Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 15 juin 2009

Endroit : BFC Edmonton, Édifice 175, chemin Rhine, Edmonton (AB)

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 : Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.).

Résultats
•VERDICT : Chef d'accusation 1 : Non coupable.

Contenu de la décision

Référence : R.  c. Le soldat T.A. Weir, 2009 CM 1008

 

Dossier : 200901

 

 

 

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

CANADA

ALBERTA                                                   

BASE DES FORCES CANADIENNES EDMONTON

 

Date : 19 juin 2009

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU COLONEL M.  DUTIL, J.M.C.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

c.

LE SOLDAT T.A.WEIR

(Accusé)

                                     

Avertissement

 

Restriction à la publication : Par ordonnance de la cour rendue en vertu de larticle179 de la Loi sur la défense nationale et de larticle486.4 du Code criminel, il est interdit de publier ou de diffuser, de quelque façon que ce soit, tout renseignement permettant détablir lidentité de la personne décrite dans le présent jugement comme la plaignante.

 

DÉCISION

(Prononcée de vive voix)

 

 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 


Introduction

 

[1]        Le soldat Weir est accusé dagression sexuelle. La plaignante dans la présente affaire est B.V. Au moment de lagression sexuelle alléguée, laccusé et la plaignante étaient tous deux à lemploi de la 1re Ambulance de campagne Edmonton.

 

[2]        Les événements qui ont donné lieu à laccusation se seraient déroulés au cours de la soirée du 25 juillet 2008 ou tôt dans la matinée du 26 juillet 2008 à la résidence de M.L., qui était membre des Forces canadiennes à lépoque pertinente et qui vivait dans un logement familial situé à Lancaster Park, à Edmonton, en Alberta. 

 

La preuve

 

[3]        Les éléments de preuve dont la cour dispose se composent des témoignages de B.V., la plaignante, de M.L., la personne qui était lhôte de la fête au cours de laquelle lagression sexuelle aurait eu lieu, et de T.G., une très bonne amie de la plaignante qui a également assisté à la fête.

 

Le témoignage de B.V.

 

[4]        Les faits de la présente affaire ont débuté à la fin de laprès-midi et au début de la soirée du 25 juillet 2008, alors que plusieurs membres de la 1re Ambulance de campagne assistaient à une fête privée organisée et tenue par M.L., à sa résidence située à Lancaster Park, à Edmonton, pour célébrer le mariage à venir de deux de leurs collègues, soit J.E. et R.R.

 


[5]       La plaignante, B.V., qui est une grande coureuse et une athlète sérieuse, a affirmé qu'elle avait couru 30 kilomètres dans la matinée du 25 juillet 2008. Elle a affirmé quau cours de laprès-midi, elle sétait fait bronzer chez elle avec son ami T.V.M. avant daller faire des courses. Elle a affirmé quelle avait bu une consommation chez elle entre quatorze heures et quinze heures. Elle a dit quelle était partie avec T.V.M. pour se rendre à la résidence de M.L. vers dix-huit heures pour aider cette dernière à faire les préparatifs pour la fête. La plaignante sest rendue chez M.L. à bord de sa voiture, mais elle a pris des dispositions pour dormir chez M.L. et ne pas avoir à prendre le volant pour rentrer chez elle après la fête puisquelle avait lintention de boire de lalcool au cours de cette soirée. Elle a dit quelle avait amené de lalcool avec elle et quelle avait aussi bu lalcool dautres personnes à la fête. La plaignante a décrit les personnes présentes à la fête, dont le soldat Weir. Il se peut quelle ait aussi consommé de lalcool à dix-neuf heures. Selon elle, les gens ont commencé à arriver entre vingt et une heures et vingt et une heures trente. La plaignante ne se souvenait pas exactement qui dautre était présent à la fête parce quelle ny avait pas prêté attention. Elle a affirmé au sujet de son rapport avec le soldat Weir quelle le considérait comme un ami. Tandis que les gens arrivaient, elle a pris quelques autres consommations. La plaignante a affirmé que, plus tard ce soir-là, ils avaient quitté la résidence pour se rendre dans une boîte de nuit située près de Jasper Avenue à Edmonton. Elle a dit quelle avait quitté à bord du véhicule dun ami du nom de Julian avec plusieurs autres invités de la soirée, dont le soldat Weir. Daprès son témoignage, le soldat Weir leur a offert une rasade de rye de marque « Weiser ». Elle a affirmé quelle en avait pris une rasade tout comme les autres passagers du véhicule, à lexception du chauffeur. Elle a affirmé que les autres s'étaient rendus au bar à bord dun autre véhicule, mais que son ami T.V.M. ne les avait pas accompagnés au bar.

 

[6]       La plaignante a affirmé quelle avait pris dautres consommations pendant qu'elle était au bar. Elle a affirmé quelle avait pris trois ou quatre pousse-café (shooters) ainsi que trois « screwdrivers ». Elle a dabord affirmé quelle avait dansé, mais que ses pieds lui faisaient mal et quelle se sentait fatiguée. En contre-interrogatoire, elle a dit quelle avait couru 30 kilomètres ce matin-là. À ce stade de la soirée, elle a dit quelle était saoûle. Elle a dit quils étaient restés dans la boîte de nuit jusquaux environs de minuit et demi ou une heure; soit pendant environ une heure et demie ou deux heures. Daprès son témoignage, ils ont alors décidé de retourner à la résidence de M.L. pour continuer à fêter, cest-à-dire à boire et à samuser. Elle a dit quelle était retournée à la résidence en taxi en compagnie de M.L., du soldat Weir et de M.F., L.Z., J.E. et R.R., fort probablement à bord dun taxi mini-fourgonnette.

 

[7]       Selon la plaignante, ils sont arrivés à la résidence vers une heure. Elle a dit que les invités dhonneur ne sétaient pas joints à eux, mais étaient retournés à leur résidence, tandis que dautres étaient restés pour continuer à fêter. La plaignante a affirmé quelle et M.L. avaient décidé de se rendre à la piscine, une petite piscine pour enfants contenant deux pieds deau, pour se rafraîchir. Avant cela, elle était allée à létage et avait enlevé sa robe noire courte pour enfiler un maillot de bain deux pièces. La plaignante a plongé dans la piscine tête la première. Elle a affirmé quelle et M.L. étaient toutes deux restées dans la piscine seulement quelques minutes puisque leau était froide. La plaignante a pris quelques autres consommations au cours de cette période ainsi quun verre de vin. Encore une fois, elle a affirmé quelle était passablement saoûle. Elle a ensuite quitté le groupe pour monter à l'étage afin de prendre une douche et de se changer. Elle a enfilé un débardeur et une paire de jeans. Elle ne portait pas de sous-vêtements. Elle croyait avoir laissé son maillot de bain suspendu dans la salle de bain. Elle a ensuite rejoint les autres au rez-de-chaussée. La plaignante a affirmé quà ce stade, elle ne se souvenait pas de ce qui sétait passé ensuite. Elle sest décrite à ce stade comme embrumée et nayant que des souvenirs très fragmentaires après ce moment.

