Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 24 février 2004.
Endroit : 720 avenue Lawrence, Kelowna (CB).
Chefs d’accusation:
• Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.).Chef d’accusation 2 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
Résultats:
• VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2 : Non coupable.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R c sergent B.E.D. Parson, 2004 CM 54

 

                                                                                                                 Date :  20040520

                                                                                                                Dossier :  200454

 

                                                                                                    Cour martiale permanente

 

                                                                                                         720, avenue Lawrence

                                                                         Kelowna (Colombie-Britannique), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Sergent B.E.D Parson, accusé

 

 

Devant : Lieutenant-colonel M. Dutil, JM


 

RESTRICTION À LA PUBLICATION : Aux termes d’une ordonnance prononcée par la cour en vertu de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale et de l’article 486.4 du Code criminel, la cour a rendu une ordonnance interdisant de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de la personne désignée dans le présent jugement comme étant la plaignante.


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Oralement)

 

[1]        Le Sergent Parson est accusé de deux infractions. La première accusation a été portée en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale : elle porte sur une l’infraction d’agression sexuelle prévue à l’article 271 du Code criminel. La seconde accusation a été portée en vertu de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale, en l’occurrence, conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline, et plus précisément, harcèlement au sens de la DOAD 5012‑0, intitulée « Prévention et résolution du harcèlement », qui est une ordonnance qui s’applique aux membres des Forces canadiennes.

 

[2]        Il est allégué, plus particulièrement, dans les deux chefs d’accusation en question que les infractions reprochées ont été commises le 1er décembre 2002, ou vers cette date, au manège militaire Brigadier Murphy, à Vernon (Colombie‑Britannique) ou près de cet endroit. Les deux infractions auraient été commises sur la personne de la Soldate R.H. et je rappelle à tous ceux qui sont présents ici qu’une ordonnance interdisant la publication au sujet de son identité a été prononcée à l’ouverture de la présente instance.

 

[3]        Je vais donc commencer en expliquant la présomption d’innocence et la norme de preuve hors de tout doute raisonnable, une norme indissociable du principe de la présomption d’innocence, lequel est à la base de tout procès criminel. Les avocats connaissent bien ces principes, mais les autres personnes présentes dans la salle d’audience peut‑être un peu moins. On peut affirmer à juste titre que la présomption d’innocence constitue sans doute le principe fondamental par excellence de notre droit pénal. Dans les affaires relevant du Code de discipline militaire, comme dans celles relevant du droit pénal, quiconque est accusé d’une infraction criminelle est présumé innocent jusqu’à ce que la poursuite ait prouvé sa culpabilité, et cela, hors de tout doute raisonnable.

 

[4]        L’accusé n’a rien à prouver. Il n’a pas à faire la preuve de son innocence. Il incombe à la poursuite de prouver hors de tout doute raisonnable chaque élément constitutif de l’infraction. La norme de la preuve hors de tout doute raisonnable ne s’applique pas à chacun des éléments de preuve ou aux différentes parties de la preuve présentés par la poursuite, mais plutôt à l’ensemble de la preuve sur laquelle cette dernière s’appuie pour établir la culpabilité de l’accusé. Le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité d’un accusé incombe à la poursuite, jamais à l’accusé. Le tribunal doit déclarer l’accusé non coupable s’il a un doute raisonnable quant à sa culpabilité après avoir considéré l’ensemble de la preuve. L’expression « hors de tout doute raisonnable » est employée depuis très longtemps. Elle fait partie de notre histoire et de nos traditions juridiques.

 

[5]        Dans l’arrêt R c Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directives au sujet du doute raisonnable. Les principes énoncés dans l’arrêt Lifchus ont été appliqués dans plusieurs arrêts de la Cour suprême et décisions ultérieures de juridictions d’appel. Essentiellement, un doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou frivole. Il ne doit pas reposer sur la sympathie ou sur un préjugé. Le doute doit reposer sur la raison et le bon sens. Il s’agit d’un doute qui découle logiquement de la preuve ou d’une absence de preuve. L’accusation portée contre un individu ne préjuge en rien de sa culpabilité, et j’ajouterai que les seules accusations dont doit répondre un accusé sont celles qui figurent sur l’acte d’accusation déposé au tribunal.

 

[6]        Qu’entend-on par preuve? La preuve peut comprendre des témoignages sous serment ou des déclarations solennelles faits devant le tribunal par des personnes appelées à témoigner sur ce qu’elles ont vu ou fait. Cela pourrait être des documents, des photographies, des cartes ou d’autres objets présentés par les témoins. Il peut s’agir aussi de témoignages de témoins experts et, enfin, d’aveux judiciaires sur des questions de fait, soit par la poursuite, soit par la défense, et de faits dont la cour peut prendre connaissance d’office.

 

[7]        Il n’est pas rare que certains des éléments de preuve soumis au tribunal se contredisent. Les témoins ont souvent des souvenirs différents des faits. La cour doit déterminer quels éléments de preuve sont crédibles. La crédibilité n’est pas synonyme de vérité et l’absence de crédibilité n’est pas synonyme de mensonge. De nombreux facteurs entrent en jeu lorsqu’il s’agit pour le tribunal d’apprécier la crédibilité d’un témoin. Par exemple, il peut être utile pour le juge qui siège seul ou pour le jury de se poser les questions suivantes : le témoin semble‑t‑il honnête? Y a‑t‑il une raison pour laquelle ce témoin ne dirait pas la vérité? Le témoin a‑t‑il un intérêt en ce qui concerne l’issue de l’affaire ou une raison de donner un témoignage qui favorise davantage une partie plutôt que l’autre? Ce dernier facteur s’applique de façon quelque peu différente dans le cas de l’accusé, bien qu’il soit raisonnable de supposer que l’accusé soit intéressé à obtenir son acquittement. La présomption d’innocence ne permet pas de conclure que l’accusé mentira s’il choisit de témoigner. Le témoin était‑il en mesure de faire des observations exactes et complètes au sujet des faits? A‑t‑il eu une bonne occasion de faire de telles observations? Dans quelles circonstances les observations ont‑elles été faites? Dans quel état se trouvait le témoin? L’événement lui‑même était‑il inusité ou courant? Le témoin semble‑t‑il avoir une bonne mémoire? Le témoin a‑t‑il des raisons de se souvenir des faits au sujet desquels il témoigne? L’incapacité ou la difficulté du témoin à se souvenir de certains faits est‑elle authentique ou semble‑t‑il ne s’agir que d’une excuse pour éviter de répondre aux questions? Le témoin semble‑t‑il relater au tribunal ce qu’il a vu ou entendu ou ne fait‑il que reconstituer les faits à partir des renseignements qu’il a obtenus d’autres sources plutôt qu’à partir de ce qu’il a observé personnellement? Le témoignage du témoin semble‑t‑il raisonnable et cohérent? Son témoignage est‑il semblable ou différent de celui donné par d’autres témoins sur les mêmes faits? Le témoin a‑t‑il dit ou fait quelque chose de différent auparavant? Les incohérences relevées dans le témoignage rendent-elles les principaux éléments de son témoignage plus ou moins fiables ou dignes de foi? Les incohérences relevées sont‑elles importantes ou négligeables? Semble‑t‑il qu’il s’agit‑il d’une erreur commise de bonne foi? S’agit‑il plutôt d’un mensonge délibéré? S’agit-il d’une omission ou d’une contradiction avec une déclaration antérieure? Y a-t-il une explication à ce sujet? L’explication est-elle logique? Comment s’est comporté le témoin à la barre?

 

[8]        Ce facteur doit toutefois être évalué attentivement. Comme on peut le comprendre, les apparences sont souvent trompeuses. Témoigner au procès n’est pas une expérience habituelle pour de nombreuses personnes. Les gens réagissent et se comportent différemment les uns les autres. Les témoins proviennent d’horizons différents. Ils ont des aptitudes, des valeurs et des expériences de vie différentes. Il y a simplement trop de variables pour que la façon dont un témoin se comporte à la barre soit l’unique facteur ou le facteur le plus important dans la décision du tribunal. C’est une des raisons pour laquelle le comportement du témoin doit être évalué à la lumière de l’ensemble de la preuve. La cour n’est pas tenue d’accepter le témoignage d’une personne, à moins que ce témoignage ne lui paraisse crédible. Cependant, elle jugera un témoignage digne de foi à moins d’avoir une raison de ne pas le croire.

 

[9]        Dans l’arrêt R c Starr, [2000] 2 R.C.S. 144, et plus précisément, au paragraphe 242, la Cour suprême du Canada a déclaré qu’« une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu’elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités ». En revanche, il faut se rappeler qu’il est presque impossible d’apporter une preuve conduisant à une certitude absolue et que la poursuite n’a pas d’obligation en ce sens. La certitude absolue n’est pas une norme de preuve en droit. La poursuite n’a que le fardeau de prouver la culpabilité de l’accusé, en l’espèce le Sergent Parson, hors de tout doute raisonnable. Pour placer les choses en perspective, si la cour est convaincue que l’accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, elle doit l’acquitter, car la preuve de culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable. Le nombre de témoins qui témoignent pour une partie ou pour l’autre n’a aucune incidence sur le nombre de témoignages auxquels la cour ajoutera foi ou sur lesquels elle se fondera.

