Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 27 juillet 2004.
Endroit : Manège militaire Régiment de Maisonneuve, 691 rue Cathcart, Montréal (QC).
Chefs d’accusation:
• Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, un usage négligent d’une arme (art. 86 C. cr.)
• Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
• Chef d’accusation 3 (subsidiaire au chef d’accusation 4) : Art. 130 LDN, un usage négligent d’une arme (art. 86 C. cr.)
• Chef d’accusation 4 (subsidiaire au chef d’accusation 3) : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
Résultats:
• VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 3 : Une suspension d’instance. Chefs d’accusation 2, 4 : Coupable.
• SENTENCE : Un blâme et une amende au montant de 1500$.

Contenu de la décision

Référence : R. c. Major M.G. Rompré, 2004CM58

 

Dossier : S200458

 

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

CANADA

MONTRÉAL

RÉGIMENT DE MAISONNEUVE

 

Date : 28 juillet 2004

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL M. DUTIL, J.M.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

Poursuivante

c.

MAJOR M.G. ROMPRÉ

(Accusé)

 

SENTENCE

(Oralement)

 

 

[1]        Major Rompré, en déterminant la sentence qu'elle considère être appropriée et minimale dans les circonstances, la Cour a considéré les circonstances entourant la commission des infractions telles que révélées par le sommaire des circonstances très complet et très détaillé présenté par la poursuite et dont vous avez accepté la véracité, de même que la preuve présentée lors de la partie de l'audition relative à la détermination de la sentence, y compris la preuve documentaire présentée par la poursuite, outre celle normalement soumise à la cour relativement à votre situation personnelle, soit plus particulièrement les photographies et le croquis qui font l'objet des pièces 8 à 11 inclusivement. La Cour a pris en compte également la preuve présentée par la défense, soit votre propre témoignage, de même que les pièces 12 à 17 inclusivement. La Cour a finalement pris en compte les plaidoiries des procureurs et les principes applicables en matière de détermination de la peine.

 


[2]        Lorsqu'il s'agit de donner une sentence appropriée à un accusé pour les fautes qu'il a commises et à l'égard des infractions dont il est coupable, certains principes sont suivis et ces principes peuvent s'énoncer comme suit: Premièrement, la protection du public et le public inclut ici les Forces canadiennes; deuxièmement, la punition et la dénonciation du contrevenant; troisièmement, l'effet de dissuasion, non seulement pour le contrevenant mais également pour les autres qui seraient tentés de commettre de telles infractions; quatrièmement, la réhabilitation et la réforme du contrevenant; et, cinquièmement, les principes de proportionnalité, de parité de sentence et de globalité le cas échéant.

 

[3]        Le principe premier est la protection du public et la Cour doit déterminer si cette protection sera assurée par une peine qui vise à punir, à réhabiliter ou à dissuader. Combien d'emphase devrait être mise sur l'un ou l'autre de ces principes dépend évidemment des circonstances qui varient d'un cas à l'autre. Dans certains cas, le souci principal, quand ce n'est pas le seul souci, sera la dissuasion de l'accusé ou du contrevenant et/ou des autres. Dans de telles circonstances, peu ou aucune importance ne sera accordée à l'aspect réhabilitation ou réformation du contrevenant. Dans d'autres cas, l'accent sera plutôt mis sur la réhabilitation que sur la dissuasion. Dans la présente cause, il ne fait aucun doute dans l'esprit de la Cour que l'accent doit être plutôt mis sur la dissuasion collective, la dissuasion spécifique et la dénonciation du contrevenant pour assurer la protection du public et le maintien de la discipline. Il s'agit d'infractions qui mettent en cause les règles de sécurité dans le maniement des armes à feu de la part des militaires alors qu'ils sont déployés en théâtre d'opéra­tions. Cela est extrêmement sérieux. Mais, comme je l'ai dit plus tôt, la peine que cette cour va vous infliger doit tout de même être la peine minimale requise pour servir les fins de la justice et le maintien de la discipline dans les Forces canadiennes.

 

[4]        En considérant quelle sentence serait appropriée, la Cour a pris en considération les facteurs aggravants et les facteurs atténuants suivants. Et je commencerai par les facteurs qui aggravent la peine.

 

La Cour considère comme aggravants les facteurs suivants:

 

Premièrement, la gravité objective de l'infraction eu égard à la nature de l'infraction et la peine prévue par le législateur. Il s'agit de deux chefs d'accusation portés aux termes de l'article 129 de la Loi sur la défense nationale pour un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Il s'agit d'une infraction objectivement sérieuse. D'ailleurs, cette infraction est punissable de la destitution ignominieuse du service de sa Majesté.

