Cour martiale
Informations sur la décision
Date de l'ouverture du procès : 25 janvier 2010
Endroit : BFC Edmonton, Édifice 179, Edmonton (AB)
Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 : Art. 130 LDN, a proféré des menaces (art. 264.1(1)a) C. cr.).
Résultats
VERDICT : Chef d'accusation 1 : Non coupable
Contenu de la décision
Référence : R. c. Caporal M.C. Mleinek, 2010 CM 3003
Dossier : 200930
COUR MARTIALE PERMANENTE
CANADA
ALBERTA
BASE DES FORCES CANADIENNES EDMONTON
Date : Le 29 janvier 2010
SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL L-V. D'AUTEUIL, J.M.
SA MAJESTÉ LA REINE
c.
CAPORAL M.C. MLEINEK
(accusé)
VERDICT
(prononcé de vive voix)
TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE
[1] Le Caporal Mleinek est accusé d’une infraction prévue à l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, à savoir avoir proféré des menaces de causer des lésions corporelles à l’encontre de l’Adjudant Buffet devant le Caporal-chef Truchon, en violation de l’alinéa 264.1(1)a) du Code criminel.
[2] Les faits sur lesquels se fonde cette accusation concernent un événement survenu le 25 novembre 2008, à la garnison d’Edmonton, sur les lieux de travail de l’accusé.
La preuve
[3] La preuve produite devant la cour martiale porte essentiellement sur les faits suivants :
a. Les témoignages ont été entendus dans l’ordre des comparutions devant la cour : le témoignage du Caporal-chef Truchon; le Caporal‑chef Holloway; le Caporal Mleinek − l’accusé en l’espèce − et la Dre Phillips − la psychiatre de l’accusé −, qui a également été reconnue comme témoin experte;
b. Pièce 3, rapport d’appréciation du rendement (RAR) du Caporal Mleinek pour la période du 1er avril 2006 au 31 mars 2007;
c. Pièce 4, rapport d’appréciation du rendement du Caporal Mleinek pour la période du 1er avril 2007 au 31 mars 2008;
d. Pièce 5, rapport d’appréciation du rendement du Caporal Mleinek pour la période du 1er avril 2008 au 31 mars 2009;
e. Pièce 6, le curriculum vitae de la Dre Catherine L. Phillips;
f. Pièce 7, une lettre de la Dre Phillips envoyée en réponse à une demande écrite du Capitaine de corvette Walden le 1er octobre 2009;
g. La connaissance judiciaire par la cour des faits en litige en vertu de l’article 15 des Règles militaires de la preuve.
[4] À cette étape, la cour estime qu’il serait approprié d’exposer la preuve testimoniale produite par les deux parties en l’espèce.
Témoignage du Caporal-chef Truchon
[5] Le Caporal-chef Truchon a témoigné qu’au moment de l’incident, le 25 novembre 2008, il travaillait à la section Système d’information (SI) comme responsable du centre d’assistance. Le Caporal Mleinek était son assistant ainsi que le commandant adjoint. Il a expliqué que les autres membres de la section étaient les Soldats Holloway et Johnson.
[6] Il a indiqué à la cour que la section SI était supervisée par l’Adjudant Buffet. Ce dernier n’était pas bien perçu par les membres de la section parce qu’il microgérait leur travail. Il a expliqué que le climat de la section était tendu à cause de ce superviseur.
[7] Il a indiqué à la cour que dans l’après-midi du 25 novembre 2008, alors qu’il était dans son bureau avec le Caporal Mleinek, il avait parlé d’une tâche avec ce dernier et il lui avait également dit que l’Adjudant Buffet venait tout juste de lui demander de diminuer ses notes dans son rapport d’appréciation du rendement.
[8] Le Caporal-chef Truchon a témoigné que le Caporal Mleinek avait réagi en disant qu’il allait [traduction] « rentrer chez lui, prendre sa veste tactique et sa collection de couteaux puis aller poignarder l’Adjudant Buffet dans le cou et qu’il faudrait plus que deux ou trois PM pour lui faire lâcher prise ». Le Caporal-chef Truchon a témoigné que le Caporal Mleinek paraissait frustré et en colère lorsqu’il a prononcé ces mots. Il a également confirmé à la cour qu’il était au courant des problèmes de santé mentale dont l’accusé souffrait à cette époque.
