Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

CACM 526 - Appel rejeté

Date de l'ouverture du procès : 2 février 2009

Endroit : BFC Esquimalt, Édifice 30-N, 2e étage, Victoria (CB)

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 : Art. 124 LDN, a exécuté avec négligence une tâche militaire.
•Chef d'accusation 2 : Art. 130 LDN, méfait à l'égard de données (art. 430(5) C. cr.).
•Chef d'accusation 3 : Art. 116a) LDN, a volontairement endommagé un bien des Forces de Sa Majesté.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 2 : Retirés. Chef d'accusation 3 : Coupable de différent détails : "En ce que, le ou vers 16 juillet 2007, à ou près Ottawa, Ontario, a endommagé un bien des Forces de Sa Majesté, soit une icône de base de données."
•SENTENCE : M2 Reid : Une rétrogradation au grade de matelot de première classe et une amende au montant de 3000$. M2 Sinclair : Une rétrogradation au grade de matelot de première classe, un blâme et une amende au montant de 3000$.

Contenu de la décision

Référence : R. c. Maître de 2e classe S.A. Reid et Maître de 2e classe J.E. Sinclair, 2009 CM 1004

 

Dossier : 200862                                                                               

 

 

 

 

COUR MARTIALE GÉNÉRALE

BASE DES FORCES CANADIENNES ESQUIMALT

COLOMBIE-BRITANNIQUE                              

CANADA                 

 

Date : Le 9 février 2009

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU COLONEL M. DUTIL, J.C.M.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

c.

MAÎTRE DE 2e CLASSE S.A. REID ET MAÎTRE DE 2e CLASSE J.E. SINCLAIR

(Contrevenantes)

 

SENTENCE

(Prononcée de vive voix)

 

 

INTRODUCTION

 

[1]    Maître de 2e classe Reid et Maître de 2e classe Sinclair, veuillez vous lever. La cour, ayant accepté et inscrit vos plaidoyers de culpabilité relativement à la troisième accusation, soit une infraction davoir volontairement endommagé un bien de lune des forces de Sa Majesté en violation de lalinéa 116a) de la Loi sur la défense nationale, vous déclare aujourdhui lune et lautre coupables de cette accusation. Vous pouvez vous asseoir. Je dois maintenant déterminer et prononcer votre sentence.

 


[2]    Les circonstances entourant la commission de linfraction révèlent que le Maître de 2e classe (M2) Reid et le M2 Sinclair sont des membres de la Force régulière qui travaillaient au Quartier général de la Défense nationale (QGDN), Centre de commandement de la Défense nationale (CCDN), Unité de soutien des Forces canadiennes Ottawa (USFC(O)), à lépoque où linfraction a été commise. Le rôle du CCDN est de dassurer que les Forces canadiennes, le haut commandement du MDN et le gouvernement du Canada sont tenus informés de la situation. Le CCDN fournit aussi un soutien au haut commandement des FC dans le secteur Commandement, contrôle, communications, informatique et renseignement en ce qui touche les opérations de contingence. Le M2 Reid a été affectée au CCDN le 25 août 2006, et le M2 Sinclair a été affectée au CCDN le 17 mai 2004. Elles détenaient toutes deux une habilitation de sécurité « Très secret, Accès réservé aux activités spéciales » (TS/AS). Elles occupaient au CCDN des postes de nature très sensible, et les Forces canadiennes leur accordaient un degré de confiance et de responsabilité très élevé à légard de renseignements hautement classifiés concernant le Canada et nos alliés. Le ou vers le 16 juillet 2007, le M2 Reid et sa conjointe qui est membre des Forces, le M2 Sinclair, ont entravé laccès à une base de données classifiées comprise dans un système classifié du CCDN, au QGDN à Ottawa (Ontario). Lun des systèmes est un système classifié de NORAD réservé exclusivement à CANUS, doù proviennent les données qui sont ensuite acheminées au système TITAN, un système classifié distinct contenant notamment des renseignements opérationnels historiques destinés à être éventuellement donnés à certains officiers responsables du QGDN. Lacheminement depuis le Processor Displays Subsystem Migration (PDSM) à TITAN se faisait manuellement en inscrivant sur une feuille de papier les renseignements du système PDSM pour ensuite les entrer dans le système TITAN. Dans le cadre de ses fonctions, le M2 Sinclair a pris linitiative de créer dans le système TITAN, au moyen du logiciel Microsoft Access, une application permettant à lofficier responsable du QGDN qui utilisait le système de chercher des données historiques du PDSM et de les examiner sous forme de tableau. Habituellement, cest le M2 Sinclair qui effectuait la maintenance du logiciel. Lapplication offrait aux officiers responsables du QGDN qui utilisaient le système, différentes options pour chercher des données historiques, imprimer les listes mensuelles de renseignements du PDSM ou visionner lensemble de la base de données. Après que laccès à la base de données eut été endommagé par la suppression de licône, lapplication nétait plus accessible, et lopérateur devait lui-même taper linformation dans le courriel et insérer manuellement les en-têtes relatifs aux renseignements sensibles ou classifiés pour sélectionner les fonctionnaires du QGDN, sans pouvoir transmettre linformation sous forme de tableaux conformément aux caractéristiques de la base de données Microsoft Access mise au point par le M2 Sinclair. Le programme offrait aux utilisateurs finals du QGDN un accès plus pratique et plus complet à des renseignements classifiés. Lendommagement de licône a occasionné des retards dans la transmission, à des officiers responsables du QGDN, de renseignements classifiés concernant des lancements de missiles ou des activités spatiales historiques. De plus, les avantages afférents au programme plus convivial de traitement de linformation étaient perdus. La réparation a coûté 536 $ plus quatre heures-personne. La base de données du PDSM est classifiée « Secret » et contient des renseignements sensibles dont la divulgation à des personnes non autorisées qui nont pas besoin de les connaître ou nont pas lhabilitation de sécurité requise, pourrait compromettre la sécurité nationale.

