Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 7 avril 2009

Endroit : BFC Shilo, Édifice C-106, chemin Portsmouth, Shilo (MB)

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 : Art. 130 LDN, possession de pornographie juvénile (art. 163.1(4)b) C. cr.).
•Chef d'accusation 2 : Art. 130 LDN, accès à la pornographie juvénile (art. 163.1(4.1)b) C. cr.).

Résultats
•VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 2 : Non coupable.

Contenu de la décision

Citation : R. c. Soldat D.A. Wilkins, 2009 CM 3004

 

Dossier : 200865

 

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

CANADA

MANITOBA

2E BATAILLON PRINCESS PATRICIA CANADIAN LIGHT INFANTRY

 

Date : 16 avril 2009

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL L.-V. D'AUTEUIL, J.M.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

c.

SOLDAT D.A. WILKINS

(Accusé)

 

VERDICT

(Prononcé oralement)

 

 

INTRODUCTION

 

[1]        Tel qu'il appert de l'acte d'accusation daté du 13 février 2008, le soldat Wilkins a été accusé de deux infractions punissables en vertu de l'article 130 de la Loi sur la défense nationale, soit premièrement d'avoir eu en sa possession de la pornographie juvénile contrairement à l'article 163.1(4)(b) du Code criminel, et soit deuxièmement d'avoir accédé à de la pornographie juvénile contrairement à l'article 163.1(4.1) du Code criminel.

 

[2]        L'essence de cette cause repose sur des faits qui ont eu lieu au cours de l'été 2007, plus précisément entre le début du mois de mai et la fin du mois de juillet 2007 sur la base des Forces canadiennes Wainwright en Alberta. L'audition de cette cause a eu lieu à la base des Forces canadiennes Shilo au Manitoba en raison du fait que c'est maintenant à cet endroit où se trouve l'unité d'appartenance du soldat Wilkins.

 

[3]        L'audition de la cause s'est étendue sur deux jours, soit les 7 et 8 avril 2009.

 


LA PREUVE

 

[4]        La preuve présentée par le procureur de la poursuite dans le cadre de ce procès par cour martiale permanente est la suivante :

 

a.     Les témoignages entendus, dans l'ordre de leur apparition : l'ex-soldat Kolyn, le sergent Laliberté, enquêteur au service national d'enquête des Forces canadiennes, responsable de l'enquête qui a mené aux accusations devant cette cour, le soldat Dany Wilkins, l'accusé dans cette cause et le caporal-chef Wilkins;

 

b.     La pièce 3, soit un enregistrement vidéo sur DVD de l'entrevue du soldat Wilkins effectuée par l'enquêteur du SNE, le sergent Laliber­té, en date du 21 août 2007;

 

c.     La pièce 4, soit un enregistrement audio sur CD de l'entrevue du soldat Wilkins effectué par l'enquêteur du SNE, le sergent Laliberté, en date du 21 août 2007;

 

d.     La pièce 5, soit quatre pages d'un imprimé de l'image apparaissant à l'ordinateur du moteur de recherche LimeWire 5;

 

e.     La connaissance judiciaire prise par la cour des faits et questions contenus dans la règle 15 des Règles militaires de la preuve.

 

 

LES FAITS

 

[5]        Le soldat Wilkins, l'accusé dans cette cause, est arrivé à la base des Forces canadiennes Wainwright le 4 mai 2007. Il s'est retrouvé à cet endroit pour suivre un cours de formation militaire. Au cours du mois de mai 2007, il s'est acheté un ordina­teur. Il a amené son ordinateur personnel au mess des soldats et caporaux, et ce, du mois de mai au mois de juillet 2007. À cet endroit, il pouvait se connecter au réseau internet tout en consommant de l'alcool.

 

[6]        Il se servait essentiellement de son ordinateur pour y transférer et y garder des vidéoclips et des photos de sa fiancée et de lui-même et d'autres souvenirs du même genre qui étaient pris à l'aide d'un appareil numérique et pour aussi écouter et téléchar­ger des vidéoclips de musique.

 

[7]        Il a clairement admis que durant cette même période, il était un consommateur de pornographie adulte, particulièrement lorsque cela impliquait des célébrités, et qu'il jouait au poker en ligne.


[8]        Afin de télécharger des vidéoclips de musique et de pornographie adulte, le soldat Wilkins utilisait un moteur de recherche appelé LimeWire. Dans les faits, c'est la seule manière qu'il connaissait à l'époque car c'est celle qu'il avait apprise de ses deux frères plus âgés pour pouvoir trouver et télécharger les fichiers et vidéoclips qu'il désirait sur l'internet.

 

[9]        Après avoir sélectionné la catégorie de fichier recherché sur LimeWire, soit vidéo, audio, image, document ou programme, il suffisait d'inscrire à l'endroit approprié le ou les mots clés pour demander au moteur de recherche d'effectuer la recherche de fichiers du type demandé et dont le texte comportait ces mots. Par la suite, apparaissait une liste de fichiers dans une fenêtre et l'utilisateur n'avait qu'à sélectionner les fichiers désirés pour les transférer dans une fenêtre de sélection réservée à leur téléchargement. Une fois le fichier placé dans la fenêtre de téléchargement, tous les fichiers qui s'y trouvaient, pouvaient être téléchargés sur l'ordinateur de l'utilisateur.

 

[10]      Le soldat Wilkins procédait à un téléchargement de vidéoclips pornographiques en masse, c'est-à-dire que suite au résultat obtenu grâce à sa recherche effectuée à partir de certains mots clés, il sélectionnait certains vidéoclips sur la base du nom qui leur était attribué et il les plaçait dans la fenêtre de sélection réservée au téléchargement, puis il procédait au téléchargement de l'ensemble des vidéoclips sélectionnés. Il est établi qu'il ne pouvait voir le contenu de ces vidéoclips qu'une fois qu'ils étaient téléchargés sur son ordinateur.