[9] Le Caporal-chef Truchon a témoigné qu’il s’agissait d’une réaction surprenante et que les commentaires étaient sortis de nulle part. Il a dit qu’il ne pensait pas que l’Adjudant Buffet était menacé et il a expliqué qu’il pensait que le Caporal Mleinek n’était pas sérieux quand il a prononcé ces mots. Il a dit que selon lui, le Caporal Mleinek ne pensait pas ce qu’il disait parce que ce n’était pas la première fois que des membres de la section − dont lui-même et le Caporal Mleinek − faisaient des commentaires de la sorte.
[10] Il a ensuite demandé au Caporal Mleinek s’il parlait au caporal-chef ou à Steve. L’accusé a répondu qu’il parlait au caporal-chef et il a ajouté qu’il voulait qu’il rapporte ses propos. Il a témoigné qu’il a demandé à l’accusé de réfléchir à son désir de le voir rapporter l’incident et de dormir là-dessus. Il a ajouté qu’il avait accompagné le Caporal Mleinek jusqu’à sa voiture à la fin de la journée et qu’il lui avait dit de réfléchir concernant son désir de le voir rapporter l’incident.
[11] Le matin suivant, il a rencontré le Caporal Mleinek et lui a demandé s’il souhaitait toujours qu’il rapporte l’incident. Il a indiqué à la cour que l’accusé souhaitait qu’il fasse rapport, ce qu’il a fait. Il a ensuite fait part de l’incident à l’Adjudant Buffet. Selon lui, le Caporal Mleinek souhaitait qu’il rapporte l’incident en raison de ses tentatives infructueuses d’obtenir de l’aide auprès de sa chaîne de commandement et des autorités médicales.
Témoignage du Caporal-chef Holloway
[12] Le Caporal-chef Holloway a témoigné que le 25 novembre 2008, il se trouvait dans les bureaux de la section SI. Il travaillait dans cette section et il connaissait le Caporal Mleinek depuis quelques mois. Il a témoigné que ce jour-là, il avait remarqué que le Caporal-chef Truchon et le Caporal Mleinek avaient une discussion, mais il n’en a pas entendu la teneur. Il a soudainement entendu le Caporal‑chef Truchon élever la voix et demander à l’accusé s’il parlait à Steve ou au caporal-chef. Il a ajouté qu’il lui avait semblé qu’ils n’avaient pas une conversation amicale et qu’ils argumentaient.
Témoignage du Caporal Mleinek
[13] Le Caporal Mleinek a témoigné qu’il avait été déployé pendant neuf mois pour une mission en Afghanistan en 2006. Étant donné que l’équipement avec lequel il devait travailler ne s’était jamais rendu jusqu’au camp de l’aérodrome de Kandahar (KAF), il a été affecté à la protection des forces pendant cinq mois, affectation pour laquelle il a reçu une mention élogieuse du commandant et a ensuite été promu à l’avance au rang de caporal. Il a ensuite été affecté à une équipe provinciale de reconstruction britannique avec quatre autres soldats canadiens, où il a participé à des opérations de combat.
[14] Il a témoigné qu’au retour de cette mission, il avait remarqué qu’il supportait mal les foules, qu’il avait du mal à dormir, qu’il se réveillait en position de combat, qu’il avait du mal à se séparer de son arme et qu’il éprouvait des difficultés à gérer sa colère. Il a témoigné qu’il avait fait part de ces difficultés à un travailleur social et qu’on lui avait répondu que ces problèmes disparaîtraient dans un délai de six mois.
[15] L’accusé a expliqué que de 2007 à 2008, il a été envoyé deux fois à son cours NQ5 afin d’être promu au poste de caporal-chef, mais qu’il s’était blessé à chaque fois à la toute fin du cours et n’avait pu être évalué sur la partie exercice de combat à simple action du cours. Il n’a jamais terminé le cours et il a dû le reprendre à deux reprises pour des raisons médicales.
[16] Au cours de cette période, il a dit avoir été dirigé vers un psychologue et un psychiatre dans le but de traiter ses problèmes de santé mentale. On lui a prescrit des médicaments. Il a dit qu’on lui avait prescrit du lithium au cours de l’automne 2007, ce qui lui avait permis de se sentir beaucoup mieux. Cependant, comme il devait subir des tests destinés à vérifier le taux de lithium dans son organisme toutes les deux semaines en raison de la toxicité de ce médicament, il ne pouvait pas être déployé et était incapable de suivre un cours NQ5.