 


[3]    Les transcriptions de sessions de bavardage-clavier qui ont eu lieu entre le M2 Reid et le M2 Sinclair avant et durant lincident révèlent une intention dendommager la base de données, ne serait-ce quen en supprimant laccès facile. Ces échanges ont eu lieu entre leur résidence personnelle et le CCDN.

 

[4]    Le journal des échanges en ligne entre le M2 Reid et le M2 Sinclair a été extrait par des collègues de travail de lordinateur du RCN-Net, un système non classifié auquel a accès le personnel des FC et qui comprend un grand nombre de profils dutilisateurs; or, tous les utilisateurs ont des privilèges dadministrateur et peuvent donc accéder aux renseignements qui figurent dans le système concernant toute personne.

 

[5]    Le 29 juin 2007 à 15 h 36, selon un journal de clavardage qui reproduit le texte dune conversation électronique entre le M2 Reid et le M2 Sinclair, cette dernière expliqué au M2 Reid comment perturber la fonction de la base de données en corrompant ou en endommageant licône qui y est associée. Selon la preuve, le M2 Sinclair était une opératrice principale qui, outre ses responsabilités normales, dispensait de la formation aux militaires du rang affectés à la Gestion de linformation (GI) et nouvellement arrivés au CCDN. À cette époque, elle assurait la formation de trois personnes, parmi lesquelles sa propre conjointe, le M2 Reid. Elles étaient toutes deux très mécontentes des deux autres personnes en formation qui, à leur avis, étaient paresseuses et ne donnaient pas un rendement satisfaisant. Daprès le témoignage des contrevenantes, rien na été fait pour tenter de corriger les carences des employés, en dépit de nombreuses plaintes adressées par le M2 Sinclair à leur supérieurs. Cest pourquoi les contrevenantes ont décidé dendommager licône de la base de données et de susciter une réaction qui forcerait le personnel à travailler pour régler le problème. Elles ont conçu ce plan dans un esprit de frustration et de vengeance. Le M2 Sinclair a déclaré dans son témoignage que sa première grossesse avait influé à lépoque sur son état desprit et quelle navait jamais eu lintention de détruire ou dendommager des renseignements classifiés.

 

[6]    Le 16 juillet 2007, à 09 h 34, elles ont donné effet à leur délibérations antérieures. Les M2 Reid et Sinclair ont eu lentretien suivant, pendant lequel le M2 Sinclair a dit à sa conjointe de ne pas oublier de provoquer une panne de la base de données. Voici comment leur plan sest déroulé :

 

« M2 Reid : Je vais maintenant...

M2 Sinclair : faire une procédure de sauvegarde

M2 Reid : comment dois-je faire, déjà?

M2 Sinclair : lorsque la chose avec les boutons apparaît, tu dois peser sur licône dans le coin supérieur gauche (regarde), celle qui ressemble à un triangle avec une règle, puis clique sur le premier bouton et supprime... as-tu fait la sauvegarde?

M2 Sinclair : tu nas quà copier-coller la BD pour la sauvegarder

M2 Reid : non, cest ce dont je ne me souviens plus comment faire

M2 Sinclair : ferme le DN, trouve le fichier original, fais copier-coller


M2 Reid : cest fait. »

 

Le M2 Reid a rédigé une note électronique remise le 16 juillet 2007 au changement de quart, indiquant quelle avait eu un problème avec la base de données du PDSM et quelle navait pas réussi à le régler.

 

[7]    Au début du mois daoût 2007, M. Pascal Michaud, gestionnaire des technologies de la GI au CCDN, a rempli un rapport dévaluation des dommages qui a été approuvé par le Colonel M. Foucreault, directeur du CCDN. Le rapport indiquait plus particulièrement que le seul lien donnant accès à la base de données en question (licône de bureau) avait été corrompu ou endommagé, de sorte quon ne pouvait plus accéder à lapplication créée par le M2 Sinclair. Un programme de sauvegarde a été obtenu pour rétablir laccès pratique à la base de données, au terme toutefois de deux semaines dattente. Le directeur du CCDN a conclu dans son rapport que selon lévaluation initiale, les dommages causés par les M2 Reid et Sinclair nauraient aucune répercussion sur les opérations ni sur lefficacité de la mission du CCDN. Il a cependant précisé que cette évaluation serait révisée à la suite des recommandations de lenquête du SNEFC.

 

[8]    Le 8 août 2007, le M2 Reid a avoué quelle avait voulu voir si quelquun, dans lunité, serait capable de restaurer lapplication, mais que ses actions navaient pas pour but de vérifier ou dévaluer la performance de lunité et quelle navait jamais même pensé aux conséquences. Elle souhaitait [traduction] « la retirer de lunité ou provoquer une panne », parce quil sagissait de linitiative du M2 Sinclair et quelle ne voulait pas la laisser entre les mains de lunité. Elle a informé la police quavant dentraver le fonctionnement de la base de données du journal des événements du PDSM, elle avait fait une copie sur le lecteur «» et lavait nommée « crap » ou « bad data ». Elle pensait quavec laide du M2 Sinclair, elle finirait par la réparer; elle voulait quils en tirent une leçon et comprennent quils devaient faire leur travail, mais les choses ont échappé à leur contrôle et se sont avérées pires quelles navaient imaginé, et la police militaire est intervenue.

