Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 8 septembre 2014.

Endroit : NCSM Quadra, édifice 91, Goose Spit, Comox (CB).

Chefs d’accusation :
•Chefs d’accusation 1, 2 : Art. 83 LDN, a désobéi à un ordre légitime d’un supérieur.
•Chef d’accusation 3 : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Verdicts
•Chefs d’accusation 1, 2, 3 : Non coupable.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Giri, 2014 CM 1020

 

Date: 20140911

Dossier : 201353

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Comox, secteur Goose Spit

Comox (Colombie‑Britannique), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Ex-caporal A.B. Giri, accusé

 

 

En présence du : colonel M. Dutil, J.M.C.


 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Prononcés de vive voix)

 

Introduction

 

[1]               L’ex‑caporal Giri est accusé de trois infractions, à savoir deux chefs de désobéissance à un ordre légitime, une infraction prévue à l’article 83 de la Loi sur la défense nationale, et un chef d’accusation visant un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline, une infraction prévue à l’article 129 de cette loi. Les infractions auraient été perpétrées le ou vers le 7 avril 2013 à la Base des Forces canadiennes Comox, en Colombie‑Britannique, ou près de cet endroit.

 

La preuve

 

[2]               En ce qui concerne la preuve, elle est constituée des éléments suivants :

 

(a)                les témoignages, dans l’ordre de comparution devant le tribunal, de l’adjudant J.R.F.A. Boutin, du caporal‑chef Hammond, du sergent R.D. Slonski (lequel a été appelé à témoigner par les deux parties), le caporal M.D. Dueck, le capitaine S.L. Robinson, Mme A. Kato et l’ex‑caporal A.B. Giri;

 

(b)               la pièce 3, à savoir une liasse de cinq fiches médicales délivrées par les autorités médicales des Forces canadiennes entre le 7 février 2013 et le 8 avril 2013 quant à l’état de santé de l’ex‑caporal Giri;

 

(c)                les faits et questions dont la Cour a pris judiciairement connaissance en vertu de l’article 15 des Règles militaires de la preuve.

 

Les faits

 

[3]               Les événements qui ont mené aux accusations portées devant la Cour se sont produits le dimanche 7 avril 2013. Ils ont débuté tôt ce matin‑là au sein de l’Escadron 407, plus précisément dans le hangar 7 de la Base des Forces canadiennes Comox. Dans le cadre de ses fonctions habituelles, une petite équipe avait pour mission de remédier à un problème potentiel de fuite de carburant sur un aéronef. Le personnel chargé de cette tâche comprenait le caporal‑chef Hammond, le caporal‑chef Wheeler, le caporal‑chef (son grade antérieur) Dueck, le caporal Giri et un autre membre. Les surveillants principaux ont également participé à la préparation de la tâche prévue pour la journée; il s’agissait de l’adjudant (alors sergent) Boutin et du sergent Slonski. Il avait été prévu dans le cadre de la planification des activités que le caporal Giri agirait comme l’entrant de l’équipe chargée du réservoir de carburant, tandis que d’autres membres joueraient divers rôles, dont celui de sauveteurs. Il convient de signaler que la personne agissant comme entrant doit s’introduire dans un espace très restreint littéralement situé dans l’aile de l’aéronef. Bien qu’il s’agisse d’une tâche de routine pour les techniciens en aéronautique, ce travail est reconnu pour être des plus difficiles et exigeants à la fois sur le plan physique et mental.

 

[4]               Vers 8 h, le 7 avril 2013, les surveillants principaux ont demandé à leurs subordonnés de réunir l’équipe de réparation du réservoir de carburant. Le caporal Giri a informé le caporal‑chef Hammond et le caporal‑chef Wheeler qu’un mal de dos l’empêchait de s’introduire dans le réservoir de carburant ce matin‑là. Il leur a dit qu’il avait une fiche médicale établissant ce fait. On a immédiatement avisé le sergent Boutin et le sergent Slonski de la situation. Le sergent Boutin a demandé au caporal‑chef Hammond de dire au caporal Giri de se munir de cette fiche.