 

[11]      C'est pendant le téléchargement de ces vidéoclips que le soldat Wilkins buvait au mess et jouait au poker en ligne car cela prenait un certain temps à se réaliser. Une fois le téléchargement complété, il pouvait regarder les vidéoclips ailleurs qu'au mess, au moment où il le désirait, le plus souvent dans ses quartiers. Il lui est arrivé à plusieurs reprises à l'époque de regarder ces vidéoclips en compagnie du soldat Kolyn, qui est aujourd'hui un civil et dont la libération volontaire et honorable remonte à environ un an et demi.

 

[12]      C'est durant l'un de ces visionnements d'un vidéoclip de pornographie adulte en compagnie du soldat Kolyn que le soldat Wilkins lui aurait alors montré, toujours sur son ordinateur, un vidéoclip pornographique de bestialité, puis finalement montré un vidéoclip de pornographie juvénile.

 


[13]      Le vidéoclip de pornographie juvénile débutait par une scène dans une chambre d'hôtel ou un homme regardait une fille âgée entre 7 et 9 ans, à tout le moins ayant moins de 12 ans, vêtue d'une jupe et d'un chandail à bretelles et qui dansait sur le lit. Puis, lors de la scène suivante dans le même vidéoclip, la même fille était étendue sur le lit totalement nue, pieds et poings liés par des menottes et de la corde, performant une fellation sur l'homme qui se trouvait à cet endroit dans la scène précédente. Il apparais­sait qu'elle n'était pas très grande et que son corps n'avait pas la maturité physique de celui d'une femme. Aucune trace de poil n'apparaissait sur son corps. Selon la descrip­tion que le soldat Kolyn a fait de ce vidéoclip à la cour, il ne semblait pas que la fille vivait l'une des plus belles expériences de sa vie, mais il n'y avait aucune contrainte physique utilisée à son égard.

 

[14]      Le soldat Kolyn s'est dit surpris et surtout éteint sur le plan sexuel lorsqu'il a vu ce dernier vidéoclip. Il dit avoir visionné le vidéoclip parce qu'il voulait être certain que ce qu'il voyait était bien réel. Il a affirmé à la cour que le soldat Wilkins ne semblait pas surpris, ni choqué; que c'était possible que ce dernier voyait pour la première fois comme lui, le vidéoclip en question et qu'il soit apparu sur l'ordinateur par inadvertance, soit qu'il provenait d'une source inconnue. Il n'a jamais discuté avec le soldat Wilkins du vidéoclip. Par contre, il en a parlé à un autre soldat et quelque temps plus tard un enquêteur de la police militaire est venu l'interroger à ce sujet.

 

[15]      C'est sur la base de l'information recueillie, entre autres choses, auprès du soldat Kolyn, que l'enquêteur du service national d'enquête (SNE), le sergent Laliberté, a procédé à l'arrestation et à l'interrogation formelle du soldat Wilkins le 21 août 2007 à la base des Forces canadiennes Wainwright. Le policier soupçonnait le soldat Wilkins d'avoir accédé et possédé de la pornographie juvénile.

 

[16]      Dans le cadre de sa déclaration au policier et pour laquelle l'accusé a renoncé explicitement devant la cour à la tenue d'un voir dire concernant son aspect libre et volontaire, l'accusé a fait les affirmations suivantes :

 

a.         Il a vu sur son ordinateur le vidéoclip de pornographie juvénile de la jeune fille vêtue d'une jupe et dansant sur le lit, puis totalement nue, pieds et poings liés, performant une fellation sur un homme se trouvant dans la chambre d'hôtel. Un certain nombre de gars avait vu le vidéoclip en question et il l'a téléchargé parce que ce groupe de gars lui avait dit de le faire. Plus particulièrement, deux de ses collègues militaires lui avaient donné le nom du clip à télécharger et lui avait recommandé de le faire. Il savait que ces deux militaires téléchargeaient de la pornographie juvénile parce qu'ils lui en avaient déjà montré. Il a supprimé ce vidéoclip de son ordinateur parce que ce n'est pas du tout son style;

 

b.         Il a téléchargé 10 à 15 vidéoclips de pornographie juvénile qu'il a ouvert, regardé, puis supprimé parce qu'ils ne représentaient pas ce qu'il cher­chait. Il télécharge au hasard des tas de vidéoclips de pornographie. Sa préférence est pour les célébrités. Quelques fois, malgré qu'il s'agit de pornographie impliquant uniquement des adultes, le titre indique « 7 ans » ;

 


c.         À son avis, il y a peut-être un seul vidéoclip se trouvant sur son ordina­teur et il s'agit d'une scène d'environ 15 secondes dans laquelle on peut voir la main d'un homme se promener ou s'amuser sur le haut du corps d'une jeune fille de 14 ou 15 ans étendue sur un lit. Ce vidéoclip l'irrite car il sait que c'est illégal, particulièrement dans le monde militaire en raison des règles militaires;

 

d.         Par curiosité, il a gardé pendant un certain temps trois vidéoclips sur son ordinateur qu'il a vu une fois ou deux parce que les jeunes filles lui semblaient plus vieilles. Le premier implique une jeune fille blonde dans un lit, très belle, dont on peut voir la région pubienne et qui fait ce que son frère lui dit de faire. Elle est avec un adulte de 24 ou 25 ans. Le deuxième intitulé « Dads doing it with their daughters » implique deux jeunes filles de 13 et 14 ans qui le font (sous-entendant qu'il se passe probablement quelque chose de nature sexuelle) et un homme de 30 à 40 ans. Le troisième implique deux jeunes filles entre 14 et 16 ans mastur­bant le pénis d'un homme. L'homme ne peut être vu sur le vidéoclip.

