Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 4 mai 2009

Endroit : 713e Régiment des Communications, 535 boulevard Ste-Anne, suite 100, Québec (QC)

Chefs d'accusation
•Chefs d'accusation 1, 2 : Art. 130 LDN, une fraude envers le gouvernement (art. 121(1)c) C. cr).
•Chef d'accusation 3 : Art. 130 LDN, une fraude ne dépassant pas 5000$ (art. 380(1)b)ii) C. cr.).

Résultats
•VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 2, 3 : Coupable.
•SENTENCE : Un blâme et une amende au montant de 2000$.

Contenu de la décision

Citation : R. c. Adjudant J.M.J. Tourville, 2009 CM 1006

 

Dossier : 200861

 

 

COUR MARTIALE GÉNÉRALE

CANADA

QUÉBEC

713E RÉGIMENT DES COMMUNICATIONS BEAUPORT

 

Date : 11 mai 2009

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU COLONEL M. DUTIL, J.M.C.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

c.

ADJUDANT J.M.J. TOURVILLE

(Contrevenant)

 

SENTENCE

(Prononcée oralement)

 

 

[1]        Le contrevenant a été déclaré coupable le 8 mai 2009 par une cour martiale générale des trois accusations qui avaient été portées contre lui pour des infractions reliées à des manoeuvres frauduleuses commises en avril 2006, alors qu'il était l'adjoint de l'attaché de défense en poste dans la ville de Mexico, au Mexique. Les verdicts de culpabilité portent, d'une part, sur deux chefs d'accusation pour avoir commis des fraudes envers le gouvernement en vertu de l'article 130 de la Loi sur la défense nationale contrairement à l'alinéa 121(1)(c) du Code criminel en acceptant un bénéfice pour lui-même et pour son épouse de la part d'une personne qui avait des relations d'affaires avec le gouvernement; alors que, d'une autre part, le troisième verdict de culpabilité résulte d'une accusation de fraude portée aux termes de l'article 130 de la Loi sur la défense nationale contrairement à l'article 380 du Code criminel pour avoir privé ou frustré monsieur Carlos Diaz Sanchez d'une somme d'argent de moins de 5 000 $.

 


[2]        Il m'incombe maintenant de déterminer la sentence qui doit être imposée à l'adjudant Tourville. La cour considère comme prouvé tous les faits, exprès ou implicites, essentiels au verdict de culpabilité qu'a rendu le comité de la cour martiale générale. Ces faits gravitent autour des dépenses encourues par l'adjudant Tourville lors d'un voyage en devoir temporaire effectué entre le 27 mars 2006 jusqu'au 31 mars 2006 à Cancun, Mexique, et ce dans le cadre d'un sommet entre les chefs d'état des États-Unis et du Mexique, ainsi que le Premier Ministre du Canada, alors que l'adjudant Tourville était l'adjoint de l'attaché de défense du Canada à Mexico entre juillet 2004 et juillet 2006. L'adjudant Tourville était accompagné de son épouse. Selon la preuve entendue lors du procès, l'adjudant Tourville a accepté un bénéfice de la part de monsieur Carlos Diaz Sanchez, une personne qui faisait affaires à titre de contractant avec l'ambassade du Canada, et qu'il a frustré cette même personne d'une somme d'argent en ayant recours au mensonge ou un autre moyen dolosif. Dans le cadre des préparations de voyage, il appert que monsieur Carlos Diaz Sanchez a fait les réservations de vol pour l'adjudant Tourville ainsi que son épouse Marie-Claude, afin qu'ils puissent voyager tous les trois car l'adjudant Tourville et monsieur Diaz devaient travailler en étroite collaboration dans le cadre de la visite des chefs d'états pour la prestation des services administratifs et logistiques nécessaires liés à l'avion militaire utilisé par le premier ministre du Canada, ainsi que la sécurité de l'avion. Monsieur Sanchez avait fait lesdites réservations de billets d'avion au moyen de sa carte de crédit personnelle. De plus, monsieur Diaz a également payé des frais supplémentaires en raison d'un changement d'itinéraire effectué pour l'adjudant Tourville relativement à son vol de retour vers Mexico. L'adjudant Tourville s'était engagé à rembourser les frais encourus pour l'achat desdits billets d'avion, ainsi que ceux liés au changement d'itinéraire.  Monsieur Diaz a également accepté de ramener avec lui une valise supplémentaire appartenant à l'adjudant Tourville pour laquelle il a dû payer des frais de bagages excédentaires. Le témoignage de monsieur Carlos Diaz Sanchez durant le procès révèle qu'il n'a pas été remboursé pour lesdites dépenses malgré l'entente à cet effet entre lui et l'adjudant Tourville, et ce même si le contrevenant a soutenu le contraire durant son témoignage au procès. Monsieur Diaz a aussi témoigné à l'effet qu'il a aussi prêté la somme de 10 000 pesos à l'adjudant Tourville pour couvrir certaines dépenses personnelles de son épouse lors de ce voyage et qu'il n'a pas été remboursé pour cette somme, malgré que l'adjudant Tourville ait prétendu le contraire.