 

[5]               À 8 h 15, le caporal‑chef Hammond a avisé ses surveillants qu’en raison de l’état de santé déclaré du caporal Giri l’équipe ne compterait pas suffisamment de personnes pour accomplir la tâche ce matin‑là. Le caporal‑chef Hammond a ensuite informé le sergent Boutin que le caporal Giri avait perdu sa fiche médicale. Le sergent Boutin a été étonné d’entendre cela parce que les fiches médicales sont habituellement remises à la chaîne de commandement par les membres, puis placées dans une pochette jointe au dossier des emplois à l’unité (DEU). Le sergent Boutin a vérifié dans le DEU de l’accusé et y a trouvé cinq fiches médicales, mais aucune n’exemptait le caporal Giri des tâches militaires qui lui incombaient ce jour‑là. Le sergent Boutin a ensuite vu à la fois le caporal‑chef Hammond et le caporal Giri. L’accusé a alors affirmé qu’il avait une fiche médicale concernant son mal de dos et qu’il ne pouvait agir comme entrant ce matin‑là, mais qu’il avait perdu cette fiche. Le sergent Boutin lui a demandé où elle était, mais le caporal Giri n’a pu lui répondre. Le sergent Boutin a ensuite ordonné au caporal Giri de rentrer chez lui, de chercher la fiche médicale, puis de retourner à son lieu de travail. Le caporal Giri a compris l’ordre qui lui avait été donné et il est parti sans délai. Il semble que le caporal Giri, à sa sortie de la pièce, ait mentionné au caporal‑chef Wheeler qu’il doutait de pouvoir retrouver la fiche et que ce dernier l’ait alors invité à en obtenir une à une clinique médicale externe, car la salle d’examen médical était fermée le dimanche. On a rapidement fait part de cet échange au sergent Boutin, lequel a demandé au caporal‑chef Wheeler d’envoyer à l’accusé un message texte lui demandant de revenir immédiatement au travail. Peu après, le téléphone a sonné au bureau de l’entretien courant et le caporal Giri a demandé à parler à un sergent. Le sergent Boutin s’est rapidement rendu au téléphone et il a parlé au caporal Giri. Ce dernier a dit au sergent Boutin qu’il se trouvait dans une clinique externe pour consulter un médecin au sujet de son dos. Il craignait qu’on ne l’oblige, s’il n’avait pas de document délivré par un médecin, à entrer dans le réservoir de carburant le matin même pour qu’il accomplisse sa tâche. Il ressort sans équivoque de l’ensemble de la preuve que cette croyance est totalement infondée puisque les surveillants n’auraient pas exigé du caporal Giri qu’il pénètre dans le réservoir, qu’il ait eu ou non une fiche médicale à ce moment. Le sergent Boutin était étonné d’entendre que le caporal Giri se trouvait dans une clinique médicale. Il a alors demandé à l’accusé s’il lui avait dit de se rendre à une clinique externe et ce dernier a répondu par la négative. Le sergent Boutin a réitéré qu’il avait demandé à l’accusé de rentrer chez lui, de chercher la fiche médicale, puis de retourner à son lieu de travail. Le sergent Boutin a ensuite expliqué à l’accusé qu’il ne pouvait se rendre à une clinique externe qu’en cas d’urgence et qu’il pourrait devoir assumer les frais de sa visite, lesquels ne lui seraient peut‑être pas remboursés. Le caporal Giri a affirmé qu’il comprenait cette politique, mais qu’il préférait demeurer à la clinique puisqu’il était déjà inscrit comme patient. Le sergent Boutin lui a dit de revenir immédiatement à l’unité et le caporal Giri a refusé. Il voulait demeurer à la clinique. Le sergent Boutin l’a averti des conséquences de sa désobéissance, mais le caporal Giri a néanmoins refusé d’obtempérer. Le caporal Giri est arrivé à son lieu de travail peu avant 11 h après avoir reçu, à la demande du sergent Boutin, un autre message du caporal‑chef Wheeler l’informant, à 10 h 15, qu’il avait 15 minutes pour se présenter à l’unité.

