Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 12 avril 2010

Endroit : BFC Valcartier, l'Académie, Édifice 534, Courcelette (QC)

Chefs d'accusation
•Chefs d'accusation 1, 2 : Art. 90 LDN, s'est absenté sans permission.
•Chef d'accusation 3 : Art. 97 LDN, ivresse.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 2, 3 : Coupable.
•SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 30 jours. L'exécution de la peine d'emprisonnment a été suspendue.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Dupuis, 2010 CM 3005

 

Date : 20100414

Dossier : 200940

 

Cour martiale permanente

 

Garnison Valcartier

Courcelette, Québec, Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Soldat M. O. Dupuis, contrevenant

 

Devant : Lieutenant-colonel L-V d’Auteuil, J.M.

 


 

MOTIFS DE LA SENTENCE

[1]               Soldat Dupuis, la cour martiale ayant accepté et enregistré votre aveu de culpa-bilité sous le premier, deuxième et troisième chef d’accusation, la cour vous trouve maintenant coupable de ces trois chefs.

[2]               Il est de mon devoir à titre de juge militaire présidant cette cour martiale permanente de déterminer la sentence.

[3]                Tel exprimé par le juge Gendreau au paragraphe [14] de la décision R. c. S.T., 2007 QCCA 1447 (CanLII) et je cite :

[14]         La détermination de la peine est, sans doute, l’une des tâches les plus difficiles et les plus délicates de la fonction judiciaire. En effet, trouver et appliquer la norme la plus juste et la plus équitable pour l’accusé tout en manifestant la réprobation sociale adéquate et en assurant la protection de la société est un exercice de pondération complexe puisqu’il tend à assurer un équilibre entre des valeurs qui, sans s’opposer, visent des objectifs différents.

[4]               Dans le contexte particulier d’une force armée, le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour faire respecter la discipline qui est une dimension essentielle de l’activité militaire dans les Forces canadiennes. Le but de ce système est de prévenir toute inconduite ou, de façon plus positive, de veiller à promouvoir la bonne conduite. C’est au moyen de la discipline que les forces armées s’assurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès en toute confiance et fiabilité.

[5]               Le système de justice militaire voit aussi au maintien de l’ordre public et s’assure que les personnes justiciables du Code de discipline militaire sont punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

[6]                Il est reconnu depuis longtemps que le but d’un système distinct de tribunaux ou de justice militaire est de permettre aux Forces canadiennes de s’occuper des questions qui touchent au Code de discipline militaire et au maintien de l’efficacité et du moral des troupes. Ceci dit, toute peine infligée par un tribunal, qu’il soit civil ou militaire, doit représenter l’intervention minimale nécessaire qui est adéquate dans les circonstances particulières de la cause. Ce principe est aussi conforme au devoir du tribunal d’infliger une peine proportionnée à la gravité de l’infraction et aux antécédents du contrevenant, comme le prévoit l’alinéa 112.48(2)b) des ORFC.

[7]               Dans le cas qui nous occupe, le procureur de la poursuite et l’avocat de la défense ont présenté une suggestion commune sur la peine. Ils ont recommandé que la cour vous condamne à l’emprisonnement pour une période de 30 jours. Ils ont aussi recommandé que la cour suspende l’exécution de cette sentence.

[8]               La cour martiale n’est pas liée par cette recommandation. Il est toutefois de jurisprudence constante que seuls des motifs incontournables et convaincants peuvent lui permettre de s’en écarter. Il est aussi généralement reconnu qu’elle ne devrait agir ainsi que lorsqu’il serait contraire à l’intérêt public de l’accepter et que cela aurait pour effet de déconsidérer l’administration de la justice.

