Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 23 janvier 2012

Endroit : Le manège militaire de la rue Bay, 715 rue Bay, Victoria (CB)

Chefs d'accusation
•Chefs d'accusation 1, 2 : Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.).
•Chef d'accusation 3 : Art. 97 LDN, ivresse.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 2, 3 : Coupable.
•SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 12 mois et une rétrogradation au grade de matelot de 1re classe.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence :  R c Adams, 2012 CM 2002

 

                                                                                                                 Date :  20120201

                                                                                                                Dossier :  201149

 

                                                                                                         Cour martiale générale

 

                                                                                            Manège militaire de la rue Bay

                                                                           Victoria (Colombie‑Britannique), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Maître de 2e classe A.W. Adams, contrevenant

 

 

En présence du Capitaine de frégate P.J. Lamont, J.M.

 


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Restriction à la publication : Par ordonnance de la cour rendue en vertu de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale et de l’article 486.4 du Code criminel, il est interdit de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit, tout renseignement permettant d’établir l’identité des personnes décrites dans le présent jugement comme étant les plaignantes.

 

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

 

[1]        Maître de 2e classe Adams, le comité de la présente cour martiale générale vous a déclaré coupable, contrairement à vous plaidoyers, à l’égard de trois chefs d’accusation, à savoir deux accusations d’agression sexuelle et une accusation d’ivresse.

 

[2]        Il m’incombe maintenant de déterminer et de prononcer la peine à vous infliger.  Pour ce faire, j’ai tenu compte des principes de détermination de la peine qu’appliquent les tribunaux ordinaires de juridiction criminelle du Canada ainsi que les cours martiales. J’ai également pris en compte les faits de l’espèce, tels qu’ils ont été révélés par la preuve présentée tant au cours du procès qu’à l’étape de l’examen de la détermination de la peine ainsi que les plaidoiries de la poursuite et de la défense.

 

[3]        Les principes de détermination de la peine guident la cour dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de fixer une peine adéquate et adaptée à chaque cas. En règle générale, la peine doit correspondre à la gravité de l’infraction, à l’attitude blâmable et au degré de responsabilité de son auteur ainsi qu’à sa moralité. La cour prend en compte les peines prononcées par les autres tribunaux dans des affaires similaires, non parce qu’elle respecte aveuglément les précédents, mais parce que le sens commun de la justice veut qu’elle juge de façon similaire les affaires similaires. Néanmoins, lorsqu’elle détermine la peine, la cour tient compte des nombreux facteurs qui distinguent chaque affaire dont elle est saisie, tant les circonstances aggravantes susceptibles de justifier une peine plus sévère que les circonstances atténuantes susceptibles de justifier une peine moins sévère.

 

[4]        Les buts et les objectifs de la détermination de la peine ont été exposés de diverses manières dans de nombreuses affaires antérieures. En règle générale, ils concernent la nécessité de protéger la société, y compris, bien entendu, les Forces canadiennes, en favorisant le développement et le maintien d’une collectivité juste, paisible, sûre et respectueuse de la loi. Fait important, dans le contexte des Forces canadiennes, ces objectifs incluent le maintien de la discipline, cette habitude d’obéir si nécessaire à l’efficacité d’une force armée. Ces buts et ces objectifs comprennent aussi la dissuasion individuelle, pour éviter toute récidive du contrevenant, et la dissuasion générale, pour éviter que d’autres ne soient tentés de suivre son exemple. La peine a aussi pour objet d’assurer la réinsertion sociale du contrevenant, de promouvoir son sens des responsabilités, ce que je considère particulièrement important en l’espèce, ainsi que de dénoncer les comportements illégaux. Il est normal qu’au cours du processus permettant d’arriver à une peine juste et adaptée à chaque cas, certains de ces buts et objectifs l’emportent sur d’autres, mais il importe de les prendre tous en compte; une peine juste et adaptée est une sage combinaison de ces buts, adaptée aux circonstances particulières de l’espèce.

 

[5]        L’article 139 de la Loi sur la défense nationale prévoit les différentes peines qu’une cour martiale peut infliger. Ces peines sont limitées par la disposition de la loi qui crée l’infraction et prévoit une sanction maximale. Un contrevenant fait l’objet d’une seule sentence, qu’il soit déclaré coupable d’une seule infraction ou de plusieurs, mais la sentence peut prévoir plusieurs peines. Un principe important veut que la cour inflige la peine la moins sévère permettant de maintenir la discipline.

 

[6]        Pour déterminer la peine en l’espèce, j’ai tenu compte des conséquences directes et indirectes sur l’accusé des déclarations de culpabilité et de la sentence que je m’apprête à prononcer.

 

[7]        En ce qui concerne les faits entourant les infractions reprochées, dans le cadre des directives que j’ai données au comité, j’ai résumé comme suit les témoignages des deux plaignantes :

 