 

e.         Il a catégoriquement nié qu'il a montré à qui que ce soit les vidéoclips qu'il a décrit comme comportant des personnes de moins de 18 ans;

 

f.          Il aime que les jeunes femmes dans les films pornographiques soient autour de 17-18 ans;

 

g.         Il a utilisé LimeWire pour télécharger au mess des soldats et caporaux;

 

h.         La dernière fois qu'il a effectué un téléchargement sur son ordinateur remonte à un mois et demi.

 

[17]      Par la suite, des accusations ont été portées à l'égard du soldat Wilkins.

 

LES ÉLÉMENTS ESSENTIELS DE L'ACCUSATION ET LES RÈGLES DE DROIT APPLICABLES

 

[18]      Tout d'abord, en ce qui a trait au premier chef d'accusation, l'article 163.1(4) du Code criminel se lit comme suit :

 

Quiconque a en sa possession de la pornographie juvénile est coupable :

 

a) soit d'un acte criminel passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans, la peine minimale étant de quarante cinq jours;

 

b) soit d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d'un emprisonnement maximal de dix-huit mois, la peine minimale étant de quatorze jours.


 

[19]      La poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants de cette infraction. Elle doit établir l'identité du soldat Wilkins ainsi que la date et l'endroit de l'infraction tels qu'allégués au premier chef se trouvant à l'acte d'accusation. Elle doit également prouver les éléments additionnels suivants hors de tout doute raisonnable :

 

a.         L'existence d'une représentation photographique, filmée, vidéo ou autre constituant de la pornographie juvénile. À cet effet, l'article 163.1(1) du Code criminel définit « pornographie juvénile » comme suit :

 

... [D]e toute représentation photographique, filmée, vidéo ou autre, réalisée ou non par des moyens mécaniques ou électroniques :

 

(i) soit où figure une personne âgée de moins de dix-huit ans ou présentée comme telle et se livrant  ou présentée comme se livrant à une activité sexuelle explicite,

 

(ii) soit dont la caractéristique dominante est la représentation, dans un but sexuel, d'organes sexuels ou de la région anale d'une personne âgée de moins de dix-huit ans.

 

Ainsi, il est à noter que la Cour suprême du Canada a précisé dans sa décision de R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, au paragraphe 43 que dans l'application du premier alinéa de la définition « le critère doit être objectif et fondé sur ce qui est présenté, et non sur ce que l'auteur ou le possesseur avait en tête. La question qui se pose est la suivante : Un observateur  raisonnable considérerait-il que la personne représentée a moins de 18 ans et se livre à une activité sexuelle explicite?

 

b.         Que le soldat Wilkins était en possession de la représentation photographique, filmée, vidéo ou autre constituant de la pornographie juvénile. Sur la question de la possession dans un pareil contexte, la décision de la cour d'appel de l'Ontario dans R. v. Chalk, 2007 ONCA 815, plus particulièrement les paragraphes 17 à 25, est d'une aide précieuse. Cette décision fait une distinction très nette entre une possession de nature tout à fait innocente et celle emportant une responsabilité criminelle dans le contexte de la pornographie juvénile. Cet arrêt repose d'abord et avant tout sur la définition de possession se trouvant à l'article 4(3) du Code criminel et qui fait appel à la fois aux notions de connaissance et de contrôle. Plus particulièrement, même si un accusé sait que l'item en question contient de la pornographie juvénile, qu'il l'ait vu ou non, c'est ce qu'il décide d'en faire qui sert à établir l'élément de contrôle, notion essentielle à la définition de possession.


[20]      Concernant le deuxième d'accusation, le paragraphe 163.1(4.1) du Code criminel s'énonce comme suit :

 

Quiconque accède à de la pornographie juvénile est coupable :

 

a) soit d'un acte criminel passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans, la peine minimale étant de quarante cinq jours;

 

b) soit d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d'un emprisonnement maximal de dix-huit mois, la peine minimale étant de quatorze jours.

 

[21]      En plus d'avoir à établir hors de tout doute raisonnable l'identité du soldat Wilkins ainsi que la date et l'endroit de l'infraction tels qu'allégués au deuxième chef d'accusation se trouvant à l'acte d'accusation, la poursuite doit prouver :

 

a.         L'existence d'une représentation photographique, filmée, vidéo ou autre constituant de la pornographie juvénile. En ce sens, les commentaires formulés précédemment concernant cet élément essentiel de l'accusation dans le cadre de la possession de pornographie juvénile sont aussi valables dans le contexte de la présente infraction.

 

b.         Que le soldat Wilkins avait accès à la représentation photographique, filmée, vidéo ou autre constituant de la pornographie juvénile.

 

c.         Et, l'intention spécifique du soldat Wilkins d'avoir accès à la représentation photographique, filmée, vidéo ou autre constituant de la pornographie juvénile. Sur ce point, l'article 163.1(4.2) du Code criminel précise :

 

Pour l'application du paragraphe (4.1), accède à de la pornographie juvénile quiconque, sciemment, agit de manière à en regarder ou fait en sorte que lui en soit transmise.  [Je souligne]

 

[22]      Avant que la cour n'expose son analyse juridique, il convient d'aborder la question de la présomption d'innocence et de la norme relative à la preuve hors de tout doute raisonnable, norme inextricablement liée aux principes fondamentaux appliqués dans tous les procès pénaux. Si ces principes sont évidemment bien connus des avocats, ils ne le sont peut-être pas des autres personnes qui se trouvent dans la salle d'audience.

 


[23]      On peut affirmer à juste titre que la présomption d'innocence constitue, sans aucun doute, le principe fondamental par excellence de notre droit pénal et le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable est un élément essentiel de la présomption d'innocence. Dans les affaires relevant du Code de discipline militaire, comme dans celles relevant du droit pénal, quiconque est accusé d'une infraction criminelle est présumé innocent jusqu'à ce que la poursuite ait prouvé sa culpabilité, et cela, hors de tout doute raisonnable. Une personne accusée n'a pas à prouver son innocence. La poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments essentiels de l'accusation.