 

[9]    À lissue de son entrevue avec le SNEFC, le M2 Reid a écrit une lettre dexcuses à sa chaîne de commandement.

 


[10] Lenquête entourant linfraction a débuté le 23 juillet 2007, lorsque le Capitaine de corvette Gavin McCallum, alors officier de quart principal au CCDN, a déposé une plainte à la Compagnie de police militaire de lUnité de soutien des Forces canadiennes (Ottawa). Laffaire a été renvoyée pour enquête au Service national des enquêtes des Forces canadiennes (SNEFC). Le 7 août 2007, après avoir rencontré divers témoins, le SNEFC a obtenu un mandat pour perquisitionner la résidence et la voiture du M2 Reid et du M2 Sinclair à la recherche de dossiers et documents informatisés stockés dans des systèmes informatiques ou des support de données informatiques. Le lendemain, une équipe dofficiers du SNEFC a exécuté un mandat sous scellés à la résidence des M2 Reid et Sinclair. Léquipe y a saisi 86 articles, parmi lesquels trois ordinateurs, deux téléphones cellulaires, un PlayStation 3; une caméra vidéo; une console Wii; un Gameboy; et dautre matériel susceptible de stocker des médias numériques. Les M2 Reid et Sinclair ont expliqué comment cette perquisition les a touchées et jusquà quel point le M2 Sinclair sest sentie violée dans le processus, bien quelle ait reconnu que la procédure était justifiée dans les circonstances. Le SNEFC a terminé son rapport le 17 juin 2008. On na pas indiqué à la cour si les conclusions formulées par le directeur du CCDN dans lévaluation initiale des dommages, présentée dans la pièce 13, ont été modifiées après la fin de lenquête policière. Le Capitaine de corvette McCallum a reconnu que le commandant du CCDN était mieux placé pour évaluer lensemble des dommages occasionnés par les gestes des M2 Reid et Sinclair, mais il a déclaré dans son témoignage quà sa connaissance, lévaluation initiale des dommages était juste et que lincident navait pas eu de répercussions sur la sécurité nationale. Il a précisé que lincident navait pas été évoqué au briefing matinal du CCDN à la suite de lincident.

 

[11] Le 5 août 2008, quatre accusations ont été portées contre les contrevenantes, à savoir : sabotage, complot, méfait en matière de données et endommagement volontaire dun bien. Laccusation de complot était subsidiaire à celle davoir volontairement endommagé un bien, et laccusation davoir volontairement endommagé un bien était subsidiaire aux accusations de complot et de méfait en matière de données. Le Registre de procédure disciplinaire a été signifié aux contrevenantes le 12 août 2008.

 

[12] Le 21 août 2008, le commandant du QG FMAR(P) a soumis les accusations au commandant des FMAR(P), qui, le lendemain, a déféré laffaire au Directeur des poursuites militaires (DPM). Le 2 septembre 2008, le Directeur adjoint intérimaire des poursuites militaires‑2 a confié le dossier à un procureur de la poursuite pour une vérification postérieure aux accusations. Le 8 septembre 2008, le Major Bolduc, commandant du SNEFC, Région du Centre, a demandé au Bureau régional des poursuites militaires, Région du Centre, lautorisation de remettre tous les objets saisis le 8 août 2007 à leur propriétaires. Bien que ces objets aient maintenant été rendus à leurs propriétaires, les M2 Reid et Sinclair avaient choisi entre-temps de remplacer les objets saisis. Elles ont dépensé environ 5 000 $ à cette fin.

 

[13] À la suite de la vérification postérieure à laccusation, lacte daccusation a été délivré le 26 septembre 2008, comportant des accusations différentes de celles qui figuraient sur le Registre de procédure disciplinaire. Les accusations de méfait en matière de données et dendommagement volontaire à un bien ont été conservées, et une accusation de négligence dans lexécution dune tâche ou dune mission militaire a été ajoutée; par ailleurs, les accusations de complot et de sabotage ont été retirées.

 


[14]  Le 29 septembre 2008, la poursuite a porté les accusations et les a transmises à ladministrateur de la cour martiale afin quil convoque une cour martiale. Le 7 octobre 2008, les deux avocats de la défense ont demandé au DPM de publier un nouveau communiqué de presse pour rendre compte des nouvelles accusations portées le 26 septembre 2008, mesure qui, à leur avis, était nécessaire pour atténuer la déconsidération que subiraient leurs clientes aux yeux du public et pour minimiser le risque que leur droit à un procès équitable soit compromis par le communiqué antérieur. Le 15 décembre 2008, ladministrateur de la cour martiale a convoqué une cour martiale générale pour la tenue du procès, fixé au 2 février 2009.

 

[15] Il appert de nombreux éléments de preuve déposés en lespèce que lincident à lorigine des accusations initiales, accusations qui différaient de celles dont la cour est saisie, ont suscité un intérêt médiatique considérable. Les accusations initiales portées par le Service national des enquêtes des Forces canadiennes en août 2008 comprenaient des inculpations de sabotage et de complot. Ces accusations nont pas été retenues par le Directeur des poursuites militaires au terme de la vérification postérieure à laccusation, en septembre 2008. La preuve indique que peu après la commission de linfraction, les contrevenantes ont été relevées de leurs fonctions habituelles, ont perdu leur habilitation de sécurité et le droit daccéder à tout renseignement classifié et ont été privées de tout accès à un ordinateur.