[17] Il a témoigné qu’à la fin du printemps 2008, on avait changé sa médication afin qu’il puisse être déployé à nouveau. Cependant, il a expliqué qu’il avait l’impression que sa capacité à gérer certains symptômes liés à sa santé mentale, comme sa colère et ses réactions impulsives, s’était dégradée.
[18] Il a témoigné qu’en ce qui concerne son travail, tout allait pour le mieux. Il a reçu deux excellents RAR pour la période de 2006/2007 et 2007/2008, ce qui l’avait rendu fier. Il a essentiellement dit qu’on le considérait comme prêt pour sa promotion au grade de caporal-chef, mais qu’il devait suivre le cours pour que cela se concrétise.
[19] Le Caporal Mleinek a expliqué qu’à la fin octobre et au début novembre 2008, le bataillon était parti effectuer un exercice à Shilo. Il a témoigné qu’il avait trouvé cet exercice difficile en raison des différents symptômes liés à sa santé mentale qu’il avait éprouvés. Il a expliqué qu’il était nerveux, qu’il avait eu des retours en arrière sur un champ de tir et que sa colère était élevée. À la fin de l’exercice, l’Adjudant Buffet lui a dit qu’il devait rester à Shilo et qu’on l’enverrait suivre le cours NQ5. Il a expliqué que pour lui, cela signifiait qu’après l’exercice du bataillon, il n’aurait qu’une journée pour se préparer pour le cours, ce qui l’avait frustré énormément.
[20] Il a indiqué à la cour que vers la fin de l’exercice, il s’était tordu le genou et qu’il n’avait pu suivre le cours. Il a expliqué qu’il avait rencontré un médecin qui lui avait imposé des restrictions à l’emploi pour six mois pour des raisons médicales liées à son genou et à ses pieds. Il a témoigné qu’il ne pouvait pas suivre le cours pour cette raison. De plus, le médecin lui a dit que sa carrière était pratiquement terminée en raison de ses blessures physiques. Il dit qu’on lui a demandé ce qu’il voulait faire, ce à quoi il a répondu qu’il voulait être libéré pour raisons médicales.
[21] L’accusé a expliqué qu’il avait rencontré ses superviseurs, le Sergent Healy et l’Adjudant Buffet, lorsqu’il est revenu de l’exercice et qu’il leur avait parlé de sa condition physique et de ses problèmes de tempérament. On l’a envoyé voir l’aumônier, qui lui a essentiellement dit qu’il n’était pas en mesure de l’aider parce que ses mains étaient liées et qu’il s’agissait principalement d’une question médicale.
[22] Il a témoigné qu’il était retourné voir le Sergent Healy et l’Adjudant Buffet dans le but d’obtenir de l’aide. On lui a dit de se comporter en soldat et de retourner au travail, ce qu’il a fait.
[23] Le Caporal Mleinek a témoigné que l’Adjudant Buffet faisait de la microgestion et qu’il avait changé d’avis à de nombreuses reprises concernant différentes choses et qu’il était revenu au plan original, ce qui avait ajouté au stress de l’emploi et ce qui rendait frustrants les efforts faits pour effectuer les tâches à temps. Il a expliqué à la cour qu’un grand nombre de personnes dans la section s’entendaient mal avec l’Adjudant Buffet, y compris lui-même, et que les gens proféraient quotidiennement des menaces à son encontre, mais qu’ils n’étaient pas sérieux. Il a témoigné que l’Adjudant Buffet avait rendu les membres de la section SI misérables et qu’il leur donnait envie de quitter la section ou les FC. Il a témoigné que le moral de la section SI était tombé encore plus bas à l’arrivée de l’Adjudant Buffet.
[24] L’accusé a témoigné que le matin du 25 novembre 2008, il ne s’était rien passé de particulier. Au cours de l’après-midi, le Caporal-chef Truchon l’avait approché dans le secteur des bureaux de la section et lui avait dit que l’Adjudant Buffet lui avait ordonné de lui faire un mauvais RAR. Il a dit qu’il avait répliqué en utilisant des mots comme poignarder l’Adjudant Buffet dans le cou, mais il ne se souvenait pas exactement des mots qu’il avait employés. Le Caporal‑chef Truchon n’avait pas semblé choqué par ce qu’il avait dit, mais il lui avait demandé s’il s’adressait à Steve ou au caporal-chef. Il a dit qu’il n’avait jamais dit au Caporal-chef Truchon qu’il voulait que ces mots soient rapportés et qu’il était ensuite sorti du bureau.
