Cour martiale
Informations sur la décision
Date de l'ouverture du procès : 9 juin 2009
Endroit : 4e Escadre Cold Lake, théâtre de l'escadre, Édifice 674, Cold Lake (AB)
Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 : Art. 114 LDN, vol.
•Chef d'accusation 2 (subsidiaire au chef d'accusation 1) : Art. 130 LDN, fraude (art. 380(1) C. cr.).
•Chefs d'accusation 3, 4, 5, 6, 7 : Art. 117f) LDN, a commis un acte de caractère frauduleux non expressement visé aux articles 73 à 128 de la Loi sur la défense nationale.
Résultats
•VERDICTS : Chef d'accusation 1 : Une suspension d'instance. Chef d'accusation 2 : Coupable. Chefs d'accusation 3, 4, 5, 6, 7 : Retirés.
•SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 21 jours, une rétrogradation au grade de soldat et une amende au montant de 8000$. L'exécution de la peine d'emprisonnement a été suspendue.
Contenu de la décision
Référence : R. c. Ex‑caporal‑chef M.E. Dickson, 2009 CM 1007
Dossier : 200866
COUR MARTIALE PERMANENTE
CANADA
ALBERTA
4e ESCADRE COLD LAKE
Date : le 9 juin 2009
SOUS LA PRÉSIDENCE DU COLONEL M. DUTIL, J.M.C.
SA MAJESTÉ LA REINE
c.
EX-CARPORAL-CHEF M.E. DICKSON
(contrevenant)
SENTENCE
(prononcée de vive voix)
TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE
[1] Ex-caporal-chef Dickson, la cour, ayant accepté et enregistré votre aveu de culpabilité relativement à la deuxième accusation, à savoir une infraction de fraude s’élevant à 20 474,59 $, punissable en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, à l’encontre de l’article 380 du Code criminel, vous déclare coupable à l’égard de ce chef et ordonne l’arrêt des procédures sous le premier chef.
[2] La détermination de la sentence est la tâche la plus difficile qui incombe à un juge. Les avocats le savent. C’est particulièrement vrai en l’espèce. Les faits entourant la commission de l’infraction ont été décrits dans l’exposé des circonstances, déposé comme pièce 11. Essentiellement, les faits pertinents révèlent que le contrevenant travaillait comme technicien qualifié en plomberie et en chauffage pour l'Escadron de génie construction de la 4e Escadre Cold Lake. Un processus très particulier était alors en place ou, devrais-je dire, l’absence d’un processus approprié relativement à la création des commandes de travail et des bons de travail permettait au technicien d’établir et d’approuver, en dernier ressort, chacune des phases de la commande de travail sans être soumis à des procédures de vérification et balance de la part de son ou de ses supérieurs aux fins de légitimité et de reddition de compte.
[3] Lorsqu’il y avait un problème dans un immeuble, un appel était logé au « service de dépannage » de l’Escadron de génie construction et un rapport était rédigé. Une commande de travail était alors établie au nom de la personne qui avait rédigé le rapport. Au moment des événements ayant donné lieu à l’inculpation, il était également possible pour un homme de métier d’établir des commandes de travail. La commande de travail était remise au technicien désigné pour effectuer la réparation. Le technicien se rendait sur place pour évaluer ce qui était nécessaire pour effectuer la réparation. Il établissait alors un bon de commande afin d’obtenir le matériel requis pour effectuer la réparation. Lorsque le matériel arrivait à l’Escadron de génie construction, le technicien se rendait sur place et effectuait ou non les réparations nécessaires. Le technicien inscrivait alors le nombre d’heures requises pour effectuer la réparation et fermait ensuite la commande de travail. Bref, aucune question n’était posée. Comme l’a admis M. Goodwin, l’adjudant‑chef GC au moment de l’incident, ce processus a maintenant été modifié et des mesures de base appropriées ont été mises en place afin d’éviter l’utilisation illégitime de fonds publics.
