments avancés par les avocats, notamment la jurisprudence quils ont produit et les documents quils ont déposés en preuve.

 

[8]                    La cour convient avec le procureur de la poursuite que la nécessité de

protéger le public exige dinfliger une peine qui met laccent sur la punition et la dénonciation, ainsi que sur leffet dissuasif, spécifique et général.  Il est important de retenir que celle-ci implique que la peine infligée devrait non seulement dissuader le contrevenant de récidiver, mais aussi dissuader toute autre personne qui se trouve dans une situation analogue de se livrer aux mêmes actes illicites.  En lespèce, la cour est saisie de deux infractions daccès à la pornographie juvénile et dune infraction dutilisation non autorisée et interdite du réseau électronique et dordinateurs des Forces canadiennes pour ces mêmes fins, le tout commis essentiellement à partir des lieux de travail.  Il sagit dinfractions sérieuses dans les circonstances, mais la cour a lintention dinfliger ce quelle considère être la peine minimale applicable.

 

[9]                    En 1991, le Canada a ratifié la Convention relative aux droits de lenfant


des Nations Unies, sengageant, entre autres choses, à protéger les enfants contre toutes les formes d'exploitation sexuelle et de violence sexuelle.  En 1993, faisant écho à cet engagement, le Canada introduisait dans le Code criminel un régime complet de répression de la pornographie juvénile à tous les niveaux : production, distribution, et possession.  En 2002, le Code criminel a été amendé de nouveau afin dinclure le sujet de laccès à un tel matériel.  Essentiellement, tel quexpliqué par les juges de la Cour suprême du Canada dans larrêt R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, ces mesures ont pour but de protéger des membres parmi les plus vulnérables de la société canadienne, soit les enfants, des sévices et de lexploitation liés à la pornographie juvénile.  Ces mesures législatives sont aussi en lien direct avec le maintien et la protection des valeurs de notre société canadienne que sont la dignité et le respect des individus.

 

[10]                  Il est généralement reconnu que laccès à Internet à favoriser lexplosion

de la production et de la distribution de matériel pornographique juvénile au cours des dernières années.  Tel que mentionné par la juge en chef  McLachlin dans la décision de Sharpe au paragraphe 28, la possession, et par le fait même laccès à de la pornographie juvénile, contribue à stimuler ceux qui voient à sa distribution et sa production, perpétuant ainsi lexploitation denfants.

 

[11]                  Létude des décisions des divers tribunaux au Canada, incluant la cour

martiale, démontre clairement que face à ce genre dinfraction, une période demprisonnement est souvent imposée comme sentence.  La cour considère quil ny a pas lieu, dans les circonstances de cette cause, dadopter une approche différente.

 

[12]                  Il est aussi intéressant de souligner que laccès au réseau Internet,

devenant de plus en plus courant au sein des Forces canadiennes, la politique sur son usage légitime, publiée initialement en 1999, a fait lobjet dune refonte majeure en 2003 afin de clarifier les concepts dutilisation autorisée, non autorisée et interdite lorsquun militaire des Forces canadiennes utilisait les ordinateurs et les réseaux électroniques dans le cadre de son travail.

 

[13]                  Cest dans ce contexte que pour en arriver à ce quelle croit être une

peine juste et appropriée, la cour a également pris en compte les circonstances aggravantes et les circonstances atténuantes suivantes.

 

[14]                  La cour considère comme aggravants les facteurs suivants :

 

a.     Premièrement, la gravité objective des infractions.  Vous avez été trouvé coupable de deux infractions aux termes de larticle 130 de la Loi sur la Défense nationale, pour avoir eu accès à de la pornographie juvénile contrairement à larticle 163.1(4.1) du Code criminel.  Cette infraction spécifique comporte un emprisonnement maximal de cinq ans ou une peine moindre.  Il sagit dune infraction objectivement grave.  Vous avez été aussi trouvé coupable dune infraction aux termes de larticle 129 de la Loi sur la Défense nationale pour un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline concernant un usage non autorisé et interdit du réseau électronique et dordinateurs des Forces canadiennes.  Cette infraction est passible au maximum de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté ou dune peine moindre.

 


b.    Deuxièmement, la gravité subjective de linfraction.  La nature et la quantité des images auxquelles le contrevenant a accédées.  Il appert que les images auxquelles vous avez accédées par Internet sont uniquement des photos.  Ces photos ont été décrites à la cour comme étant des images représentant des enfants pré-pubères et pubères exposant leurs organes génitaux ou se livrant à des actes sexuels tels que des fellations ou des gestes de masturbation sur des adultes masculins ou encore des adultes de sexe masculin se livrant à des pénétrations vaginales et anales à lendroit denfants.  Toujours selon la preuve, vous avez accédé à un total de 173 images de cette nature, ce qui représente une quantité substantielle.  Dautres part, vous avez aussi fait usage dun ordinateur des Forces canadiennes afin daccéder à des images qui avaient comme principal objet de la pornographie qui ne rencontrait pas la définition de pornographie juvénile.  Vous avez eu accès à 146 images de cette nature, ce qui représentent aussi une quantité appréciable.