 


[8]       La plaignante a affirmé quelle avait alors eu un « blackout », chose qui lui est arrivée à plus dune occasion après quelle eut beaucoup bu. Elle a affirmé quelle avait perdu connaissance sur le divan dans le salon, où se trouvaient également une causeuse, une table à café au milieu ainsi quun téléviseur. Selon elle, il y avait encore des gens en plus de M.L. et du soldat Weir lorsquelle avait marché jusquau divan. Elle ne se souvenait pas dans quelle position elle était sur le divan, ni comment elle se sentait à ce moment-là. Elle na pas noté où se trouvait le soldat Weir lorsquelle est allée se coucher sur le divan. Elle a affirmé quelle avait par la suite été réveillée une première fois par une personne qui se trouvait derrière elle, qui lui tenait la main et qui tentait de lui retirer son pantalon. Elle a affirmé que la personne tentait [traduction] « d'attoucher sa zone privée ». Elle a dit quelle repoussait continuellement sa main. Elle a dit quelle avait déplacé la main de la personne et avait repoussé cette dernière. Elle a affirmé quelle faisait face au divan. Selon son témoignage, ses pantalons étaient baissés jusquà ses genoux, alors quelle était sur le dos. Elle a affirmé que si son corps sétait retrouvé dans cette position, cétait peut-être parce quelle-même avait bougé ou parce que la personne lavait déplacée. Elle a affirmé quelle croyait que la personne sétait rendu compte quelle faisait quelque chose de stupide, et elle se souvient que la personne sétait mise à jurer et à dire « F--K ». Elle a décrit lemploi de la force comme agressif, évoquant lecchymose quelle avait au biceps. Elle na vu aucun visage ni na reconnu aucune voix. Elle a affirmé quelle avait de nouveau perdu connaissance à ce moment, nayant que des souvenirs fragmentaires, et quelle avait remonté son pantalon. La question nest pas claire daprès son témoignage de savoir si elle a perdu connaissance avant ou après avoir remonté son pantalon. Elle a affirmé quelle avait été réveillée de nouveau plus tard cette nuit-là, bien quelle ne put pas dire combien de temps plus tard, par une personne qui tentait de l'enlacer, tandis que son visage faisait face au dossier du divan. Elle a affirmé que la personne était étendue derrière elle et se frottait l'entrejambes contre ses fesses. Lorsque le poursuivant lui a demandé ce quelle avait fait à ce moment, elle a répondu : [traduction] « Cest tout embrouillé, alors jai de nouveau perdu connaissance. »

 


[9]       La plaignante a ensuite affirmé que la chose suivante dont elle se souvenait était quelle sétait réveillée peu avant six heures, paniquée. Elle a dit quelle pleurait parce quelle savait que quelque chose sétait produit pendant la nuit. Selon la plaignante, cest alors que le soldat Weir sest approché delle et lui a rapidement dit quelque chose comme : [traduction] « Hier soir, les choses ont dérapé, mais tu nas pas dit non. » La plaignante interprète cette remarque soudaine du soldat Weir et relie immédiatement cette remarque à ses souvenirs fragmentaires de gestes posés par le soldat Weir. La plaignante a affirmé peu après quelle avait mentionné au soldat Weir que L.Z. lavait violée avant quil fasse cette remarque. Elle a dit quelle sétait alors rendu compte quelle avait conclu que ce devait avoir été le soldat Weir et non lautre personne. Elle a tout de suite récupéré ses sacs et a quitté à bord de sa voiture vers six heures, probablement encore sous leffet de lalcool. La plaignante est arrivée à son appartement quinze minutes plus tard, et elle a tenté sans succès de joindre sur son téléphone cellulaire son copain, qui était alors en Ontario. Elle a ensuite appelé son amie T.G. à sa résidence et lui a dit ce qui sétait passé, selon elle. Elle est ensuite allée voir T.G. à sa résidence parce quelle ne voulait pas être seule, puisqu'elle avait peur et était confuse. Elles ont parlé de tout, et la plaignante lui a montré les éraflures sur sa poitrine après avoir retiré son T-shirt dans la chambre à coucher de T.G. Elle a dit que T.G. était choquée et surprise. T.G. a aussi remarqué une ecchymose sur son biceps droit, comme l'empreinte d'un doigt. T.G. a affirmé quelles étaient restées dans la cuisine et que cétait là que la plaignante lui avait montré les ecchymoses et les éraflures.

 

[10]     La plaignante a ajouté quelle avait parlé à M.L. plus tard dans laprès-midi pour la mettre au courant de ce qui sétait passé, et quelle était allée chez elle en voiture, puisque son copain était encore en Ontario. Selon la plaignante, elles se sont assises dehors et y ont parlé des événements. Elle a affirmé que M.L. lavait soutenue. Elle a ajouté quelle avait ensuite quitté pour aller chercher son copain à laéroport et quelle avait signalé lincident le jour suivant à la police militaire. Elle a dit quelle avait hésité avant de sadresser à la police à cause de la quantité dalcool quelle avait consommée ce soir-là et du « blackout » qui sétait ensuivi. Elle a dit dans son témoignage :  [traduction] « Personne ne devrait boire autant. Je ne me serais pas placée dans une telle situation, et le soldat Weir naurait pas fait ce quil a fait. »

 


[11]     En contre-interrogatoire, elle a affirmé quelle nétait pas certaine du nombre de consommations quelle avait prises avant de se rendre à la résidence de M.L. Pour ce qui est dêtre allée à la piscine avec M.L., elle a confirmé quelle avait plongé et nétait restée que quelques minutes alors que les autres étaient encore dehors. Elle a expliqué quelle avait pris une douche après être sortie de la piscine et avait enfilé ses jeans et son débardeur. Elle était ensuite retournée rejoindre les autres dehors et avait continué à fêter. La plaignante a ajouté quelle avait ensuite décidé daller au salon. Elle ne se souvient pas très bien si elle y est allée seule ou non, et elle ne se souvenait pas très bien sil y avait déjà quelquun sur le divan à ce moment-là. Elle ne se souvient pas si le téléviseur était allumé ou non à ce moment-là. Elle ne se souvient pas qui était encore présent à la fête au moment pertinent. Elle ne se souvient pas si elle sest endormie immédiatement ou non lorsquelle sest étendue sur le divan, mais elle a dit quelle avait perdu connaissance et quelle avait du mal à se remémorer les événements. En réponse à lavocat de la défense, elle a admis avoir déjà été aussi saoûle auparavant et avoir perdu connaissance de la même manière. Elle a prétendu que ce dont elle se souvenait, elle savait que cela sétait produit, même si elle nen avait que des souvenirs fragmentaires. Elle a affirmé que ses vêtements navaient pas été endommagés et quelle avait le sommeil lourd. En outre, au cours de son contre-interrogatoire, elle a affirmé quelle ne se souvenait pas très bien dans quelle position elle se trouvait lorsquon avait baissé son pantalon. Elle a aussi affirmé quelle navait pas hurlé ni crié ni demandé de laide. Lorsque lavocat de la défense lui a demandé de décrire la séquence des événements après quelle se fut réveillée peu avant six heures, la plaignante a dit que cétait le soldat Weir qui était venu lui parler ce matin-là parce quil avait vu quelle pleurait. Le soldat Weir lui avait demandé comment elle allait, puis il lui avait dit : [traduction] « Les choses ont dérapé la nuit dernière. Tu nas pas dit non. » Cest alors quelle lui a mentionné le nom de L.Z. et quelle sest rendu compte quelle pensait que cétait le soldat Weir qui lavait agressée dans son sommeil. La plaignante a confirmé quelle avait interprété les paroles du soldat Weir comme des excuses pour ce quelle se souvenait lui être arrivé durant la nuit. Pour ce qui concerne sa personnalité, elle a convenu quelle était une personne avenante et sociable qui aime rigoler avec ses collègues de sexe masculin. Elle a confirmé quon lui avait proposé de lexaminer pour voir si elle avait des marques ou des ecchymoses et que la police avait pris des photos qui révélaient très peu de choses. La police militaire la invitée à revenir si quoi que ce soit apparaissait peu après. On lui a aussi offert de subir un test de viol, mais elle a refusé, parce quelle savait quelle navait pas été violée, daprès son souvenir des événements.

 

Le témoignage de M.L.

 

[12]     M.L. a été le premier témoin appelé par la poursuite. Elle a affirmé quelle avait organisé et tenu la fête le 25 juillet 2008 à sa résidence, située sur Coriano Street, à Lancaster Park, à Edmonton, en Alberta, pour célébrer le mariage à venir de deux amis de son unité. Elle vivait là avant sa libération des Forces canadiennes en octobre 2008, et elle avait invité plusieurs amis de son unité, la 1re Ambulance de campagne. Elle s'est souvenue que des gens avaient commencé à arriver vers vingt heures trente le 25 juillet. Elle avait préparé de la nourriture et fait le ménage de sa résidence avant que les gens commencent à arriver. Elle a affirmé que 10 à 15 personnes avaient assisté à la fête, dont le soldat Weir et la plaignante, B.V. La plaignante avait pris des dispositions avec M.L. pour pouvoir dormir chez elle dans une chambre d'amis parce qu'elle comptait boire et il était préférable qu'elle ne conduise pas sa voiture après la fête.