 

[24]      La norme relative à la preuve hors de tout doute raisonnable ne s'applique pas à chacun des éléments de preuve ou aux différentes parties de la preuve présentée par la poursuite, mais plutôt à l'ensemble de la preuve sur laquelle se fonde la poursuite pour établir la culpabilité de l'accusé. Il incombe à la poursuite de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l'accusé, jamais à l'accusé de prouver son innocence.

 

[25]      Si, après avoir examiné tous les éléments de preuve, le tribunal a un doute raisonnable quant à la culpabilité de l'accusé, celui-ci doit être acquitté. L'expression « hors de tout doute raisonnable » est employée depuis très longtemps. Elle fait partie de l'histoire et des traditions judiciaires. Dans son arrêt R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S.320, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directive sur le doute raisonnable. Par la suite, la Cour suprême et les tribunaux d'appel ont appliqué les principes définis dans l'arrêt Lifchus à de nombreuses décisions. En substance, le doute raisonnable n'est pas un doute imaginaire ou futile. Il ne doit pas se fonder sur la sympathie ou les préjugés, mais sur la raison et le bon sens. C'est un doute qui surgit à la fin du procès et qui est fondé non seulement sur ce que la preuve révèle au tribunal, mais également sur ce qu'elle ne lui révèle pas. L'accusation portée contre un individu ne préjuge en rien de sa culpabilité, et j'ajouterai que les seules accusations dont doit répondre un accusé sont celles qui figurent sur l'acte d'accusation déposé au tribunal.

 

[26]      Au paragraphe 242 de l'arrêt R. c. Starr, [2000] 2 R.C.S. 144, la Cour suprême a déclaré :

 

... [U]ne manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu'elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités.

 

[27]      Par contre, il faut se rappeler qu'il est presque impossible d'apporter une preuve conduisant à une certitude absolue. D'ailleurs, la poursuite n'a pas d'obligation en ce sens. La certitude absolue n'est pas une norme de preuve en droit. La poursuite n'a que le fardeau de prouver la culpabilité de l'accusé, en l'espèce le soldat Wilkins, hors de tout doute raisonnable. Pour placer les choses en perspective, si la cour est convaincue que l'accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, elle doit l'acquitter, car la preuve de culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 


[28]      Qu'entend-on par la preuve? La preuve peut comprendre des affirmations solennelles ou des témoignages sous serment de personnes appelées à témoigner sur ce qu'elles ont vu ou fait. Elle peut aussi être constituée de documents, de photos, de cartes ou d'autres éléments déposés par des témoins, de témoignages d'experts, de faits officiellement admis par la poursuite ou la défense et de matières dont le tribunal a connaissance judiciaire d'office en vertu des Règles militaires de la preuve.

 

[29]      Il n'est pas rare que des éléments de preuve présentés au tribunal soient contradictoires. Les témoins ont souvent des souvenirs différents des événements et le tribunal doit déterminer quels sont les éléments qu'il juge crédibles.

 

[30]      La crédibilité n'est pas synonyme de vérité et l'absence de crédibilité ne signifie pas mensonge. Le tribunal doit tenir compte de nombreux facteurs pour évaluer la crédibilité d'un témoignage. Par exemple, il doit évaluer la possibilité d'observer qu'a eue le témoin, ce qui l'incite à se souvenir, par exemple si les événements étaient remarquables, inhabituels et frappants ou au contraire, insignifiants, et par conséquent, tout naturellement plus difficiles à se remémorer. Il doit aussi se demander si le témoin a un intérêt dans l'issue du procès; en d'autres termes, s'il a une raison de favoriser la poursuite ou la défense, ou s'il est impartial. Ce dernier facteur s'applique aussi, mais de façon différente, à l'accusé. Bien qu'il soit raisonnable de présumer que l'accusé a intérêt à se faire acquitter, la présomption d'innocence ne permet pas de conclure que l'accusé mentira lorsqu'il décide de témoigner.

 

[31]      Un autre élément permet de déterminer la crédibilité : la capacité apparente du témoin à se souvenir. Il est possible d'observer l'attitude du témoin pendant sa déposition pour évaluer sa crédibilité : il faut se demander si le témoin a répondu aux questions avec naturel, si ses réponses étaient précises ou évasives, ou encore hésitantes, s'il argumentait, et enfin, si son témoignage était cohérent et compatible avec les faits non contestés.

 

[32]      Un témoignage peut comporter, et en fait comporte toujours, des contradictions mineures et involontaires, mais cela ne doit pas nécessairement conduire à l'écarter. Il en va autrement d'un mensonge, qui constitue toujours un acte grave et risque d'entacher l'ensemble d'un témoignage.

 

[33]      Le tribunal n'est pas tenu d'accepter le témoignage d'une personne, à moins que celui-ci ne lui paraisse crédible. Cependant, il jugera un témoignage digne de foi, à moins d'avoir une raison de ne pas le croire.

 

[34]      Puisque la notion de doute raisonnable s'applique à la question de crédibilité, la cour doit d'abord rendre une décision sur la crédibilité de l'accusé, c'est-à-dire si elle croit ou non la preuve qu'il a soumise à cette cour, incluant son propre témoignage. Il s'agit de l'un des cas où l'approche à suivre concernant l'évaluation de la crédibilité a été exprimée par la Cour suprême du Canada dans la décision R. c. W. (D), [1991] 1 R.C.S. 742 et doit être appliquée, parce que l'accusé, le soldat Wilkins, a témoigné. Tel qu'établi dans cette décision à la page 758, le test s'énonce de la manière suivante :


Premièrement, si vous croyez la déposition de l'accusé, manifestement vous devez prononcer l'acquittement.

 

Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l'accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l'acquittement.

 

Troisièmement, même si vous n'avez pas de doute à la suite de la déposition de l'accusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de l'accusé.