 

[10]      Comme je l’ai dit plus tôt, l’approche appropriée en matière de preuve consiste à analyser la preuve dans son ensemble et non chacun de ses éléments constitutifs de façon isolée. Ainsi que les deux avocats l’ont affirmé, il est essentiel de confronter les déclarations des témoins à l’ensemble de la preuve pour pouvoir se prononcer sur leur crédibilité et leur fiabilité. Dans la présente affaire, l’accusé a choisi de témoigner. Il est juste de dire que sa version des événements contredit sous des aspects importants les témoignages entendus de la part d’autres témoins et que sa version contredit complètement le témoignage de la présumée victime, la Soldate R.H. sur le sujet en cause, c’est‑à‑dire, l’agression sexuelle et le harcèlement qui auraient eu lieu dans le lit qu’ils ont partagé tous les deux pendant une période de temps indéterminée au cours de la nuit en question dans le casernement.

 

[11]      Le témoignage donné par les personnes appelées à la barre par le procureur de la poursuite est également différent, ou du moins révèle d’importantes divergences sur des détails importants et pertinents, lorsqu’on l’examine à la lumière de l’ensemble de la preuve présentée au procès. Comme le principe du doute raisonnable s’applique aussi à la question de la crédibilité, la cour n’est pas tenue de se prononcer de manière définitive sur la crédibilité d’un témoin ou d’un groupe de témoins, pas plus qu’elle n’est tenue d’accorder foi à un témoin ou à un groupe de témoins.

 

[12]      Ainsi que l’avocat l’a expliqué, la méthode à suivre pour apprécier la crédibilité, en ce qu’elle se rapporte à la question du doute raisonnable, a été suggérée par le juge Cory dans l’arrêt R c W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742, à la page 758, et je cite :

 

Premièrement, si vous croyez la déposition de l’accusé, manifestement vous devez prononcer l’acquittement.

 

Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l’accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l’acquittement.

 

Troisièmement, même si vous n’avez pas de doute à la suite de la déposition de l’accusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de l’accusé.

 

[13]      Au cours des dernières années, la Cour suprême et diverses juridictions d’appel, dont la cour d’appel de la cour martiale dans l’arrêt Matelot de 2e classe Bernier c R, référence neutre 2003 CACM 3, ont exprimé l’opinion que le principe posé dans l’arrêt W.(D.) n’est pas une formule magique qu’il suffit au juge de première instance d’invoquer pour éviter l’intervention de la cour d’appel, mais que l’arrêt W.(D.) explique en quoi l’appréciation de la crédibilité porte sur la question du doute raisonnable.

 

[14]      Le juge ne doit pas se contenter de choisir l’une des différentes versions, puis prononcer une condamnation s’il préfère la version du plaignant. L’arrêt W.(D.) nous rappelle que la cour n’a pas à trancher la vaste question des faits, de ce qui s’est passé. Le rôle du juge est plus limité : il consiste à se demander si les éléments essentiels d’un chef d’accusation ont été prouvés hors de tout doute raisonnable, puis à se prononcer sur ces éléments. La question fondamentale que se pose le juge n’est pas de savoir s’il accorde partiellement ou totalement foi aux déclarations de l’accusé ou à celles du plaignant. Dans un procès criminel, la question n’est en fin de compte pas une question de crédibilité, mais de doute raisonnable. Si elle a un doute raisonnable au sujet de la culpabilité du Sergent Parson en raison de la crédibilité des témoins, la cour doit l’acquitter.

 

[15]      Dans les affaires comme la présente, où la crédibilité joue un rôle important et où l’accusé témoigne pour son propre compte, la loi exige que la cour aborde la question en suivant la démarche suivante :

 

d’abord, si elle croit le Sergent Parson lorsqu’il affirme qu’il n’a pas commis l’infraction, la cour doit le déclarer non coupable;

 

en deuxième lieu, même lorsque la cour ne croit pas le témoignage du Sergent Parson, si le témoignage sème un doute raisonnable dans son esprit quant à sa culpabilité ou en ce qui concerne un élément essentiel de l’infraction reprochée, la cour doit le déclarer non coupable de l’infraction;

 

en troisième lieu, si la cour ne sait qui croire, cela signifie que la cour a un doute raisonnable et elle doit déclarer le Sergent Parson non coupable;

 

enfin, même si le témoignage du Sergent Parson ne soulève pas de doute raisonnable en ce qui a trait à sa culpabilité ou au sujet d’un élément essentiel de l’infraction reprochée, si, même après avoir examiné tous les éléments de preuve qu’elle a acceptés, la cour n’est pas convaincue hors de tout doute raisonnable de sa culpabilité, elle doit prononcer l’acquittement.

 

[16]      Après avoir dûment tenu compte de la norme et de la norme de preuve applicables, je vais maintenant examiner les faits de la présente affaire tels qu’ils sont révélés par la preuve soumise à notre Cour.

 

[17]      La preuve soumise à la cour consiste en les témoignages de la Soldate R.H., la plaignante en l’espèce, du Caporal Barber, du Capitaine Stecyk, ou du moins de la partie du témoignage de ce dernier qui a été entendu dans le cadre d’un voir dire lors du procès, le témoignage du Sergent Parson, le témoignage de M. Mike Illingby, le témoignage du Caporal Neid, le témoignage de l’Adjudante Carbonell (à la retraite), et le témoignage de l’agente White, de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC).

 

[18]      La preuve est également constituée des diverses pièces qui ont été versées au dossier soumis à la cour. La pièce 3 est une admission faite par le Sergent Parson qui a été consignée par écrit et qui a été déposée devant la cour. En voici le contenu :

 

[traduction

Le 30 novembre et le 1er décembre 2002, le Sergent Parson était au courant de la teneur de la Directive et ordonnance administrative de la Défense 5012‑0 intitulée « Prévention et résolution du harcèlement ».

 

Le 30 avril 2003, le Sergent Parson a rencontré la caporale-chef Diana Demeules et le Caporal Steve Shea, du Service national des enquêtes des Forces canadiennes. Au cours de cette rencontre, il a fait une déclaration écrite et a été interrogé par la Caporale-maître Demeules. L’interview a été enregistrée sur bande vidéo par le Caporal Shea. La déclaration écrite et verbale faite par le Sergent Parson au cours de cette rencontre était volontaire au sens de l’alinéa 42(1)b) des Règles de preuve militaire. Le Sergent Parson renonce à toute exigence relative à la tenue d’un voir dire pour en déterminer l’admissibilité.

 

[19]      La pièce 4 est une admission faite par la poursuite qui a également été consignée par écrit et qui a été déposée devant la cour. En voici le texte :

 

[traduction

Le 1er décembre 2002, ou vers cette date, au petit matin, entre 2 h et 5 h, le Lieutenant Hisdal a été réveillé par une personne qui a allumé les lumières dans la salle du SMR de l’édifice A‑10, à Vernon (C.‑B.) où lui, le Lieutenant Hisdal, dormait.

 

[20]      La pièce 5 est la copie d’une lettre d’un seul paragraphe datée du 6 décembre 2002 signée par le Sergent Parson, ou Sergent B. Parson, et adressée à la soldate R. H. Cette déclaration a été consignée par écrit et a été déposée devant la cour. En voici le texte :

 

[traduction

Le 6 décembre 2002. Soldate R. H., je vous écris cette lettre pour vous présenter officiellement mes excuses. Je suis conscient que la confiance que vous aviez en raison du rang que j’occupe a été ébranlée et j’en éprouve beaucoup de remords. Les événements qui se sont produits s’expliquent par un manque de jugement de ma part et je regrette qu’ils aient eu lieu. Je suis disposé à prendre les mesures qui s’imposent pour corriger la situation dans laquelle nous nous retrouvons présentement. Soyez assurée que vous ne devez craindre aucunes représailles en raison de cette situation et que je vous traiterai toujours de façon juste et professionnelle à l’avenir. Veuillez accepter la présente à titre d’excuses formelles. Cordialement, sergent B. Parson.

 

[21]      La Cour prend par ailleurs connaissance d’office des faits en question conformément à l’article 15 des Règles de preuve militaire, ce qui complète la preuve; laquelle comprend notamment la DOAD 5012‑0 sur le harcèlement.

 

[22]      Passons maintenant aux faits. Les faits à l’origine de la présente affaire peuvent être résumés comme suit : le 30 novembre 2002, A Squadron des British Columbia Dragoons organisait son dîner de Noël au manège militaire Brigadier Murphy, à Vernon, en Colombie-Britannique. En plus des membres de l’escadron A, certains membres de l’escadron B de Kelowna étaient invités avec d’autres personnes. C’était ce qu’on appelle un « repas‑partage », où diverses personnes apportent un plat. Une rencontre informelle avait lieu dans le mess commun pour permettre aux invités de socialiser. La preuve révèle également que certains invités se sont rendus à un bar de Vernon le même soir, après le dîner, et que certains d’entre eux sont revenus au mess plus tard le même soir.