 

c.    Vous avez commis ces infractions avec une forme de préméditation, en ce que vous avez délibérément cherché ces images, comme en fait foi le sommaire des circonstances, en utilisant un moteur de recherche.

 

d.    Vous avez volontairement utilisé trois ordinateurs portables des Forces canadiennes qui sont des biens publics, dont un qui était utilisé par un de vos subalternes, ainsi que les réseaux électroniques dans votre milieu de travail, soit un mess, en faisant un usage non autorisé et interdit de ces équipements, règle qui était pourtant bien connue de vous.

 

e.    Votre grade, maître de 1re classe, votre âge et votre expérience, faisaient en sorte que les attentes quant à votre comportement étaient des plus élevées.  Votre niveau de connaissance et dexpérience aurait dû vous indiquer clairement quun tel comportement était tout à fait innapproprié dans les circonstances.  Vous avez fait preuve dinsouciance et dun manque total de jugement. 

 

[15]                  La cour considère comme atténuants les facteurs suivants :

 

a.    Par votre plaidoyer de culpabilité, vous témoignez manifestement de vos remords et de votre sincérité dans votre intention de continuer à représenter un actif très solide pour la société canadienne.  La cour ne voudrait en aucune façon compromettre vos chances de succès car la réhabilitation constitue toujours un élément clé dans la détermination de la peine dun contrevenant.

 


b.    Le fait que vous nayez aucune fiche de conduite ni de dossier criminel.

 

c.    Le fait quil sagisse davoir accédé à de la pornographie juvénile, ce qui, en soi, est objectivement moins grave que la production ou la distribution dun tel matériel.  De plus, malgré que cette infraction comporte intrinsèquement une forme de violence, il appert que les images auxquelles vous avez accédées ne comportent aucun autre geste additionnel de violence.  De plus, laccès à ces images a été limité à une courte période temps, soit environ deux semaines.

 

d.    Vos excellents états de service au sein des Forces canadiennes.  Tous les rapports introduits devant cette cour démontrent clairement que sur le plan professionnel, vous aviez le potentiel nécessaire pour accéder à des grades supérieurs en raison des qualités que vous aviez démontrées.

 

e.    Lalinéa 112.48(2)a) des ORFC oblige la cour à tenir compte des conséquences indirectes quaura pour vous sa sentence.  En outre, le fait que votre excellente carrière militaire ait été ternie par la commission de ces infractions au point où elle a fait lobjet dune révision administrative et que les Forces canadiennes y ont mis fin en vous libérant sous le motif 5(f) parce que vous étiez considéré inapte à continuer votre service militaire, constitue un facteur atténuant qui doit être considéré.

 

f.    Le fait quil ny a aucun signe apparent de pédophilie et que vous ne posiez aucun risque sérieux de récidive doit être sérieusement considéré.  Depuis que lenquête a débuté en octobre 2005, il apparaît clairement de la preuve que votre attitude a changé en ce qui a trait à la résolution de ce problème qui vous a causé tant de mal, autant sur le plan personnel que professionnel.  Votre démarche personnelle en recourant volontairement à un psychothérapeute spécialisé en la matière, à vos frais, démontre clairement votre volonté de contrôler le mieux possible la source de tous vos maux.  La cour ne peut que vous encourager à continuer en ce sens.

 

g.    Le fait que vous ayez un domicile fixe depuis votre libération des Forces canadiennes et que vous êtes actif sur le marché de lemploi.

 


[16]                  En dernier lieu, ex-Maître de 1re classe Pelletier, jaimerais souligner le fait que la cour a noté que vous avez décidé dutiliser avantageusement le temps que cette cause a pris à se régler afin de refaire votre vie personnelle sur des bases solides.  Je ne peux que vous encourager à continuer à agir en ce sens.  Ceci démontre aussi que vous avez su conserver et appliquer à vous-même certaines des qualités qui avaient été identifiées par vos superviseurs au sein des Forces canadiennes et qui vous avaient permis datteindre votre statut de sous-officier supérieur.  Ceci dit, vous comprendrez très bien quune peine équitable et juste doit tenir compte, à la fois, de la gravité des infractions que vous avez commises et de votre responsabilité dans le contexte précis de cette cause.

 

[17]                  La cour estime que la suggestion commune nest pas déraisonnable dans

les circonstances.  En conséquence, elle acceptera la recommandation des avocats de vous condamner à un emprisonnement de 30 jours, étant donné que cette peine nest pas contraire à lintérêt public et quelle nest pas de nature à déconsidérer ladministration de la justice.

 

[18]                  Ex-maître de 1re classe Pelletier, levez-vous.  La cour vous condamne donc à un emprisonnement pour une période de 30 jours.

 

 

 

                                             LE LIEUTENANT-COLONEL L.-V. D'AUTEUIL, J.M.

 

Avocats :

 

Le capitaine de corvette M. Raymond, Procureur militaire régional, Région de lEst

Avocat de la poursuivante

 

Major L. DUrbano, Direction du service davocats de la défense

Avocate du maître de 1re classe J.R.G. Pelletier

 

 

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