 

[3]        L'imposition d'une sentence est de loin, la tâche la plus difficile d'un juge. La Cour suprême du Canada a reconnu dans l'arrêt R. c. Généreux[1] que :

 

... Pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace....

 

Elle a souligné que dans le contexte particulier de la discipline militaire :

 

... Les manquements à la discipline [devaient] être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil....

 


Or, le droit ne permet pas à un tribunal militaire d'imposer une sentence, composée d'une ou plusieurs peines, qui se situerait au-delà de ce qui est requis dans les circonstances de l'affaire. En d'autres mots, toute peine infligée par un tribunal, qu'il soit civil ou militaire, doit être individualisée et représenter l'intervention minimale requise puisque la modéra­tion est le principe fondamental de la théorie moderne de la détermination de la peine au Canada.

 

[4]        Lorsqu'il s'agit de donner une sentence appropriée à un accusé pour les fautes qu'il a commises à l'égard des infractions dont il est coupable, certains objectifs sont visés à la lumière des principes applicables quoiqu'ils varient légèrement d'un cas à l'autre. L'importance qui leur est attribuée doit toutefois être modulée aux circonstances de l'affaire. La cour a examiné l'ensemble de la preuve présentée durant le procès ainsi que celle présentée durant la partie de l'audition portant sur la détermination de la sentence, et ce en fonction des principes applicables en matière de détermination de la peine, y compris les objectifs et les principes contenus aux articles 718, 718.1 et 718.2 du Code criminel lorsqu'ils sont compatibles avec, d'une part, les exigences impératives pour garantir le maintien d'une force armée disciplinée, opérationnelle et efficace; et d'autre part, lorsqu'ils sont compatibles avec le régime de détermination de la sentence aux termes de la Loi sur la défense nationale. La cour a également pris en compte toute conséquence indirecte du verdict et de la sentence sur le contrevenant, ainsi que les conséquences directes de ce verdict et de cette sentence. Finalement, la cour a examiné l'ensemble de ces divers éléments à la lumière des plaidoiries des avocats et la jurispru­dence soumise à la cour. Dans le contexte de la justice militaire, les objectifs et principes de la détermination de la sentence sont généralement les suivants :

 

Premièrement, la protection du public et le public inclut ici les Forces canadien­nes;

 

deuxièmement, la punition et la dénonciation du contrevenant;

 

troisièmement, la dissuasion du contrevenant, et quiconque, de commettre les mêmes infractions;

 

quatrièmement, isoler le délinquant, le cas échéant, de la société y compris des membres des Forces canadiennes;

 

cinquièmement, la réhabilitation et la réforme du contrevenant;

 

sixièmement, la proportionnalité à la gravité des infractions et le degré de responsabilité du contrevenant;

 

septièmement, l'harmonisation des peines;

 

huitièmement, le recours à une peine privative de liberté qui est justifiée seule­ment lorsque la cour est satisfaite qu'il s'agit de la peine de dernier ressort;

 


finalement, la cour prendra en compte les circonstances aggravantes et atténuan­tes qui sont liées aux circonstances de l'affaire et de la situation du contrevenant.

 

[5]        Cela ne surprendra personne qu'en matière de fraude et de fraudes envers le gouvernement la dissuasion générale est le facteur primordial de la détermination de la sentence. Il est impératif que les tribunaux montrent au public que la malhonnêteté et la fraude ne seront pas tolérées, et ce même dans les situations moins graves. Dans le contexte de l'alinéa 121(1)(c) du Code criminel, cette disposition vise la protection et la préservation de l'apparence d'intégrité du gouvernement en criminalisant le comporte­ment du fonctionnaire ou employé du gouvernement qui, dans certaines circonstances, accepte un bénéfice d'une personne qui a des relations d'affaires avec le gouvernement.

 

[6]        Outre les documents d'ordre administratif déposés par le procureur de la pour­suite, la preuve entendue et déposée devant la cour lors de l'audition portant sur la détermination de la peine et du témoignage entendu lors de l'audition à l'effet que l'adjudant Tourville a accompli de l'excellent rendement, fait état du sens de profession­nalisme et de leadership démontré également par l’adjudant Tourville depuis qu'il s'est joint à la Force de Réserve. La cour a pris en compte ces éléments et les a examinés en fonction des critères et les facteurs applicables en matière de détermination de la peine.