 

[35]      Ce test a été énoncé principalement pour éviter au juge des faits de procéder en faisant un choix quant à la preuve qu'il croit, soit celle présentée par l'accusé ou celle présentée par la poursuite. Cependant, il est aussi clair que la Cour suprême a réitéré à plusieurs reprises que cette formulation n'a pas besoin d'être suivie mot à mot comme une sorte d'incantation (voir R. c. S. (W.D.), [1994] 3 R.C.S. 521, à la page 533).

 

[36]      Tel que souligné par le juge Abella, écrivant  pour la majorité dans R. c. C.L.Y. 2008 CSC 2, au paragraphe 10, je confirme que je suis conscient du test dans W. (D.), précité, et des décisions rendues en 2008 par la Cour suprême du Canada dans C.L.Y. et R. c. J.H.S. 2008 CSC 30 concernant l'application de ce test dans le cadre de l'évaluation de la crédibilité. Le piège que cette cour doit éviter est d'apparaître ou d'être dans une situation où elle choisit entre deux versions dans le cadre de son analyse, soit entre celle présentée par la poursuite et celle mise de l'avant par l'accusé.

 

[37]      Après avoir procédé à cet exposé sur la présomption d'innocence et sur la norme de preuve hors de tout doute raisonnable, j'examinerai maintenant les questions en litige en l'espèce et traiterai des principes juridiques.

 

QUESTIONS EN LITIGES

 

[38]      En témoignant devant cette cour, le soldat Wilkins a présenté une défense qui soulève certaines questions fondamentales quant aux éléments essentiels des deux accusations.

 

[39]      Quant au premier chef d'accusation, l'accusé soumet qu'il n'a jamais été en possession du vidéoclip de pornographie juvénile débutant par une scène dans une chambre d'hôtel où un homme regardait une fille âgée entre 7 et 9 ans, à tout le moins ayant moins de 12 ans, vêtue d'une jupe et d'un chandail à bretelles et qui dansait sur le lit, puisqu'il n'a jamais eu l'intention d'obtenir ce vidéoclip pour la nature de ce qu'il représente car ce n'est pas du tout son genre.

 


[40]      Quant au deuxième chef d'accusation l'accusé soumet qu'il n'a jamais eu l'intention spécifique d'accéder à de la pornographie juvénile car il n'a jamais téléchargé volontairement de tels vidéoclips portant sur ce sujet précis et que les vidéoclips qu'il admet avoir gardés pendant un certain temps sur son ordinateur ont été obtenus accidentellement et ne représentaient pas de la pornographie juvénile.

 

ANALYSE

 

[41]      Avant de procéder à l'analyse de la preuve soumise par le soldat Wilkins à titre de défense, incluant son témoignage, et plus particulièrement avant de déterminer si cela soulève un doute raisonnable quant à la preuve soumise par la poursuite sur certains des éléments essentiels de chacune des accusations, il est de mise pour la cour de s'exprimer en premier lieu sur la fiabilité et la crédibilité des témoins de la poursuite. En effet, l'évaluation de la preuve soumise par l'accusé, et particulièrement son témoignage, ne peut se faire qu'à la lumière de la preuve de la poursuite qu'elle considère fiable et crédible.

 

[42]      En ce sens, le témoignage de l'enquêteur de la police militaire, le sergent Laliberté m'apparaît fiable et crédible. En effet, il s'est limité à fournir des éléments de preuve concernant le contexte de la déclaration du soldat Wilkins le 21 août 2007 et le contexte général de son enquête.

 

[43]      L'ex-soldat Kolyn a aussi témoigné pour la poursuite. Son témoignage était cohérent et direct. Il avait un bon souvenir du visionnement du vidéoclip de la jeune fille vêtue d'une jupe et dansant sur le lit dans un hôtel devant un homme. Il en a fait une description détaillée et assez précise car il était apparent que cet événement était notoire pour lui en raison de la nature inhabituelle de ce vidéoclip. Il s'est limité à décrire ce qu'il connaissait des événements et il est évident qu'il n'avait aucun parti pris particulier. Il n'est plus dans les Forces canadiennes depuis un an et demi et il n'entretient aucun lien particulier avec qui que ce soit, incluant l'accusé qui était un ami à l'époque des incidents. Le témoignage de l'ex-soldat Kolyn est fiable et crédible.

 

[44]      Maintenant, qu'en est-il de la preuve présentée par le soldat Wilkins? D'entrée de jeu, disons tout de suite que le témoignage du caporal-chef Wilkins, le frère de l'accusé, apparaît à la cour comme étant fiable et crédible. L'essentiel de son témoignage a porté sur l'utilisation du moteur de recherche LimeWire. Sa démonstration en direct sur l'internet était claire et cohérente, tout comme son témoignage d'ailleurs. La cour a noté son souci constant de présenter à la cour les faits dont il avait personnellement connaissance de manière professionnelle et impartiale. Ayant témoigné après l'accusé, il a confirmé un fait avancé par ce dernier, soit que le contenu d'un fichier obtenu grâce à LimeWire n'est pas toujours ce qui est indiqué sur le titre.

 


[45]      Le soldat Wilkins, l'accusé dans cette cause, a témoigné de manière directe et généralement cohérente. Les parties de son témoignage qui se voulaient une explication plus détaillée ou complémentaire de ce qu'il a dit à la police sont apparues à la cour comme étant fiables et crédibles en raison de la cohérence de ses propos. Par contre, la cour ne croit pas certaines parties de son témoignage qui viennent en contradiction directe avec ce qu'il a dit à la police ou qui tentent d'expliquer le contexte général de sa déclaration.