[4] Le 8 février 2007, la police militaire de la BFC Cold Lake a reçu une plainte de l’adjudant-chef Goodwin, un surveillant‑chef de l’Escadron de génie construction, dans laquelle il alléguait que l’ex-caporal-chef Dickson avait volé du matériel à l’Escadron de génie construction de l’Escadre. Des préoccupations ont été soulevées concernant les activités de l’ex‑caporal-chef Dickson dans la section, en partie parce que, durant la période où l’infraction a été commise, son nom figurait sur la Liste des effectifs du personnel non disponible et qu’il ne travaillait que des demi-journées. On lui avait confié des tâches administratives. On ne faisait pas appel à lui pour effectuer des réparations sur la base et, par conséquent, il ne devait pas avoir commandé de matériel. C’est donc essentiellement de cette façon que son inconduite a été mise à jour. L’adjudant-chef Goodwin a découvert que l’ex-caporal-chef Dickson établissait ses propres commandes de travail pour les travaux à effectuer à la 4e Escadre. Il commandait le matériel en fonction de ces commandes de travail en créant des bons de commande, facturait le temps consacré à l’exécution du travail et fermait ensuite la commande de travail.
[5] M. Goodwin a sélectionné au hasard cinq commandes de travail préparées par l’ex‑caporal-chef Dickson et a procédé à l’inspection physique des réparations et remplacements censément effectués. Il a découvert que, contrairement à ce qui était décrit dans les commandes de travail, aucune réparation et aucun remplacement n’avaient été effectués. L’adjudant-chef Goodwin a également constaté qu’une partie du matériel commandé par l’ex-caporal-chef Dickson n’était pas été utilisé pour quelqu’application que ce soit à l’Escadre et qu’aucun immeuble de la base n’était doté des systèmes devant être réparés. En se fondant sur les renseignements fournis par M. Goodwin, le détachement de la police militaire de Cold Lake a entrepris une enquête comportant la vérification de toutes les commandes de travail établies par la section de la plomberie du génie construction.
[6] Le 26 mars 2007, les enquêteurs ont obtenu un mandat leur permettant de fouiller le domicile de l’ex-caporal-chef Dickson. Le mandat a été exécuté le jour suivant en présence de l’ex-caporal-chef Dickson. Après une heure de fouille, l’ex-caporal-chef Dickson a informé les enquêteurs qu’il pourrait les conduire à l’endroit où le matériel était entreposé. Avant de conduire les enquêteurs à cet endroit, il a demandé qu’on l’amène au détachement de la police militaire où il a fait une déclaration. Il a admis avoir présenté des fausses commandes de travail et de faux bons de commande dans le but de se procurer du matériel de plomberie et de chauffage. Il a expliqué que lorsque le matériel qu’il avait commandé arrivait à l’Escadre, il le ramassait et l’apportait à un lieu d’entreposage situé à l’extérieur de la base.
[7] Après avoir fait sa déclaration, l’ex-caporal-chef Dickson a indiqué où était situé, à Cold Lake North, le garage d’un ami dans lequel se trouvait le matériel. La fouille de l’endroit indiqué par l’ex-caporal-chef Dickson a donné lieu à la saisie du matériel indiqué aujourd’hui à l’annexe A de l’acte d’accusation. Comme je l’ai précédemment mentionné, le montant total de la fraude excède 20 000 $. L’enquête a révélé qu’en créant et en présentant de fausses commandes de travail et de faux bons de commande entre le 6 avril 2005 et le 27 mars 2007, l’ex‑caporal-chef a obtenu les marchandises indiquées à l’annexe A à des fins personnelles et qu’il a, de ce fait, soutiré aux Forces canadiennes les fonds mentionnés de plus de 20 000 $. Toutes les marchandises ont été saisies et sont entreposées, depuis ce temps, dans l’attente de l'issue de la présente cour martiale.
[8] Il est reconnu depuis longtemps qu’un système de tribunaux militaires distinct a pour but de permettre aux Forces armées de traiter des questions qui touchent directement la discipline, l’efficacité et le moral des troupes. Il est également reconnu que le contexte militaire peut, dans des circonstances appropriées, justifier et parfois dicter une sentence plus sévère que si l’infraction avait été commise dans un contexte purement civil, afin de favoriser l’atteinte des objectifs militaires. Ceci étant dit, la sanction imposée par un tribunal, qu’il soit civil ou militaire, devrait être l’intervention nécessaire minimale qui est appropriée dans les circonstances particulières de l’espèce, notamment pour les infractions de fraude commises par des personnes occupant un poste de confiance dans le contexte des Forces armées. Ces contrevenants militaires ne devraient pas être punis plus sévèrement que le seraient les personnes occupant un poste semblable au gouvernement, sauf s’il est établi à l’aide d’une preuve claire et probante que l’inconduite a influé sur l’efficacité, l’intervention opérationnelle, la cohésion et le moral des Forces canadiennes.