 

[7]        La cour croit que les éléments suivants doivent, soit atténuer ou aggraver la sentence. Elle considère comme aggravant :

 

Premièrement, la gravité objective des infractions de fraude envers le gouverne­ment et de fraude. Le crime de fraude envers le gouvernement aux termes de l'alinéa 121(1)(c) du Code criminel constitue un acte criminel et il est passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans. En ce qui a trait à la fraude d'une somme ne dépassant pas 5 000 $, aux termes de l'article 380 du Code criminel, la personne qui en est déclarée coupable est passible : soit d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de deux ans, soit d'une infraction punis­sable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. En matière de fraude, le législateur a implicitement exprimé un niveau de réprobation accru pour les gestes frauduleux posés par des personnes lorsque l'emploi qu'occupe le délinquant, ses compétences professionnelles, son statut ou sa réputation dans la collectivité, ont contribué à la perpétration de l'infraction, ont été utilisés pour la commettre ou y étaient liés, et ce en ne permettant pas au tribunal de prendre en compte ces facteurs à titre de circonstances atténuantes. Bref, il s'agit là d'infractions sérieuses, même si les sommes obtenues par les manoeuvres fraudu­leuses sont relativement peu importantes.

 


La cour considère comme aggravant également; l'abus de confiance envers monsieur Carlos Diaz Sanchez, une personne qui avait des relations envers le gouvernement et qui était une personne vulnérable dans le contexte que ses revenus étaient liés à ses relations contractuelles avec l'ambassade du Canada à Mexico.

 

Troisièmement, le fait que la commission d'un crime de fraude envers le gouver­nement s'attaque directement au lien de confiance qui doit exister entre l'employé du gouvernement et l'institution gouvernementale, et ce afin de maintenir l'intégrité gouvernementale dans ses relations d'affaires et de préserver la confiance du public dans ses institutions publiques.

 

[8]        La cour considère comme atténuant :

 

Premièrement, le fait qu'il s'agisse d'un acte isolé et précis dans le temps, contrai­rement à des actes planifiés et exécutés sur une longue période.

 

Deuxièmement, l'ensemble de la carrière de l'adjudant Tourville au sein des Forces canadiennes qui jusque-là avait été sans tache. Toutefois, la cour ne peut considérer comme atténuant le rendement que vous avez accompli alors que vous étiez en poste à Mexico en ce qui a trait à l'infraction de fraude, puisque la commission de l'infraction était liée à votre statut en tant qu'adjoint administratif de l'attaché de défense en poste au Mexique conformément au paragraphe 380.1(2) du Code criminel.

 

Et finalement, la cour retient comme facteur atténuant; l'absence de fiche de conduite ou de dossier criminel.

 

[9]        La poursuite recommande à la cour de vous imposer une sentence composée d'une rétrogradation au grade de sergent assortie d'une amende de 3 000 $. La poursuite soutient que l'imposition d'une telle sentence vise à protéger le public en mettant l'emphase sur la dénonciation du geste et la dissuasion spécifique. La défense soumet que les circonstances de cette affaire ne requièrent qu'une réprimande et que l'amende proposée ne devrait pas dépasser 500 $. Je ne crois pas que la dissuasion spécifique soit un facteur primaire dans cette cause, même si la sentence doit prendre en compte ce facteur. Je suis d'avis que la dissuasion générale doit primer et qu'il faille dénoncer les gestes de l'accusé qui jette un discrédit sur l'intégrité gouvernementale et qui constituent un abus de confiance important envers l'employeur, ainsi qu'avec une personne qui avait des relations d'affaires avec le gouvernement canadien dans un pays étranger, même si les sommes visées sont relativement peu importantes.

 


[10]      Pour ces raisons, la cour condamne l'adjudant Tourville à un blâme et à une amende de 2 000 $ payable par versements mensuels égaux de 200 $. Si le contrevenant était libéré des Forces canadiennes avant le paiement complet de l'amende infligée par la cour, le solde de cette amende deviendra exigible immédiatement avant la date de sa libération.

 

 

 

                                                                 COLONEL M. DUTIL, J.M.C.

 

Avocats :

 

Major J. Caron, Procureur militaire régional, région de l'Est

Avocat de la poursuivante

 

Major A. Litowski, Directeur du service d'avocats de la défense

Avocate de l'adjudant J.M.J. Tourville



[1][1992] 1 R.C.S. 259.

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