 

[46]      En effet, en ce qui a trait au contexte de sa déclaration à la police, la cour ne croit pas les explications que le soldat Wilkins a fournies sur ce sujet précis dans le cadre de son témoignage. L'accusé a expliqué à la cour qu'il ne fallait pas qu'elle accorde beaucoup de poids aux éléments incriminant de sa déclaration à la police pour trois raisons : d'abord, parce qu'il se foutait de tout, c'est-à-dire qu'il ne tenait pas compte des conséquences de ses propos au moment où il les a faits, puis qu'il n'avait aucune connaissance en informatique et finalement qu'en raison de son état émotionnel et de la langue de l'entrevue avec le policier, soit l'anglais, il n'arrivait pas à exprimer aisément et correctement ses réponses aux questions qui lui étaient posées.

 

[47]      L'examen de la déclaration fournie par l'accusé démontre clairement qu'il était tout à fait conscient des conséquences de ses propos. En effet, ses longs moments de silence où il semble plutôt réfléchir sur ce qu'il doit dire ou non, sa crainte clairement exprimée concernant le fait qu'il risque d'être libéré des Forces canadiennes et de perdre son emploi et sa crainte qu'il a exprimé au policier d'aller en prison pour une longue période dénote plutôt l'attitude de quelqu'un qui a un souci marqué pour les conséquences découlant de ses actions. Il a bien exprimé durant l'entrevue avec l'enquêteur le fait que dans le monde militaire, les règles sont sévères et qu'il les connaît bien.

 

[48]      Pour quelqu'un qui n'a aucune connaissance de l'informatique, il appert que le soldat Wilkins savait pertinemment comment opérer un ordinateur afin de visionner des vidéoclips, d'accéder et de jouer à certains jeux sur internet et de télécharger des photos personnelles. La cour comprend qu'il n'est pas un informaticien chevronné et qu'il n'est pas en mesure d'expliquer l'ensemble du fonctionnement d'un ordinateur. Par contre, entre le fait de déclarer à la cour comme étant une personne totalement nulle en informatique au point de prétendre ne pas être en mesure de faire fonctionner un ordinateur, et expliquer à l'enquêteur de la police militaire et à la cour qu'il était capable de télécharger et visionner plusieurs vidéoclips sur son ordinateur personnel, il y a une marge suffisante pour permettre à la cour de ne pas le croire sur ce sujet.

 


[49]      Finalement, quant à la question de la langue utilisée durant l'entrevue avec l'enquêteur de la police militaire, la cour ne peut donner foi d'aucune façon aux explications avancées par le soldat Wilkins dans son témoignage. Il appert que le soldat Wilkins aurait d'abord discuté en français avec l'enquêteur du service national d'enquête tout au long de son transport entre le lieu de son arrestation et les bureaux de la police militaire. Durant son entrevue avec l'enquêteur de la police militaire, il n'a jamais exigé qu'elle se déroule en français, sachant pertinemment que l'enquêteur était en mesure de le faire. Au surplus, environ quinze minutes après le début de l'entrevue, alors que la conversation se déroule en anglais depuis le début et que l'enquêteur lui explique et tente d'obtenir une réponse de sa part sur le fait de consulter un avocat, le soldat Wilkins, sans autre cérémonie dit en français à l'enquêteur : « Je sais pas ce qui se passe dans ma tête s'tie » . À partir de ce moment, et pour une période de quatre minutes, la conversation se fait exclusivement en français. L'enquêteur prend même la peine de ré-expliquer au soldat Wilkins le sens du mot « renonciation » . À la fin de ce quatre minutes, suite à un long moment de silence de la part du soldat Wilkins, l'enquêteur lui demande en français : « Fais-moi signe que tu comprends Dany » . Pour réponse, le soldat Wilkins réplique en anglais de la manière suivante : « I understand sir » . Puis à partir de ce moment, la conversation s'est déroulée uniquement en anglais. Il s'agit là d'un exemple clair que l'accusé pouvait utiliser la langue de son choix pour s'exprimer durant l'entrevue avec l'enquêteur et qu'il a choisi de sa propre initiative de s'exprimer en anglais. S'il avait voulu le faire dans l'autre langue officielle, il lui aurait été loisible de le faire à tout moment, tel que l'illustre l'extrait auquel j'ai fait référence auparavant.

 

[50]      Maintenant, la cour procédera à l'évaluation de la fiabilité et de la crédibilité du témoignage du soldat Wilkins dans le cadre de l'analyse des éléments essentiels des accusations.

 

[51]      Concernant le premier chef d'accusation, le témoignage du soldat Wilkins permet d'établir et de confirmer la preuve soumise par la poursuite, incluant la déclaration du soldat Wilkins à l'enquêteur, quant à certains éléments essentiels. En effet, sont donc établis à la satisfaction de la cour, hors de tout doute raisonnable, l'identité, la date et le lieu de l'infraction de possession de pornographie juvénile. De plus, au même effet, est établi hors de tout doute raisonnable le fait que le vidéoclip en question qui est l'objet du premier chef d'accusation, soit celui de la jeune fille vêtue d'une jupe et dansant sur le lit dans un hôtel devant un homme, constitue une représentation vidéo constituant de la pornographie juvénile au sens de la définition se trouvant au Code criminel.

 

[52]      Il ne reste donc à la cour qu'à déterminer si le témoignage du soldat Wilkins, s'il est cru, soulève un doute raisonnable quant à l'élément essentiel de possession. Tel qu'exprimé précédemment, la possession au sens de la responsabilité criminelle, comprend une notion de connaissance et de contrôle. Tout d'abord, sur l'aspect connaissance, il appert que le soldat Wilkins a dit à la cour qu'il a téléchargé le vidéoclip en question par inadvertance, par accident, c'est-à-dire de manière non intentionnelle et que ce n'est qu'une fois ouvert qu'il en aura vraiment pris connaissance. Il admet avoir téléchargé et avoir visionné le vidéoclip en question.

 

[53]      En un certain sens, son témoignage en cour corrobore ce qu'il a dit à l'enquêteur et ce qui a été affirmé par l'ex-soldat Kolyn, c'est-à-dire qu'il avait une connaissance du contenu du vidéoclip sur son ordinateur.