 

[6]               Le caporal Giri et son épouse ont tous deux témoigné. Il ressort de leur témoignage que le caporal Giri est rentré chez lui ce matin‑là pour chercher rapidement une fiche médicale. Le caporal Giri pensait que la fiche établie le 27 mars 2013 l’exemptait de service ce matin‑là. Il s’est ensuite rendu à une clinique sans rendez‑vous située près de son domicile, s’y est inscrit et est retourné chez lui peu après, selon son témoignage. Il est ensuite retourné à la clinique, puis il s’est rendu à son lieu de travail. Il a fait état de ses préoccupations voulant qu’il ait été convaincu à ce moment que, sans document médical, ses supérieurs l’auraient obligé à agir comme entrant ce matin‑là et il a invoqué cette croyance pour expliquer sa décision de se rendre à une clinique externe plutôt que de retourner à son lieu de travail comme le lui avait demandé le sergent Boutin.

 

Le droit applicable et les éléments essentiels des accusations

 

Article 83 de la Loi sur la défense nationale, désobéissance à un ordre légitime

 

[7]               En ce qui concerne les premier et deuxième chefs d’accusation, l’article 83 de la Loi sur la défense nationale est ainsi rédigé :

 

Quiconque désobéit à un ordre légitime d’un supérieur commet une infraction et, sur déclaration de culpabilité, encourt comme peine maximale l’emprisonnement à perpétuité.

 

            Cette infraction vise un large éventail de refus. Du plus simple, comme le refus d’exécuter du travail de bureau, au plus grave, comme le refus de risquer sa vie dans le feu d’opérations de combat. Outre les éléments liés au moment et à l’endroit où la présumée infraction a eu lieu de même qu’à l’identité du contrevenant, les autres éléments essentiels sont les suivants :

 

(a)                un ordre a été donné à l’accusé;

 

(b)               il s’agissait d’un ordre légitime;

 

(c)                l’ordre a été reçu par l’accusé ou il en connaissait l’existence;

 

(d)               l’ordre a été donné par un officier supérieur;

 

(e)                l’accusé savait que la personne ayant donné l’ordre était un officier supérieur;

 

(f)                l’accusé a refusé d’obéir à l’ordre;

 

(g)               l’état d’esprit de l’accusé était répréhensible.

 

[8]               Le premier chef d’accusation est ainsi libellé :

 

[traduction] Le ou vers le 7 avril 2013, à la Base des Forces canadiennes Comox, en Colombie‑Britannique, ou près de cet endroit, il a omis, contrairement à l’ordre que lui avait donné le sergent J.R.F.A. Boutin, de se rendre à son domicile pour chercher une fiche médicale qui, selon ses allégations, avait été délivrée à son égard.

 

            Le deuxième chef d’accusation est ainsi libellé :

 

[traduction] Le ou vers le 7 avril 2013, à la Base des Forces canadiennes Comox, en Colombie‑Britannique, ou près de cet endroit, il a omis de retourner à son unité lorsque le sergent J.R.F.A. Boutin lui a ordonné de le faire.

 

Article 129 de la Loi sur la défense nationale, un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline

 

[9]               La troisième accusation vise une contravention présumée à l’article 129 de la Loi sur la défense nationale concernant un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Pour ce qui nous intéresse, le passage pertinent de cette disposition est le suivant :

 

(1)     Tout acte, comportement ou négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline constitue une infraction […]

 

[10]           Le troisième chef d’accusation est ainsi libellé :

 

[traduction] Le ou vers le 7 avril 2013, à la Base des Forces canadiennes Comox, en Colombie‑Britannique, ou près de cet endroit, il a dit à un officier supérieur qu’il avait obtenu une fiche médicale selon laquelle il était exempté de la tâche militaire qu’on lui avait demandé d’exécuter, alors qu’il savait que cette affirmation était fausse.