 

[23]      Pour les besoins du présent procès, la cour retient les éléments de preuve suivants qui ont été entendus ou déposés au cours du procès : la Soldate R.H. était, au moment des actes reprochés, membre de [renseignements susceptibles de permettre d’identifier la plaignante]. Elle est une réserviste et elle travaille également à [renseignements susceptibles de permettre d’identifier la plaignante]. Le 30 novembre 2002, elle était censée participer au dîner de Noël de l’escadron A à Vernon où elle avait été invitée. La Soldate R.H. avait prévu se présenter à ce dîner en compagnie d’un bon ami, le Caporal Barber, qui fait partie de son escadron. Ils avaient prévu dormir sur place à la caserne de Vernon et, à cette fin, elle avait amené des vêtements dans un sac, ainsi que son sac de couchage de l’armée. Elle a admis qu’elle avait prévu boire ce soir‑là et de rentrer le lendemain à Kelowna avec le Caporal Barber. Le Caporal Barber corrobore ses dires. Plus tôt le même jour, elle avait parlé au téléphone au Sergent Parson, qui lui avait demandé de dire au Caporal Barber de porter un nœud papillon. Le Sergent Parson était le président du comité du mess (PCM) du dîner de Noël ce soir‑là.

 

[24]      Le Caporal Barber est passé prendre la Soldate R.H. chez ses parents, à Kelowna, entre 17 h et 18 h. Le Caporal Barber était le conducteur. Une fois arrivés à Vernon, ils se sont rendus au manège militaire pour y laisser la nourriture qu’ils avaient amenée pour le repas-partage. Peu de temps après, ils se sont rendus au casernement, et plus précisément, à l’édifice A‑10, pour se trouver un endroit où dormir pour la nuit et pour y laisser leurs effets personnels. Suivant le Caporal Barber, la Soldate R.H. a laissé la nourriture au manège militaire alors qu’il déposait leurs effets personnels au casernement. Il a déposé la valise de la Soldate R.H. sur un lit et en a fait de même pour ses effets personnels, qu’il a toutefois déposés sur la couchette supérieure. Au cours de la soirée, la Soldate R.H. portait une robe longue ou une robe de soirée de couleur noire. Elle portait également des chaussures noires à talons hauts.

 

[25]      La Soldate R.H. et le Caporal Barber ont participé au cocktail qui avait lieu avant le dîner. Le Caporal Barber a expliqué que la Soldate R.H. avait quitté le cocktail au bout d’une heure. Il a consommé quelques bières, mais ignore si la Soldate R.H. a bu quelque chose pendant cette période. La Soldate R.H. affirme qu’elle a pris quelques bières. Le Caporal Barber a expliqué qu’il s’était ensuite rendu à la salle de réception pour le dîner au manège militaire. Il explique qu’il était assis à côté d’une personne nommée MacNiven et avec quelques autres officiers. Il ne se souvient pas où la Soldate R.H. était assise à la table ou ailleurs dans la salle.

 

[26]      La Soldate R.H. affirme qu’elle était assise à côté du Caporal Barber. Elle a remarqué le Sergent Parson, qui était assis à l’extrémité de la table d’en face, parce qu’il a porté un toast. La Soldate R.H. a expliqué qu’elle avait bu quelques bières au cours du dîner, mais qu’elle n’était pas ivre, mais se sentait bien. Le repas a duré quelques heures et elle en a bien profité en compagnie d’amis qu’elle n’avait pas vus depuis plusieurs mois ou même une année. Pendant cette même période de temps, le Caporal Barber a bu quelques verres de vin et du porto et n’a pas observé ce que la Soldate R.H. buvait. Le dîner s’est terminé vers 22 h. Le Caporal Barber a poursuivi la soirée en rentrant au mess commun, où il a continué à boire de la bière et du vin. Il se sentait bien. Il a vu la Soldate R.H. qui buvait et qui s’amusait elle aussi. Suivant le Caporal Barber, la Soldate R.H. était d’humeur joyeuse. Elle a tenté de le convaincre de l’accompagner à un club ou un bar au centre-ville de Vernon avec le reste de la troupe, mais il a refusé parce qu’il n’avait pas suffisamment d’argent. Le Caporal Barber a expliqué que la Soldate R.H. et d’autres personnes se sont rendues en ville environ une heure ou une heure et demie après le dîner.

 

[27]      La Soldate R.H. affirme qu’elle est demeurée au mess pendant quelques heures après le dîner et qu’elle a ensuite quitté par taxi pour se rendre dans un club de Vernon. Elle a expliqué que le Caporal Barber l’accompagnait, ainsi que le caporal-maître Hicks et une autre personne. Elle portait toujours la même robe. Suivant sa version des faits, il y avait entre 10 et 20 personnes du régiment au bar. Elle a commandé une consommation, a dansé et a parlé. Elle affirme que son verre avait un goût bizarre et qu’elle ne l’avait pas surveillé. Elle ajoute qu’elle est était demeurée au bar pendant environ une heure jusqu’à ce que deux planchistes l’abordent et lui parlent brièvement. La Cour n’entrera pas dans le détail de cet échange. Elle a quitté le bar et est revenue au mess en compagnie du Caporal Barber. Elle se souvient avoir eu froid alors qu’elle attendait un taxi à l’extérieur. Suivant sa version des faits, elle a perdu conscience et ne se rappelle de plus rien jusqu’au moment où l’accusé, le Sergent Parson, la ramène sur lui ou sur eux, pour reprendre ses propres paroles dans la couchette du casernement.

 

[28]      Lors de son interrogatoire principal, elle a déclaré qu’elle n’était pas ivre ce soir‑là. Contre-interrogée, elle a admis qu’elle était saoule et qu’elle avait perdu conscience. Elle a ajouté qu’elle avait déjà vécu un black-out. De plus, la Soldate R.H. a expliqué à la cour en contre-interrogatoire qu’il lui était déjà arrivé de s’évanouir, mais seulement si elle buvait plus de 15 bières. Elle a également affirmé qu’elle peut boire une caisse de bière en une seule soirée. Au sujet de son état, elle a finalement admis au sujet de la soirée en question : [traduction] « J’ai perdu conscience, j’avais trop bu ».

 

[29]      Comme nous l’avons déjà expliqué, le Caporal Barber est demeuré au mess toute la soirée. Au cours de cette période, il a vu le Sergent Parson boire de la bière, parler et danser. M. Mike Illingby, un ami du Sergent Parson qui était présent à la réception en tant qu’invité du Sergent Parson, a témoigné devant la cour au sujet d’une série d’événements qui ont eu lieu au mess entre le Sergent Parson et la Soldate R.H. après le dîner.

 

[30]      Comme elle l’a expliqué, la Soldate R.H. ne se souvient de rien de ce qui s’est produit au cours de cette période de temps. Le Sergent Parson a également témoigné au sujet des événements en question. Il a donné la version suivante des faits : après le repas ils sont rentrés au mess. Il se déplace dans la pièce en parlant aux invités et à d’anciens membres du régiment. Il aperçoit alors la Soldate R.H. et commence à lui parler. Il apprend qu’elle [renseignements susceptibles de permettre d’identifier la plaignante] et en apprend plus au sujet de son rôle au sein de l’unité. Comme c’est la première fois qu’elle a l’occasion de dîner avec des membres de l’escadron A, elle lui raconte à quel point elle se réjouit de cette occasion. Le Sergent Parson lui avait déjà parlé plus tôt le même jour pour lui demander de transmettre des renseignements au Caporal Barber. À un moment donné, alors qu’ils sont tous les deux au bar, elle se penche vers lui et lui donne un baiser sur les lèvres. Suivant le Sergent Parson, ce baiser dure de trois à quatre secondes. Il explique qu’il a été déstabilisé pour plusieurs raisons : il n’avait pas provoqué ce baiser et ne s’y attendait pas, et il est un sous-officier de rang supérieur. Sa petite amie était également présente à cette réception, mais avait quitté un peu plus tôt pour rentrer à la maison, tout près. Et, suivant le Sergent Parson, M. Illingby se trouvait tout près. Il a été témoin de ce baiser. Bien que M. Illingby ait qualifié ce baiser de très bref – à peine trois secondes – M. Illingby est ensuite intervenu entre Parson et la Soldate R.H. Le Sergent Parson a expliqué que son ami l’avait pris à part pour lui parler de ce qui venait de se produire et pour tirer les choses au clair, étant donné que M. Illingby savait que le Sergent Parson avait une petite amie.

 

[31]      Le Sergent Parson a expliqué que M. Illingby et lui-même ont parlé de la situation, qui ne présageait rien de bon. M. Illingby a affirmé que le Sergent Parson lui avait dit, sur la défensive, [traduction] « elle m’a embrassé » ou des paroles qui, selon la perception qu’en a eue M. Illingby, signifiaient [traduction] « laisse-moi tranquille ». Le Sergent Parson a alors continué à parler avec d’autres invités et notamment avec le Caporal Barber. Il a alors remarqué que la Soldate R.H. se dirigeait vers les toilettes des femmes. Le Sergent Parson explique qu’il y a vu une occasion de clarifier les choses avec elle. Il s’est approché des toilettes et a attendu dans le corridor jusqu’à ce que la Soldate R.H. sorte des toilettes. Lorsqu’elle est sortie, il lui a demandé de parler en la raccompagnant dans le corridor. Il l’a conduite jusqu’à un local d’entreposage pour avoir un peu plus d’intimité.