[9] Le témoignage de M. Goodwin à l’égard du moral de l’unité durant l’enquête et à la suite de celle-ci, entendu durant la phase de détermination de la sentence, concerne davantage les méthodes employées par la police militaire, lors de son enquête, pour amener les membres de l’unité, des civils pour la plupart, à répondre à plusieurs questions, méthodes qui ont, je dirais, laissé un goût amer à certains membres de cette unité. Il est donc difficile d’évaluer si le moral de l’unité s’est affaibli à la suite de ces actes ou de l’inconduite de l’ex-caporal-chef Dickson uniquement, ou s’il a été affecté par ces actes mais aussi par les techniques d’enquête alors utilisées, et je ne suis pas convaincu hors de tout doute raisonnable que la preuve présentée devant la cour est à ce point claire et probante.
[10] Pour déterminer la sentence, la cour a pris en considération les circonstances qui ont entouré la commission de l’infraction, révélées dans l’exposé des circonstances, le témoignage entendu durant l’audience relative à la détermination de la sentence, à savoir la preuve documentaire fournie à la cour, ainsi que les témoignages de divers témoins, à savoir celui de M.Goodwin, de M. Hillier et du capitaine de corvette Skanes, et le témoignage de l’ex‑caporal‑chef Dickson. La cour a examiné les éléments de preuve à la lumière des principes de détermination de la peine, notamment ceux énoncés aux articles 380.1, 718, 718.1 et 718.2 du Code criminel, bien sûr, lorsqu’ils ne sont pas incompatibles avec le régime de détermination de la peine prévu dans la Loi sur la défense nationale. La cour a également pris en considération les déclarations faites par les deux avocats, notamment la jurisprudence présentée à la cour.
[11] Lorsqu’un tribunal doit prononcer une sentence pénale, il lui incombe de le faire en fonction de certains objectifs que prévoient les principes applicables à la détermination de la peine. Il est admis que ces principes et objectifs peuvent varier légèrement d’une affaire à l’autre, mais ils doivent toujours être adaptés aux circonstances des infractions et à la situation du délinquant. Pour contribuer à la discipline militaire, la sentence doit satisfaire aux objectifs et principes fondamentaux du prononcé des peines, codifiés à l’article 718 Code criminel. Une peine qui ne satisfait pas à ces critères ne peut pas être considérée comme étant une peine juste et appropriée qui contribue au maintien de la discipline. L’illégitimité ne sert ni la promotion ni l’application de la discipline interne. Les principes et les objectifs relatifs à la détermination des peines sont souvent décrits comme suit :
premièrement, protéger le public, y compris les Forces canadiennes;
deuxièmement, punir et dénoncer le comportement illégal;
troisièmement, dissuader le délinquant, et quiconque, de commettre des infractions semblables;
quatrièmement, isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société, y compris des autres membres des Forces canadiennes;
cinquièmement, favoriser la réinsertion sociale des délinquants;
sixièmement, la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant;
septièmement, la peine prononcée doit être semblable à celles infligées pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables;
huitièmement, le tribunal doit, avant d’envisager la privation de liberté, examiner la possibilité de prononcer une ou plusieurs sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient;
enfin, le tribunal doit prendre en considération, le cas échéant, les circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant.