 

            De façon générale, il est nécessaire de présenter une preuve hors de tout doute raisonnable du préjudice au bon ordre et à la discipline, mais cette preuve peut parfois être inférée des circonstances s’il ressort clairement de l’ensemble de la preuve que le préjudice est une conséquence naturelle d’un acte dont on a établi l’existence. Pour que l’accusé soit déclaré coupable d’un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline, la poursuite doit établir hors de tout doute raisonnable l’identité du contrevenant ainsi que la date et l’endroit précisés dans le libellé de cette accusation. Elle doit en outre prouver hors de tout doute raisonnable les faits suivants :

 

(a)                l’accusé a commis l’acte reproché décrit dans l’exposé du cas;

 

(b)               les conséquences de l’acte dont on a établi l’existence sont préjudiciables au bon ordre et à la discipline;

 

(c)                l’état d’esprit de l’accusé était répréhensible.

 

Analyse juridique et décision

 

[11]           Avant que la Cour ne procède à l’analyse juridique, il convient de traiter de la présomption d’innocence et de la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable. Deux règles découlent de la présomption d’innocence, à savoir que la poursuite assume le fardeau de prouver la culpabilité et que celle‑ci doit être établie hors de tout doute raisonnable. Ces règles sont liées à la présomption d’innocence et visent à ce qu’aucune personne innocente ne soit condamnée.

 

[12]           Le fardeau de la preuve incombe à la poursuite et il ne se déplace jamais. L’ex‑caporal Giri n’est nullement tenu de prouver son innocence. Il n’a rien à prouver. Un doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou frivole. Il ne procède ni de la sympathie ni des préjugés envers les personnes poursuivies. Il repose plutôt sur la raison et le bon sens. Il s’agit d’un doute qui découle logiquement de la preuve ou d’une absence de preuve. Il est pour ainsi dire impossible de prouver quelque chose avec une certitude absolue et la poursuite n’est pas tenue de le faire. Une telle norme de preuve serait écrasante. La norme de la preuve hors de tout doute raisonnable s’apparente cependant beaucoup plus à la certitude absolue qu’à la culpabilité probable.

 

[13]           En l’espèce, rien ne justifie la Cour de rejeter dans son intégralité le témoignage de l’un ou l’autre des témoins entendus pendant le procès. Je conviens avec la poursuite que le témoignage de Mme Kato n’est pas entièrement fiable. Cependant, malgré l’intérêt de Mme Kato dans la présente affaire à titre d’épouse de l’accusé, j’estime que son témoignage est digne de foi et non contredit par le reste de la preuve. Je ne puis simplement écarter sa version des faits lorsqu’elle affirme que son époux, sur demande de ses supérieurs, est arrivé à leur domicile un dimanche pour chercher une fiche médicale. En ce qui concerne la partie de son témoignage où elle a d’abord affirmé que cet événement n’avait pas eu lieu un dimanche parce que c’était son jour de congé, pour ensuite modifier sa version des faits en disant que c’était bien un dimanche, la Cour estime que son explication était suffisante dans les circonstances. Le fait qu’elle a discuté avec son époux, avant le présent procès, des accusations et des faits à l’origine de celles‑ci ne suffit pas, en soi, à miner sa crédibilité ni la fiabilité de son témoignage. Son interrogatoire principal et son contre‑interrogatoire ne soulèvent aucune préoccupation susceptible de justifier le rejet de son témoignage. Quant au témoignage de l’accusé, il a été rendu d’une manière franche et éloquente. Son explication voulant qu’il craigne pour sa santé si ses supérieurs l’avaient obligé à pénétrer dans le réservoir de carburant ce matin‑là n’est pas raisonnable à la lumière de la preuve entendue au procès, mais sa croyance était sincère. La partie de son témoignage au cours de laquelle il a mentionné qu’il s’appuyait sur la fiche médicale du 27 mars 2013 pour étayer son incapacité à exécuter la tâche qu’on lui avait confiée était peut‑être sincère, mais il savait, ou aurait dû savoir, que cette même fiche médicale ne permettait pas de l’exempter de cette tâche ce matin‑là. La Cour arrive donc à la conclusion que sa croyance selon laquelle la fiche médicale lui permettrait de se soustraire à sa tâche était négligeable, mais cela ne signifie pas qu’il ne se soit pas rendu chez lui pour chercher ce document.