 

Deuxièmement, la gravité subjective de l'infrac­tion, c'est-à-dire que dans le contexte où le comportement allégué, soit une manipulation négligente ayant causé la décharge d'une arme à feu, donc dans le contexte où le comportement allégué se soit produit en théâtre opérationnel, là où la sécurité de chacun des membres d'une mission opérationnelle dépend en grande partie de la compétence et de la discipline personnelle et professionnelle de ses frères d'armes.

 


Troisièmement, la Cour considère comme aggravant le fait que vous ayez commis vos actes ou votre comportement à deux reprises et ce à l'intérieur d'un délai de trois mois, et ce compte tenu du fait que vous ne vous considériez pas parfaitement confortable dans la manipulation de cette arme. Votre premier incident aurait dû être suffisant et suffisamment alarment pour vous, de telle sorte que vous cherchiez immédiatement à régler votre problème d'une manière ou d'une autre auprès de personnes compétentes.

 

Quatrièmement, le fait que vous saviez que vous n'étiez pas confortable dans le maniement du pistolet 9mm Browning, entre autres en raison du fait que vous ne l'aviez pas utilisé depuis 10 ans, mais également parce que vous étiez gaucher et que vous avez ainsi improvisé votre propre routine de sécurité, même si, de votre propre aveu, vous la croyiez la plus sécuritaire possible compte tenu de votre expérience dans le maniement des armes, sachant que vos procédures ne respectaient pas celles approuvées par les forces canadiennes. Compte tenu de votre expérience en tant qu'officier, il s'agissait d'une sérieuse erreur de jugement. Puisque le maniement des armes devait s'effectuer dans des conditions réelles, il ne fait aucun doute dans l'esprit de la Cour que vous n'auriez pas dû vous auto-évaluer considérant votre inconfort dans le maniement de cette arme. La Cour accepte jusqu'à un certain degré la proposition de la poursuite à l'effet qu'à la lumière de votre grade et de votre expérience en tant qu'officier, même si vous n'aviez jamais été déployé auparavant, les Forces canadiennes étaient en droit de s'attendre à plus de rigueur de votre part. Vous avez improvisé. Cette improvisation aurait dû à tout le moins refléter le résultat de consultations préalables réelles auprès de personnes ressources compétentes et présentes au Camp Julien, et ce dès votre arrivée en théâtre, compte tenu de votre inconfort dans le maniement du pistolet 9mm et du fait que vous deviez porter cette arme dans vos fonctions quotidiennes non seulement dans le but d'assurer votre propre protection, mais aussi celle des personnes qui auraient pu vous accompagner ou qui auraient pu avoir besoin que vous leur prêtiez assistance. Lorsque vous dites à la Cour que vous n'aviez pas accès à un expert, cela n'est pas vrai. Vous aviez des contacts réguliers avec les personnes du Camp Julien ou vous pouviez les contacter le cas échéant. Le fait qu'un ingénieur canadien du grade de major avait moins d'expérience que vous dans le maniement de ce pistolet et qu'il n'était pas en mesure de vous prêter assistance n'est pas une excuse que la Cour est prête à accepter de la part d'un officier qui compte 18 ans de service. Vous avez mentionné que vous aviez remis votre arme parce que vous ne lui faisiez plus confiance. Or, force est de constater, à la lumière de la preuve, que c'est plutôt envers vous-même que vous auriez dû entretenir des doutes quant à votre capacité de bien l'utiliser.

 


Cinquièmement, le fait que, selon vos propres dires, vous ne respectiez pas les règles de sécurité qui s'appliquaient à vous. Votre avocat a soumis que compte tenu de votre contexte opérationnel et des conflits de règles applicables à ceux qui faisaient partie de l'Opération ATHÉNA par rapport à ceux qui étaient en poste au Camp Julien, vous avez pris toutes les mesures de sécurité que vous considériez justifiées dans un contexte opérationnel. Cela démontre votre manque de jugement dans le contexte de cette cause. La preuve  indique que vous n'aviez aucun service antérieur dans quelque contexte opérationnel que ce soit, qu'il s'agisse d'une mission d'instauration de la paix, de maintien de la paix, voir même une mission humanitaire ou d'aide au pouvoir civil. Vous n'aviez jamais été dans une situation militaire qui se rapprochait de près ou de loin à celle que vous viviez et vous n'aviez même pas pu bénéficier de la formation pré-déploiement offerte à ceux et celles qui sont déployés avec leur unité d'appartenance. Cette situation aurait dû vous sensibiliser davantage au besoin inhérent pour vous d'agir  avec une très grande prudence.