 

[32]      M. Illingby affirme que c’est la Soldate R.H. qui a conduit le Sergent Parson au local d’entreposage et que c’est elle qui a entamé la conversation avec le Sergent Parson dans le corridor. C’est pour cette raison qu’Illingby a réagi et a décidé d’intervenir. Le Sergent Parson a expliqué qu’une fois rendu dans le local en question, il a commencé à parler de l’incident du baiser en expliquant que cela donnait une mauvaise impression et que c’était mal. Le Sergent Parson a entendu quelqu’un frapper à la porte et a entendu son ami Illingby qui lui disait [traduction] « Allez, sortez de là ! » Suivant le Sergent Parson, il aurait dit à son ami qu’il sortirait lorsqu’il aurait terminé la conversation, ce à quoi Illingby a répondu [traduction] « Ça paraît mal, sortez ! ». Le Sergent Parson explique qu’il s’est rendu compte que son ami avait raison et il est sorti pour parler avec lui de la situation. Le Sergent Parson ignore où la Soldate R.H. est allée ensuite. M. Illingby affirme à ce sujet que le Sergent Parson lui aurait plutôt dit : [traduction] « Nous ne faisons que parler ».

 

[33]      Malgré le fait que le Sergent Parson était le président du comité du mess du dîner de Noël, il a affirmé que son état d’ivresse se situait à 7 sur 10, où 10 représente une perte de conscience. Il affirme qu’il était encore capable de marcher droit, n’ayant pas des difficultés d’élocution. Quant à M. Illingby, ce dernier a déclaré qu’il était à jeun, étant donné qu’il n’avait bu qu’un verre et demi de vin au repas et un verre de porto et qu’il avait bu du Coca Cola pour le reste de la soirée.

 

[34]      Plus tard, le Caporal Barber a vu la Soldate R.H. revenant du centre-ville. Il a remarqué qu’elle semblait fatiguée. Il lui a servi du vin. Ils se sont tous les deux assis et ils ont causé. Suivant le Caporal Barber, elle semblait ne pas avoir toutes ses facultés. Elle voulait aller se coucher. Il l’a alors raccompagné jusqu’à l’édifice A‑10, où ils avaient laissé leurs effets personnels. Lorsqu’ils ont quitté vers 2 h 30 le 1er décembre, il ne restait plus que quelques personnes au mess, selon ce qu’il a observé. Le Caporal Barber a expliqué que la Soldate R.H. avait du mal à se tenir debout et qu’il devait lui prendre le bras pour l’empêcher de tomber.

 

[35]      Suivant le Caporal Barber, la Soldate R.H. se glisse dans son sac de couchage ou s’y recroqueville en laissant pendre ses jambes, en gardant ses chaussures. La couchette est située contre le mur. Le Caporal Barber explique que la plupart des couchettes vides étaient des couchettes supérieures et qu’il y avait entre 8 et 10 couchettes dans cette pièce. À ce moment‑là, la Soldate R.H. est entièrement vêtue et Barber retourne au mess.

 

[36]      Une fois revenu au mess, il constate que le Sergent Parson est toujours là. Le Caporal Barber quitte le mess vers 5 h du matin pour se rendre à l’édifice A‑10. Alors qu’il pénètre dans la première pièce, il voit le Sergent Parson étendu dans la couchette où le sac de couchage est déployé. Il constate que le Sergent Parson est couché au fond, dos au mur. Le Caporal Barber explique qu’il a dormi dans la couchette située en face de celle de la Soldate R.H. dans la couchette du bas. Le Caporal Barber se déshabille, mais finit par sortir dehors pour vomir étant donné qu’il se sent mal. À son retour, il se glisse de nouveau dans son lit. Le Caporal Barber entend alors un bruit de pas produit probablement par des chaussures à talons hauts et il entend une porte s’ouvrir. Il s’imagine que c’est la Soldate R.H. qui se rend aux toilettes. Peu de temps après, c’est‑à‑dire au petit matin, la Soldate R.H. se glisse dans son lit sous les couvertures, entièrement vêtue.

 

[37]      Suivant le Caporal Barber, la chose dont il se souvient ensuite est de s’être réveillé vers 10 h le matin et d’être allé aux toilettes. Il explique que lorsqu’il s’est réveillé, il était seul dans le lit et que plusieurs autres personnes dormaient encore dans la pièce. Suivant sa version des faits, la Soldate R.H. et le Sergent Parson sont partis avec leurs effets. Il retrouve la Soldate R.H. cinq minutes plus tard dans le stationnement. Suivant Barber, ils se rendent tous les deux au restaurant A&W vers 10 h 30. Elle lui demande si elle l’a vu flirter avec le Sergent Parson ou si Parson s’était assis sur elle au cours de la soirée ou la nuit précédente. Il lui explique que la seule chose qu’il sait c’est qu’il y a des rumeurs qui circulent. Il constate que la Soldate R.H. semble bien aller et qu’elle est de bonne humeur. Une fois arrivé à Kelowna, il la dépose chez ses parents et se rend voir des amis.

 

[38]      En contre-interrogatoire, le Caporal Barber a expliqué que lorsqu’il avait vu le Sergent Parson au lit, que le sac de couchage était à plat et qu’il ne pouvait affirmer si la Soldate R.H. était là. Il explique qu’au lit, le Sergent Parson portait sa tenue régimentaire, c’est‑à‑dire sa tunique boutonnée et son pantalon, et qu’il dormait. Le Caporal Barber a également ajouté que le Sergent Parson lui avait demandé la fin de semaine suivante de ne pas répandre de rumeurs dans le régiment sur ce qui s’était produit ou non lors du dîner du mess.

 

[39]      Revenons maintenant à la version des faits de la Soldate R.H. Elle a perdu conscience lorsqu’elle est entrée dans le taxi en compagnie du Caporal Barber, qui nie s’y être trouvé. Elle affirme être entrée au mess en taxi. La chose suivante qu’elle se rappelle est que quelqu’un l’a tirée sur « lui » ou sur « eux » pour reprendre l’expression qu’elle a employée alors qu’elle se trouvait dans la couchette. Elle a entendu une porte ouvrir ou se verrouiller. Elle était confuse et ne savait pas où elle était. Elle s’est assise et a regardé la personne qui la ramenait sur [traduction] « eux » – pour reprendre l’expression qu’elle a employée – : il s’agit du Sergent Parson qui, selon elle, était étendu sur le dos. Suivant la Soldate R.H., lorsqu’elle s’est vraiment rendu compte de ce qui lui arrivait, elle se trouvait sur le Sergent Parson. Elle ne sait pas ce qui lui est arrivé. Elle portait encore sa robe, mais celle-ci était remontée jusqu’au milieu des cuisses. Elle n’avait ni bas de nylon ni sous-vêtements, mais portait toujours son soutien-gorge et ignorait où elle se trouvait. Elle dit que le sac de couchage était remonté sur eux. Elle était sous le choc parce que, comme elle l’a expliqué devant le tribunal, elle n’avait même pas parlé au Sergent Parson la nuit précédente, suivant sa version des faits.

 

[40]      Suivant sa version des faits, le Sergent Parson est réveillé, a les yeux ouverts et la regarde. Il porte une chemise et ses pantalons et elle voit que sa braguette est défaite et que son pénis est sorti. Elle ne se rappelle pas avoir eu des rapports consensuels avec le Sergent Parson dans ce lit. Comme elle se rend compte de ce qui vient de se passer, elle est prise de nausées. Elle sort du lit et rampe jusqu’au lit de son ami Barber qui est situé en face et lui demande de lui faire une place. Elle explique que Barber pose sa main sur elle. Elle est alors nerveuse, effrayée et encore désorientée, mais se sent en sécurité avec Barber. Elle explique qu’elle et Barber se font réveiller plus tard par quelqu’un, étant donné qu’il est mal vu qu’un homme et une femme se retrouvent ensemble dans le même casernement et, encore plus dans le même lit alors qu’il y a des cours. Elle affirme qu’elle est alors retournée dans sa couchette et qu’elle savait que le Sergent Parson a quitté. Elle ajoute que le Caporal Barber l’a réveillée ensuite pour l’inviter à bouger, étant donné qu’elle était la seule personne encore présente dans la pièce. Barber affirme que la Soldate R.H. n’était plus là lorsqu’il s’est réveillé. La Soldate R.H. découvre alors que ses sous-vêtements sont éparpillés autour du lit où elle a dormi et que ses bas de nylon et ses culottes ont été jetés en à côté du lit. Elle explique qu’elle ne dort jamais sans sous-vêtements et qu’elle porte toujours un pyjama. Elle affirme qu’à ce moment‑là, elle a eu un malaise et qu’elle s’est rendue à la salle de bain. Elle soutient que ce n’était pas parce qu’elle avait abusé d’alcool bien qu’elle ait affirmé en contre-interrogatoire qu’elle avait dit aux enquêteurs du SNE que lorsqu’elle avait eu ce malaise, elle se sentait ivre et qu’elle avait la gueule de bois. Elle a alors jeté ses effets personnels dans le camion du Caporal Barber après avoir vu que le Sergent Parson attendait avec d’autres personnes près du camion. Elle ne se souvient pas à quel moment elle a quitté le manège militaire. C’est alors, suivant sa version des faits, qu’elle a demandé au Caporal Barber ce qui s’était passé ou ce qu’elle avait fait. Une fois revenu à Kelowna, le Caporal Barber l’a déposée chez ses parents. Elle s’est sentie malade, blessée et contrariée pour le reste de la journée.