 

[14]           Les questions soulevées en l’espèce sont claires et circonscrites. L’accusé a reconnu pendant son témoignage que deux ordres lui avaient été donnés et ce fait a été corroboré par le témoignage de l’adjudant Boutin. Premièrement, le caporal Giri a reçu de ce dernier (lequel était alors sergent) l’ordre d’aller chez lui, de chercher la fiche médicale qui, selon ses allégations, avait été délivrée à son égard, puis de retourner à son lieu de travail. Il n’est pas contesté que cet ordre était légitime et que le caporal Giri a refusé d’y obéir. Par son propre témoignage en l’espèce, le caporal Giri a admis l’ensemble des éléments essentiels de l’accusation, soit l’actus reus et la mens rea nécessaires en ce qui concerne cet ordre précis. Cependant, le libellé du premier chef d’accusation fait état de son défaut de se rendre à son domicile pour chercher une fiche médicale délivrée, selon ses allégations, à son égard, contrairement à l’ordre en ce sens que lui avait donné le sergent J.R.F.A. Boutin. Il ressort de la preuve dont dispose la Cour que le caporal Giri s’est effectivement rendu chez lui pour chercher sa fiche médicale et qu’il a obtempéré à l’ordre reçu.

 

[15]           Quant au deuxième chef d’accusation, la preuve établit tout aussi clairement que le caporal Giri a désobéi au deuxième ordre. Cela s’est produit alors qu’il se trouvait à la clinique médicale et que le sergent Boutin lui a ordonné au téléphone de retourner immédiatement à l’unité. La Cour est persuadée, compte tenu des circonstances existant à ce moment, que l’ordre était légitime et que le caporal Giri a désobéi à celui‑ci. Cependant, tout comme dans le cas de la première accusation, le libellé du deuxième chef d’accusation renvoie au défaut de l’accusé de retourner à son unité lorsque le sergent J.R.F.A. Boutin lui a ordonné de le faire. La preuve produite au procès révèle clairement que, même s’il n’est pas immédiatement retourné à l’unité, il s’y trouvait moins d’une demi‑heure plus tard.

 

[16]           La poursuite demande donc à la Cour de déclarer l’accusé coupable des premier et deuxième chefs d’accusation au moyen d’un verdict annoté de culpabilité en vertu de l’article 138 de la Loi sur la défense nationale sur le fondement des ordres révélés par la preuve au procès. La poursuite fait valoir que, comme il a reconnu, en premier lieu, avoir désobéi à l’ordre que lui avait donné le sergent Boutin de rentrer chez lui, de chercher la fiche médicale et de retourner à son unité, et, en second lieu, avoir désobéi au deuxième ordre du sergent Boutin lorsque ce dernier lui a dit au téléphone de retourner à son unité immédiatement alors que l’accusé se trouvait dans une clinique médicale, le caporal Giri n’en subirait aucun préjudice puisqu’il a reconnu avoir désobéi à des ordres substantiellement différents.

 

[17]           À la lumière de la preuve admise par la Cour, l’accusé a obtempéré aux ordres tels qu’ils sont exposés dans les premier et deuxième chefs d’accusation. De même, il a désobéi à deux autres ordres distincts légitimes qui lui ont été donnés par le sergent Boutin, comme le révèle la preuve. En ce qui concerne le prononcé d’un verdict annoté, l’article 138 de la Loi sur la défense nationale prévoit ce qui suit :

 

Le tribunal militaire peut prononcer, au lieu de l’acquittement, un verdict annoté de culpabilité lorsqu’il conclut que :

 

a)                   d’une part, les faits prouvés relativement à l’infraction jugée, tout en différant substantiellement des faits allégués dans l’exposé du cas, suffisent à en établir la perpétration;

 

b)                   d’autre part, cette différence n’a pas porté préjudice à l’accusé dans sa défense.

 

Le cas échéant, le tribunal expose la différence en question.