 

[13]     Les invités buvaient de l'alcool et mangeaient des légumes, des sandwichs et des grignotines. M.L. a décrit sa résidence comme un duplex à deux étages comptant quatre chambres à coucher situées à l'étage, tandis que la cuisine et le salon sont adjacents l'un à l'autre au rez-de-chaussée.

 

[14]     M.L. a affirmé que sa soirée avait duré environ trois heures, de vingt heures à vingt-trois heures ce soir-là, avant qu'ils décident d'aller poursuivre les réjouissances dans un bar local situé sur Jasper Avenue.

 

[15]     Elle a affirmé qu'au cours de la fête à sa résidence, elle avait vu la plaignante boire des panachés (coolers), puis des pousse-café (shooters). Elle a dit que B.V. avait pris un bon nombre de consommations, mais elle ne savait pas combien. Cependant, elle a remarqué que la plaignante avait la parole un peu empâtée. Les gens étaient de bonne humeur et s'amusaient.

 


[16]     M.L. a affirmé que le groupe avait quitté sa résidence à vingt-trois heures à bord de trois véhicules. Elle a dit qu'elle avait conduit un véhicule, tandis qu'un de ses amis en avait conduit un autre. Le troisième véhicule était un taxi. Ils sont arrivés au bar local vingt minutes plus tard. Elle a décrit le bar comme une boîte de nuit sans prétention avec un salon VIP et une petite piste de danse. Ils avaient déjà fait une réservation pour le salon VIP. Pendant qu'elle était dans la boîte de nuit, elle a pris une consommation alcoolisée ainsi que des boissons non alcoolisées. Lorsqu'elle a été interrogée au sujet de l'attitude de la plaignante dans le bar, M.L. a dit que la plaignante flirtait et qu'elle faisait des blagues et riait avec tout le monde. Elle a aussi dit qu'elle avait vu le soldat Weir sur le divan dans la section VIP et l'avait observé sur la piste de danse à quelques occasions durant cette période.

 

[17]     M.L. est restée au bar environ une heure et demie ou deux avant de rentrer chez elle avec la plaignante. Elle a dit que la plaignante riait et faisait des blagues. Elle a affirmé qu'elles étaient arrivées chez elle vers une heure et demie avec J.E., R.R., M.F., B.V. et le soldat Weir. Sa version des faits diffère de celle de la plaignante sur ce point. M.L. croit que tous les autres avaient quitté. Elle a affirmé qu'elle et la plaignante étaient allées se changer, puis s'étaient rendues à la piscine pour quelques minutes, où elle avaient bu d'autres pousse-café. Après être sortie de la piscine, M.L. a enfilé son pyjama et a commencé à nettoyer la cuisine en rangeant des bouteilles. À l'exception du soldat Weir et de la plaignante, les invités ont quitté sa résidence vers deux heures ou deux heures trente. Elle a vu que la plaignante était couchée sur le divan dans le salon, face au dossier du divan. Elle a aussi vu le soldat Weir assis dans la causeuse avant d'aller s'asseoir au bout du divan pour écouter la télévision. Elle leur a dit qu'elle allait se coucher. Le soldat Weir a répondu qu'il retournait aux baraquements. M.L. a tapé la plaignante sur l'épaule pour qu'elle l'accompagne à l'étage, mais la plaignante a fait un geste et a émis un son pour dire à M.L. de la laisser tranquille. M.L. a dit que la plaignante était saoûle. Elle est allée se coucher et a essayé de dormir. Étant donné qu'elle a le sommeil léger, elle a affirmé qu'elle était descendue pour éteindre la télévision qui jouait trop fort. Une fois rendue au rez-de-chaussée, elle a vu la plaignante endormie sur le divan dans la même position et le soldat Weir endormi assis au bout du divan aux pieds de la plaignante. Elle a éteint la télévision et est retournée à sa chambre. En contre-interrogatoire, M.L. a ajouté qu'elle était redescendue au rez-de-chaussée pendant la nuit pour prendre un verre d'eau et qu'elle avait vu que le soldat Weir et B.V. n'avaient pas bougé et qu'ils étaient tous deux toujours endormis.

 

[18]     Elle est retournée se coucher, et elle s'est réveillée entre sept heures et demie et huit heures. Elle a alors continué à nettoyer la cuisine et le salon, où elle a vu que du vin avait été renversé sur le plancher de bois franc devant la causeuse. Elle a remarqué que la plaignante avait déjà quitté. Le soldat Weir fumait une cigarette dehors. Elle lui a demandé comment il se sentait ce matin-là, ce à quoi il a répondu qu'il s'était beaucoup amusé la veille, puis il l'a remerciée de l'avoir invité. Il a quitté et est rentré à pied à sa résidence, à environ 1,5 kilomètre de là.

 


[19]     M.L. a affirmé en outre qu'elle avait parlé à la plaignante plus tard ce matin-là au téléphone. Elle a dit que la plaignante pleurait et semblait bouleversée. Elle a aussi mentionné que la plaignante avait dit qu'elle avait oublié des vêtements avant de quitter plus tôt ce matin-là. M.L. a donc invité la plaignante chez elle pour discuter. La plaignante est arrivée vers onze heures, après que son copain l'eut déposée, selon le témoignage de M.L. Celle-ci a affirmé que lorsque la plaignante était arrivée chez elle, elle semblait aller, bien qu'elle eut l'air confuse. Elles sont restées dehors pendant environ deux heures au cours desquelles elles ont parlé de la soirée précédente. La plaignante a dit à M.L. qu'elle croyait que quelque chose était arrivé entre elle et le soldat Weir cette nuit-là, bien qu'elle ne parvînt pas à se souvenir vraiment de tout. M.L. a affirmé que B.V. pleurait. Au cours de cette discussion, elles ont bu un panaché. Interrogée au sujet d'une ecchymose sur le bras de la plaignante, M.L. a décrit l'ecchymose comme quelque chose qui ressemblait à une vieille ecchymose parce qu'elle était de couleur foncée. Elle était située sur le biceps droit de la plaignante, comme la marque d'un pouce. La plaignante lui a dit que son copain lui avait conseillé de déposer une plainte, ce à quoi M.L. lui a répondu qu'avant de faire cela, elle devrait être certaine de ce qui s'était passé. M.L. a affirmé que la plaignante avait quitté plus tard avec son copain. Ce témoignage ne concorde pas avec ceux de la plaignante et de T.G. selon lesquels le copain de la plaignante était à l'extérieur de la ville au moment pertinent.

 

[20]     Interrogée par l'avocat de la poursuite au sujet du comportement de la plaignante avant de s'endormir sur le divan, M.L. a répondu que B.V. flirtait et qu'elle était passablement saoûle, qu'elle titubait et qu'elle avait la parole empâtée. M.L. a ajouté que la plaignante n'aurait pas pu rentrer chez elle en voiture. Elle a ajouté que lorsqu'elle était rentrée chez elle plus tard ce matin-là, la plaignante était dans un état correct, sauf qu'elle ne se sentait pas bien et semblait bouleversée. Enfin, M.L. a affirmé qu'après qu'elle eut éteint la télévision ce soir-là, elle n'avait rien entendu.

 

Le témoignage de T.G.

 

[21]     T.G. a été le seul autre témoin entendu pendant le procès. Elle est une des meilleures amies de B.V. Elle était aussi présente à la fête à la résidence de M.L., mais elle n'a pas accompagné le groupe au bar local et a quitté la fête à ce moment-là. Elle est arrivée à la fête vers neuf heures ce soir-là, accompagnée de son copain B.K. Elle a d'abord affirmé qu'elle avait seulement pris quelques consommations pendant la fête, mais elle a affirmé peu après qu'elle et B.V. avaient aussi pris quelques verres de Sourpuss. Son copain n'en avait pas pris. Elle connaissait le soldat Weir seulement comme membre de l'unité. T.G. a affirmé qu'elle avait été assise avec B.V. à discuter pendant la majeure partie de la soirée. Elle a affirmé qu'avant de quitter la fête, elle avait discuté avec B.V. de plans communs pour le lendemain, et qu'elle avait dit à la plaignante qu'elle lui enverrait un message texte pour confirmer. Elle aurait quitté avec son copain vers vingt-deux heures trente alors que tous les autres se préparaient à se rendre dans un bar local. T.G. a affirmé qu'elle avait reparlé à son amie B.V. au téléphone le lendemain matin.