[12] Comme l’a souligné l’avocat de la poursuite, dans l’arrêt R. c. St‑Jean[1], le juge Létourneau qui s’exprimait au nom de la cour d’appel de la cour martiale, a mis en perspective les répercussions des actes frauduleux commis dans une organisation publique comme les Forces canadiennes :
[22] Après avoir examiné la peine imposée, les principes applicables et la jurisprudence de notre Cour, je ne peux affirmer que le président a commis une erreur ou a agi de façon déraisonnable quand il a fait valoir la nécessité de mettre l'accent sur l'objectif de dissuasion. Dans un organisme public aussi grand et complexe que les Forces armées canadiennes, qui possède un budget considérable, qui gère une quantité énorme d'équipement et de biens de l'État et qui met en application une multitude de programmes divers, la direction doit inévitablement pouvoir compter sur le concours et l'intégrité de ses employés. Aucune méthode de contrôle, si efficace qu'elle puisse être, ne peut remplacer l'intégrité du personnel auquel la direction accorde toute sa confiance. Un abus de confiance telle la fraude est souvent très difficile à découvrir et les enquêtes qui y ont trait sont dispendieuses. Les abus de confiance minent le respect du public envers l'institution et ont pour résultat la perte de fonds publics. Les membres des Forces armées qui sont déclarés coupables de fraude, et les autres membres du personnel militaire qui pourraient être tentés de les imiter, devraient savoir qu'ils s'exposent à des sanctions qui dénonceront de façon non équivoque leur comportement et leur abus de la confiance que leur témoignaient leur employeur de même que le public et les dissuaderont de se lancer dans ce genre d'activités. L'objectif de dissuasion n'implique pas nécessairement l'emprisonnement dans de tels cas, mais il n'en exclut pas en soi la possibilité, même dans le cas d'une première infraction. Il n'y a pas à notre Cour de règle stricte selon laquelle une fraude commise par un membre des Forces armées contre son employeur commande obligatoirement l'imposition d'une peine d'emprisonnement ou ne peut automatiquement mériter de l'emprisonnement. Chaque cas dépend des faits et des circonstances.
[13] Les principes énoncés par la cour d’appel de la cour martiale dans la décision St‑Jean, ainsi que dans les décisions Lévesque, Leegarden, et Vanier ont précédé les modifications apportées à l’article 380 du Code criminel en 2004, dans lesquelles le législateur a augmenté la punition maximale visant l’infraction de fraude excédant 5 000 $, en la faisant passer de 10 à 14 ans d’emprisonnement. Comme il a été reconnu dans St‑Jean, le principe de dissuasion générale est le principal aspect sur lequel les cours devraient insister dans les cas de fraude. Lorsqu’elle traite d’infractions de fraude d’employés ou de fraude commerciale grave, la jurisprudence récente des cours civiles et des cours d’appel nous donne des conseils utiles. Dans l’arrêt R. c. Stymiest[2], un jugement de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick, le juge McNally a fait état de la relative importance des principes de détermination de la peine dans les infractions de fraude et indiqué que la cour devrait mettre l’accent sur un ou plusieurs principes lorsqu’elle doit imposer une sentence à un contrevenant relativement à une fraude d’employé ou à une fraude commerciale grave au paragraphe 53 :
[53] La Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick a confirmé récemment sa position : en l’absence de circonstances exceptionnelles, les principes de dénonciation et de dissuasion générale écartent les facteurs de l’état de délinquant primaire d’un accusé et de ses chances de réinsertion sociale, justifiant généralement une peine d’emprisonnement en cas d’infractions de fraude commises par un employé ou de fraude commerciale grave...
[14] Dans le cas d’une fraude importante, telle la présente, commise par une personne occupant un poste de confiance, c.-à-d. lorsque le contrevenant a carte blanche pour commander et acheter le matériel nécessaire qui doit être installé au nom de la section de plomberie et de chauffage de l’unité de génie construction de la base et qu’il abuse ouvertement de sa position pour commettre les actes frauduleux, la sentence doit viser à protéger le public au moyen de la dissuasion générale, de la dénonciation et de la sanction, et de la dissuasion spécifique.
Facteurs aggravants
[15] Pour parvenir à ce qu’elle considère comme étant une peine juste et appropriée, la cour a considéré comme aggravants les facteurs suivants :
Premièrement, la gravité objective de la présente infraction. Une personne déclarée coupable d’une infraction de fraude en vertu de l’article 380 du Code criminel est passible d’un emprisonnement d’une durée maximale de 14 ans si la valeur de la fraude excède 5 000 $. Je n’ai pas à répéter que l’infraction de fraude contre un employeur est objectivement et subjectivement une infraction très grave.