 

[18]           L’exposé du cas a pour objet de permettre aux personnes accusées de connaître intégralement la preuve qui pèse contre elles, de définir les questions en litige et de préparer leur défense, notamment de décider s’il y a lieu ou non de présenter des éléments de preuve et de témoigner au procès. Il aide en outre la Cour à gérer le déroulement du procès en ce qui touche les questions relatives à l’admissibilité de la preuve. Il est bien établi en droit que la poursuite est liée par les éléments essentiels du libellé du chef d’accusation, sous réserve de la règle des détails superflus. Par exemple, dans une accusation de vol, la date et le lieu, l’identité de la victime ou la somme d’argent volée constituent tous des détails appartenant à cette catégorie. Tous les détails qui ne sont pas superflus doivent être prouvés par la poursuite, faute de quoi le tribunal conclura simplement que l’accusé n’est pas coupable, sous réserve de la règle relative aux verdicts annotés. Le tribunal ne peut toutefois prononcer un verdict annoté lorsque les faits diffèrent substantiellement des faits allégués dans l’exposé du cas et que cette différence porte préjudice à l’accusé. Dans la présente affaire, l’accusé a fondé l’ensemble de sa défense sur le fait qu’il avait obtempéré aux deux ordres, malgré son aveu voulant qu’il ait désobéi à deux autres ordres distincts. Les questions posées au cours du contre‑interrogatoire des témoins de la poursuite et l’assignation des témoins de la défense, y compris l’accusé, mettent en évidence la stratégie de la défense visant à contester la preuve présentée contre l’accusé. Prononcer un verdict annoté relativement aux premier et deuxième chefs d’accusation aurait simplement pour effet de leur substituer deux autres chefs d’accusation au titre de la même infraction. Si on demandait au tribunal de prononcer un verdict annoté à l’égard de détails non essentiels, comme la date ou le lieu de l’infraction, l’accusé ne pourrait invoquer un préjudice. Dans les circonstances en l’espèce, la différence entre les faits prouvés et les faits allégués dans l’exposé du cas a porté préjudice au caporal Giri dans la conduite de sa défense.

 

[19]           Quant au troisième chef d’accusation, la Cour estime qu’il soulève deux questions. La première intéresse l’état d’esprit répréhensible de l’accusé lorsqu’il a affirmé à son officier supérieur qu’il avait obtenu une fiche médicale selon laquelle il était exempté de la tâche militaire qu’on lui avait demandé d’exécuter. La seconde question touche à la preuve hors de tout doute raisonnable de l’existence d’un préjudice au bon ordre et à la discipline.

 

[20]           Le caporal Giri s’est fié à ses souvenirs de la fiche médicale qu’il avait reçue le 27 mars 2013, laquelle l’exemptait de ses tâches militaires pour trois jours. Il a mentionné qu’après cette période il avait suivi un cours d’une durée d’une semaine dans un établissement civil alors qu’il était en congé. Il connaissait bien le processus et les pratiques concernant les traitements médicaux reçus par les membres des Forces canadiennes ainsi que les restrictions en matière d’emploi imposées par suite d’une maladie ou d’une blessure et les congés de maladie accordés dans le même cas. Si on accepte l’hypothèse la plus favorable à l’accusé, ce dernier espérait peut‑être que sa récente fiche médicale suffise à l’exempter de la tâche militaire en cause, mais les chances de réussite étaient minces. Cependant, sa croyance n’était pas raisonnable parce qu’il savait, ou aurait dû savoir, que son congé de maladie n’excédait pas trois jours suivant le 27 mars 2013. Cette croyance pouvait uniquement découler de son ignorance volontaire. Lorsque le sergent Boutin l’a confronté avec les fiches médicales, il s’est rendu compte qu’il devait effectuer des recherches et examiner les fiches médicales qu’il avait remises à sa chaîne de commandement. Au lieu de cela, il a reporté le moment d’effectuer ses recherches en affirmant qu’il avait perdu sa fiche médicale et qu’elle se trouvait peut‑être chez lui. Tous ses actes à ce moment visaient à trouver une justification afin d’éviter de recevoir l’ordre de s’introduire dans le réservoir de carburant parce qu’il craignait sincèrement d’aggraver sa blessure. Il devait trouver une façon de s’en sortir. Bref, il a refusé de faire les recherches pertinentes parce qu’il ne souhaitait pas connaître la vérité au sujet de la fiche médicale du 27 mars 2013. Du moins, pas tant qu’il était en présence du sergent Boutin. La Cour est donc convaincue que l’acte allégué dans l’accusation de même que l’état d’esprit répréhensible de l’accusé ont été établis hors de tout doute raisonnable.