 

[16] Au cours de linstance relative à la détermination de la peine, la cour a entendu plusieurs témoins, parmi lesquels les deux contrevenantes. Le Lieutenant-colonel Heuthorst, commandant du CCDN, a déclaré que lincident avait réduit lefficacité de son organisation durant deux semaines, parce quil avait nui à la transmission de linformation en temps opportun. La cour conclut que le délai opportun de transmission, durant cette période, a effectivement été réduit au niveau antérieur à linitiative du M2 Sinclair de mettre au point une application conviviale à laide de Microsoft Access. Les répercussions des actes des M2 Sinclair et Reid débordent la seule question de la rapidité de transmission. Leurs actes ont suscité un doute quant au degré dexactitude des renseignements transmis aux hauts dirigeants du ministère et à dautres parties intéressées, et ils ont occasionné des préoccupations quant à la capacité du CCDN de remplir sa mission même. La situation a créé un certain degré dincertitude aux plus hauts échelons du CCDN, dans la mesure où lon craignait que les lacunes ne se répercutent sur la sécurité nationale si des décisions tardives ou mal fondées avaient été prises en raison de la situation. Autrement dit, les actes des M2 Reid et Sinclair ont créé une crise interne au CCDN, où le doute sest installé dans une organisation qui doit compter sur la plus grande exactitude pour informer adéquatement les décideurs du ministère de la Défense nationale. Le commandant du CCDN a aussi indiqué que la publicité qui a entouré lincident a mis en cause, au yeux du public et de nos alliés, notre capacité à se doter de procédures de sécurité efficaces.

 


[17] Tous les militaires qui ont témoigné, de même que les deux contrevenantes, ont convenu que linfraction constitue un abus de confiance grave qui ne devrait pas être toléré. Ces gestes représentent un abus de confiance grave et manifeste de la part de militaires du rang (supérieur) qui exerçaient leurs fonctions militaires dans un environnement très sécurisé et très sensible réservé aux personnes les plus expérimentées, les plus averties et les plus matures. Les militaires qui ont témoigné ont unanimement déclaré que les contrevenantes se sont comportées de façon immature et que leur conduite dénote un profond manque de jugement et de discipline, qui a atteint un niveau auquel on ne sattend pas de la part de militaires de leur rang, ni même de militaires dun rang inférieur. Le commandant du CCDN a affirmé quil nutiliserait jamais plus les services des contrevenantes au CCDN ni dans aucun logement opérationnel à lavenir. Lenvironnement sécurisé du CCDN commande que chacun observe le plus haut degré de discipline en matière informatique.

 

[18] Le Lieutenant‑Colonel Inch, le Premier maître de 1re classe Ford et M. Dunlop ont témoigné au sujet du niveau actuel de rendement des contrevenantes. Le M2 Reid occupe des fonctions de supervision très limitées au Base Manual Party, ici à Esquimalt, parce quelle ne peut manier des renseignements classifiés au niveau Protégé B requis. Son rendement est légèrement supérieur à la moyenne, et on ne lui accorde que le degré de confiance nécessaire pour lexécution du travail qui lui est confié. Quant au Maître de 2e classe Sinclair, elle travaillait aux programmes de soutien du personnel à la BFC Esquimalt depuis août 2008. Elle travaillait sous la direction directe de M. Dunlop et na pas eu accès à un ordinateur. Elle a créé des feuilles de calcul manuscrites et procédé à une vérification visuelle de léquipement. M. Dunlop la observée durant quatre mois et demi et considère quelle est une personne fiable et dévouée. Il laccueillerait volontiers pour travailler à nouveau avec lui après son congé de maternité. Le Capitaine de corvette McCallum a décrit les contrevenantes comme dexcellentes opératrices, particulièrement le M2 Sinclair, avec laquelle il a déjà travaillé il y a plus de 15 ans. Selon son témoignage, la conduite du M2 Sinclair est une aberration; cette conduite ne ressemble pas à sa façon dagir.

 

[19] La raison dêtre dun système de tribunaux militaires distinct est de permettre aux Forces armées de soccuper des questions qui touchent directement à la discipline, à lefficacité et au moral des troupes. Cependant, la peine imposée par tout tribunal, quil soit militaire ou civil, doit être la peine la moins sévère adaptée aux circonstances particulières de laffaire.

 


[20] Pour arrêter la sentence, la cour a tenu compte des circonstances entourant la commission de linfraction exposées dans le sommaire sur les circonstances[1], de la preuve présentée au cours de laudience de détermination de la peine, notamment dun exposé conjoint des faits[2], de tous les témoignages rendus et dautres éléments de preuve documentaire consistant en des articles de journaux et des images diffusées par les médias, de même que de lettres et de Rapports dappréciation du rendement établis pour chacune des deux contrevenantes. La cour a examiné la preuve à la lumière des principes applicables à la détermination de la peine, notamment des principes normatifs édictés aux articles 718, 718.1 et 718.2 du Code criminel, dans la mesure où ces principes ne sont pas incompatibles avec le régime de détermination de la peine prévu à la Loi sur la défense nationale. La cour a aussi tenu compte de largumentation des avocats et de la jurisprudence soumise à la cour ainsi que de toute conséquence directe et indirecte du verdict ou de la sentence sur les Maîtres de 2e classe Reid et Sinclair, y compris les répercussions financières et celles touchant la pension.

