Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 23 avril 2010

Endroit : BFC Gagetown, Édifice F1, Oromocto (NB)

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 (subsidiaire au chef d'accusation 2) : Art. 84 LDN, a usé de violence envers un supérieur.
•Chef d'accusation 2 (subsidiaire au chef d'accusation 1) : Art. 130 LDN, voies de fait causant des lésions corporelles (art. 267b) C. cr.).
•Chef d'accusation 3 : Art. 87 LDN, a résisté à une personne chargée de le prendre.
•Chef d'accusation 4 : Art. 130 LDN, voies de fait (art. 266 C. cr.).
•Chef d'accusations 5, 6 : Art. 90 LDN, s'est absenté sans permission.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 3, 4, 5, 6 : Coupable. Chef d'accusation 2 : Une suspension d'instance.
•SENTENCE : Destitution du service de Sa Majesté.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Rideout, 2010 CM 3006

 

Date : 20100423

Dossier : 201018

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Gagetown

Oromocto (Nouveau-Brunswick), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Soldat B.L.A. Rideout, contrevenant

 

 

Sous la présidence du Lieutenant-Colonel L-V. d'Auteuil, J.M.

 


 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Soldat Rideout, la cour, ayant accepté et inscrit un plaidoyer de culpabilité à l’égard des premier, troisième, quatrième, cinquième et sixième chefs d’accusation, vous déclare coupable de ces accusations. En conséquence, elle ordonne une suspension d’instance relativement à la deuxième accusation.

 

[2]               Il est de mon devoir à titre de juge militaire présidant cette cour martiale permanente, de fixer la sentence.

 

[3]               Le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour faire respecter la discipline, une dimension essentielle de l’activité militaire, dans les Forces canadiennes. Le but de ce système est de prévenir l'inconduite ou, de façon plus positive, de favoriser la bonne conduite. C’est grâce à la discipline qu’une force armée s’assure que ses membres rempliront leur mission avec succès, de manière fiable et confiante. Le système veille aussi au maintien de l’ordre public et fait en sorte que les personnes assujetties au Code de discipline militaire soient punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

 

[4]               Il est depuis longtemps reconnu que le but d’un système de justice ou de tribunaux militaires distincts est de permettre aux Forces armées de régler les affaires qui portent sur le respect du Code de discipline militaire et d’assurer le maintien du rendement et du moral au sein des Forces canadiennes. Cela dit, la peine infligée par tout tribunal, qu’il soit militaire ou civil, doit être la peine la moins sévère selon les circonstances particulières de l’affaire. Ce principe est directement lié au devoir qui incombe à la cour en vertu de l'alinéa 112.48(2)b) des ORFC de « prononce[r] une sentence proportionnée à la gravité de l'infraction et aux antécédents du contrevenant ».

 

[5]               En l’espèce, le poursuivant et l’avocat de la défense qui vous représente ont présenté une recommandation conjointe relativement à la peine que doit imposer la cour. Ils recommandent que la cour vous condamne à être destitué du service de Sa Majesté.

 

[6]               Bien que la cour ne soit pas liée par cette recommandation conjointe, le principe suivant, que la Cour d’appel de la cour martiale du Canada a énoncé au paragraphe 21 de l’arrêt Soldat Taylor c. R., 2008 CACM 1, citant le paragraphe 17 de la décision rendue dans R. c. Sinclair, est généralement reconnu :

 

[traduction] Le juge chargé de la détermination de la peine ne doit aller à l’encontre de la recommandation conjointe que s’il existe des motifs impérieux de le faire, notamment lorsque la peine est inappropriée, déraisonnable, de nature à déconsidérer l’administration de la justice ou contraire à l'intérêt public.

 

[7]               La cour a examiné la recommandation conjointe à la lumière des faits pertinents présentés dans le sommaire des circonstances, et de leur importance. La cour s'est aussi penchée sur cette recommandation en ayant à l'esprit les principes applicables en matière de détermination de la peine, y compris ceux énoncés aux articles 718, 718.1 et 718.2 du Code criminel, dans la mesure où ces principes ne sont pas incompatibles avec le régime de détermination de la peine prévu à la Loi sur la défense nationale.