 

[5]        Quant aux facteurs atténuants, la Cour retient le fait que vous avez plaidé coupable au 2ième et au 4ième chef d'accusation. La poursuite semble indiquer que la Cour devrait minimiser le caractère atténuant de votre plaidoyer de culpabilité à la lumière de votre témoignage. La Cour ne partage pas cette opinion. La preuve entendue devant cette cour corrobore la proposition que votre plaidoyer de culpabilité est réellement une indication sincère, sérieuse et positive du fait que vous reconnaissez vos erreurs et que vous avez  agi de façon négligente dans le maniement de votre arme à feu.

 

[6]        La Cour retient également comme facteur atténuant vos états de service et votre rendement exemplaire depuis plusieurs années au sein des Forces canadiennes et ce tel qu'en fait foi la preuve documentaire qui fut soumise à la cour, mais aussi la preuve qui fait état de votre rendement hautement satisfaisant lors de votre participation à l'Opération ATHÉNA au sein d'OMC-A. N'eut été de ces incidents, vous auriez vraisemblablement complété votre séjour en Afghanistan sans aucun problème.

 


[7]        La Cour retient également comme facteur atténuant le fait que les Forces canadiennes auraient dû s'assurer que vous étiez suffisamment compétent dans le maniement sécuritaire de l'arme qui a fait l'objet de votre négligence. Cela ne signifie pas que vous ne pouviez pas tirer de manière sécuritaire et efficace ou que vous ne pouviez pas la démonter ou la remonter de façon sécuritaire. La preuve indique que vous n'étiez pas confortable lors de l'opération de déchargement. La poursuite a fait état de votre obligation d'être pro-actif dans ce domaine. C'est une chose. Or, à la lumière de vos antécédents opérationnels et du court délai entre le moment où vous avez pris connaissance du poste qui était offert et du jour de votre déploiement, ainsi que le fait que vous n'étiez pas déployé avec votre unité d'appartenance ou une autre unité avec laquelle vous auriez pu suivre toutes les formalités requises en matière administrative et d'examen de compétence, la Cour est d'avis que les Forces canadiennes ont failli à leur devoir en ne s'assurant pas que vous étiez suffisamment qualifié pour faire le travail, y compris la question élémentaire de pouvoir manipuler avec compétence et confiance et je mets l'emphase sur ces deux mots « compétence et confiance » l'arme personnelle que l'on allait vous confier. Considérant la diversité des fonctions que les militaires peuvent cumuler lors de leur carrière, que ce soit dans la Force régulière ou de la Force de réserve, il n'est pas vrai que l'on peut se faire une idée de la compétence des officiers ou des militaires du rang dans le maniement d'une arme à feu spécifique en regardant leur groupe professionnel militaire, leur grade et leurs années de service, et cela est d'autant plus vrai au fur et à mesure que les militaires avancent en expérience et en grade et qu'ils occupent des fonctions administratives. De là l'importance de s'assurer de la compétence d'un individu qui n'a jamais été déployé auparavant. La Cour accepte en partie la prétention de votre avocat à l'effet que votre manque d'entraînement sur l'arme en question avant le déploiement à contribué à vous rendre inapte à votre devoir de diligence. Toutefois, votre grande expérience dans le maniement des armes en général aurait dû vous éveiller encore plus au danger d'utiliser une arme avec laquelle on n'est pas confortable.

 

[8]        Quatrièmement, la Cour retient comme facteur atténuant l'impact psychologique que ces infractions ont eu sur vous et pour lequel vous devez être traité jusqu'à ce jour.

 

[9]        Cinquièmement, la Cour considère également la perte financière  que vous avez encourue suite à votre rapatriement hâtif d'Afghanistan en raison de ces incidents. Sur ce point, toutefois, la preuve soumise par la défense et qui fait l'objet de la pièce 16, soit la lettre du major-général Leslie, démontre que la décision de vous rapatrier dans les circonstances était justifiée. Finalement, la Cour considère comme facteur atténuant votre situation financière, sociale et familiale.

 

[10]      Comme l'a souligné l'ancien juge en chef Lamer de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Généreux:

 

[...] pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace. Les manquements à la discipline doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil.