 

[21] Lorsquun tribunal doit infliger une sentence à un contrevenant pour des infractions quil a commises, il doit chercher à atteindre certains objectifs eu égard aux principes applicables en matière de détermination de la peine. Il est reconnu que ces principes et objectifs varient légèrement dun cas à lautre, mais ils doivent toujours être adaptés aux circonstances et au contrevenant. Il est bien établi en droit que la détermination de la peine est un processus individualisé. Pour contribuer à lun des objectifs fondamentaux de la discipline militaire, à savoir le maintien dune force armée professionnelle et disciplinée qui est opérationnelle, efficace et efficiente, les principes et objectifs applicables en matière de détermination de la peine peuvent être définis comme suit :

 

premièrement, la protection du public, le public incluant les Forces canadiennes;

 

deuxièmement, la sanction et la dénonciation du comportement illégal;

 

troisièmement, la dissuasion du contrevenant et de quiconque de commettre des infractions semblables;

 

quatrièmement, lisolation des contrevenants du reste de la société, y compris des membres des Forces canadiennes, au besoin;

 

cinquièmement, la réinsertion des contrevenants;

 

sixièmement, la proportionnalité de la peine à la gravité de linfraction et au degré de responsabilité du contrevenant;

 

septièmement, linfliction de peines semblables à celles infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables;

 

huitièmement, lobligation denvisager la possibilité dimposer une sanction ou une combinaison de sanctions moins contraignantes que la privation de la liberté, lorsque les circonstances le justifient.

 


Enfin, la cour doit tenir compte des circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de linfraction ou au contrevenant.

 

[22] La présente affaire ne porte pas sur la simple suppression sans gravité dune base de données ou dune icône informatique, comme semble le laisser entendre lavocat du M2 Sinclair. On ne peut la comparer à la situation où une icône aurait été retirée de lordinateur dun collègue pour quil ne puisse accéder à son agenda personnel ou à un jeu vidéo de son ordinateur. Il sagit en lespèce de désorganisation causée à des outils et à des pratiques bien établies utilisées pour colliger et transmettre de linformation à nos hauts dirigeants relativement à des questions de sécurité nationale, ce pour des motifs personnels suscités par la colère et la frustration à légard de collègues et de la chaîne de commandement. La conduite des contrevenantes a eu leffet immédiat de provoquer, au sein du CCDN, une crise totalement injustifiable, pour la simple raison quelles voulaient forcer des collègues à travailler. La suppression de licône de la base de données ne saurait être qualifiée hors du contexte dans lequel elle sinscrit. Ce nest pas le seul geste des contrevenantes qui est condamnable, mais bien le geste quelles ont fait dans un contexte susceptible dengendrer des conséquences sur la sécurité nationale et qui a porté atteinte à la fiabilité dune source de renseignements pendant deux semaines. Le manque de fiabilité de découle pas de lincapacité dutiliser les renseignements, mais du doute semé chez les gestionnaires de ces renseignements quant à leur absolue exactitude. La raison pour laquelle les membres du personnel des Forces canadiennes qui occupent un poste de militaire du rang de la Gestion de linformation au CCDN doivent avoir le grade de sergent répond à un motif opérationnel et légitime. Le rang de sergent témoigne des qualités suivantes : aptitude à diriger, courage, intégrité, honnêteté, dévouement, jugement et autodiscipline.

 

[23] En lespèce, il importe dassurer la protection du public en imposant une sentence qui mettra laccent sur la dissuasion générale, la sanction et la dénonciation ainsi que sur la dissuasion spécifique; cependant, la sentence doit aussi contribuer à la réinsertion des deux contrevenantes.

 


[24] Le procureur de la poursuite recommande à la cour dimposer aux contrevenantes une sentence comprenant la destitution et la rétrogradation au rang de matelot de 1re classe. Il soutient que si la cour estime quil ny a pas lieu dimposer la destitution, les contrevenantes devraient être rétrogradées au rang de matelot de 3e classe. De lavis de la poursuite, la même sentence devrait être infligée aux deux contrevenantes, parce quelles ont ensemble planifié et mis à exécution leur crime. Lavocat du M2 Reid recommande que la cour impose à celle-ci une sentence consistant en un blâme et une amende de 2 400 $ à 3 000 $, payable à raison de 300 $ par mois. Lavocat du M2 Sinclair recommande à la cour dimposer à cette dernière une amende de 200 $ à 500 $. Les principaux facteurs aggravants soulevés par la poursuite sont le degré de préméditation, la nature objective de linfraction, lexpérience des deux contrevenantes, labus de confiance manifeste dans un environnement hautement classifié, le manque dintégrité et le risque réel auquel elles ont exposé notre pays, malgré labsence de preuve établissant quun dommage a réellement été causé à la sécurité nationale. Le procureur de la poursuite relève par ailleurs quelles nont dans les faits aucun dossier antérieur en matière pénale ou disciplinaire et quelles ont toutes les deux inscrit un plaidoyer de culpabilité à la première occasion. Les deux avocats de la défense font valoir que la présente instance en cour martiale a déjà répondu à lobjectif de dissuasion générale et spécifique qui simpose en lespèce, compte tenu de la vaste couverture médiatique réservée à cette affaire depuis le dépôt des accusations initiales par le Service national des enquêtes, lesquelles comprenaient des accusations de sabotage et de complot. Selon les avocats de la défense, cet état de choses aurait causé aux contrevenantes une déconsidération disproportionnée qui naurait pas pu être corrigée adéquatement par les communiqués de presse subséquents. Ils soutiennent que la sanction devrait être axée sur la réinsertion.