Ces principes sont les suivants :

 

            Premièrement, la protection du public, et le public s’entend des Forces canadiennes;

 

            Deuxièmement, l’imposition d’une peine au contrevenant;

 

            Troisièmement, l’effet dissuasif de la peine, non seulement pour le contrevenant, mais pour quiconque pourrait être tenté de commettre de telles infractions;

 

            Quatrièmement, l’amendement et la réinsertion du contrevenant;

 

            Cinquièmement, la proportionnalité de la peine à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant;

 

            Sixièmement, l’infliction de peines semblables à celles infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables.

 

La cour a également tenu compte des observations présentées par les avocats et de la documentation versée en preuve, notamment l’exposé conjoint des faits.

 

[8]               Je dois faire observer que la protection du public doit être assurée par l’imposition d’une peine qui met l’accent sur le principe de dénonciation et sur l’effet dissuasif général. Il est important de préciser que l’effet dissuasif général vise à faire en sorte que la peine infligée dissuade non seulement le contrevenant de récidiver, mais aussi toute autre personne qui, se trouvant dans une situation analogue, serait tentée pour quelque raison que ce soit de se livrer aux mêmes actes illicites.

 

[9]               Dans le cas présent, la cour doit statuer sur quatre infractions militaires spécifiques : une portant sur l’usage de violence contre un officier supérieur, une pour avoir résisté aux personnes responsables de vous prendre en charge alors que vous étiez sous garde, et deux pour absence sans permission. La cour doit aussi statuer sur une infraction criminelle, celle de voies de fait. La plupart des infractions reprochées comportent un aspect de violence, et toutes heurtent des principes qui régissent les Forces canadiennes, comme le respect de la dignité de toute personne et l’obéissance et l’appui à l’autorité légitime. Le manque de respect envers la dignité d’autrui, et particulièrement envers un supérieur, constitue, de la part de membres des Forces canadiennes, un manquement grave qui peut porter atteinte à la relation de confiance et de fiabilité qui doit exister en tout temps entre les membres des forces armées qui accomplissent une mission. La cour doit néanmoins infliger la peine la moins sévère qu’elle estime nécessaire dans les circonstances.

 

[10]           Pour arrêter la sentence qu’elle estime juste et appropriée, la cour a tenu compte des circonstances aggravantes et des circonstances atténuantes suivantes.

 

[11]           La cour considère comme un facteur aggravant la gravité objective des infractions. L’éventail des peines maximales qui peuvent être imposées pour toutes ces infractions varie de l’emprisonnement de moins de deux ans à l’emprisonnement à vie.

 

[12]           Relativement à la gravité subjective des infractions, la cour considère trois éléments comme facteurs aggravants :

 

         En premier lieu, la violence utilisée pour commettre la plupart des infractions. Votre désaccord avec une situation ou une opinion ne trouve chez vous qu’une seule forme d’expression : provoquer physiquement les personnes avec lesquelles vous n’êtes pas d’accord. Heureusement, une telle attitude ne saurait être tolérée en aucun lieu ni à l’égard d’aucune situation, surtout lorsqu’elle risque de compromettre la relation entre un supérieur et un subordonné des Forces canadiennes;

 

         Deuxièmement, le manque de respect absolu dont elles témoignent et le défaut de vous conformer aux règles fondamentales de la discipline militaire malgré le fait que vous avez par deux fois été arrêté et libéré sous conditions. Le sommaire des circonstances, le résumé préparé par le Capitaine Mowat et l’exposé conjoint des faits illustrent clairement que vous n’entendez pas ajuster votre conduite aux principes et obligations qui régissent les membres des Forces canadiennes. Pour l’essentiel, les Forces canadiennes constituent pour vous un fardeau, et vous avez l’intention de continuer à agir comme vous l’avez fait à moins d’être libéré de vos obligations en tant que soldat;

 

         Troisièmement, vous êtes membre des Forces canadiennes depuis environ un an et demi et vous avez réussi à causer une quantité énorme de problèmes disciplinaires et administratifs, particulièrement au cours des six derniers mois. Au lieu d’améliorer votre situation, vous l’avez aggravée malgré l’attention que vous a accordée votre chaîne de commandement. Alors que vous en êtes au stade de l’apprentissage à l’École de l’Arme blindée, votre conduite fait preuve d’un manque total d’intérêt à devenir un atout pour les Forces canadiennes.