Deuxièmement, le fait que vous occupiez alors un poste de confiance. En tant que technicien expérimenté, vous avez abusé de la confiance que l’on vous a témoignée en vous permettant d’établir et remplir les commandes de travail avec une discrétion absolue. Il se peut que la direction se soit déchargée de ses responsabilités en tolérant l’absence de mesures de sécurité et de reddition de compte minimales au regard de la dépense de fonds publics au sein de la section de la plomberie et de chauffage; il n’en demeure pas moins qu’en tant que technicien expérimenté, vous saviez qu’il n’existait aucune mesure de reddition de compte en place et vous avez décidé d’en profiter longuement et largement. Non seulement vous avez utilisé vos connaissances et votre expérience pour commettre vos crimes mais, ce qui est plus grave, vous avez également profité de votre poste pour fabriquer, présenter et traiter de fausses commandes et de faux bons de commande.
Troisièmement, la fraude a été commise avec préméditation. Vous stratagème a duré pendant presque deux ans.
Enfin, je considère que l’importance du montant obtenu par fraude, soit un montant excédant 20 000 $, est un facteur aggravant. Encore une fois, il s’agit d’une fraude importante.
Facteurs atténuants
[16] La cour considère comme atténuants les facteurs suivants :
Le fait que vous ayez reconnu l’entière responsabilité de vos actes en plaidant coupable devant cette cour et collaboré entièrement avec les autorités policières dans les plus brefs délais. Ces éléments regroupés démontrent au moins, à mon avis, que ce plaidoyer de culpabilité est un véritable signe de remords.
Deuxièmement, je considère comme facteur atténuant le fait que votre dossier dans les Forces canadiennes soit irréprochable, ce qui atténue grandement la peine en l’espèce. Toutefois, les gens condamnés pour des fraudes semblables contre leur employeur ou pour une fraude commise dans la communauté bénéficient souvent d’une bonne réputation dans ladite communauté et le milieu de travail. La raison pour laquelle ils parviennent souvent à obtenir des postes confiance est la suivante : ils jouissent d’une bonne réputation.
Troisièmement, j’ai pris en considération votre état médical. La preuve indique que vous souffrez d’arthrose chronique et que vous avez été libéré des Forces canadiennes pour raisons médicales en 2007.
Quatrièmement, le fait que vous n’ayez pas d’emploi valable. Sachant que votre condamnation vous vaudrait un dossier criminel qui vous empêcherait de continuer de travailler pour Imperial Oil, vous avez décidé peu de temps avant ces procédures d’abandonner votre emploi. Je sais qu’un congé autorisé de 30 jours pour des raisons personnelles vous a été refusé, mais la cour lit entre les lignes que vous auriez dû évidemment faire état de votre condamnation pour une fraude commise contre votre employeur précédent et que vous auriez, quoi qu’il en soit, perdu cet emploi à la suite de cette condamnation.
Cinquièmement, le temps, c’est-à-dire le délai pré-inculpatoire d’un an et le fait que votre cause et tous vos antécédents personnels y afférents aient été entendus deux ans après votre libération des Forces canadiennes.
Sixièmement, l’absence d’un dossier criminel et d’une fiche de conduite.
Septièmement, en ce qui concerne les facteurs neutres, je constate que tous les articles ont été recouvrés et que vous n’avez pas tiré profit de votre inconduite.
[17] Dans la décision R. c. Poirier[3], qui m’a été remise par la procureure, la cour a déclaré au paragraphe 13 :
[traduction]
[13] La gravité objective du crime de fraude, qui s’est accrue à la suite de la modification de l’article 380 du Code criminel, n’exige pas, à mon avis, qu’une fraude commise par un membre des Forces canadiennes contre son employeur soit punie au moyen d’une peine de détention obligatoire. Comme il a été déclaré dans St‑Jean, chaque cas dépend des circonstances. Par exemple un militaire du rang qui présente une fausse réclamation à la suite d’une affectation, sans circonstances exceptionnelles, ne sera vraisemblablement pas condamné à l’emprisonnement. Toutefois, lorsqu’une somme importante de fonds publics est détournée par une personne occupant une position de confiance, qui se sert non seulement de ses connaissances et de son expérience mais, plus important encore, de son propre poste pour frauder les Forces canadiennes et que ladite personne est responsable de la gestion des procédés qu’elle a employés pour commettre le crime, la cour estime qu’en l’absence de circonstances exceptionnelles, l’emprisonnement est justifié.