 

[41]      Le Sergent Parson a témoigné au sujet des événements en question. Il a tout d’abord décrit ce qu’il portait au cours du dîner de Noël : en l’occurrence une tenue de patrouille bleue. En résumé, il s’agit d’une tenue de cérémonie de couleur bleu foncé qui consiste en une tunique surmontée d’un faux col mao et qui est munie des manchettes pour donner l’impression que la personne porte une chemise blanche en dessous. Les pantalons sont des pantalons de tenue de mess ordinaires bordés d’une large bande jaune sur le côté.

 

[42]      Le Sergent Parson a expliqué qu’il portait des bottes Wellington à cette occasion, ainsi qu’un tee‑shirt noir sous sa chemise. La Cour a déjà souligné le passage du témoignage du Sergent Parson concernant l’incident du baiser et sa présence dans le local d’entreposage avec la Soldate R.H. aux petites heures du 1er décembre 2002.

 

[43]      Je vais donc poursuivre en exposant les faits survenus après que le Sergent Parson soit sorti du mess. Le Sergent Parson a expliqué qu’il avait passé un peu plus de temps au mess et que, comme il était fatigué, il avait décidé de se chercher un endroit pour dormir dans le casernement au rez‑de‑chaussée de la caserne A‑10, et ce, malgré le fait que sa petite amie, avec laquelle il habite, était déjà rentrée à la maison à quelques minutes de distance du casernement et du manège militaire. Le Sergent Parson sort et voit son ami Illingby dans le stationnement. Son ami, qui est à jeun, lui offre de la raccompagner à la maison, mais le Sergent Parson refuse, car il n’est pas certain que son ami est bien à jeun et qu’il songe aux dangers que comporterait le fait de se faire accompagner par lui. Le Sergent Parson sait qu’il n’est lui-même pas en mesure de conduire; toutefois, il ne s’informe pas de l’état de son ami, qui est également son invité et il le laisse partir.

 

[44]      Le Sergent Parson, qui était ivre à ce moment‑là de son propre aveu, a expliqué en détail toutes les mesures qu’il a prises pour se trouver un endroit pour dormir dans l’édifice A‑10. Il est entré dans la pièce no 1 où les faits reprochés se seraient produits. Il a raconté que toutes les couchettes étaient vides. Dans le coin nord de la pièce, il aperçoit une couchette inférieure sur la gauche avec un sac de couchage froissé dessus. Ce n’est pas son sac de couchage. Devant ce lit, il y a un autre lit sur lequel se trouve une couverture Ranger qui n’est pas la sienne. Il pénètre dans la salle no 2 qui est occupée par des étudiants du cours QL2. Il traverse cette salle, se rend vers la salle du SMR, sachant que ce dernier ne s’y trouve puisqu’il l’a vu quitter avec sa femme plus tôt le soir même. Il ouvre la porte, allume la lumière et réveille par mégarde le Lieutenant Hisdal. Le Sergent Parson quitte la pièce. Le procureur de la poursuite admet ces faits à la pièce 4. Le Sergent Parson se rend ensuite aux toilettes pour uriner et se laver les mains. Une fois arrivé à la pièce no 4, au rez‑de‑chaussée, il voit que toutes les couchettes sont déjà occupées. Il constate la même chose dans la salle no 6, où se trouvent les quartiers des officiers. et il décide donc de retourner à la pièce no 1. Une fois dans la pièce, il choisit la couchette du bas à droite et jette un sac de couchage sur le lit. Ce n’est pas son sac de couchage. Il affirme que ces faits se sont produits entre 4 h et 6 h du matin.

 

[45]      Le Sergent Parson a expliqué qu’il n’avait vu personne d’autre dans cette pièce. Une fois au lit, il a retiré ses lunettes et s’est endormi. Un mouvement à sa droite le réveille subitement. Il aperçoit des cheveux blonds sur le sac de couchage. Il explique qu’il croyait que cette femme était censée dormir dans la pièce no 9. Une fois réveillé, il est confus alors que la personne qui se trouve au lit avec lui continue à bouger. Il fait semblant de dormir. Il est choqué de constater que la personne continue à bouger. La personne se lève et se couche dans le lit situé en face. Le Sergent Parson explique qu’il n’a pas touché cette personne et qu’il n’a rien dit. Après quelques minutes, il décide de se lever et de sortir. Il constate ensuite que c’est la Soldate R.H. qui est dans le lit d’en face avec une autre personne.

 

[46]      Selon lui, il a découvert que des accusations d’agression sexuelle avaient été portées contre lui le jeudi suivant lorsque le SMR lui a dit qu’il avait vu l’officier responsable, le Capitaine Stecyk, qui lui avait remis un avis d’intention de le suspendre de ses fonctions militaires. Suivant le Sergent Parson, aucun détail ne lui a été fourni et il croyait qu’il s’agissait encore de l’histoire du baiser.

 

[47]      En résumé, le Sergent Parson s’est présenté au bureau du Capitaine Stecyk, au régiment, pour signer un avis d’intention de le suspendre de ses fonctions militaires. C’étaient les seules personnes présentes dans cette pièce. Le Capitaine Stecyk a informé le Sergent Parson que des allégations d’agression sexuelle avaient été formulées contre lui sans toutefois discuter des détails ni du fait que le détail des allégations en question figurait sur l’avis d’intention de suspendre le Sergent Parson de ses fonctions. Il a demandé au Sergent Parson de prendre connaissance du document et de le signer. Le Sergent Parson ne lui a rien dit à ce moment‑là. Le Capitaine Stecyk a alors ordonné au Sergent Parson de se rendre à Kelowna le samedi suivant pour être officiellement suspendu de ses fonctions. Au cours de cette rencontre, le Capitaine Stecyk a constaté que le Sergent Parson semblait stressé et très nerveux d’après sa façon de parler et son langage corporel. Suivant le Capitaine Stecyk, le Sergent Parson n’a pas dit grand-chose, mais il a eu le sentiment qu’il était évident que Parson avait des problèmes. Le Capitaine Stecyk affirme que le ton de sa voix n’était pas agressif au cours de cette rencontre et qu’il n’y avait qu’eux deux dans la pièce.

 

[48]      Le lendemain, c’est‑à‑dire le vendredi après-midi, le Sergent Parson est arrivé sans prévenir au bureau du Capitaine Stecyk vraisemblablement pour parler de ce qui s’était passé. En apercevant le Sergent Parson, le Capitaine Stecyk est préoccupé au sujet de son état d’esprit et il cherche à le calmer. Le Capitaine Stecyk constate que le Sergent Parson est très émotif, incohérent et désemparé. Le Capitaine Stecyk n’aurait vraisemblablement pas ordonné au Sergent Parson de faire quoi que ce soit à ce moment‑là et ils sont encore les deux seules personnes dans la pièce. Ils discutent devant le bureau du Capitaine Stecyk des possibilités pour le Sergent Parson de rencontrer un conseiller. On songe alors au conseiller spirituel de l’unité, le capitaine Greenhalgh, qui pourrait être consulté, étant donné qu’il est très respecté par les membres de l’unité. Le Sergent Parson n’exclut pas cette solution. Le Capitaine Stecyk constate que le Sergent Parson semble dans tous ses états et qu’il est très contrarié. Le Sergent Parson lui explique qu’il a l’impression d’avoir laissé tomber les Forces canadiennes, l’unité, et les SMR de rang supérieur.

 

[49]      Suivant sa version des faits, le Sergent Parson quitte la rencontre très contrarié et appelle la Soldate R.H. pour obtenir des éclaircissements et régler l’affaire. Elle est très offensée. Le Sergent Parson a expliqué qu’il n’avait pas évoqué les questions du baiser et du lit au cours de cette conversation, même s’il croyait que tout le problème tournait autour de ce baiser, un baiser qu’il n’avait pas sollicité et qu’il ne pouvait éviter.

 

[50]      Le samedi suivant, le commandant suspend le Sergent Parson de ses fonctions sans lui donner de détails. Là encore, suivant le Sergent Parson, tout cela était attribuable au baiser. Il présente ensuite ses excuses à la Soldate R.H. parce que, selon sa version des faits, il se sentait responsable de la situation dans laquelle il s’était trouvé en tant que sous-officier de rang supérieur.