[9]               La cour a pris en considération les recommandations respectives des avocats en fonction des faits pertinents, tels qu’ils se dégagent du sommaire des circonstances. Elle a également examiné cette recommandation en fonction des principes de la détermina-tion de la peine, notamment ceux qui sont énoncés aux articles 718, 718.1 et 718.2 du Code criminel dans la mesure où ils ne sont pas incompatibles avec le régime des peines prévues sous le régime de la Loi sur la défense nationale. Ces principes sont les suivants : premièrement, la protection du public et le public comprend en l’occurrence les intérêts des Forces canadiennes; deuxièmement, la punition du contrevenant; troisièmement, l’effet dissuasif de la peine, non seulement sur le contrevenant mais aussi sur toute personne qui pourrait être tentée de commettre de tels infractions; quatrièmement, l’isolement au besoin des délinquants du reste de la société, y compris les membres des Forces canadiennes; cinquièmement, l’imposition de peines semblables a celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables; et sixièmement, la réhabilitation et la réinsertion du contrevenant. Le tribunal a également tenu compte des arguments avancés par les avocats, notamment la jurisprudence qu’ils ont produite et les documents qu’ils ont déposés en preuve, ainsi que de votre témoignage devant la cour.

[10]           La cour convient avec le procureur de la poursuite que la nécessité de protéger le public exige d’infliger une peine qui met l’accent d’abord sur l’effet dissuasif général, puis sur la dénonciation et la réhabilitation. Il est important de retenir que le principe de dissuasion général implique que la peine infligée devrait non seulement dissuader le contrevenant de récidiver mais aussi dissuader toute autre personne qui se trouve dans une situation analogue de se livrer aux mêmes actes illicites.

[11]           En l’espèce, la cour est saisie de deux infractions d’absence sans permission et d’une infraction d’ivresse. Il s’agit d’infractions purement disciplinaires qui sont sérieuses dans le contexte militaire, mais la cour a l’intention d’infliger ce qu’elle considère être la peine minimale applicable dans les circonstances.

[12]           Les tribunaux sont sensibles à ce genre d’infraction. Dans un contexte militaire, cela a un impact sur la cohésion et le moral des unités, car il s’agit de l’application des principes de responsabilité et d’intégrité dont doivent faire preuve tous les militaires des Forces canadiennes. Être un soldat fiable et digne de confiance en toutes circonstances et en tout temps constitue un aspect fondamental sur lequel une force armée doit pouvoir compter pour garantir le succès de la mission.

[13]           Pour en arriver à ce qu’elle croit être une peine juste et appropriée, la cour a également tenu compte des circonstances aggravantes et atténuantes suivantes.

[14]           En ce qui concerne les circonstances aggravantes :

Premièrement, la gravité objective de l’infraction. Vous avez été trouvé coupable de deux infractions aux termes de l’article 90 de la Loi sur la défense nationale pour absence sans permission, la première fois pour une période de 50 heures et la deuxième fois pour une période de deux moisCette infraction est passible d’un emprisonnement de moins de deux ans ou d’une peine moindre. De plus, vous avez été trouvé coupable d’une infraction aux termes de l’article 97 de la Loi sur la défense nationale pour avoir été ivre.  Cette infraction est aussi passible d’un emprisonnement pour une période maximale de 90 jours ou d’une peine moindre.

Deuxièmement, la gravité subjective de l’infraction. Vos absences prolongées ont eu pour effet d’affecter le bon fonctionnement du peloton auquel vous étiez assigné, de la compagnie et ultimement du régiment dont vous faisiez parti. C’est à vos pairs qu’est revenu le poids d’assumer les tâches que vous ne pouviez accomplir en raison de votre absence prolongée.

Le caractère répétitif de la commission de l’infraction d’absence sans permission et la durée de chacune d’elles ont démontré aussi que vous ne vous souciez nullement de l’impact et des conséquences sur votre régiment et vos collègues de travail de votre absence.  Essentiellement, vous n’aviez plus aucun respect pour l’autorité et pour vos pairs.

De plus, non satisfait de ne pas vous présenter comme requis, vous trouviez le moyen de ne pas être apte à accomplir vos tâches durant le jour en étant en état d’ivresse.

Finalement, votre fiche de conduite démontre que vous n’en étiez pas à vos premières infractions en matière d’absence sans permission et que malgré l’imposition d’une sentence de détention par l’officier présidant le procès sommaire dont vous avez fait l’objet, vous avez démontré par vos actes que vous n’aviez pas saisi clairement le message qui vous avait été lancé en matière de comportement disciplinaire.