[25] Il a témoigné qu’il s’agissait d’une conversation houleuse, mais qu’il n’était pas sérieux lorsqu’il a prononcé ces mots. Il a dit qu’il évacuait sa frustration à l’encontre de l’Adjudant Buffet, mais qu’il n’avait jamais eu l’intention de le poignarder, de l’intimider ou de le forcer à changer d’avis.
[26] Le Caporal Mleinek a témoigné qu’à la fin de cette journée, le Caporal‑chef Truchon ne l’avait pas accompagné jusqu’à sa voiture. Il a dit qu’il était retourné chez lui et qu’il avait discuté de ce qui était arrivé au cours de la journée avec sa conjointe.
[27] Il a dit que le lendemain matin, il était allé au travail et qu’il n’avait pas eu de conversation spéciale et que le Caporal-chef Truchon ne lui avait pas parlé concernant l’incident. Il a témoigné qu’on lui avait demandé de quitter la section SI juste avant l’heure du dîner, ce qu’il a fait, et il a rencontré un travailleur social. On l’a mis en congé de maladie pour un mois et on lui a prescrit à nouveau du lithium.
[28] Il a dit que lorsqu’il était revenu au travail en janvier 2009, les choses étaient comme d’habitude.
Témoignage de la Dre Catherine L. Phillips
[29] La Dre Phillips a témoigné qu’elle est psychiatre consultante aux Services de santé mentale, ambulance de campagne 1, à la garnison d’Edmonton depuis 2003. Elle a dit qu’elle a rencontré le Caporal Mleinek pour la première fois en novembre 2007, après qu’un psychologue l’a dirigé vers elle pour une consultation médicale, et elle a ajouté qu’elle assure son suivi depuis ce temps.
[30] Elle a expliqué qu’on lui avait diagnostiqué un trouble dépressif majeur ainsi qu’un trouble de stress post-traumatique (TSPT) chronique en juillet 2009. Elle a dit qu’il avait également quelques traits de « Cluster B », ce qui signifie qu’il possèdait certaines caractéristiques propres aux personnes impulsives qui ne sont pas toujours capables de contrôler leur impulsivité.
[31] Elle a témoigné que les principaux symptômes qu’il avait éprouvés sont les retours en arrière, la difficulté à supporter les foules, des problèmes de sommeil et de la difficulté à contrôler son irritabilité et sa colère. Elle a dit qu’on lui avait prescrit du lithium en novembre 2007, que cela avait bien fonctionné et que sa médication avait été modifiée au printemps 2008 pour qu’il prenne du Sodium Valproate et du Seroquel afin de pouvoir être déployé à nouveau tout en continuant de maîtriser son irritabilité. Elle a expliqué que le changement de médication n’avait pas bien fonctionné et qu’il avait de nouveau eu des difficultés à contrôler sa colère, son irritabilité et sa réactivité. Elle a dit qu’on lui avait à nouveau prescrit du lithium après l’incident allégué.
[32] Elle a indiqué que l’Adjudant Buffet, la question du RAR et les limitations causées par ses blessures physiques étaient des sources de stress qui ont contribué à le rendre irritable et à augmenter sa colère le jour de l’incident allégué. Elle a témoigné que compte tenu de sa santé mentale à l’époque de l’incident allégué, il était normal que le Caporal Mleinek éprouve de la difficulté à contenir sa frustration, qu’il agisse impulsivement à cause de ses émotions et qu’il l’exprime facilement avec des mots qu’il ne pensait pas vraiment.
Les dispositions applicables et les éléments essentiels de l’infraction
[33] L’alinéa 264.1(1)a) du Code criminel prévoit notamment ce qui suit :
Proférer des menaces
264.1(1) Commet une infraction quiconque sciemment profère, transmet ou fait recevoir par une personne, de quelque façon, une menace
a) de causer la mort ou des lésions corporelles à quelqu'un;
[34] Dans l’arrêt R. c. Clemente, [1994] 2 R.C.S. 758, le juge Cory de la Cour suprême du Canada a affirmé ce qui suit au sujet des éléments essentiels de l’infraction consistant à proférer des menaces, aux paragraphes 12 et 13 :
[12] Sous le régime de la présente disposition, l'actus reus de l'infraction est le fait de proférer des menaces de mort ou de blessures graves. La mens rea est l'intention de faire en sorte que les paroles prononcées ou les mots écrits soient perçus comme une menace de causer la mort ou des blessures graves, c'est-à-dire comme visant à intimider ou à être pris au sérieux.