 


[22]     Selon son témoignage, elle a envoyé un message texte à B.V. vers dix heures pour lui demander si elle était réveillée, ce à quoi la plaignante a répondu par l'affirmative. T.G. a affirmé que B.V. l'avait ensuite appelée au téléphone sur sa ligne résidentielle et qu'elle avait raté l'appel. Elle l'a rappelée. Lorsqu'elle lui a demandé comment s'était passée la soirée de la veille, B.V. lui a dit que quelque chose de grave s'était produit. B.V. semblait bouleversée et sa voix tremblait. T.G. a invité B.V. chez elle, parce qu'elle savait que le copain de B.V. n'était pas à la maison. B.V. est arrivée peu de temps après. T.G. a affirmé que son copain était présent à ce moment-là, mais qu'il n'avait pas pris part à la discussion, qui s'était déroulée entièrement dans la cuisine. Elle a affirmé que B.V. pleurait et que ses mains tremblaient. Elle avait le visage rouge et les yeux larmoyants. Elle n'avait jamais vu B.V. pleurer auparavant. Elle connaissait son amie B.V. comme une personne sûre d'elle. Elle lui a alors demandé ce qui s'était passé. B.V. a répondu qu'elle pensait que quelque chose de grave s'était produit. T.G. a affirmé que B.V. portait un débardeur et un chandail. B.V. a retiré son chandail et T.G. a remarqué que son amie avait des éraflures sur la poitrine. B.V. a alors demandé à T.G. si elle avait des ecchymoses sur elle.T.G. a affirmé qu'elle avait vu quelque chose qu'elle a décrit comme une marque de main sur le bras gauche de B.V., différente de ce que B.V. et M.L. ont toutes deux décrit dans leurs témoignages.

 

[23]     T.G. a ensuite témoigné au sujet de la nature de la conversation qu'elle avait eue avec la plaignante. B.V. lui a dit que quelque chose de grave lui était arrivé à la résidence de M.L. Elle se souvenait d'avoir repoussé du pied quelqu'un qui était sur elle pendant la nuit, et elle ne savait pas à ce moment-là qui c'était, parce qu'elle a dit qu'elle pensait qu'elle rêvait. T.G. a affirmé en outre que B.V. lui avait dit qu'elle n'avait aucune idée de l'identité de cette personne jusqu'au lendemain matin, lorsque le soldat Weir lui avait présenté des excuses. T.G. a affirmé qu'elle était choquée. Selon son témoignage, B.V. aurait passé le plus clair de la journée avec elle à son appartement. T.G. a affirmé qu'elles avaient écouté deux films intitulés « Blue Crush » et « Honey ». Elles avaient ensuite préparé le dîner ensemble et avaient dîné. T.G. a ajouté que B.V. était partie de chez elle après le dîner vers dix-huit heures, parce qu'elle devait aller faire des emplettes à l'épicerie et aller chercher son copain à l'aéroport plus tard ce soir-là. Cette partie de son témoignage ne concorde pas non plus avec les témoignages de M.L. et B.V.

 

[24]     Voilà qui complète le résumé de la preuve présentée à la cour.

 

Le droit et les éléments essentiels de l'accusation

 

(Article130 de la Loi sur la défense nationale - article271 du Code criminel)

 

[25]     Au fil des ans, la Cour suprême du Canada a donné des directives à l'intention des juges de première instance dans les affaires d'agression sexuelle. Il est bien établi qu'une agression sexuelle est une agression qui est commise dans des circonstances de nature sexuelle, de manière à porter atteinte à l'intégrité sexuelle de la victime. Cependant, les agressions sexuelles ont une dimension particulière. Dans R. c. Seaboyer[1], la juge L'Heureux-Dubé a affirmé :


L'agression sexuelle est différente d'un autre crime. Dans la vaste majorité des cas, la cible est une femme et l'agresseur est un homme. [...] Peut-être plus que dans le cas de tout autre crime, la crainte et la réalité constante de l'agression sexuelle influent sur la façon dont les femmes organisent leur vie et définissent leurs rapports avec l'ensemble de la société.

 

[26]     Le critère qui doit être appliqué pour déterminer si la conduite comporte la nature sexuelle requise est objectif; compte tenu de toutes les circonstances, une personne raisonnable peut-elle percevoir le contexte sexuel de l'agression. La partie du corps qui est touchée, la nature du contact, la situation dans laquelle cela s'est produit, les paroles et les gestes qui ont accompagné l'acte, et toutes les autres circonstances entourant la conduite, avec ou sans emploi de la force, constituent des éléments pertinents. L'intention ou le dessein de la personne qui commet l'acte, dans la mesure où cela peut ressortir des éléments de preuve, peut également être un facteur à considérer pour déterminer si la conduite est sexuelle. L'agression sexuelle n'exige pas la preuve de sexualité ou de plaisir sexuel, qui sont simplement des facteurs.

 

[27]     La preuve de l'actus reus d'une agression sexuelle est établie par la preuve de trois éléments : premièrement, l'attouchement; deuxièmement, la nature sexuelle du contact; et troisièmement, l'absence de consentement. Les deux premiers de ces trois éléments sont objectifs. Il suffit que la poursuite prouve que les actes de l'accusé étaient volontaires. La nature sexuelle de l'agression est déterminée objectivement, et la poursuite n'a pas à prouver que l'accusé avait une mens rea quelconque relativement à la nature sexuelle de son comportement.

 

[28]      Pour que l'accusé soit déclaré coupable, la poursuite doit prouver chacun des éléments essentiels suivants hors de tout doute raisonnable :

 

a)         que le soldat Weir a employé la force à l'endroit de B.V.;

 

b)         que le soldat Weir a employé la force intentionnellement;

 

c)         que B.V. n'a pas consenti à la force que le soldat Weir a employée;

 

d)         que le soldat Weir savait que B.V. ne consentait pas à la force qu'il a employée; et

 

e)         que l'emploi de la force par le soldat Weir s'est produit dans des circonstances de nature sexuelle.


La présomption d'innocence et le doute raisonnable

 

[29]             Avant que la cour expose son analyse juridique, il convient de traiter de la présomption dinnocence et de la preuve hors de tout doute raisonnable, une norme de preuve qui est inextricablement liée aux principes fondamentaux de justice applicables à tous les procès criminels. Ces principes sont bien connus des avocats, mais peut-être pas des autres personnes qui se trouvent dans la salle daudience.

[30]             Il est juste de dire que la présomption dinnocence est fort probablement le principe le plus fondamental de notre droit pénal, et le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable est un élément essentiel de la présomption dinnocence. Dans les affaires qui relèvent du Code de discipline militaire comme dans celles qui relèvent du droit pénal, toute personne accusée dune infraction criminelle est présumée innocente tant que la poursuite ne prouve pas sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Un accusé na pas à prouver quil est innocent. Cest à la poursuite quil incombe de prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments de linfraction.

 

[31]             La norme de la preuve hors de tout doute raisonnable ne sapplique pas à chacun des éléments de preuve ou aux différentes parties de la preuve présentés par la poursuite, mais plutôt à lensemble de la preuve sur laquelle cette dernière sappuie pour établir la culpabilité de laccusé. Le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité dun accusé incombe à la poursuite, jamais à laccusé.