 

[13]           La cour considère que les facteurs suivants sont atténuants :

 

         D’après les faits mis en preuve, la cour considère également que votre plaidoyer de culpabilité est un signe manifeste et authentique de remords et estime que vous faites preuve d’une grande sincérité dans vos efforts pour demeurer un atout pour la société canadienne. Ce plaidoyer montre que vous acceptez l’entière responsabilité de votre conduite. En outre, votre collaboration avec les autorités d’enquête constitue un autre signe de remords dont la cour doit tenir compte;

 

         Votre âge et vos perspectives de carrière au sein des Forces canadiennes. À 22 ans, il vous reste de nombreuses années pour contribuer positivement à la société en général;

 

         Le fait que vous n’ayez aucune fiche de conduite ni dossier criminel pour des infractions de nature semblable;

 

         Le fait que vous avez passé les cinq derniers jours en détention avant procès. Cette détention a sur vous un certain effet dissuasif et peut avoir sur autrui un effet dissuasif limité;

 

         Le fait que vous avez dû comparaître devant la cour. Cette mesure a déjà eu un effet dissuasif sur vous et sur autrui;

 

         Le fait que vous affrontiez un défi personnel en tentant depuis longtemps de vaincre une certaine forme de dépression. Sans excuser votre conduite, ce facteur peut expliquer certains des sentiments que vous éprouvez au sujet des Forces canadiennes et votre attitude envers l’autorité.

 

[14]           La destitution constitue une peine très sévère. Toutefois, vous n’écoutez plus personne et vous ne voulez pas envisager de vous comporter conformément aux règles des Forces canadiennes. Personne, y compris vous‑même, ne peut dire à quel moment vous aurez de nouveau recours à la violence pour manifester votre frustration envers l’autorité.

 

[15]           Par conséquent, la cour fera droit à la recommandation conjointe des avocats de vous destituer du service de Sa Majesté, étant donné que cette sentence n'est pas contraire à l'intérêt public et qu'elle ne risque pas de déconsidérer l'administration de la justice.

 

[16]           Après avoir donné l'occasion aux avocats de présenter des observations, la cour a examiné s'il était souhaitable, dans l'intérêt de la sécurité du contrevenant, des victimes ou de toute autre personne, de rendre une ordonnance interdisant au contrevenant de posséder une arme à feu. Compte tenu du recours à la violence dans la perpétration des infractions en cause, de la nature et des circonstances entourant la perpétration des infractions, de la conduite du contrevenant au cours des six derniers mois, de la condition de santé mentale de celui‑ci et des observations des avocats, la cour statue qu’une telle ordonnance est souhaitable et doit s’appliquer au contrevenant dans le cadre de ses fonctions et de son emploi au sein des Forces canadiennes.

 

[17]           De plus, par suite de la demande de la poursuite pour obtenir une ordonnance de prise d’échantillons en vue d’une analyse d’ADN, ainsi que le permet le paragraphe 196.14(3) de la Loi sur la défense nationale à l’égard d’une infraction secondaire, la cour rend une telle ordonnance, vu la nature des infractions et les circonstances entourant leur perpétration. La violence utilisée dans la perpétration de certaines des infractions, conjuguée à la question de santé mentale, commandent la délivrance d’une telle ordonnance dans les circonstances.  

 

[18]           Soldat Rideout, veuillez vous lever. La cour, en conséquence, vous condamne à la destitution du service de Sa Majesté.

 

[19]           De plus, la cour rend une ordonnance d’interdiction en vertu de l’article 147.1 de la Loi sur la défense nationale. La cour vous ordonne également de remettre à tout officier ou militaire du rang nommé aux termes des règlements d’application aux fins de l’article 156 de la Loi sur la défense nationale, ou à son commandant, tous les effets détenus par vous à l’entrée en vigueur de la présente ordonnance et dont la possession est interdite par la présente ordonnance, de même que toute autorisation, licence et certificat d’enregistrement se rapportant à ces effets.

 

[20]           La cour rend également une ordonnance autorisant le prélèvement de substances corporelles en vue d’une analyse d’ADN à des fins médicolégales ainsi que le précisera l’ordonnance de la cour jointe à la décision. Une ordonnance d’interdiction sera jointe à la décision de la cour quant à la sentence. L’ordonnance d’interdiction prendra effet aujourd’hui et restera en vigueur pour trois ans.  

 

[21]           L’instance devant la présente cour martiale permanente à l’égard du Soldat Rideout est terminée.

 


 

Avocats :

 

Major J. Samson et Major P. Rawal, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Major B. Tremblay, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat du Soldat B.L.A. Rideout

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