[13] Pour décider si une personne raisonnable aurait considéré les paroles prononcées comme une menace, le tribunal doit les examiner objectivement, en tenant compte des circonstances dans lesquelles elles s'inscrivent, de la manière dont elles ont été prononcées et de la personne à qui elles étaient destinées
[35] Par la suite, la poursuite devait démontrer les éléments essentiels suivants au‑delà de tout doute raisonnable; la poursuite devait prouver l’identité de l’accusé, la date et le lieu, qui figurent dans l’acte d’accusation. La poursuite devait également prouver les éléments additionnels suivants : l’accusé avait proféré une menace, la menace était de causer des blessures corporelles et l’accusé avait proféré la menace sciemment.
[36] Une menace peut être verbale, écrite ou communiquée d’une autre façon. Elle peut être directe, par exemple « je vais te tuer », ou elle peut être conditionnelle, par exemple « si tu ne me donnes pas mille dollars, je vais te tuer ». Une menace peut être proférée d’une autre manière qui la rendrait connue ou qui permettrait que la personne visée la reçoive. Cette dernière n’a pas à en connaître la teneur ou à en avoir peur. Seule importe l’interprétation que ferait une personne raisonnable dans toutes les circonstances des mots qui ont été employés importe. Les mots et les écrits qui tiennent de la plaisanterie ou qui ne peuvent être pris au sérieux par une personne raisonnable dans les circonstances ne constituent pas une menace.
[37] Pour décider si les mots utilisés correspondent à une menace de causer des lésions corporelles, la cour doit tenir compte des circonstances dans lesquelles ils ont été communiqués, de la façon dont ils ont été communiqués, de la personne à qui ils étaient destinés et de la nature de la relation qui existe entre les parties.
[38] « Sciemment » signifie que l’accusé a prononcé les mots dans le but de proférer des menaces, avec l’intention qu’ils soient pris au sérieux et avec l’intention d’intimider ou d’effrayer le plaignant. La poursuite n’a pas à démontrer que l’accusé voulait que les mots soient transmis au plaignant ou que ce dernier s’est effectivement senti menacé ou effrayé par les menaces. Il n’est pas utile de savoir si l’accusé avait l’intention de mettre sa menace à exécution. Pour déterminer si l’accusé a proféré les menaces sciemment, la cour doit prendre en considération les mots utilisés, le contexte dans lequel ils ont été utilisés et l’état d’esprit de l’accusé au moment où ils ont été prononcés.
[39] Avant que la cour ne procède à l’analyse juridique de l’accusation, il convient de traiter de la présomption d’innocence et de la preuve hors de tout doute raisonnable, une norme de preuve qui est inextricablement liée aux principes fondamentaux applicables à tous les procès criminels. Ces principes sont évidemment bien connus des avocats, mais peut-être pas des autres personnes qui se trouvent dans la salle d’audience.
[40] Il est juste de dire que la présomption d’innocence est peut-être le principe le plus fondamental de notre droit pénal, et le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable en est un élément essentiel. Dans les affaires qui relèvent du Code de discipline militaire comme dans celles qui relèvent du droit pénal, toute personne accusée d’une infraction criminelle est présumée innocente tant que la poursuite ne prouve pas sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. L’accusé n’a pas à prouver qu’il est innocent. C’est à la poursuite qu’il incombe de prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments de l’infraction.
[41] La norme de la preuve hors de tout doute raisonnable ne s’applique pas à chacun des éléments de preuve ou aux différentes parties de la preuve présentés par la poursuite, mais plutôt à l’ensemble de la preuve sur laquelle cette dernière s’appuie pour établir la culpabilité de l’accusé. Le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé incombe à la poursuite, jamais à l’accusé.
[42] Le tribunal doit déclarer l’accusé non coupable s’il a un doute raisonnable quant à sa culpabilité et après avoir considéré l’ensemble de la preuve. L’expression « hors de tout doute raisonnable » est employée depuis très longtemps. Elle fait partie de notre histoire et de nos traditions juridiques. Dans l’arrêt R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directives pour le doute raisonnable. Les principes établis dans cet arrêt ont été appliqués dans plusieurs autres arrêts de la Cour suprême et des cours d’appel. Essentiellement, un doute raisonnable n’est pas un doute farfelu ou frivole. Il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé. Il repose sur la raison et le bon sens. C’est un doute qui survient à la fin du procès et qui est fondé non seulement sur ce que la preuve révèle au tribunal, mais également sur ce qu’elle ne lui révèle pas. Le fait qu’une personne a été accusée n’est absolument pas une indication qu’elle est coupable, et j’ajouterai que les seules accusations dont un accusé doit répondre sont celles qui figurent dans l’acte d’accusation présenté à la cour.