 


[32]             Un tribunal doit déclarer un accusé non coupable sil a un doute raisonnable quant à sa culpabilité après avoir considéré lensemble de la preuve. Lexpression « hors de tout doute raisonnable » est employée depuis très longtemps. Elle fait partie de notre histoire et de nos traditions juridiques. Dans larrêt R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S., le juge Cory a proposé un modèle de directives au sujet du doute raisonnable, étant donné la fréquence à laquelle des jurés demandaient des précisions concernant le sens de cette expression. Les principes établis dans l'arrêt Lifchus ont été appliqués dans plusieurs arrêts de la Cour suprême et des cours d'appel. Essentiellement, un doute raisonnable n'est pas un doute farfelu ou frivole. Il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé; il repose sur la raison ou le sens commun. C'est un doute qui survient à la fin du procès et qui est fondé non seulement sur que la preuve révèle mais également sur ce que la preuve ne révèle pas. Le fait qu'une personne ait été accusée ne constitue nullement une indication de sa culpabilité. Dans l'arrêt R. c. Starr, [2000] 2 R.C.S. 144, la Cour suprême a statué, au paragraphe242, que : « [...] une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu'elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités [...] » Par contre, il faut se rappeler qu'il est pratiquement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue. La poursuite n'a pas à le faire. La certitude absolue est une norme de preuve qui n'existe pas en droit. La poursuite doit seulement prouver la culpabilité de l'accusé, en l'espèce le soldat Weir, hors de tout doute raisonnable. Si la cour est convaincue que l'accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, elle doit l'acquitter car la preuve d'une culpabilité probable ou raisonnable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable. L'accusé a le droit de bénéficier de l'interprétation la plus favorable des contradictions dans la preuve.

[33]           Il nest pas rare que des éléments de preuve présentés à la cour soient contradictoires. Les témoins ont souvent des souvenirs différents des événements. La cour doit déterminer quels éléments de preuve elle juge crédibles et fiables. Toutefois, il y a une distinction importante entre un témoin dont le témoignage est à la fois crédible et fiable et un témoin qui paraît crédible, mais dont le témoignage n'est néanmoins pas fiable.

 

[34]           La crédibilité nest pas synonyme de dire la vérité et labsence de crédibilité nest pas synonyme de mentir. De nombreux facteurs doivent être pris en compte dans lévaluation que la cour fait de la crédibilité dun témoin. Par exemple, la cour évaluera la possibilité qua eue le témoin dobserver, les raisons dun témoin de se souvenir. Elle se demandera, par exemple, si les faits valaient la peine dêtre notés, sils étaient inhabituels ou frappants, ou relativement sans importance et, par conséquent, à juste titre plus faciles à oublier. Le témoin a-t-il un intérêt dans lissue du procès; en dautres termes, a-t-il une raison de favoriser la poursuite ou la défense, ou est-il impartial? Ce dernier facteur sapplique dune manière quelque peu différente à laccusé lorsque celui-ci témoigne. Bien quil soit raisonnable de présumer que laccusé a intérêt à se faire acquitter, la présomption dinnocence ne permet pas de conclure que laccusé mentira lorsquil décide de témoigner. Toutefois, un accusé n'a pas à prouver quoi que ce soit, et il n'a pas à témoigner.

 

[35]           Un autre facteur qui doit être pris en compte dans la détermination de la crédibilité dun témoin est son apparente capacité à se souvenir. Lattitude du témoin quand il témoigne est un facteur dont on peut se servir pour évaluer sa crédibilité : le témoin était-il réceptif aux questions, honnête et franc dans ses réponses, ou évasif, hésitant? Argumentait-il sans cesse? Finalement, son témoignage était-il cohérent en lui-même et compatible avec les faits qui nont pas été contestés?

 

[36]           De légères contradictions peuvent se produire, et cela arrive en toute innocence; elles ne signifient pas nécessairement que le témoignage devrait être écarté. Cependant, il en est autrement dans le cas dun mensonge délibéré : cela est toujours grave et peut vicier le témoignage en entier.

 


[37]           La cour nest pas tenue daccepter le témoignage dune personne à moins que celui-ci ne lui paraisse crédible. Cependant, elle jugera un témoignage digne de foi à moins davoir une raison de ne pas le croire. Comme la règle du doute raisonnable s'applique aussi à la question de la crédibilité, la cour n'est pas tenue de se prononcer de manière définitive sur la crédibilité d'un témoin ou d'un groupe de témoins, ni ne doit-elle croire complètement ou ne pas croire du tout un témoin ou un groupe de témoins.

 

[38]      En plus d'avoir pris connaissance du droit relatif à la charge de la preuve et au fardeau de preuve, j'ai aussi pris note que la règle relative à la plainte immédiate avait récemment été abrogée au Canada, bien que le défaut de porter plainte puisse constituer un facteur à prendre en compte pour le juge des faits. J'ai aussi noté qu'il n'y a aucune exigence légale de corroboration du récit de la plaignante. Enfin, j'ai noté que le consentement est entièrement subjectif et qu'il exige « l'accord volontaire du plaignant à l'activité sexuelle » en vertu de l'article273.1 du Code criminel. J'examinerai maintenant les faits de la présente affaire tels qu'ils ressortent des éléments de preuve présentés à la cour à la lumière des principes juridiques applicables.

 

Position des parties

 

La poursuite

 

[39]      La poursuite soutient que la question principale dans la présente affaire se rapporte à l'actus reus de l'infraction. L'avocat de la poursuite soutient que tous les témoins étaient crédibles et dignes de foi. Pour ce qui concerne la plaignante, la poursuite soutient que son témoignage était crédible et en majorité fiable, malgré certaines défaillances de sa mémoire ainsi que des lacunes dans son souvenir des événements qui sont attribuables à une grande consommation d'alcool avant les événements qui ont conduit à l'accusation d'agression sexuelle. La théorie de la poursuite au sujet de l'absence de consentement comporte deux volets : premièrement, B.V. n'était pas en mesure de consentir à l'attouchement sexuel en raison de son degré élevé d'intoxication; et deuxièmement, elle n'a pas consenti à l'attouchement sexuel comme elle l'a dit dans son témoignage. La poursuite soutient que la version des événements de la plaignante, malgré son absence de souvenir de certains événements qui sont survenus avant et après avoir qu'elle eut été agressée sexuellement, était crédible et fiable parce qu'elle était étayée dans une large mesure et logiquement par les témoignages de la plaignante et d'autres témoins au sujet de ce qui s'est produit après l'agression dans le salon de M.L. Le major McMahon, avocat de la poursuite, a évoqué les événements suivants au soutien de ses arguments, et j'ai dénombré douze événements :


1.         La première réaction de la plaignante lorsqu'elle s'est réveillée peu après six heures le 26 juillet 2008 tend à confirmer qu'elle avait les idées claires et qu'elle se souvenait mieux de ce qui s'était produit au cours des heures précédentes.

 

2.         Peu après s'être réveillée, elle a eu une conversation avec le soldat Weir, et elle lui a dit qu'elle croyait que L.Z. l'avait violée ou avait tenté de la violer pendant qu'elle dormait.

 

3.         Elle constate immédiatement la réaction de choc et de surprise du soldat Weir, lorsqu'il lui dit : [TRADUCTION] « Je suis désolé que les choses aient dérapé, mais tu n'as pas dit non. »

 

4.         Elle interprète immédiatement ces mots comme signifiant que le soldat Weir, et non L.Z., l'a agressée sexuellement, et elle s'affole.

 

5.         Les témoignages de M.L. et  de B.V. indiquent que lorsque M.L. a décidé d'aller se coucher, il ne restait qu'elles et le soldat Weir. L.Z. n'était plus dans la maison.

 

6.         La plaignante a quitté la maison immédiatement après s'être affolée, au volant de sa voiture, sachant qu'elle ne devrait pas faire cela après avoir beaucoup bu la veille.

 

7.         La plaignante a quitté la résidence de M.L. et s'est rendue directement chez elle en voiture, où elle a tenté de téléphoner à son copain qui était à l'extérieur de la province.

 

8.         La plaignante a ensuite téléphoné à sa meilleure amie, T.G., pour lui dire ce qu'elle croyait qui s'était passé à la résidence de M.L., et elle s'est rendue chez T.G. pour que celle-ci la réconforte.

 

9.         Lorsqu'elle est arrivée à la résidence de T.G., la plaignante avait une voix et des mains tremblantes et des yeux larmoyants. T.G. n'avait jamais vu son amie dans un tel état physique et émotif auparavant, alors qu'elle la connaît comme une jeune femme forte et sûre d'elle.

 


10.       La plaignante montre à son amie, T.G., qu'elle a certaines marques à la poitrine, près du mamelon gauche, et T.G. voit que la plaignante a une ecchymose près d'un biceps.

 

11.       La plaignante parle à M.L. le même jour pour lui dire ce qui s'est passé, puis elle prend la voiture pour aller voir M.L. à sa résidence. M.L. remarque que la plaignante est très bouleversée et qu'elle a une ecchymose au bras droit qui ressemble à l'empreinte d'un pouce.