 

[51]      La Soldate R.H. et le Sergent Parson ont par la suite rencontré le conseiller spirituel pour se réconcilier et régler l’affaire. Là encore, le Sergent Parson explique qu’il croyait encore que tout l’incident était attribuable au baiser donné au mess. Selon le Sergent Parson, ce n’est que quatre mois après cette rencontre qu’il a compris que la situation ne découlait pas seulement du baiser lorsqu’il a participé de plein gré à une entrevue avec la Caporale Demeules du Service national des enquêtes pour blanchir sa réputation.

 

[52]      Le Sergent Parson a expliqué la raison pour laquelle il était si émotif au sujet de l’incident du baiser. Il a notamment insisté pour expliquer qu’il était un sergent et qu’elle était une soldate, qu’il avait une petite amie avec qui il avait dû expliquer le baiser et à qui il avait également dû expliquer la raison de sa suspension, sans compter le fait qu’il avait dû dire à sa petite amie qu’il faisait l’objet d’une enquête pour agression sexuelle et lui expliquer comment une femme s’était retrouvée dans son lit au baraquement après la réception de Noël de l’unité après avoir décidé de ne pas rentrer à la maison ce soir‑là avec elle.

 

[53]      La version des faits du Sergent Parson suivant laquelle il a été informé quatre mois plus tard que la situation ne concernait pas simplement le baiser est contredite par son ami, Illingby, qui a expliqué au tribunal qu’il avait parlé au Sergent Parson une semaine après la réception de Noël pour lui dire qu’il faisait l’objet d’une enquête pour agression sexuelle. Illingby se rappelle avoir expliqué à Parson que cette enquête ne pouvait s’expliquer uniquement par le baiser et qu’il y avait sûrement eu autre chose qu’un simple baiser. Illingby a expliqué qu’il avait eu l’impression au cours de cette conversation avec le Sergent Parson que ce dernier faisait l’objet d’une enquête pour s’être retrouvé au lit avec la Soldate R.H. alors qu’il n’était jamais allé dans son lit. Le Sergent Parson nie ces allégations.

 

[54]      Mais revenons à la Soldate R.H. Elle a parlé de l’incident à ses parents, au caporal Kostiuk et à la Caporale Neid le lendemain de sorte que les événements étaient frais à sa mémoire, comme elle l’a expliqué.

 

[55]      La Caporale Neid confirme qu’elle a rencontré la Soldate R.H. en compagnie de son amie, à la suite de la demande de la Soldate R.H. lui avait faite au téléphone. Au cours de cette conversation téléphonique, la Caporale Neid a trouvé la Soldate R.H. hystérique. Elle a déclaré qu’elle avait trouvé la Soldate R.H. complètement affolée et contrariée et elle a eu l’impression qu’elle avait été violée même si la Soldate R.H. ne lui avait pas fourni de détails précis à ce sujet.

 

[56]      La Caporale Neid a expliqué que lorsqu’elle avait rencontré la Soldate R.H., celle‑ci lui avait expliqué que le Sergent Parson était sur elle dans le lit avec sa culotte descendue aux chevilles. La Soldate R.H. a alors rencontré l’Adjudante Carbonell (à la retraite) le mardi ou le mercredi suivant les faits présumés. La Soldate R.H. a expliqué qu’elle faisait confiance à l’Adjudante Carbonell. Suivant sa version des faits, la Soldate R.H. n’a fourni à l’Adjudante Carbonell aucun détail au sujet de l’incident, mais a expliqué que l’Adjudante Carbonell avait pris des notes sans savoir quelle suite donner à l’affaire, lui assurant qu’elle lui en reparlerait. La Soldate R.H. a ajouté que l’Adjudante Carbonell lui en avait effectivement reparlé pour lui dire que l’affaire était trop délicate et qu’elle devait être confiée à la GRC.

 

[57]      La Soldate R.H. a déclaré en contre-interrogatoire qu’elle ne souvient pas si elle a dit à l’Adjudante Carbonell que la personne qui était sur elle avait le pénis sorti. Elle a plutôt dit qu’elle avait répété à l’Adjudante Carbonell ce qu’elle avait dit à son amie, la Caporale Neid. L’Adjudante Carbonell a déclaré devant le tribunal que la Soldate R.H. lui avait dit que lorsqu’elle s’était réveillée au lit, quelqu’un se tenait au-dessus d’elle avec le pénis sorti.

 

[58]      La Soldate R.H. explique qu’elle a parlé à un agent de la Gendarmerie royale du Canada quelques semaines après l’incident. Lors de son interrogatoire principal, la Soldate R.H. a expliqué qu’au cours de cette conversation avec l’agent de la GRC, elle ne voulait pas que le Sergent Parson soit accusé ou expulsé des Forces. Elle voulait que l’unité s’occupe de l’affaire. Elle voulait seulement des excuses.

 

[59]      L’agente White a été appelée à la barre par la défense pour témoigner au sujet de cette conversation. Elle a expliqué qu’elle comptait huit années d’expérience au sein de la GRC comme enquêteure, notamment en matière d’agression sexuelle. Elle a expliqué que la conversation avait eu lieu au téléphone le 19 décembre 2002, qu’elle avait duré environ 45 minutes au cours desquelles elle n’avait pas pris de notes, malgré le fait qu’elle avait écrit un rapport d’incident de trois quarts de page plus tard le même jour. L’agente White a formé l’opinion que rien de caractère sexuel ne s’était produit entre la Soldate R.H. et un homme, étant donné que la Soldate R.H. refusait de révéler l’identité de cet homme et, ajoutant qu’elle avait formé cette opinion après avoir parlé avec la Soldate R.H. et qu’elle avait eu l’impression que cette dernière ne souhaitait pas poursuivre l’affaire et semblait être une personne mature, qui s’exprimait bien et qui était raisonnable et qui venait tout juste de lui expliquer qu’elle était très intoxiquée ce soir‑là. L’agente White n’a pas poursuivi l’affaire plus loin étant donné qu’elle avait le sentiment que rien ne s’était passé.

 

[60]      La cour accorde peu de poids à ce témoignage. L’agente n’a pris aucune note. Elle n’a même pas rencontré la Soldate R.H. comme tout policier expérimenté aurait dû le faire. Même si elle estimait qu’elle pouvait former la conviction qu’aucun acte de nature criminelle n’avait été accompli, la cour estime qu’elle n’a pas pris les mesures adéquates pour former cette conviction après avoir parlé avec une personne qui ne voulait pas vraiment se confier à elle au départ et qui refusait de lui révéler l’identité de son agresseur. Dans ces conditions, l’agente White aurait dû prendre à tout le moins certaines mesures pour s’assurer que la Soldate R.H. ne se servait pas du téléphone pour se protéger contre elle et pour manquer de franchise dans ses réponses. Elle a considéré qu’il ne s’agissait que d’une affaire banale en se fiant à sa seule expérience et, pour ces raisons, compte tenu de ces déclarations et du contexte dans lequel elles ont été obtenues, son témoignage a très peu de poids.

 

[61]      En ce qui concerne les plaintes, la Soldate R.H. a ajouté, en contre-interrogatoire, qu’elle avait finalement décidé de porter plainte à la police militaire parce qu’elle n’avait pas obtenu ce qu’elle voulait du Sergent Parson. Contre-interrogée à ce sujet, elle a expliqué qu’elle ne se souvenait pas ce qu’elle avait dit à l’agente White, de la GRC, au cours de la conversation qu’elle avait eue avec elle, bien qu’elle se souvienne lui avoir dit qu’elle et le Sergent Parson n’avaient pas eu de relations sexuelles complètes. Évidemment, elle n’avait pas nommé le Sergent Parson.

 

[62]      À la fin de ce solide contre-interrogatoire au cours duquel l’avocat de la défense l’a confrontée aux différentes versions ou incohérences concernant les discussions qu’elle avait eues avec le SNE, la GRC, la Caporale Neid et l’Adjudante Carbonell, la Soldate R.H. a déclaré ce qui suit : [traduction] « J’étais saoul.  J’ai perdu conscience, je n’avais jamais perdu conscience comme ça avant. Je ne me rappelle de rien. Il se peut que quelqu’un ait mis quelque chose dans mon verre. Je crois que quelque chose d’autre a pu se produire. » Elle a ensuite ajouté : [traduction] « Je ne sais pas ce qui était arrivé avant. Je ne sais pas ce qui a conduit à cet incident. Je suis gênée. J’étais intimidée. On ne néglige pas le lien hiérarchique qu’on a avec son sergent. »

 

[63]      En décembre 2002, le Sergent Parson a écrit une lettre d’excuses à la Soldate R.H. Cette lettre a été versée au dossier sous la cote 5.