[43] Dans l’arrêt R. c. Starr, [2000] 2 R.C.S. 144, la Cour suprême a statué que
[...] une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu’elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités. [...]
[44] Par contre, il faut se rappeler qu’il est pratiquement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue. La poursuite n’a pas à le faire. La certitude absolue est une norme de preuve qui n’existe pas en droit. La poursuite doit seulement prouver la culpabilité de l’accusé, en l’espèce le Caporal Mleinek, hors de tout doute raisonnable. Pour placer les choses en perspective, si la cour est convaincue que l’accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, elle doit l’acquitter car la preuve d’une culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.
[45] Qu’entend-on par preuve? La preuve peut comprendre des témoignages sous serment ou des déclarations solennelles faits devant la cour par des personnes appelées à témoigner sur ce qu’elles ont vu ou fait. Elle peut consister en des documents, des photographies, des cartes ou d’autres éléments de preuve matérielle présentés par les témoins, en des témoignages d’experts, des aveux judiciaires quant aux faits par la poursuite ou la défense ou des éléments dont la cour prend judiciairement connaissance.
[46] Il n’est pas rare que des éléments de preuve présentés à la cour soient contradictoires. Les témoins ont souvent des souvenirs différents d’un fait. La cour doit déterminer quels éléments de preuve sont crédibles.
[47] La crédibilité n’est pas synonyme de dire la vérité et l’absence de crédibilité n’est pas synonyme de mentir. De nombreux facteurs doivent être pris en compte dans l’évaluation que la cour fait de la crédibilité d’un témoin. Par exemple, la cour évaluera la possibilité qu’a eue le témoin d’observer, les raisons d’un témoin de se souvenir. Elle se demandera, par exemple, si les faits valaient la peine d’être notés, s’ils étaient inhabituels ou frappants, ou relativement sans importance et, par conséquent, à juste titre plus faciles à oublier. Le témoin a-t-il un intérêt dans l’issue du procès; en d’autres termes, a-t-il une raison de favoriser la poursuite ou la défense, ou est-il impartial? Ce dernier facteur s’applique d’une manière quelque peu différente à l’accusé. Bien qu’il soit raisonnable de présumer que l’accusé a intérêt à se faire acquitter, la présomption d’innocence ne permet pas de conclure que l’accusé mentira lorsqu’il décide de témoigner.
[48] Un autre facteur qui doit être pris en compte dans la détermination de la crédibilité d’un témoin est son apparente capacité à se souvenir. L’attitude du témoin quand il témoigne est un facteur dont on peut se servir pour évaluer sa crédibilité : le témoin était-il réceptif aux questions, honnête et franc dans ses réponses, ou évasif, hésitant? Argumentait-il sans cesse? Finalement, son témoignage était-il cohérent en lui-même et compatible avec les faits qui n’ont pas été contestés?
[49] De légères contradictions peuvent se produire, et cela arrive en toute innocence; elles ne signifient pas nécessairement que le témoignage devrait être écarté. Cependant, il en est autrement dans le cas d’un mensonge délibéré : cela est toujours grave et peut vicier le témoignage en entier.
[50] La cour n’est pas tenue d’accepter le témoignage d’une personne à moins que celui-ci ne lui paraisse crédible. Cependant, elle jugera un témoignage digne de foi à moins d’avoir une raison de ne pas le croire.
[51] Comme la règle du doute raisonnable s’applique à la question de la crédibilité, la cour doit d’abord se prononcer de manière définitive sur la crédibilité de l’accusé en l’espèce et décider si elle ajoute foi ou non à ce qu’il dit. Il est vrai que la présente affaire soulève des questions importantes de crédibilité, et il s’agit d’un cas où la méthode d’appréciation de la crédibilité décrite par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. W. (D.), [1991] 1 R.C.S. 742, peut être appliquée de façon stricte vu que l’accusé, le Caporal Mleinek, a témoigné. La Cour suprême a établi ce qui suit à la page 758 de cet arrêt :
Premièrement, si vous croyez la déposition de l'accusé, manifestement vous devez prononcer l'acquittement.
Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l'accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l'acquittement.
Troisièmement, même si n'avez pas de doute à la suite de la déposition de l'accusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité.
[52] Cette méthode a été établie principalement pour que la cour n’ait pas à déterminer quelle déposition elle juge la plus crédible : celle produite par l’accusé ou celle produite par la poursuite. Cependant, il est également clair que la Cour suprême du Canada a souvent répété que ces critères ne doivent pas être suivis à la lettre, mais doit plutôt servir de balise (voir R. c. S. (W. D.), [1994] 3 R.C.S. 521, à la page 533).
[53] Comme l’a souligné la juge Abella au nom de la majorité dans l’arrêt R. c. C.L.Y., 2008 CSC 2, au paragraphe 10, je souligne que je suis conscient de la méthode établie dans l’arrêt W. (D.), précité, et de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt C.L.Y. précité dans l’arrêt R. c. J.H.S., 2008 CSC 30 sur l’application de cette méthode à l’appréciation de la crédibilité. La présente cour ne doit pas tomber dans le piège de choisir entre deux versions ou de donner l’impression de l’avoir fait.
[54] Ayant fait cet exposé sur la présomption d’innocence, le doute raisonnable, le fardeau de la preuve et la norme de la preuve applicable, j’examinerai maintenant les principes juridiques.
Analyse
[55] L’identité, la date et le lieu de l’infraction ne sont pas contestés par l’accusé. Il les a clairement admis dans son témoignage. De plus, il a admis que les mots qu’il a utilisés représentaient une menace et que cette menace avait pour but de causer des lésions corporelles à l’Adjudant Buffet. Par conséquent, la cour conclut que ces éléments essentiels de l’infraction de proférer des menaces ont été démontrés par la poursuite hors de tout doute raisonnable.
[56] J’applique maintenant la méthode établie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt W. (D.), précité. Je commencerai par analyser le témoignage de l’accusé. Je dois décider de la fiabilité et de la crédibilité du témoignage de l’accusé au regard du dernier élément essentiel contesté concernant l’infraction que la poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable : la mens rea, qui porte sur la question de savoir si le Caporal Mleinek a proféré la menace sciemment.
[57] Le Caporal Mleinek a témoigné de manière directe, calme et honnête. Son témoignage était cohérent et logique. Il a répondu clairement aux questions qui lui ont été posées et lorsqu’il lui semblait qu’elles manquaient de clarté, il n’a pas hésité à demander à l’avocat de les préciser ou de les répéter. Il n’a jamais nié le fait qu’il avait réagi de manière impulsive lorsque le Caporal-chef Truchon lui a parlé des instructions qu’il avait reçues de l’Adjudant Buffet concernant sont RAR. Il a témoigné que cela n’était pas inhabituel pour les membres de la section SI, y compris pour lui-même, d’exprimer leurs frustrations dans ces mots concernant l’Adjudant Buffet, ce qui a confirmé la preuve produite par la poursuite concernant cette question précise. Il a expliqué à la cour l’historique de ses problèmes de santé mentale au moment de l’incident, mais il n’a jamais tenté de s’appuyer sur ces problèmes pour justifier ce qu’il a dit. En réalité, les mots qu’il a prononcés n’étaient pas sérieux et la cour estime qu’il ne faisait manifestement rien de plus qu’évacuer sa frustration concernant la situation. En raison du contexte dans lequel il a prononcé ces mots, de la façon dont il les a prononcés et du fait qu’il n’était pas rare que les autres membres disent des choses similaires sans les penser à l’encontre de l’Adjudant Buffet, la cour estime qu’il est évident que le Caporal Mleinek n’a jamais voulu que ses paroles soient prises au sérieux et qu’il n’a jamais voulu intimider ou effrayer l’Adjudant Buffet.
[58] La cour conclut donc que la preuve produite par l’accusé est crédible et fiable.
[59] Par conséquent, vu l’ensemble de la preuve, la poursuite n’a pas prouvé hors de tout doute raisonnable tous les éléments essentiels de l’infraction de proférer des menaces.
[60] Fait intéressant, la cour note que la preuve produite par la poursuite confirme ces conclusions. Si la cour n’avait pas cru le témoignage de l’accusé, elle aurait difficilement pu s’appuyer sur la preuve produite par la poursuite pour prononcer la culpabilité.