 

[25] Sil est juste de dire que linfraction de sabotage prévue à larticle 52 du Code criminel est une infraction grave passible dun emprisonnement maximal de 10 ans demprisonnement, cette infraction nest commise que lorsquune personne perpètre un acte prohibé défini au paragraphe 52(2) du Code. Il est également bien établi que le pouvoir de porter des accusations relève du pouvoir discrétionnaire des autorités chargées de la poursuite. Celles-ci sont entièrement libres de choisir les accusations qui seront déférées à la cour. Ces accusations ne représentent pas nécessairement linfraction la plus grave qui puisse être prouvée à partir des faits dont elles ont connaissance, notamment des circonstances entourant la commission de linfraction. Largumentation de la défense sous-entend que les contrevenantes ont été accusées à tort de complot et de sabotage et discréditées à jamais par les communiqués de presse et les médias. Compte tenu de la preuve dont dispose la cour, jestime que cet argument est dépourvu de fondement. Les accusations portées par le Directeur des poursuites militaires, si elles diffèrent de la série daccusations initiales, relèvent de lexercice normal du pouvoir discrétionnaire dévolu à la poursuite, fondé sur des facteurs dont la cour na pas à présumer. Cela dit, il est tout à fait exact de dire que linfraction davoir endommagé volontairement un bien de Sa Majesté, portée en vertu de lalinéa 116a) de la Loi sur la défense nationale, est objectivement beaucoup moins grave que linfraction de sabotage. Néanmoins, les circonstances entourant la commission de linfraction à légard de laquelle les contrevenantes ont plaidé coupable sont très graves, malgré le fait que la suppression dune icône informatique ne risque de causer que peu de dommages à lordinateur, si dommage il y a.

 


[26] Il doit être absolument clair et non équivoque quun tribunal ne peut infliger une peine à un contrevenant relativement à des infractions pour lesquelles cette personne na pas été déclarée coupable. La cour na pas à mettre en cause lexercice du pouvoir discrétionnaire de la poursuite de porter certaines accusations particulières, ni sa décision de demander à la cour lautorisation de retirer des accusations plus graves après avoir souscrit à lacceptation et à lenregistrement du plaidoyer de culpabilité dun accusé à légard dune infraction moindre; toutefois, les circonstances de linfraction ne peuvent se rapporter quà cette seule infraction moindre aux fins de la détermination de la peine.

 

 

Circonstances aggravantes

 

[27]  Dans la détermination dune sentence quelle estime juste, appropriée et minimale, la cour a considéré que les facteurs suivants constituent des circonstances aggravantes :

 

1.      La gravité subjective de linfraction. Quiconque contrevient à larticle 116 de la Loi sur la défense nationale est passible dun emprisonnement de moins de deux ans ou dune peine moindre. Objectivement, il ne sagit pas dune infraction très grave. Toutefois, comme je lai expliqué plus tôt, lendommagement dun bien de Sa Majesté a été causé dans des circonstances qui ont non seulement entravé pendant deux semaines lexécution en temps opportun de la mission du CCDN, mais qui ont surtout suscité un doute quant au niveau dexactitude des renseignements transmis aux hauts dirigeants du ministère et à dautres parties intéressées et ont occasionné des préoccupations sur la capacité du CCDN de remplir sa mission même. Les actes des contrevenantes ont temporairement créé un certain degré dincertitude aux plus hauts échelons du CCDN, dans la mesure où lon craignait que les lacunes ne se répercutent sur la sécurité nationale si des décisions tardives ou mal fondées avaient été prises en raison de la situation. Par leurs actes, les contrevenantes ont créé une crise interne au CCDN en faisant naître le doute au sein dune organisation qui doit compter sur la plus grande exactitude pour informer adéquatement les décideurs du ministère de la Défense nationale, comme je lai indiqué. Contrairement à lavocat du M2 Sinclair, la cour estime que la gravité subjective de linfraction est très grande dans les circonstances. De tels actes sont inconvenants de la part de tout militaire du rang (supérieur), quelle que soit sa position. La fonction respective des contrevenantes au CCDN et les circonstances entourant la commission de linfraction ajoutent à la gravité subjective de linfraction.

 


2.      Le degré de planification et de préméditation dont ont fait preuve les contrevenantes avant la commission de linfraction. Les M2 Sinclair et Reid ont préparé leurs actes conjointement parce quelles voulaient donner une leçon à du personnel paresseux et voir comment ces personnes réagiraient. Leurs gestes ne sont pas le résultat dune erreur spontanée motivée par un manque de jugement momentané.

 

3.      Le rang et la situation des contrevenantes au moment de linfraction, et labus de confiance dans le cadre de leurs fonctions à titre de membres du CCDN. Les contrevenantes occupaient des postes extrêmement sensibles qui commandent le plus haut degré de discipline en matière informatique, de jugement, de maturité et dintégrité. Dans le contexte des intérêts afférents à la sécurité nationale et de la sécurité des renseignements, et eu égard à la mission essentielle dune organisation comme le CCDN, il faut pouvoir compter sur le degré de confiance le plus élevé accordé à des membres qui remplissent leurs fonctions militaires dans cet environnement. Parallèlement, tout abus de cette confiance se situe au degré le plus élevé. Il sagit dun facteur encore plus aggravant pour le M2 Sinclair, qui possède des connaissances approfondies à titre de militaire du rang (supérieur) de la Gestion de linformation au CCDN et dont les responsabilités comprenaient la maintenance de la base de données et la formation de nouveaux membres du rang de la Gestion de linformation au CCDN, notamment celle de sa propre conjointe, le M2 Reid. Le fait que le M2 Sinclair était en congé de maternité à la maison lorsquelle a commis linfraction, aidant le M2 Reid et lui donnant des instructions par bavardage‑clavier sur Internet, est préoccupant. Le M2 Sinclair met en partie son manque de jugement sur le compte dun changement hormonal attribuable à sa grossesse; or, une faute aussi grave est difficile à justifier de la part dun militaire du rang (supérieur) de la Gestion de linformation très expérimentée, que cette personne soit enceinte ou non. Le fait quelle se trouvait alors en congé à la maison aurait dû laider à prendre une certaine distance de ses problèmes au travail et à ne pas encourager sa conjointe à mettre à exécution leur projet dendommager licône de la base de données, indépendamment de la question de savoir qui, la première, a eu la mauvaise idée.