 

12.       La plaignante rencontre les policiers le jour suivant et fait une déclaration.

 

[40]      L'avocat de la poursuite soutient que l'élément de preuve clé dans la présente affaire se rapporte aux événements qui se sont produits après que la plaignante se fut réveillée au matin et se soit rendu compte que quelque chose de grave lui était arrivé pendant la nuit, même s'il y avait des lacunes dans son souvenir des événements, mais elle croyait que L.Z. l'avait violée. La poursuite invoque aussi ce que l'accusé aurait dit à la plaignante peu après qu'elle se fut réveillée, lorsque le soldat Weir lui a dit : [TRADUCTION] « Les choses ont dérapé, mais tu n'as pas dit non. »

 

[41]      En conclusion, la poursuite soutient que la plaignante est un témoin fiable à cause de la réaction qu'elle a eue lorsqu'elle s'est réveillée peu après six heures le 26 juillet 2008, ce qui s'accorderait avec son souvenir des événements selon lequel elle a été agressée sexuellement pendant qu'elle dormait. Son comportement à la suite de l'agression sexuelle alléguée corroborerait et confirmerait hors de tout doute raisonnable que le soldat Weir l'a agressée, selon la poursuite.

 

La défense

 

[42]      L'avocat de la défense soutient que les témoins étaient crédibles, mais que leurs témoignages, surtout celui de la plaignante, ne sont pas fiables. La défense a signalé plusieurs aspects problématiques de la preuve entendue au procès et de la position de la poursuite dans la présente affaire. La défense est en désaccord avec la position de la poursuite selon laquelle la cour peut conclure de la preuve que la plaignante n'était pas en mesure de consentir à l'attouchement sexuel à cause de son degré élevé d'intoxication. La défense soutient que la cour ne peut pas tirer une telle conclusion en l'absence d'une preuve d'expert dans le domaine de la toxicologie. La défense évoque aussi différentes parties de la preuve pour illustrer des aspects problématiques de la preuve.

 


[43]      L'avocat de l'accusé soutient que le témoignage de la plaignante n'est tout simplement pas crédible. Il évoque différentes parties de la preuve qu'il considère problématiques, que ce soit dans le témoignage de la plaignante ou les différentes incohérences dans les souvenirs que les témoins avaient des événements. Il a noté qu'après que la plaignante eut dit à sa meilleure amie, T.G., que le soldat Weir l'avait agressée sexuellement quelques heures auparavant, T.G. a été surprise parce qu'elle trouvait que cela ne ressemblait pas du tout au soldat Weir. L'avocat de la défense a souligné que la plaignante était une athlète exceptionnelle et un soldat en bonne forme qui avait couru 30 kilomètres le matin du 25 juillet 2008, qui avait par la suite ingéré une grande quantité d'alcool au cours d'une fête moins de 12 heures plus tard et qui avait fini par perdre connaissance sur le divan de son hôte et avait admis avoir eu un « blackout » comme conséquence. L'avocat de la défense a cité le témoignage de la plaignante, qui a affirmé qu'elle avait dit à la police que le soldat Weir avait peut-être pris son flirt comme signifiant quelque chose de plus.

 

[44]      Il a cité le témoignage de M.L., qui avait vu l'accusé et la plaignante dans son salon avant de se rendre dans sa chambre des maîtres vers deux heures et demie, et qui a dit les avoir trouvés tous deux endormis dans cette pièce lorsqu'elle était descendue, premièrement pour éteindre la télévision, parce qu'elle ne parvenait pas à dormir étant donné qu'elle a le sommeil léger, et plus tard durant la nuit pour boire un verre d'eau. Il a cité son témoignage selon lequel, durant la nuit, M.L. n'avait rien entendu ni entendu personne.

 

[45]      L'avocat de la défense a évoqué plusieurs éléments qu'il estimait troublants, en plus du degré élevé d'intoxication de la plaignante, et qui, selon lui, minent sérieusement la crédibilité de son témoignage. Il a noté que B.V. a le sommeil lourd. L'avocat de la défense a souligné certaines incohérences et contradictions par rapport à sa déclaration antérieure à la police. Par exemple, elle aurait dit qu'elle avait été approchée par derrière, après qu'on lui eut dit que c'était probablement ce qui s'était produit; alors qu'elle avait dit à la police qu'elle était allongée sur le dos. Il a souligné le fait que B.V. n'avait pas vu de visage humain à quelque moment que ce soit durant l'agression alléguée, bien qu'elle eut affirmé qu'elle avait entendu la voix d'un homme qui jurait après qu'elle l'eut repoussé. Cependant, lorsqu'elle s'est réveillée, elle croyait que quelqu'un d'autre que l'accusé l'avait violée ou avait tenté de la violer. L'avocat de la défense soutient que, selon le témoignage de la plaignante, il s'est écoulé une période de temps appréciable durant laquelle la plaignante était déjà endormie sur le divan, alors que d'autres invités étaient encore présents, et durant laquelle l'agression sexuelle alléguée aurait pu se produire sans que l'accusé n'y participe. En outre, l'avocat de la défense a cité les contradictions des différents témoins en ce qui concerne les visites que la plaignante a rendues à M.L. et à T.G. et les discussions qu'elle a eues avec celles-ci le 26 juillet 2008. 

 


[46]      Enfin, l'avocat de la défense souligne le fait que, bien que la police ait pris des photos des marques et des ecchymoses le 27 juillet 2008, celles-ci n'ont rien révélé d'important, et la plaignante n'a pas donné suite à l'offre faite par la police de prendre d'autres photos pour montrer des marques et des ecchymoses qui pourraient apparaître peu après. Il a aussi évoqué l'occasion qui avait été donnée à la plaignante de subir un test de viol qui aurait pu aider l'enquête dans le contexte du manque de crédibilité de son témoignage. Par conséquent, l'avocat de la défense soutient que le témoignage de la plaignante est si peu fiable que la poursuite ne s'est pas acquittée de son fardeau de preuve; c'est-à-dire qu'elle n'a pas prouvé hors de tout doute raisonnable que l'accusé avait effectivement commis l'actus reus de l'infraction.

 

La crédibilité de la plaignante

 

[47]      La plaignante a témoigné selon ses souvenirs les plus précis. Il est acquis aux débats qu'elle était très intoxiquée par l'alcool à la fin de la soirée du 25 juillet 2008 et aux petites heures du matin du 26 juillet 2008. La cour comprend qu'il est extrêmement douloureux de témoigner dans des affaires comme celle-ci. Il ne fait aucun doute que la plaignante a fait de son mieux pour se souvenir de ce qui s'était passé au cours de la nuit du 26 juillet 2008. Cependant, étant donné son état d'intoxication avancé à ce moment, il lui a été extrêmement difficile de faire un compte rendu précis des événements. Il est acquis aux débats qu'elle avait consommé une grande quantité d'alcool au point de perdre connaissance. Pour reprendre ses mots, elle a perdu connaissance plusieurs fois et elle a eu un « blackout ». Elle a candidement admis que ce n'était pas la première fois que cela lui arrivait après qu'elle eut bu beaucoup d'alcool. Elle a reconnu qu'elle n'avait que des souvenirs fragmentaires. Elle a eu un « blackout ». Elle a dit qu'elle était embrumée et qu'elle se sentait comme dans un rêve. Il ne fait aucun doute que sa consommation d'un fort volume d'alcool a eu une incidence importante sur l'évaluation de la fiabilité de son témoignage. Je note aussi le témoignage de M.L. concernant le degré élevé d'intoxication de la plaignante avant qu'elle s'endorme sur le divan aux petites heures du matin du 26 juillet 2008. Il est aussi préoccupant pour la cour que certains de ses souvenirs, par exemple quant à sa position sur le divan au moment où l'incident allégué se serait produit, se fondent sur les observations d'autres personnes. À la différence de l'avocat de la poursuite, je ne trouve pas que les actes qu'elle a posés après l'incident rendent sa version des événements suffisamment fiable.