[61] La clé de voûte de la thèse de la poursuite en l’espèce était le témoignage du Caporal-chef Truchon. Concernant l’intention de l’accusé lorsque ce dernier a proféré les menaces, il a clairement établi que les mots prononcés par le Caporal Mleinek ne pouvaient pas être pris au sérieux ou que ce dernier n’avait pas l’intention d’intimider l’Adjudant Buffet ou de lui faire peur.
[62] Le Caporal-chef Truchon a témoigné qu’il ne pensait pas que l’Adjudant Buffet était en danger et qu’il ne pensait pas que le Caporal Mleinek était sérieux lorsqu’il a prononcé ces mots. Les faits montrent qu’il n’a jamais cru qu’il devait agir préventivement. Il a été surpris par la nature des propos, mais il ne les a jamais pris au sérieux parce que ce n’était pas la première fois que l’accusé, ou un autre membre de la section, prononçait des paroles similaires. Il n’a rien fait de plus. Le Caporal‑chef Truchon a clairement dit qu’il pensait que ces paroles devaient être rapportées à son superviseur en raison de leur gravité et non parce que l’accusé semblait sérieux lorsqu’il les a prononcées. De plus, il n’avait pas clairement l’intention de les rapporter, à moins que l’accusé le lui demande. Il a dit qu’il avait rapporté l’incident seulement parce que c’est ce que le Caporal Mleinek lui avait demandé.
[63] De plus, la crédibilité et la fiabilité du témoignage du Caporal-chef Truchon sont en cause. Il a témoigné à contrecoeur et de manière intéressée. Sa mémoire a dû être rafraîchie plusieurs fois au cours de l’interrogatoire principal et en contre-interrogatoire en dépit du fait qu’il venait tout juste de se remémorer son témoignage. Il a modifié sa version des événements devant la cour à de nombreuses reprises lorsque pressé par l’avocat ou par la cour et il était sur la défensive et ergoteur en réponse aux questions des deux avocats. Essentiellement, lorsque ses actions ou ses réactions concernant l’incident ont été abordées avec lui, il n’a jamais hésité à modifier sa version des faits afin de donner l’impression d’être un superviseur responsable. Pour ces raisons, la cour n’aurait pas hésité à conclure que son témoignage n’était ni crédible ni fiable. Et pour cette raison précise, la cour aurait difficilement pu conclure que la poursuite avait prouvé hors de tout doute raisonnable que l’accusé avait l’intention de commettre l’infraction de proférer des menaces.
[64] Enfin, vu sa conclusion, la présente cour estime qu’il n’est pas nécessaire de commenter le moyen de défense de l’incidence d’un trouble de santé mentale sur l’intention précise requise pour prouver l’infraction de proférer des menaces.
[65] Appliquant la méthode établie dans l’arrêt de la Cour suprême R. c. W.(D.), précité, la cour n’a trouvé aucune raison, après examen de l’ensemble de la preuve, de ne pas croire le témoignage de l’accusé, et plus précisément sur la question d’avoir sciemment proféré des menaces à l’encontre de l’Adjudant Buffet. Par conséquent, la cour accepte le témoignage de l’accusé.
[66] Dans les circonstances, le Caporal Mleinek doit bénéficier du doute raisonnable.
[67] De plus, en ce qui concerne les conclusions de la cour concernant les éléments essentiels de l’alinéa 264.1(1)a) du Code criminel et l’application de ces éléments aux faits de l’espèce, la présente cour estime que la poursuite ne s’est pas acquittée de son fardeau de prouver l’intention de commettre cette infraction.
[68] Par conséquent, considérant l’ensemble de la preuve, la cour conclut que la poursuite n’a pas prouvé hors de tout doute raisonnable tous les éléments essentiels de l’infraction de proférer des menaces.
Décision
[69] Caporal Mleinek, veuillez vous lever. Caporal Mleinek, en ce qui concerne le premier et seul chef d’accusation figurant sur l’acte d’accusation, la présente cour vous déclare non coupable de l’infraction, prévue à l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, d’avoir proféré des menaces, en violation de l’alinéa 264.1(1)a) du Code criminel.
LIEUTENANT-COLONEL L-V. D'AUTEUIL, J.M.
AVOCATS
Major B. McMahon, Service canadien des poursuites militaires
Procureur de Sa Majesté la Reine
Capitaine de corvette B. Walden, Direction du service d’avocats de la défense
Avocat du Caporal M.C. Mleinek