 

[21]           La seconde et dernière question relative au troisième chef d’accusation intéresse l’élément essentiel du préjudice au bon ordre et à la discipline. Premièrement, la Cour a conclu que l’état d’esprit répréhensible de l’accusé au moment de la présumée infraction découlait d’une ignorance volontaire. Dans les circonstances particulières en l’espèce, la Cour n’est pas convaincue hors de tout doute raisonnable qu’une telle situation soit suffisante pour satisfaire au critère établi dans la décision R. c. Jones, 2002 CACM 11, et permettre de déduire de ces circonstances qu’un préjudice au bon ordre et à la discipline s’est produit comme conséquence naturelle d’un acte établi. La Cour doit donc être persuadée hors de tout doute raisonnable qu’il y a réellement eu préjudice au bon ordre et à la discipline. Il ressort de la preuve que la tâche à effectuer a été reportée jusqu’au début de l’après‑midi et que, même sans document médical exemptant le caporal Giri d’accomplir cette tâche qu’il était censé effectuer le matin du 7 avril 2013, ses supérieurs auraient ajouté foi à ses affirmations voulant que son état de santé ne lui permette pas, quoi qu’il en soit, de l’exécuter. Le retard a entraîné l’absence d’une autre personne susceptible d’agir comme entrant à ce moment. Au cours de leur témoignage, l’adjudant Boutin et le sergent Slonski ont fourni des réponses générales sur l’importance du degré de confiance nécessaire entre les supérieurs et leurs subordonnés au sein d’une petite équipe, de même que sur l’effet potentiel du comportement de l’accusé, qui a manqué de franchise envers ses supérieurs à propos de la fiche médicale qu’il a obtenue le 27 mars 2013, comportement qui pourrait inciter ces mêmes supérieurs à prendre des mesures supplémentaires pour vérifier la condition physique des membres de leur équipe avant de leur confier des tâches de routine. Malgré ces réponses d’ordre général, le témoignage du sergent Slonski a été très clair sur le point suivant : la tâche aurait été reportée puisqu’il était exclu d’obliger le caporal Giri à agir comme entrant dans le réservoir de carburant. Le sergent Slonski n’était pas inquiet du fait que la conduite du caporal Giri soit telle qu’elle puisse préoccuper les autres membres de l’équipe à l’avenir.

 

[22]           Le fait que l’adjudant Boutin ait perdu confiance en le caporal Giri n’est pas en soi suffisant. Le caporal Giri était sous la surveillance du sergent Slonski au moment pertinent. Ce dernier a affirmé dans son témoignage que le degré de confiance qu’il éprouvait à l’égard du caporal Giri avait certainement diminué par suite du comportement de son subordonné le 7 avril 2013, mais il a également ajouté que ce genre de situations devait être traité en fonction de chaque cas. Le sergent Slonski a témoigné que le fait que le caporal Giri n’a pas pénétré dans le réservoir de carburant ce matin‑là n’avait pas changé grand‑chose pour ce qui est de la tâche devant être entreprise à ce moment. Et ce fait n’a eu aucune incidence sur la discipline de l’équipe concernée. Ce n’est pas le comportement du caporal Giri qui était à l’origine du retard à accomplir la tâche, mais plutôt l’incapacité des autres membres de l’équipe d’agir comme entrant. En conséquence, la Cour demeure avec un doute raisonnable quant à l’élément essentiel du préjudice au bon ordre et à la discipline.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[23]           DÉCLARE l’ex‑caporal A.B. Giri non coupable de chacune des accusations.


 

Avocats :

 

Lieutenant‑colonel Richards, Service canadien des poursuites militaires, Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Lieutenant‑colonel Berntsen, Direction du Service d’avocats de la défense, Avocat de l’ex‑caporal Giri

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