 

[11]      Il s'agit là effectivement d'une citation de l'arrêt Généreux[1].  La manipulation négligente de l'arme personnelle d'un militaire dans un théâtre opérationnel et qui constitue un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline peut selon les circonstances faire partie de ces manquements à la discipline auxquels l'ex-juge en chef du Canada faisait mention. Et pourquoi? Parce qu'il en va de la sécurité des militaires et des autres personnes présentes sur les lieux, mais aussi de l'efficacité opérationnelle d'un Contingent surtout lorsque les ressources sont restreintes et difficilement remplaçables à courte échéance, mais que l'on doive rapatrier certains effectifs parce que les personnes sont inaptes à s'accomplir de leurs tâches.


[12]      La poursuite aurait voulu informer la Cour lors de sa plaidoirie de statistiques qui traitaient d'infractions relativement similaires lors de cette période en Afghanistan par les membres du Contingent Canadien. Après réflexion, elle ne l'a pas fait. Il ne fait aucun doute que cette information aurait pu être utile et constituer un fait soit aggravant, soit atténuant. Or, comme je l'ai dit, ce type d'information constitue un fait et, comme tout fait, il doit être mis en preuve pour que la Cour puisse s'y référer. Il semble qu'il y ait eu à tout le moins confusion entre les procureurs sur la question de la soumission de ce document devant la cour et les fins poursuivies. Or, nonobstant les négociations qui ont eu lieu entre les procureurs à cet effet, la Cour tient à préciser que ce genre de faits doit être prouvé selon les règles de la preuve, sauf s'il y a consentement. Au surplus, la Cour tient à rajouter que le consentement de la partie adverse ne dispense pas la partie qui entend soumettre cette information devant la cour de la mettre en preuve au moment opportun, c'est-à-dire lorsqu'elle présente sa preuve et non lors des plaidoiries. L'incidence d'un type d'infraction dans la communauté est un fait qui doit être prouvé selon les règles applicables en manière de preuve et dans le respect des exigences relatives également à la pertinence.

 

[13]      Le procureur de la poursuite recommande que la Cour vous impose une réprimande assortie d'une amende de 2000 à 3000 dollars. Elle ne demande toutefois pas à la cour d'émettre une ordonnance aux termes de l'article 147.l de la Loi sur la défense nationale qui vous interdirait d'avoir en votre possession des armes à feu. N'eut été de cette recommandation, la Cour aurait examiné très sérieusement le bien-fondé d'émettre une telle ordonnance à l'égard de l'arme à feu en question, soit un pistolet 9mm Browning.

 

[14]      L'avocat de la défense soumet à la Cour qu'une sentence qui comporterait une réprimande et, le cas échéant, une amende de 500 à 1000 dollars, serait suffisante dans les circonstances.

 

[15]      L'avocat de la défense a fait état du degré de turpitude morale que vous avez démontré dans cette affaire. Ce degré de turpitude est doublement sérieux dans votre cas et il ne peut pas faire l'objet d'un examen séparé pour chacun des chefs d'accusation. Vous n'avez pas été en mesure d'identifier que le premier incident aurait pu être causé par votre incompétence dans le maniement sécuritaire de l'arme. À lui seul, l'incident relatif au 2e chef d'accusation aurait été suffisamment sérieux pour que cette Cour vous inflige une sentence telle que celle indiquée par votre avocat. Le procureur de la poursuite demande à la cour une sentence plus significative. La Cour accepte les recommandations de la poursuite à cet effet. Toutefois la Cour est d'avis que le degré de négligence et de turpitude dont vous avez fait preuve dans le contexte de cette affaire doit se refléter dans le caractère objectif de la sévérité de la ou des peines  qui composent la sentence et non par le montant de l'amende assortie à la peine principale. Pour ces raisons, la Cour considère que la protection du public et le maintien de la discipline requièrent une peine plus sévère.


[16]      En conséquence, la Cour vous condamne à un blâme et à une amende de 1500 $.  Cette sentence est celle qu'elle considère comme étant la sentence minimale dans les circonstances. L'amende est payable en 10 versements mensuels égaux à compter du prononcé de la sentence. Si vous étiez libéré des Forces canadiennes avant le paiement complet de l'amende infligée par la cour, le solde de cette amende deviendra exigible immédiatement avant la date de votre libération.

 

 

LIEUTENANT-COLONEL M. DUTIL, M.J.

 

Avocats :

 

Major G. Roy, Procureur militaire régional de l'Est

Avocat de la poursuivante

Major L. Boutin, Direction du service d'avocats de la défense

Avocat du Major M.G. Rompré



[1]  R. c. Généreux,[1992] 1 R.C.S. 259.

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