[15]           La cour considère comme atténuant les facteurs suivants :

Par votre plaidoyer de culpabilité, vous témoignez manifestement de vos remords et de votre sincérité dans votre intention de continuer à représenter un actif solide pour la société canadienne.  De plus, dans le cadre de votre témoignage devant la cour, vous avez clairement indiqué vos remords quant aux conséquences découlant de vos actes.

Votre âge et votre potentiel de carrière au sein de la communauté canadienne; âgé de 23 ans, vous avez de nombreuses années devant vous pour contribuer positivement à la société canadienne.

 

Le désir sincère et les efforts soutenus que vous avez faits pour vous reprendre en mains.  Si l’année 2008 a été très mauvaise pour vous sur le plan discipli-naire, par contre l’année 2009 constitue un point de départ sérieux quant à votre réhabilitation.  Par vos efforts soutenus, vous avez cherché à comprendre ce qui vous arrivait et à vous soumettre à tout ce qui était nécessaire afin de réintégrer la société canadienne de la bonne manière.  Il est très clair pour moi que vous avez été affecté par un symptôme de stress post-opérationnel, comme le démontre la preuve que vous avez soumise à la cour, et que vous vivez de grande difficulté à vous réadapter au rythme et à l’environnement de la vie civile au Canada en raison de ce que vous avez vécu en théâtre opérationnel en Afghanistan.

 

Cependant, vous avez pris les moyens nécessaires afin d’atteindre ce but et je dois dire que j’admire votre détermination et votre courage dont vous avez fait preuve jusqu’à ce jour pour vous en sortir.  Vous avez réussi à comprendre que vous ne pourrez vous en sortir seul et qu’avec un soutien adapté et des soins adéquats, vous aurez une chance de reprendre une vie à peu près normale.  Vous avez accepté la médication et la thérapie, et cela constitue déjà une étape majeure dans le cadre de votre réhabilitation.  Je vous encourage à continuer en ce sens et à persévérer dans votre combat pour vous en sortir.

 

Malgré votre libération, vous avez décidé de continuer votre thérapie avec l’objectif de reprendre le contrôle sur votre vie.  Vous envisagez un retour aux études ou au travail et vous avez clairement fait savoir à la cour vos ambitions en ce sens.

 

Le fait d’avoir eu à faire face à cette cour martiale qui est annoncée et accessible au public, et qui a eu lieu en présence de certains de vos collègues et de certains de vos pairs a certainement eu un effet dissuasif très important sur vous et sur eux.  Le message est que le genre de conduite que vous avez eu ne sera toléré d’aucune manière et que ce genre de comportement sera réprimé en conséquence.

 

Votre libération des Forces canadiennes sous le motif 5F.  Même si en soi, cela ne constitue pas une sentence, il est important de comprendre qu’en étant libéré des Forces canadiennes, vous avez été sanctionné administrativement en raison de votre comportement qui est à la base des infractions pour lesquelles vous avez été trouvé coupable ou qui apparaissent à titre d’antécédents judiciaires.  En étant exclu des Forces canadiennes, un message de nature dissuasive est donc clairement envoyé à l’ensemble des militaires à l’effet qu’un tel comportement peut entraîner ce genre de conséquence.

[16]           En ce qui concerne l’imposition d’une sentence d’incarcération par cette cour au soldat Dupuis, il a été établi dans la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Gladue, [1999] 1. R.C.S. 688 aux paragraphes 38 et 40, qu’une peine d’incarcé-ration devrait être la sanction pénale de dernier recours. La Cour suprême a précisé que l’incarcération sous la forme de l’emprisonnement n’est adéquate que lorsqu’aucune autre sanction ou combinaison de sanctions n’est appropriée pour l’infraction et le contrevenant. La présente cour est d’avis que ces principes sont pertinents dans le contexte de la justice militaire en prenant en compte néanmoins des différences importantes entre le régime de détermination de la peine applicable à un tribunal civil siégeant en matière criminelle et pénale par rapport à un tribunal militaire dont les pouvoirs de punition sont prévus à la Loi sur la défense nationale.

[17]           Cette approche a d’ailleurs été réaffirmée par la Cour d’appel de la cour martiale dans sa décision de R. c. Baptista, 2006 CACM 1, aux paragraphes 5 et 6 à l’effet que la sentence d’incarcération ne doit être envisagée que dans des cas de derniers ressorts.