 

[64]      Je vais passer maintenant à l’examen des éléments constitutifs de l’infraction que la poursuite doit démontrer hors de tout doute raisonnable en ce qui concerne le premier chef, en l’occurrence l’agression sexuelle. Au fil des ans, la Cour suprême du Canada a donné des directives à l’intention des juges de première instance dans les affaires d’agression sexuelle. Il s’agit des arrêts R c Chase, [1987] 2 R.C.S. 293; R c Ewanchuk, [1999] 1 R.C.S. 330 et R c V.(K.B.), un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario publié à (1992) 71 C.C.C. (3d) 65, qui a été confirmé par la Cour suprême du Canada à [1993] 2 R.C.S. 857.

 

[65]      Une agression sexuelle est une agression qui est commise dans des circonstances de nature sexuelle, de manière à porter atteinte à l’intégrité sexuelle de la victime. Le critère à appliquer pour déterminer si l’acte reproché comporte le caractère sexuel exigé est un critère objectif. Compte tenu de toutes les circonstances, une personne raisonnable peut‑elle percevoir le contexte sexuel ou charnel de l’agression? La partie du corps qui est touchée, la nature du contact, la situation dans laquelle cela s’est produit, les paroles et les gestes qui ont accompagné l’acte, et toutes les autres circonstances entourant la conduite, accompagnés ou non de force, sont quelques-uns des facteurs dont il faut tenir compte. L’intention ou le dessein de la personne qui commet l’acte, dans la mesure où cela peut ressortir des éléments de preuve, peut également être un facteur à considérer pour déterminer si la conduite est sexuelle. L’agression sexuelle n’exige pas la preuve de sexualité ou de plaisir sexuel, qui sont simplement des facteurs. La preuve de l’actus reus d’une agression sexuelle est établie par la preuve de trois éléments : premièrement, l’attouchement; deuxièmement, la nature sexuelle du contact; et troisièmement, l’absence de consentement.

 

[66]      Les deux premiers éléments sont objectifs : il suffit pour la poursuite de démontrer que les gestes de l’accusé étaient volontaires. Le caractère sexuel de l’agression est, quant à lui, déterminé objectivement. La poursuite n’a pas à démontrer que l’accusé avait la mens rea en ce qui concerne le caractère sexuel de son acte. Par conséquent, les éléments constitutifs de cette infraction dans le cas du premier chef d’accusation sont : l’identité de l’accusé, le Sergent Parson; la date et le lieu, c’est‑à‑dire le ou vers le 1er décembre 2002 au manège militaire Brigadier Murphy de Vernon, en Colombie‑Britannique, ou près de cet endroit; le fait que l’accusé a employé la force, directement ou indirectement, contre la Soldate R.H., que la force en question était de nature sexuelle, que la Soldate R.H. n’a pas donné son consentement et que le Sergent Parson savait que la Soldate R.H. ne consentait pas à la force qu’il employait ou encore qu’il y était indifférent. En d’autres termes, le Sergent Parson savait qu’il existait un risque que la Soldate R.H. ne consente pas à la force qu’il employait, mais il a agi quand même sans se soucier de la question de savoir si la Soldate R.H. était consentante ou non; ou il a fait preuve d’aveuglement volontaire, c’est‑à‑dire, qu’il savait et qu’il devait vérifier si la Soldate R.H. consentait à la force qu’il appliquait, mais ne l’a pas vérifié parce qu’il ne voulait pas savoir la vérité à ce sujet. Il ne voulait pas savoir la vérité au sujet du consentement de la Soldate R.H. En d’autres termes, le Sergent Parson a délibérément omis de vérifier le consentement de la Soldate R.H., même s’il savait qu’il y avait une raison de le faire. Il s’agit donc des éléments constitutifs de l’infraction.

 

[67]      Le deuxième chef d’accusation a été porté en vertu de l’article 129 de la Loi sur la Défense nationale pour conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Il reproche à l’accusé de s’être livré à du harcèlement contrairement au DOAD 5012‑0. Dans ce contexte, la poursuite doit démontrer hors de tout doute raisonnable les éléments suivants : l’identité de l’accusé, le Sergent Parson; le fait que la date et le lieu allégués dans le deuxième chef d’accusation sont identiques à ceux allégués dans le premier chef; ensuite, les actes reprochés, c’est‑à‑dire le fait d’avoir harcelé la Soldate R.H.; l’élément suivant est le préjudice causé au bon ordre et à la discipline en raison de cette conduite. Dans le cas qui nous occupe, les détails des actes reprochés mentionnent notamment que l’accusé aurait contrevenu à la DOAD 5012‑0. Par conséquent, la poursuite doit démontrer que le harcèlement répond à la définition qu’en donne cette ordonnance avant de pouvoir invoquer la présomption énoncée au paragraphe 129(2) de la Loi sur la défense nationale, qui prévoit notamment que le fait pour une personne de contrevenir à une ordonnance est préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Cet élément exige également que la poursuite démontre au‑delà de tout doute raisonnable que l’accusé était au courant de l’existence de cette ordonnance, ce que la défense admet.

 

[68]      Comme je l’ai déjà expliqué, la poursuite doit démontrer hors de toute raisonnable chaque élément constitutif de l’infraction. L’accusé n’a rien à prouver. Dans le cas qui nous occupe, l’accusé nie les faits constitutifs des deux accusations, en l’occurrence le fait d’avoir touché à la Soldate R.H. alors qu’ils se trouvaient tous les deux dans un lit à une place après la réception de Noël dans la salle 1 de l’édifice A‑10. C’est à la poursuite qu’il incombe de démontrer hors de tout doute raisonnable que les faits reprochés se sont effectivement produits et que le Sergent Parson est l’auteur des actes reprochés. Ce n’est pas au Sergent Parson de prouver que ces faits ne se sont jamais produits. Le tribunal doit déclarer le Sergent Parson non coupable s’il a un doute raisonnable que les faits reprochés se sont produits.

 

[69]      Comme je l’ai déjà précisé, la cour ne décide pas si des faits se sont produits en comparant simplement la version des faits d’une personne avec celle d’une autre et en retenant une des deux. La Cour a examiné l’ensemble de la preuve pour se convaincre hors de tout doute raisonnable que les faits constituant le fondement des accusations se sont effectivement produits et, pour ce faire, la cour a appliqué les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c W.(D.). La nature de la preuve présentée en l’espèce oblige la cour à tirer certaines conclusions au sujet de la crédibilité de divers témoins et, comme je l’ai déjà expliqué, il ne s’agit pas de choisir entre la version de l’accusé et celle des autres témoins.

 

[70]      La Cour ne trouve rien à redire au sujet de la crédibilité du témoignage du Capitaine Stecyk, de M. Mike Illingby, de la Caporale Neid, de la constable White et de l’Adjudante Carbonell (à la retraite). Ils ont tous témoigné sans détour et de façon honnête. Ils n’avaient aucun intérêt dans l’issue de la présente affaire et leur témoignage est assez limité. Toutefois, leur témoignage aide la cour à apprécier la crédibilité et la fiabilité du témoignage de la Soldate R.H. et du Sergent Parson.

 

[71]      En ce qui concerne le témoignage du Caporal Barber, la cour estime qu’il est dans l’ensemble crédible, mais la cour a certaines réserves au sujet de sa fiabilité lorsqu’il fait état de ce dont il se souvient de sa propre consommation d’alcool entre le 30 novembre et le 1er décembre 2002, comme le révèle son propre témoignage.

 

[72]      Premièrement, en ce qui concerne le Sergent Parson, la cour ne croit pas le Sergent Parson. Il a témoigné au sujet de son comportement et de ses actes au cours de la période en cause. Bien qu’il reconnaisse avoir été ivre à 7 sur une échelle de 10, il a présenté une quantité considérable de détails au sujet de l’incident du baiser, de sa rencontre avec la Soldate R.H. dans le local d’entreposage et des démarches qu’il a entreprises pour trouver un endroit pour dormir dans l’édifice A‑10 jusqu’à ce qu’il soit réveillé par une personne qui bougeait dans son lit qu’il a par la suite identifié comme étant la Soldate R.H. Il a expliqué pourquoi il était si émotif au sujet de l’incident du baiser et comment il ne s’était rendu compte que quatre mois plus tard que l’enquête ouverte à son sujet ne portait pas simplement sur le baiser non sollicité que lui avait donné la Soldate R.H., contrairement à la version de M. Illingby. La Cour estime que son témoignage est truffé de contradictions et d’incohérences lorsqu’on l’examine à la lumière de l’ensemble de la preuve.