 


[48]      Certains aspects de son témoignage sont problématiques. La plaignante ne pouvait pas prévoir que les commentaires du soldat Weir pourraient faire allusion à quelque chose qui s'était produit entre eux la veille. Cela pourrait expliquer pourquoi elle aurait dit à la police que le soldat Weir avait peut-être pris son flirt comme signifiant quelque chose de plus. Pourquoi a-t-elle cru que L.Z. l'avait agressée sexuellement si elle n'a vu aucun visage, mais a dit qu'elle avait entendu quelqu'un jurer? Pourquoi pouvait-elle relier cette croyance initiale à L.Z.? Je suis profondément convaincu que la plaignante n'a pas tenté de mentir ni d'embellir sa version, mais la fiabilité de sa version est problématique à de nombreux égards, et cela est attribuable dans une large mesure à son intoxication volontaire.

 

La crédibilité des autres témoins

 

[49]      M.L. a témoigné de manière concise et franche. En contre-interrogatoire, elle a témoigné selon ses souvenirs les plus précis. Son témoignage est cohérent en soi, mais il est contredit quant à des événements secondaires, comme sa discussion avec B.V. et la visite subséquente à sa résidence le 26 juillet, par le témoignage de T.G., qui aurait été avec B.V. au même moment. Le témoignage de M.L. diffère aussi de celui de B.V. sur plusieurs points. Sa version des événements ne concorde pas avec le témoignage de la plaignante quant au transport des invités pour retourner à sa résidence, ni quant au nombre d'invités qui sont retournés à sa résidence pour continuer à fêter. Cependant, il ne fait aucun doute d'après le témoignage de M.L. que B.V. a flirté pendant la soirée et qu'elle était dans un état d'intoxication extrême. M.L. a consommé de l'alcool, surtout après être revenue à sa résidence. La preuve ne permet pas de tirer quelque conclusion ou inférence que ce soit quant à son propre degré d'intoxication lorsqu'elle est allée se coucher après la soirée. Je trouve son témoignage généralement crédible, mais je ne puis admettre son témoignage quant au nombre exact d'invités qui sont retournés chez elle pour continuer à fêter. Quant à la partie de son témoignage qui concerne sa discussion avec B.V. et la visite de cette dernière, celui-ci est corroboré par B.V., et il a des airs de vérité, sauf pour ce qui est de son affirmation selon laquelle le copain de B.V. l'a déposée puis est venu la prendre. Son témoignage est généralement fiable et crédible.

 

[50]      T.G. a témoigné de manière concise et franche et avec confiance. Son témoignage est très problématique. Il est crédible quant au fait qu'elle a parlé à son amie B.V. et l'a vue au cours de la matinée du 26 juillet. T.G. corrobore l'état psychologique et physique de B.V. à ce moment. Cependant, je ne trouve pas crédible ni fiable son témoignage concernant sa description des événements selon laquelle elle aurait passé la majeure partie de la journée en présence de B.V. le 26 juillet 2008. Je ne trouve pas son témoignage crédible ni fiable non plus quant à sa découverte d'une ecchymose sur le biceps de B.V. B.V. et M.L. ont toutes deux dit le contraire. J'admets toutefois son témoignage selon lequel B.V. était vraiment affolée lorsqu'elle lui a parlé et l'a rencontrée dans la matinée du 26 juillet 2008.

 


Décision

 

[51]      Dans les affaires d'infraction à caractère sexuel, le juge des faits est souvent confronté à des versions contradictoires des événements émanant de la plaignante et de l'accusé. La présomption d'innocence ne permet pas au juge des faits de décider laquelle des deux versions est vraie, mais l'oblige plutôt à déterminer si la preuve prise dans son ensemble soulève un doute raisonnable ou si elle établit hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l'accusé. En l'espèce, l'accusé a choisi de ne pas témoigner. La cour ne peut tirer aucune inférence négative de cette décision. Comme je l'ai dit précédemment, l'accusé n'a pas à prouver quoi que ce soit, et le fardeau de la preuve n'incombe jamais à l'accusé. La cour doit examiner les éléments de preuve qu'elle trouve crédibles et fiables et déterminer si la poursuite s'est acquittée de son fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l'accusé.

 

[52]      Je traiterai tout d'abord de la preuve de l'absence de consentement. Vous vous souviendrez que la poursuite soutient que la plaignante était incapable de former un consentement à cause de son degré élevé d'intoxication, et que son témoignage en cour selon lequel elle n'a consenti à aucun attouchement aux moments pertinents établit hors de tout doute raisonnable que B.V. n'a consenti à aucun emploi de la force.

 


[53]      Il est de droit constant qu'une personne qui n'est pas un expert peut donner son avis sur l'intoxication ou les facultés affaiblies d'un individu, de même que sur l'état émotif d'une personne, par exemple si elle est affolée, en colère, agressive, affectueuse ou déprimée. De tels avis ne font pas appel à des connaissances particulières. Est-ce que le témoignage de M.L. et celui de B.V. constituent une preuve hors de tout doute raisonnable d'absence de consentement? Je conclus que par suite de son intoxication, B.V. a eu un « blackout » attribuable à l'alcool et que, de ce fait, elle n'a aucun souvenir de ce qui s'est produit entre les environs d'une heure trente et cinq heures quarante-cinq le 26 juillet 2008, lorsqu'elle s'est réveillée et s'est affolée. La seule exception à cette perte de mémoire, c'est lorsqu'elle a eu des souvenirs embrumés, semblables à un rêve, de quelqu'un qui était derrière elle, qui lui tenait la main et qui tentait de baisser son pantalon. Elle a dit que cette personne tentait [traduction] « d'attoucher sa zone privée ». Elle a dit quelle repoussait continuellement sa main. Elle a dit quelle avait déplacé la main de la personne et avait repoussé cette dernière. Elle a affirmé quelle faisait face au divan. Selon son témoignage, encore une fois, ses pantalons étaient baissés jusquà ses genoux, alors quelle était sur le dos. Elle a affirmé que si son corps sétait retrouvé dans cette position, cétait peut-être parce quelle-même avait bougé ou parce que la personne lavait déplacée. Elle a affirmé quelle croyait que la personne sétait rendu compte quelle faisait quelque chose de stupide, et elle se souvient que la personne sétait mise à jurer et à dire « F--K ». Elle a décrit lemploi de la force comme agressif, évoquant lecchymose quelle avait au biceps. Elle na vu aucun visage ni na reconnu aucune voix. Elle a affirmé quelle avait de nouveau perdu connaissance à ce moment, nayant que des souvenirs fragmentaires, et quelle avait remonté son pantalon. Comme je l'ai dit précédemment, la question nest pas claire daprès son témoignage de savoir si elle a perdu connaissance avant ou après avoir remonté son pantalon. Elle a affirmé quelle avait été réveillée de nouveau plus tard cette nuit-là, bien quelle ne put pas dire combien de temps plus tard, par une personne qui tentait de l'enlacer, tandis que son visage faisait face au dossier du divan. Elle a affirmé que la personne était étendue derrière elle et se frottait l'entrejambes contre ses fesses. Lorsque le poursuivant lui a demandé ce quelle avait fait à ce moment, elle a répondu : [traduction] « Cest tout embrouillé, alors jai de nouveau perdu connaissance. »

 

[54]      La plaignante a ensuite affirmé que la chose suivante dont elle se souvenait était quelle sétait réveillée peu avant six heures, affolée. Elle a dit quelle pleurait parce quelle savait que quelque chose sétait produit pendant la nuit. Selon la plaignante, cest alors que le soldat Weir sest approché delle et lui a rapidement dit quelque chose comme : [traduction] « Hier soir, les choses ont dérapé, mais tu nas pas dit non. » La plaignante interprète cette remarque soudaine du soldat Weir et la relie immédiatement à ce dont elle se souvient, et elle conclut que ce doit être le soldat Weir qui l'a attouchée. La plaignante a affirmé peu après qu'elle avait mentionné au soldat Weir que L.Z. l'avait violé avant que le soldat Weir fasse cette remarque. Elle a dit qu'elle s'était alors rendu compte que ce devait être le soldat Weir, et non l'autre personne. Elle a tout de suite récupéré ses sacs et a quitté à bord de sa voiture vers six heures.