 


[54]      Sur la question de contrôle, je considère crédible et fiable le témoignage du soldat Wilkins à l'effet qu'il a supprimé presque immédiatement le vidéoclip en question. En effet, après l'avoir visionné, l'accusé a toujours affirmé, que ce soit à la cour ou durant sa déclaration au policier, qu'il a supprimé le vidéoclip parce que ce n'était nullement quelque chose qu'il recherchait. Il n'existe aucune preuve soumise par la poursuite à l'effet contraire.

 

[55]      Dans sa déclaration au policier, le soldat Wilkins explique de manière assez détaillée que ce sont deux militaires connus de lui pour avoir un goût particulier concernant la pornographie juvénile qui lui ont dit de télécharger le vidéoclip. Cependant, dans sa déclaration au policier, le soldat Wilkins ne précise pas s'il savait ou non à l'avance le contenu du vidéoclip. Il explique que ce n'est pas le genre de chose qu'il recherche.

 

[56]      Durant son témoignage devant la cour, le soldat Wilkins a expliqué que ce qu'il voulait dire au policier était plutôt qu'on lui avait conseillé de supprimer ce vidéoclip s'il le téléchargeait sur son ordinateur. Il a dit que ce n'était pas le genre de vidéoclip qu'il recherchait et il a affirmé qu'il ne savait pas qu'il l'avait téléchargé sur son ordinateur. D'ailleurs, l'ex-soldat Kolyn a laissé clairement entendre qu'il était possible que c'était la première fois que le soldat Wilkins ait vu ce vidéoclip sur son ordinateur et qu'il l'ait téléchargé par inadvertance.

 

[57]      Sur ce point, la cour retient ceci du témoignage de l'accusé comme étant fiable et crédible : lorsqu'il a téléchargé le vidéoclip, il ne savait pas qu'il téléchargeait précisément celui-là. La preuve soumise par la poursuite sur ce sujet ne contredit pas cette version fournie par l'accusé dans son témoignage à la cour. Durant sa déclaration à l'enquêteur, il n'est jamais clairement apparu de ses propos s'il avait délibérément fait en sorte de télécharger spécifiquement ce vidéoclip. Ses propos au policier suggèrent qu'on lui a dit de le faire. Cependant, a-t-il téléchargé spécifiquement ce vidéoclip ou a-t-il plutôt procédé au téléchargement en masse, c'est-à-dire d'un ensemble de vidéoclips et a-t-il reconnu le titre du vidéoclip en question par la suite? Comment a-t-il procédé? Sur quel site internet s'est-il rendu et quel était le titre précis de ce vidéoclip? La preuve est silencieuse à cet égard.

 

[58]      Évidemment, la cour ne peut considérer comme étant crédible le témoignage de l'accusé à l'effet qu'on lui avait conseillé de supprimer le vidéoclip s'il le téléchargeait par inadvertance. Il s'agit d'une contradiction majeure, comme l'a souligné le procureur de la poursuite, qui ne peut tenir la route dans le contexte des propos que l'accusé a tenus dans sa déclaration à l'enquêteur. Sur cet aspect, l'accusé semble avoir voulu modifier de manière marquée les propos qu'il a tenu au policier dans le cadre de sa déclaration, et ce, sans aucune autre explication plausible et cohérente. Par contre, ce seul fait en soi n'a pas pour effet de rendre l'ensemble du témoignage du soldat Wilkins peu fiable et crédible.


[59]      En conséquence, puisque le témoignage de l'accusé que la cour considère dans son ensemble fiable et crédible soulève un doute raisonnable quant à un élément essentiel de l'accusation, la cour en vient à la conclusion que la poursuite ne s'est pas déchargée de son fardeau de preuve qui consistait à prouver hors de tout doute raisonnable que le soldat Wilkins était en possession du vidéoclip de la jeune fille vêtue d'une jupe et dansant sur le lit dans un hôtel devant un homme et qui constituait de la pornographie juvénile.

 

[60]      En passant, la cour aimerait souligner le fait qu'il n'y a eu aucune preuve que le vidéoclip a été sauvegardé sur l'ordinateur personnel du soldat Wilkins. Comme l'a révélé la preuve, l'accusé a procédé au téléchargement d'un vidéoclip, ce qui est défini dans le dictionnaire Petit Robert comme étant « le transfert de données entre ordinateurs au moyen d'un réseau téléinformatique », alors que sauvegarder dans le même dictionnaire signifie plutôt faire une copie de sécurité de données mise en mémoire.

 

[61]      En ce qui a trait au deuxième chef d'accusation, soit d'avoir accédé à de la pornographie juvénile, il s'agit de déterminer si le témoignage du soldat Wilkins, s'il est cru, soulève un doute raisonnable quant à deux éléments essentiels de cette infraction : premièrement l'intention spécifique requise, et deuxièmement le fait que les vidéoclips constituent de la pornographie juvénile.

 

[62]      Tout comme le premier chef d'accusation, le témoignage du soldat Wilkins permet d'établir et de confirmer la preuve soumise par la poursuite incluant la déclaration du soldat Wilkins à l'enquêteur quant à certains éléments essentiels. En effet, la cour considère encore une fois que sont établis à sa satisfaction, hors de tout doute raisonnable, l'identité, la date et le lieu de l'infraction d'avoir accéder à de la pornographie juvénile. Sur l'élément essentiel de l'intention spécifique, la cour croit le soldat Wilkins quand il affirme qu'il ne cherchait pas volontairement de la pornographie juvénile. Il a admis candidement qu'il est un amateur de pornographie adulte, c'est-à-dire de la pornographie impliquant des personnes de 18 ans ou plus mais qu'il n'a aucun intérêt en ce qui concerne la pornographie juvénile. Ce témoignage est d'ailleurs consistant avec ce qu'il a affirmé à l'enquêteur du service national d'enquête lors de sa déclaration en 2007. La cour croit que c'est par inadvertance que le soldat Wilkins a d'ailleurs visionné de la pornographie qu'il a qualifié de juvénile en raison de l'âge qu'il a perçu des personnes impliquées dans quatre vidéoclips différents. Il est tout à fait plausible que les titres des fichiers apparaissant comme le résultat de ses recherches aient été trompeurs au point où il pensait avoir de la pornographie impliquant des personnes majeures seulement avant de les visionner.