 

4.      Le risque que leurs actes ont fait courir aux intérêts afférents à la sécurité nationale, même si aucune preuve nindique quun dommage a réellement été causé à la sécurité nationale.

 

 

 

 

 


Circonstances atténuantes

 

[28] Toutefois, la cour est davis que les facteurs suivants constituent des circonstances atténuantes au regard de la sentence :

 

1.      Les contrevenantes ont plaidé coupable à laccusation portée contre elles devant la cour. Je considère que ce plaidoyer de culpabilité est signe de remords véritables et témoigne du fait que les contrevenantes assument la pleine responsabilité de leurs actes, compte tenu plus particulièrement des excuses publiques que chacune delles a présentées par écrit et verbalement devant la cour. Je suis persuadé que vos excuses sont authentiques et sincères, et je vous crois lorsque vous dites que vous aimeriez pouvoir revenir en arrière. La reconnaissance de votre culpabilité a aussi épargné à la cour un long procès auquel de nombreux témoins auraient été convoqués, parmi lesquels des experts en informatique judiciaire.

 

2.      Le fait que vous avez toutes deux maintenu de très bons états de service avant la commission de linfraction. Le M2 Reid a plus de 15 années de service, alors que le M2 Sinclair sert son pays depuis plus de 20 ans. Vos supérieurs jugeaient que vous donniez un rendement solide et vous tenaient en haute estime. Les différents Rapports dappréciation du rendement font votre éloge. Le M2 Reid a été promue à son rang actuel en 2006, alors que le M2 Sinclair a été promue au même rang en 2003.

 

3.      Le fait que les événements à lorigine du présent procès ont eu lieu il y a plus de 18 mois constitue également une circonstance atténuante, étant donné limportante couverture médiatique. Je conviens que celle-ci vous a causé, ainsi quà votre famille, un sentiment de honte et dembarras. Cependant, nous ne pouvons perdre de vue la simple réalité, à savoir que vous êtes les seules personnes directement responsables de la situation. À la lumière des divers communiqués de presse et extraits de médias présentés à la cour, je conclus que la couverture des événements na pas été inappropriée.

 


4.      Les mesures importantes prises par les deux contrevenantes pour régler efficacement les problèmes de maîtrise de la colère, et, à un degré beaucoup moindre, la tension et lanxiété liées aux poursuites judiciaires. Entre le 17 octobre 2008 et le 30 janvier 2009, le M2 Reid a eu huit consultations en tant que patiente externe avec une psychologue qui travaille auprès du personnel militaire, à Victoria (C.‑B.). Selon Mme Goranson , le M2 Reid est toujours ponctuelle et elle manifeste une volonté marquée de participer au counseling et den tirer profit. Mme Goranson signale que les interventions portant sur la maîtrise de la colère comportent des éléments de psycho-éducation concernant la colère constructive par rapport à la colère destructive et dautres concernant les méthodes passive, assurée et agressive dexprimer la colère. À son avis, la psychothérapie a aussi aidé le M2 Reid à apprendre de nouvelles façons dévaluer si sa colère est  « justifiée » ou non et à explorer des façons concrètes et précises de réagir à la colère de manière socialement acceptable et adaptative. Mme Goranson explique que la thérapie vise particulièrement à aider le M2 Reid à identifier la nature des pensées qui alimentent ses sentiments de colère et de frustration, à sinterroger sur la justesse de ces pensées et de ces convictions et à apprendre à réagir adéquatement. La thérapie a révélé que le M2 Reid a constaté une tendance à réagir de façon émotive en situation de stress, ce qui fait quelle exprime ouvertement ses émotions lorsquelle se sent dépassée ou en désarroi. Mme Goranson indique quen matière de stratégies de gestion du stress, elle a abordé avec le M2 Reid la possibilité de faire connaître ses sources de frustration ouvertement et honnêtement, en risquant une confrontation « saine » et en sollicitant laide dautres personnes. Elle estime que létat émotionnel du M2 Reid a été fortement ébranlé par le stress lié aux poursuites en cours. Elle sattend à ce que bon nombre des symptômes du M2 Reid disparaissent lorsque le stress afférent à la cour martiale se dissipera, selon lissue de laffaire. Mme Goranson déclare que le stress et lanxiété quéprouve le M2 Reid sont semblables et se traduisent de façon semblable à ceux que ressentent dautres patients confrontés à des poursuites au criminel. Le M2 Sinclair a elle aussi rencontré un travailleur social à plusieurs reprises pour des questions de stress et danxiété liées aux accusations pesant contre elle. Elle a bénéficié dune thérapie cognitivo-comportementale qui laide à gérer le stress, à stabiliser son tempérament et à développer des stratégies pour sadapter aux situations. La cour est davis que ces démarches représentent une étape importante en vue de leur réinsertion.

 

5.      La cour tient compte de labsence de dossier disciplinaire ou criminel dans le cas du M2 Reid, et de labsence de dossier disciplinaire ou criminel pour une infraction connexe dans le cas du M2 Sinclair.