 

[55]      La cour n'est pas d'accord avec la prétention de la poursuite selon laquelle le degré élevé d'intoxication et la perte de mémoire qui s'est ensuivie de la consommation excessive d'alcool de B.V. constituent une preuve d'absence de consentement. En l'absence d'une preuve d'expert, je suis d'avis qu'une perte de mémoire ou un « blackout » attribuable à une consommation excessive d'alcool ne constituent une preuve directe de rien, à l'exception du fait que le témoin ne peut pas témoigner quant à ce qui s'est produit pendant une certaine période. En soi, cette preuve signifie seulement que la plaignante ne peut pas livrer de témoignage direct quant à savoir si elle a consenti ou non au contact sexuel ou si elle avait ou non la capacité d'y consentir. Cela n'est pas à dire que la preuve de perte de mémoire ou d'un « blackout » n'a aucune valeur probante. Elle peut permettre de tirer des inférences quant à savoir si la plaignante a consenti ou non, ou quant à savoir si elle était capable ou non de consentir au moment pertinent. Mais une preuve d'expert sera requise. Bien qu'une preuve d'expert ne soit pas admissible pour étayer la crédibilité d'une plaignante, elle peut fort bien aider le juge des faits à comprendre l'effet d'une intoxication avancée et le comportement humain. Dans R. c. Marquard[2], la juge McLachlin, alors juge puînée, a affirmé 


[...] [I]l est de plus en plus largement reconnu que, si le témoignage d'expert sur la crédibilité d'un témoin n'est pas admissible, le témoignage d'expert sur le comportement humain et les facteurs psychologiques et physiques qui peuvent provoquer un certain comportement pertinent quant à la crédibilité, est admissible, pourvu qu'il aille au-delà de l'expérience ordinaire du juge des faits.

 

[56]      L'avocat de la poursuite soutient que B.V. a affirmé qu'elle n'avait pas consenti à une activité sexuelle avec le soldat Weir aux moments pertinents. Il soutient que cela constitue une preuve d'absence de consentement. Cette proposition est bancale. Il est juste de dire que l'état d'esprit réel de la plaignante est déterminant quant à la question du consentement; cependant, je ne puis admettre la prétention de la poursuite. Malgré le fait que B.V. ait nié dans son témoignage avoir consenti à quelque activité sexuelle que ce soit avec le soldat Weir, il ressort clairement de son témoignage qu'elle n'a aucun souvenir de son état d'esprit réel au moment pertinent. Une telle preuve devrait nécessairement provenir d'autres sources dans les circonstances. Dans R. c. Brooks[3], une décision de la Cour d'appel de la cour martiale, l'accusé était inculpé d'agression sexuelle, et l'accusé et la plaignante étaient tous deux très intoxiqués au moment de l'infraction alléguée. Au sujet de la question du consentement, le juge Bennett a formulé le commentaire suivant au paragraphe50 :

 

Il n'y a rien dans le témoignage de la plaignante qui pourrait servir à prouver hors de tout doute raisonnable qu'elle n'a pas consenti à une activité sexuelle au moment où les événements se sont produits. La déduction et la conclusion de J.V, après le fait, qu'elle n'aurait pas pu consentir ne constitue pas une preuve hors de tout doute raisonnable. Il ne s'agit pas d'une nouvelle évaluation de la crédibilité de J.V. Je n'ai aucun doute, comme cela a été le cas du président, que J.V. a témoigné de façon honnête et crédible. Cependant, ce que le président a omis d'aborder est le fait qu'on ne pouvait se fier au témoignage de J.V. vu son haut degré d'intoxication et son incapacité presque totale de se souvenir des événements.

 

[57]      Compte tenu de la preuve dont dispose la cour, je conclus que la poursuite n'a pas établi hors de tout doute raisonnable que la plaignante n'avait pas consenti à une activité sexuelle avec le soldat Weir. Cette conclusion est suffisante pour trancher la présente affaire. Cependant, la cour aurait aussi eu un doute raisonnable quant à savoir si le soldat Weir avait employé ou non la force évoquée par B.V. lorsque celle-ci était sur le divan.

 

[58]      Même si la cour admet qu'il est très probable que l'accusé ait posé un geste déplacé à l'endroit de B.V. qui expliquerait les commentaires qu'il lui a faits lorsqu'elle s'est réveillée peu avant six heures le 26 juillet 2006, il n'y a pas suffisamment d'éléments de preuve fiables pour me permettre de conclure que l'accusé était la seule personne qui aurait pu commettre l'infraction, compte tenu du témoignage de la plaignante elle-même et de sa croyance selon laquelle L.Z. l'avait agressée sexuellement alors qu'elle était sans connaissance sur le divan.


[59]      Il est bien connu que les victimes d'agressions sexuelles, des femmes pour la plupart, connaissaient leur agresseur. Il est aussi bien connu que la plupart des agressions sexuelles se produisent dans des lieux privés. Le processus en place pour aider les victimes d'agressions sexuelles doit leur inspirer confiance et être attentif à leur détresse réelle. Un processus qui ne répond pas à ces exigences minimales n'inspire pas le degré de confiance requis pour que les victimes se prêtent au processus long et émotivement éprouvant qui consiste à déposer une plainte officielle, puis à participer à une longue procédure judiciaire. Au stade de l'enquête, les organismes d'application de la loi doivent s'assurer de recourir à tous les outils appropriés au cours de leur enquête pour étayer la version de la plaignante. En l'espèce, des éléments de preuve démontrent que la police militaire a pris des photos d'ecchymoses et a offert à la plaignante de subir un test de viol. Ce sont là des mesures positives. La police militaire aurait aussi pu interviewer toutes les personnes présentes à la fête pour déterminer quels renseignements, le cas échéant, auraient pu être utiles dans le cadre du processus légal. La cour ne connaît pas l'étendue de l'enquête qui a été menée dans la présente affaire.

 

[60]      Habituellement, les incohérences et les contradictions mineures des témoins sur certains points, secondaires ou non, ne suffiront pas pour anéantir la crédibilité d'un témoin clé et la fiabilité de son témoignage. Cependant, dans les cas où la fiabilité du témoignage d'un témoin clé, comme la plaignante dans un procès pour agression sexuelle, est tout au plus précaire dès le départ, la poursuite devrait présenter tous les éléments de preuve pertinents et importants qui aideront à rechercher la vérité et qui élimineront toutes les incohérences possibles ou les mettront en perspective. Une preuve d'expert dans le domaine de la pharmacologie et du comportement humain aurait peut-être bien pu aider la cour, ne fût-ce que dans une certaine mesure. D'autres témoins auraient peut-être bien pu éliminer les incohérences entre le témoignage de M.L. et celui de la plaignante quant à la présence ou à l'absence des personnes présentes à la résidence de M.L. lorsqu'elles sont revenues du bar local. Aussi, il aurait peut-être été possible de présenter des éléments de preuve pertinents et importants provenant d'autres témoins au sujet du comportement enjôleur que la plaignante aurait eu au cours de cette soirée et quant à savoir si qui que ce soit avait observé une interaction entre la plaignante et l'accusé à un moment quelconque au cours de la soirée qui aurait constitué un élément de preuve pertinent et important au regard d'une question en litige au procès. Compte tenu des éléments de preuve dont dispose la cour, je ne peux que présumer que tous les éléments de preuve importants et pertinents ont été présentés à la cour, mais j'ai des doutes. Seule la poursuite peut dire si cela a été fait.

 

[61]      Soldat Weir, levez-vous. Pour tous ces motifs, la cour déclare laccusé, le soldat Weir, non coupable de linfraction dagression sexuelle. Asseyez-vous. L'instance est terminée.                                                                                                       

 

 

 


 

COLONEL M.  DUTIL, J.M.C.

 

Avocats :

 

Major B. McMahon, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Lieutenant-colonel J.J.M. Dugas, Direction du service d'avocats de la défense

Co-procureur du soldat Weir

Capitaine de corvette J.C.P. Lévesque , Direction du service d'avocats de la défense

Co-procureur du soldat Weir

 

 



[1][1991] 2 R.C.S. 577 à la page 648 (dissidence du juge L'Heureux-Dubé).

[2][1993] 4 R.C.S. 223 à la page 249.

[3] [1999] A.C.A.C. no 8.

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