[18]           Tout comme le système civil de justice pénale comporte ses particularités, comme, par exemple, l’emprisonnement avec sursis qui se distingue des mesures probatoires mais qui constitue néanmoins une véritable peine d’emprisonnement dont les modalités d’application sont différentes et qui permet au contrevenant de purger sa peine d’emprisonnement dans la collectivité lorsqu’il est possible de combiner des objectifs punitifs et correctifs comme l’a précisé la Cour suprême dans l’arrêt Proulx, le système de justice militaire quant à lui dispose d’outils disciplinaires comme la détention qui vise à réhabiliter les détenus militaires et à leur redonner l’habitude d’obéir dans un cadre militaire structuré autour des valeurs et des compétences propres aux membres des Forces canadiennes. La détention peut avoir un effet dénonciateur et dissuasif important, sans toutefois stigmatiser les détenus militaires au même degré que les militaires condamnés à l’emprisonnement, tel qu’il appert des notes ajoutées aux articles 104.04 et 104.09 des ORFC.

[19]           Cependant, dans le cas où un militaire est déjà libéré des Forces canadiennes, les objectifs visés par une peine de détention n’ont plus aucune pertinence et seule l’autre forme d’incarcération prévue à l’échelle qu’est l’emprisonnement doit être envisagée.

[20]           Dans cette cause, les trois infractions pour lesquelles le contrevenant a plaidé coupable sont de nature purement disciplinaire.  Cependant, compte tenu de leur nombre et gravité, et en considérant particulièrement les antécédents judiciaires en semblable matière et les peines qui ont été infligées, à elles seules, elles peuvent justifier une peine d’incarcération.  Pour ces raisons, il apparaît donc évident à cette cour que l'incarcération sous la forme de l'emprisonnement est la seule sanction adéquate et qu’il n’existe aucune une autre sanction ou combinaison de sanctions appropriée pour les infractions et le contrevenant.

[21]           Par contre, la cour est aussi d’avis qu’il a été démontré, qu’en raison des efforts sérieux de réhabilitation effectués à ce jour par le contrevenant et de la possibilité réelle pour ce dernier de voir tous ses efforts de réintégration à la vie civile et au sein de la société canadienne échouer, si la peine d'incarcération était purgée, qu’il existe dans le présent cas des circonstances exceptionnelles qui justifient la cour de suspendre cette sentence d’incarcération.

[22]           Un examen de la jurisprudence des tribunaux militaires concernant l’imposition d’une peine pour une infraction de semblable nature et comportant des circonstances similaires m’amène à conclure que l’incarcération n’est pas déraisonnable dans les circonstances. De plus, quant à sa durée, je ne crois pas qu’une sentence d’emprison­nement pour une longue période, telle que 90 jours ou plus, trouve application dans les circonstances. Ainsi la suggestion commune faite par les avocats à la cour d’imposer une peine d’emprisonnement pour une période de 30 jours m’apparaît raisonnable dans le contexte de cette affaire.

[23]           Une peine équitable et juste doit tenir compte de la gravité de l’infraction et de la responsabilité du contrevenant dans le contexte précis de l’espèce. Alors, considérant qu’aucune autre sanction ou combinaison de sanctions n’est appropriée pour l’infraction et le contrevenant relativement à cette affaire, la cour estime que la suggestion commune n’est pas déraisonnable dans les circonstances. En conséquence, elle acceptera la recommandation des avocats de vous condamner à une peine d’emprison-nement pour une période de 30 jours étant donné que cette peine n’est pas contraire à l’intérêt public et n’est pas de nature à déconsidérer l’administration de la justice.

[24]           Soldat Dupuis, levez vous. La cour vous condamne à une peine d’emprison-nement pour une période de 30 jours et elle suspend l’exécution de cette sentence.

[25]           Les procédures concernant la cour martiale permanente du soldat Dupuis sont maintenant terminées.

[25]

Avocats :

Major A. St-Amant, Service canadien des Poursuites militaires

Avocate de la poursuivante

Major É. Charland, Direction du service d’avocats de la défense                              Avocat de la défense pour l’ex-soldat Dupuis

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