[18] Le procureur de la poursuite recommande que la cour condamne l’ex-caporal-chef à l’emprisonnement pour une durée de 30 jours. L’avocat de la défense a laissé entendre qu’une peine comprenant une rétrogradation au rang de simple soldat et une amende de 5 000 $ sert les intérêts de la justice. Le procureur a laissé entendre que l’emprisonnement est justifié parce que vous avez utilisé votre poste pour frauder, tandis que la défense fait valoir que l’emprisonnement n’est pas nécessaire car vous n’étiez pas responsable de la gestion du procédé que vous avez employé pour commettre le crime. Tous les deux ont raison. Vous avez abusé du fait qu’il n’y avait aucune mesure de protection en place pour commettre l’infraction de fraude. Toutefois, je conclus que l’infraction en l’espèce est moins grave que celle dont il est question dans Poirier.
[19] Une peine raisonnable et juste en l’espèce consisterait normalement en une période d’emprisonnement d’une durée de 30 à 60 jours. Une rétrogradation combinée à une amende ne sera pas appropriée dans les circonstances de l’espèce. Un emprisonnement d’une durée de 30 jours est justifié. Toutefois, les sanctions doivent être considérées dans leur propre contexte. Je ne vois pas comment une peine d’emprisonnement ferme et de courte durée pourrait assurer le maintien de la discipline dans les circonstances particulières de l’espèce, alors que le contrevenant a été libéré des Forces canadiennes il y a près de deux ans. Il a décidé de quitter un emploi lucratif avant ces procédures en raison de l’incidence qu’un dossier criminel aurait sur son emploi. Après avoir perdu sa réputation au sein de sa communauté et décidé de demeurer à Cold Lake jusqu’à aujourd’hui, il a été blâmé publiquement dans la communauté à laquelle il a consacré toute sa carrière professionnelle. Il a maintenant perdu contact avec les membres de sa famille en raison de son inconduite. Il s’est déshonoré et il a couvert sa famille de honte. Il en est venu à conclure que sa femme et lui n’avaient plus d’autre choix que de quitter cette communauté pour de bon. Est-ce que quelqu’un pense sérieusement qu’envoyer cet homme en prison est le seul moyen de dissuader les autres d’agir de la sorte? Permettez-moi de penser différemment. L’application aveugle de règles strictes ne sert ni la justice ni la discipline.
[20] Déterminer la sentence est un processus individualisé et non une simple manifestation de vengeance. Qui plus est, si des mesures de protection avaient été mises en place pour le traitement des commandes de travail et des bons de commande, ces actes auraient été rapidement découverts. Compte tenu du témoignage de M. Goodwin, j’ai l’impression que cette situation pourra difficilement se répéter à l’avenir.
[21] Par conséquent, je ne peux pas conclure qu’il est l’intérêt de la justice que vous purgiez une peine d’emprisonnement ferme. Je vous condamne donc à un emprisonnement d’une durée de 21 jours, à une rétrogradation au rang de simple soldat et à une amende de 8 000 $ payable immédiatement. Je sursois à l’application de la peine d’emprisonnement.
[22] Comme j’ai déjà tenu compte des conséquences directes et indirectes que cette conclusion et cette sentence auront sur vous, j’ai conclu que les autorités administratives effectueront les rajustements nécessaires relativement à votre indemnité de départ et à toute autre prestation que vous pouvez avoir reçue et que vous continuerez de recevoir consécutivement à la présente peine.
COLONEL M. DUTIL, J.M.C.
Avocats :
Le capitaine de corvette S.C. Leonard, Service canadien des poursuites militaires
Avocat de Sa Majesté la Reine
Major M.L.A. Litowsky, Direction du Service d’avocats de la défense
Avocat de l’ex-caporal-chef Dickson