 

Circonstances neutres

 

[29] Jaborderai maintenant les facteurs que la cour considère neutres en lespèce :

 

1.      La cour a examiné votre situation familiale et financière. Vous êtes mariées et avez une fille, née le 27 juillet 2007, soit 11 jours après la commission de linfraction. Le M2 Sinclair donnera bientôt naissance à votre deuxième enfant. La preuve dont dispose la cour indique que les frais de garde de jour pour vos enfants sélèveront à 1 800 $ par mois en janvier 2010. Votre revenu brut respectif, incluant la prime différentielle de poste, est 75 780 $ pour le M2 Reid et 77 040 $ pour le M2 Sinclair. Le revenu combiné sélève à 140 820 $. La cour ne considère pas que la situation familiale et financière des contrevenantes constitue un facteur atténuant dans les circonstances, mais plutôt un facteur neutre. La cour reconnaît cependant que la sentence qui sera rendue aura des répercussions financières importantes pour les deux contrevenantes et leur famille. Toutefois, les sentences imposées aux contrevenants auront toujours des répercussions sur leur famille. Cela est dautant plus vrai lorsque des co-contrevenants sont membres de la même famille. Même si la cour éprouve une réelle sympathie envers les contrevenantes et leur famille, les contrevenantes sont seules responsables de leurs actes et vivent maintenant avec les conséquences.

 

2.      La cour estime que votre décision de remplacer, au coût approximatif de 5 100 $, une grande partie des objets qui avaient été saisis par la police et qui ne vous ont été rendus quau terme de 14 mois, constitue aussi un facteur neutre. Cétait là votre décision personnelle. Lexamen des reçus déposés à la cour indique que vous avez pris la décision consciente dacheter certains articles précis. Si les agents de lÉtat ont été négligents ou ont agi illégalement, ce dont la cour na aucune preuve, rien ne vous empêche dexercer les recours civils voulus pour être indemnisées.

 


[30] La cour a examiné la jurisprudence soumise par lavocat de la poursuite et approuve les grands principes qui y sont énoncés. Bien que la jurisprudence américaine, à mon avis, soit de peu dutilité en matière de détermination de la peine dans le contexte du droit militaire canadien, je souscris pleinement au principe selon lequel [traduction] « la discipline en matière informatique, en notre ère de haute technologie dans laquelle le support informatique joue un rôle si important, explique la gravité de ce genre de faute »[3].

 

[31] La poursuite demande que la sentence soit la même pour les deux contrevenantes, étant donné quà son avis, elles sont également responsables de la commission de linfraction. Naturellement, les avocats du M2 Reid et du M2 Sinclair ont fait valoir des points de vue différents, fondés sur leurs recommandations respectives. Lorsquil impose une peine, un tribunal nest pas tenu dimposer à un accusé une peine similaire à celle infligée à un co-accusé, mais la peine ne doit pas être disparate au point de créer un sentiment damertume ou de ressentiment de la part de lautre accusé. Dans le contexte du cas qui nous occupe, la cour estime que le M2 Sinclair mérite une peine plus sévère que celle qui sera imposée au M2 Reid, compte tenu de sa plus vaste expérience, de son rôle de meneur à titre de militaire du rang (supérieur) de la Gestion de linformation responsable de former les opérateurs nouvellement arrivés au CCDN et du fait quelle était responsable de la maintenance de la base de données. Le M2 Reid naurait jamais pu endommager licône de la base de données sans laide et le soutien du M2 Sinclair, et sans, de surcroît, devoir suivre les instructions étape par étape fournies par celle-ci.

 

Conclusion

 

[32] M2 Reid et M2 Sinclair. Pour ces motifs, la cour vous impose les sentences suivantes :

 

M2 Reid, la cour ordonne que vous soyez rétrogradée au grade de matelot de 1re classe et vous impose une amende de 3 000 $, payable à raison de 300 $ par mois;

 

M2 Sinclair, la cour ordonne que vous soyez rétrogradée au grade de matelot de 1re classe, vous inflige un blâme et vous impose une amende de 3 000 $, payable à raison de 300 $ par mois.

 

[33] Si lune de vous ou les deux devaient être libérées des Forces canadiennes avant le paiement complet de la sentence que la cour vous impose, le paiement complet devrait être effectué immédiatement avant la date de votre libération effective. Veuillez vous asseoir.

 


[34] Cette sentence représente la peine minimale que la cour estime indiquée pour respecter les intérêts de la discipline et de la justice militaires, dans les circonstances de la seule infraction dont la cour est saisie et compte tenu de la situation de chaque contrevenante. Cette sentence ne témoigne pas dune prise de position favorable ou défavorable au maintien des contrevenantes dans les Forces canadiennes. Les circonstances de la présente affaire sont telles que la décision à cet égard devrait être laissée à la chaîne de commandement, qui est mieux placée pour décider quel degré de confiance, sil en est, linstitution est maintenant disposée à accorder aux Matelots de 1re classe Reid et Sinclair.

 

[35] Linstance devant la présente cour martiale est terminée .

 

 

COLONEL M. DUTIL, J.C.M.

 

Avocats :

Major J. Samson, Bureau régional des poursuites militaires, Halifax

Procureur de Sa Majesté la Reine                                                      

 

Capitaine de corvette P. Lévesque, Direction du service davocats de la défense

Avocat du Maître de 2e classe Reid   

Me M. Reesink, Cabinet davocats Reesink (Ottawa)

Avocat du Maître de 2e classe Sinclair



[1] Voir la pièce 10.

[2] Voir la pièce 18.

[3] United States v. Chaplin, 1991 CMR Lexis 1460, à la page 4.

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