 

[73]      Il s’est dépeint comme sous-officier de rang supérieur fier et ayant un sens irréprochable des responsabilités. Malgré le fait qu’il était le président du comité du mess chargé d’organiser le dîner, et malgré ses responsabilités en tant que sous-officier de rang supérieur, il s’est enivré devant ses invités et devant des membres de son unité de rang de beaucoup inférieur au sien. Lorsqu’il a reçu un baiser de la Soldate R.H., il s’est contenté de lui rejeter la faute lorsque son ami Illingby l’a confronté. À son avis, il a pris l’initiative de confronter la Soldate R.H. dans le local d’entreposage et la cour retient la version de M. Illingby à cet égard. La Cour estime non crédible son explication au sujet de sa décision de rentrer ou non chez lui ensuite, étant donné qu’il habitait tout près, et la cour ne croit pas non plus les raisons pour lesquelles il a refusé l’offre de son ami M. Illingby de le raccompagner à la maison parce qu’il craignait pour sa propre sécurité alors qu’il n’était vraisemblablement pas aussi inquiet de celle de son invité et de son ami, puisqu’il n’a pas vérifié auprès de M. Illingby son état de sobriété avant de l’avoir laissé quitter le manège militaire. Lorsqu’il s’est rendu compte qu’il y avait quelqu’un dans son lit, il a fait semblant de dormir. Il ressort de ce témoignage que le Sergent Parson se pose en victime. Il s’agit d’une série d’événements malheureux qui l’ont fait mal paraître. Dans la salle du casernement, il s’est retrouvé dans une chambre et un lit dont il savait ou aurait dû savoir qu’il était occupé ou réservé à quelqu’un d’autre. Il affirme qu’il n’y avait personne dans le lit en question. Le Caporal Barber offre une version différente des faits. Le fait qu’il ait occupé ce lit ne s’accorde pas avec une personne qui assume ses responsabilités et qui est à la hauteur de la fierté dont il doit faire preuve compte tenu du rang qu’il occupe par rapport à ses subordonnés. N’oublions pas qu’il habite tout près.

 

[74]      Son témoignage défie la logique et le bon sens sur des questions qui peuvent jouer contre ses intérêts personnels, mais il persiste à tenter de trouver une explication ou une raison. Sa conduite après l’incident n’est pas cohérente avec celle d’une personne ayant reçu un baiser en public sans provocation et elle n’est pas crédible. Ses actes s’accordent plutôt avec ceux d’une personne qui en sait plus. Sa grande capacité de fournir une quantité considérable et extraordinaire de détails, d’anecdotes et d’explications au sujet des événements qui se sont produits au cours de la nuit du 30 novembre au 1er décembre 2012 est incompatible avec celle d’une personne qui, de son propre aveu, était ivre. En d’autres termes, le Sergent Parson n’est pas crédible et la cour ne le croit pas.

 

[75]      Passons maintenant à la Soldate R.H. Elle a témoigné de façon honnête et elle a tenté d’être aussi utile que possible. La Cour estime qu’elle s’est comportée en témoin courageux et qu’elle était fort embarrassée de relater les faits dont elle se souvient en ce qui concerne les présumés incidents et notamment ses habitudes de consommation d’alcool. Elle a expliqué à quel point elle était ivre ce soir‑là, au point où elle n’a plus aucun souvenir des faits à partir du moment où elle est revenue d’un club de Vernon jusqu’au moment où elle s’est réveillée après s’être retrouvée sur le Sergent Parson dans une couchette située dans la pièce 1 du bâtiment A‑10.

 

[76]      Le témoignage du Caporal Barber indique que le blackout de la Soldate R.H. était beaucoup plus grave que ce qu’elle relate et il ressort de l’ensemble de la preuve qu’elle ne se souvient pas très bien des événements. Par exemple, elle croit que le Caporal Barber l’a accompagnée au club à Vernon, ce que ce dernier réfute. Elle ne se souvient pas de l’incident du baiser dont M. Illingby a été témoin. Il est impossible de concilier sa version des faits en ce qui concerne le fait qu’elle s’est retrouvée sur une ou plusieurs personnes, sans sous-vêtements, comme elle l’a affirmé, lorsqu’on compare ce qu’elle a déclaré à la Caporale Neid et à l’Adjudante Carbonell peu de temps après les présumés incidents, en l’occurrence, qu’une homme était sur elle avec le pénis sorti de ses pantalons et qu’elle avait constaté que sa culotte était descendue sur ses chevilles. Malgré tous les efforts faits par la cour pour concilier son témoignage, lorsqu’on examine l’ensemble de la preuve, force est de constater que les contradictions et les incohérences relevées dans le témoignage de la Soldate R.H. sont très importantes.

 

[77]      Comme je l’ai déjà expliqué, la seule question à se poser en ce qui concerne le premier et le second chefs d’accusation est celle de savoir si la poursuite a établi hors de tout doute raisonnable que les faits reprochés ont effectivement eu lieu.

 

[78]      La cour ne croit pas l’accusé, surtout, en ce qui concerne ses explications quant à son rôle et à ses responsabilités le soir en question, et son témoignage ne permet pas à la cour d’avoir des doutes raisonnables au sujet des éléments constitutifs de l’agression sexuelle pour ce qui est de l’emploi de la force sur la personne de la Soldate R.H., du caractère sexuel de la force ainsi appliquée, et de l’absence de consentement de la Soldate R.H. Il ne s’agit pas d’un cas dans lequel la cour ne sait pas qui croire, étant donné que la cour ne croit pas l’accusé.

 

[79]      La question qu’il nous reste à trancher est la suivante : même si le témoignage du Sergent Parson ne soulève pas de doute raisonnable au sujet de sa culpabilité, la cour est-elle convaincue hors de tout doute raisonnable de sa culpabilité après avoir examiné l’ensemble de la preuve que la cour a acceptée? Il faut répondre par la négative à cette question. Le témoignage de la Soldate R.H. n’est pas suffisamment fiable pour satisfaire à la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable. Si l’on fait abstraction de ses contradictions et de ses incohérences après les avoir examinées à la lumière de l’ensemble de la preuve présentée par les autres témoins que la cour a acceptée, son témoignage demeure insuffisant pour fournir un fondement probatoire suffisamment solide pour démontrer non seulement que l’acte a été commis, mais également pour confirmer la nature sexuelle de l’acte et l’absence de consentement.

 

[80]      La Cour ne peut que spéculer sur ce qui s’est effectivement passé entre ces deux personnes ivres au lit. Par exemple, la poursuite a demandé à la cour de tirer la conclusion que les sous-vêtements de la Soldate R.H. ne pouvaient avoir été retirés que par le Sergent Parson ou que ce dernier a participé à leur enlèvement. La Cour n’est pas de cet avis. La Cour ne peut que supposer qu’elle portait des sous-vêtements lorsqu’elle s’est mise au lit pour la première fois avec l’aide du Caporal Barber. Ce qui est arrivé ensuite avec les sous-vêtements en question relève de la spéculation beaucoup plus que ce que la poursuite a laissé entendre.

 

[81]      La poursuite a également demandé à la cour de retenir la version de la Soldate R.H. en ce qui concerne le fait que le Sergent Parson l’a ramenée sur lui. Ce fait n’a également pas été prouvé hors de tout doute raisonnable, étant donné que la Soldate R.H. a elle-même déclaré que l’homme était sur elle quelques jours après l’incident lorsqu’elle en a parlé à son amie et l’Adjudante Carbonell.

 

[82]      Autant que la cour ne croie pas l’accusé sur des questions critiques, autant cette incrédulité ne peut servir à faire disparaître les contradictions et incohérences majeures que la cour a constatées dans le propre témoignage de la Soldate R.H. lorsqu’on l’apprécie en fonction de tous les autres éléments de preuve, pas plus qu’elle ne peut augmenter ou renforcer de facto la fiabilité du propre témoignage de la Soldate R.H. Comme je l’ai déjà expliqué, le fardeau de la preuve n’est pas transféré à l’accusé et la poursuite doit s’acquitter de ce fardeau de la preuve. Il s’agit d’une de ces affaires dans lesquelles la cour conserve un doute raisonnable à la lumière de l’ensemble de la preuve.

 

[83]      La cour croit que la Soldate R.H. a probablement été touchée d’une certaine façon par le Sergent Parson, que celui‑ci ait été éveillé ou même endormi, mais cela ne suffit pas. La cour en est réduite à des conjectures quant aux faits qui se sont effectivement produits, comment ils se sont produits et ce qui y a conduit. La cour conserve un doute raisonnable au sujet de l’acte et de la question du consentement. Par conséquent, l’accusé doit être acquitté du premier chef d’accusation.

 

[84]      Quant au second chef d’accusation, la cour n’est pas convaincue hors de tout doute raisonnable que la Soldate R.H. occupait la couchette dans laquelle le Sergent Parson est allé dormir ou que ce dernier aurait été conscient si la Soldate R.H. était venue le rejoindre dans cette couchette, le cas échéant.

 

[85]      Comme la cour conserve un doute raisonnable au sujet de l’acte et de la question du consentement, la simple présence de deux personnes dans le même lit ne suffit pas, à défaut d’éléments de preuve plus convaincants ou fiables, pour conclure au harcèlement.

 

[86]      En ce qui concerne l’incident du baiser, la preuve est suffisamment convaincante pour conclure que ce baiser n’avait pas été sollicité par le Sergent Parson et que la Soldate R.H. le lui a donné. La Cour doit par conséquent acquitter le Sergent Parson du second chef d’accusation.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[87]      DÉCLARE le Sergent Parson non coupable du premier chef d’accusation et non coupable du second chef d’accusation.


 

Avocats :

 

Major R. Holman, procureur militaire régional – Atlantique

Avocat de Sa Majesté la Reine

 

Major A. Appolloni, directeur du Service d’avocats de la défense

Avocat du Sergent B.E.D. Parson

 

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