 


[63]      Sur le fait que les quatre vidéoclips qu'il a identifiés dans sa déclaration à l'enquêteur et dont il a confirmé l'existence dans son témoignage devant la cour, constituent de la pornographie juvénile, la cour en vient à la conclusion que la combinaison du témoignage de l'accusé avec la preuve présentée par la poursuite soulève un doute raisonnable.

 

[64]      Ici, il s'agit de l'un de ces cas rares où la poursuite n'a présenté aucune image au soutien de cette accusation. Afin de répondre à la question suivante, soit est-ce qu'un observateur raisonnable considérerait que la personne représentée a moins de 18 ans et se livre à une activité sexuelle explicite, il faut au minimum une description des images ou vidéoclips. Or, il appert que pour répondre à ce test objectif, aucun vidéoclip n'a été présenté par la poursuite et que sa preuve repose totalement sur la description qu'en a fait l'accusé. Or, il appert qu'autant dans son témoignage que dans sa déclaration, l'accusé a fait une description très sommaire des personnes et des activités qu'il y voyait.

 

[65]      Le premier vidéoclip qui a trait à une scène d'environ 15 secondes dans laquelle on peut voir la main d'un homme se promener ou s'amuser sur le haut du corps d'une jeune fille de 14 ou 15 ans étendue sur un lit, il n'y a pas d'autre élément pouvant, d'une part, permettre à la cour objectivement parlant de conclure que la jeune fille a moins de 18 ans, et que d'autre part, l'homme se livre à une activité sexuelle explicite. Personne n'a dit si la jeune fille était couchée sur le dos ou le ventre et personne n'a décrit l'environnement dans lequel ces deux personnes se trouvaient. L'enquêteur de la police militaire a référé dans le cadre de l'entrevue à ce vidéoclip en précisant que l'homme caressait la poitrine de la jeune fille, mais le soldat Wilkins n'a ni infirmé, ni confirmé la description faite par le policier.

 

[66]      Le vidéoclip concernant le fait qu'une jeune fille blonde dans un lit, très belle, dont on peut voir la région pubienne et qui fait ce que son frère lui dit de faire, n'a pas bénéficié d'une description plus précise. Cela rend très difficile la tâche de la cour qui doit objectivement déterminer s'il s'agit de pornographie juvénile. Au même effet est le vidéoclip intitulé « Dads doing it with their daughters » impliquant deux jeunes filles de 13 et 14 ans qui le font (sous-entendant qu'il se passe probablement quelque chose de nature sexuelle) et un homme de 30 à 40 ans. Il n'existe aucune autre description en preuve de ce vidéoclip. Finalement, le dernier vidéoclip impliquant deux jeunes filles entre 14 et 16 ans masturbant le pénis d'un homme a le mérite, à tout le moins, d'avoir une description de la nature de l'activité sexuelle. Cependant, il n'existe aucune description physique détaillée permettant à la cour de conclure objectivement hors de tout doute raisonnable qu'il y a une implication de deux jeunes filles de moins de 18 ans.

 


[67]      D'ailleurs, autant dans le cadre de son témoignage que dans sa déclaration à l'enquêteur, le soldat Wilkins indique ce qui lui apparaît être l'âge approximatif des jeunes filles impliquées dans les vidéoclips et lui-même a mentionné qu'il les a gardés car il croyait que ces jeunes filles étaient plus vieilles, c'est-à-dire qu'il n'y avait aucun risque à garder sur son ordinateur ces vidéoclips car elles paraissaient être d'âge légale, soit qu'elles avaient au moins 18 ans. Cependant, il n'a pas fourni de détails précis qui le conduisaient à fournir les âges approximatifs, soit le contexte très précis des vidéoclips et les caractéristiques physiques des jeunes filles. En l'absence de tels détails, il est difficile pour la cour de conclure objectivement quoi que ce soit concernant le fait que ces vidéoclips constituent de la pornographie juvénile.

 

[68]      Pour cette même raison, il serait difficile pour cette cour de conclure, dans le cadre d'un verdict annoté, que le soldat Wilkins était en possession de pornographie juvénile concernant ces vidéoclips.

 

[69]      En conséquence, puisque le témoignage de l'accusé, que la cour considère fiable et crédible, dans son ensemble, soulève un doute raisonnable quant à l'élément essentiel de l'accusation, et que ce même témoignage combiné à la preuve présentée par la poursuite soulève un doute raisonnable quant à un autre élément essentiel de cette même accusation, la cour en vient à la conclusion que la poursuite ne s'est pas déchargée de son fardeau de preuve qui consistait à prouver hors de tout doute raisonnable que le soldat Wilkins avait accédé à de la pornographie juvénile.

 

DISPOSITIF

 

[70]      Soldat Wilkins, considérant la conclusion de cette cour sur les deux chefs d'accusation dont vous faites l'objet, la cour vous déclare non coupable du premier et deuxième chef d'accusation.

 

[71]      Les procédures concernant la cour martiale permanente du soldat Wilkins sont maintenant terminées.

 

 

 

 

                             LIEUTENANT-COLONEL L.-V. D'AUTEUIL, J.M.

 

Avocats :

 

Major B. McMahon, Procureur militaire régional, région de l'Ouest

Avocat de la poursuite

 

Major A. Litowski, Bureau du directeur du service d'avocats de la défense

Avocat du soldat D.A. Wilkins

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