Le témoin Maître de 1re classe V.S. a affirmé qu’elle était steward à bord du NCSM VANCOUVER lorsque le navire a visité Pearl Harbour, le 11 février 2011. Après une activité sociale au cours de laquelle elle a dû assumer certaines responsabilités, elle a quitté le navire pour aller dans un club, accompagnée par le Maître de 1re classe Bacon. Au club, elle a consommé de l’alcool au point de l’intoxication et est retournée à bord en compagnie du Maître de 1re classe Bacon. Elle est allée dormir dans sa couchette du mess 6 après avoir enfilé des vêtements de nuit, soit un pantalon en molleton et un haut. Elle s’est réveillée avec quelqu’un qui était étendu sur elle, entre ses jambes, et qui essayait de l’immobiliser. Elle a repoussé cette personne et a vu que c’était le Maître de 2e classe Adams, un camarade vêtu seulement d’un caleçon boxeur. Elle lui a donné un coup de pied et il est tombé sur le plancher. À ce moment, le Maître de 2e classe A.F. a tiré le rideau qui séparait sa couchette et a dit au Maître de 2e classe Adams de sortir. Le Maître de 1re classe V.S. s’est levée et a constaté qu’elle ne portait plus le pantalon de son pyjama. Elle a trouvé son pantalon, l’a enfilé et a demandé au Maître de 2e classe A.F. où se trouvait le mess du Maître de 2e classe Adams et est allée le chercher. Elle l’a trouvé apparemment éveillé dans sa couchette et lui a asséné des coups de poing et de pied jusqu’à ce qu’elle soit au bout de ses forces. Elle a été raccompagnée par le capitaine d’armes.

 

Le témoin Maître de 2e classe A.F. a affirmé qu’elle dormait dans sa couchette du mess 6 lorsqu’elle a été réveillée vers 2 h 00 par quelqu’un qui lui caressait les cheveux et le bras. Elle a reconnu le Maître de 2e classe Adams et lui a dit avec véhémence de sortir parce qu’elle n’était pas ivre. D’après ses mouvements léthargiques et son odeur, elle a présumé qu’il était intoxiqué. Elle était sur le point de se rendormir lorsqu’elle a entendu des bruits qui venaient de la couchette du Maître de 1re classe V.S.. Elle a tiré le rideau et a vu le Maître de 2e classe Adams qui était repoussé par le Maître de 1re classe V.S. et qui est tombé par terre. Il portait des sous‑vêtements. Il s’est relevé et il est parti. Le Maître de 1re classe V.S. criait « Que diable s’est‑il passé? » ou « C’était qui? »  Le Maître de 2e classe A.F. est allé réveiller le capitaine d’armes, le Maître de 1re classe Martin. Elle a trouvé plus tard le Maître de 1re classe V.S. en compagnie du Maître de 1re classe Bacon. Elle était désemparée et elle pleurait.

 

[8]        Il ressort clairement des conclusions du comité que les témoignages des deux plaignantes ont été acceptés et que le témoignage du contrevenant, selon lequel il se livrait à une activité sexuelle consensuelle avec le Maître de 1re classe V.S., ne soulevait aucun doute raisonnable relativement aux événements déroulés au  mess 6 la nuit en question.

 

[9]        La poursuite a invoqué plusieurs facteurs aggravants quant à la gravité des infractions reprochées. Elle fait valoir que la preuve permet raisonnablement de conclure qu’après avoir été repoussé par le Maître de 2e classe A.F., le contrevenant a tenté d’avoir des rapports sexuels avec une camarade, en fait une camarade de mess, qu’il savait intoxiquée et qui se trouvait donc dans une situation très vulnérable. Le procureur recommande une peine de 15 à 20 mois d’emprisonnement et la destitution des Forces canadiennes ou alors la rétrogradation. La poursuite sollicite également des ordonnances enjoignant au contrevenant de fournir des échantillons d’ADN, de s’inscrire au registre des délinquants sexuels ainsi qu’une ordonnance d’interdiction de possession d’armes pour une période de cinq ans.

 

[10]      L’avocat du contrevenant recommande une peine de détention de 90 jours et la rétrogradation et ne s’oppose pas aux ordonnances accessoires sollicitées, à l’exception de l’ordonnance d’interdiction de possession d’armes. Il reconnaît qu’une telle peine se situe vers l’extrémité inférieure de l’échelle, mais il fait valoir qu’il n’y a pas eu de tentative de pénétration du Maître de 1re classe V.S. et que la tentative de rapports sexuels n’est pas la seule conclusion raisonnable à tirer des faits prouvés à la satisfaction du comité.

 

[11]      Je conviens avec l’avocat de la défense qu’en l’espèce les victimes n’ont pas fait l’objet de menaces ni de violence gratuite au‑delà du niveau inhérent à toute agression sexuelle. Toutefois, à la lumière de l’ensemble de la preuve, je suis convaincu, hors de tout doute raisonnable, que le contrevenant était sur le point d’avoir des rapports sexuels avec le Maître de 1re classe V.S. lorsqu’elle s’est réveillée et a réussi à le repousser. Il s’agit d’une forme très grave d’agression sexuelle qui mérite une peine sévère. La question de savoir s’il y a eu ou non tentative de pénétration, n’est pas véritablement pertinente pour la détermination d’une peine appropriée.

 

[12]      Les circonstances entourant la vie à bord d’un navire font en sorte que les membres de l’équipage renoncent à des aspects de la vie privée que d’autres personnes qui ne font pas partie du service militaire tiennent pour acquis, par exemple, le simple geste de verrouiller la porte avant d’aller se coucher. Par conséquent, les membres sont plus vulnérables si un camarade choisit de profiter de cette absence d’intimité. Tous les membres constatent cette perte de vie privée, mais comprennent implicitement que chacun d’eux a l’obligation de respecter la vie privée des autres, dans la mesure où les conditions du service le permettent. Bref, ils se font mutuellement confiance. La violation de cette entente par le contrevenant, à deux reprises en l’espèce, pour assouvir ses impulsions sexuelles constitue un abus de confiance manifeste.

 

[13]      En l’espèce, le Maître de 1re classe V.S. a témoigné lors de l’audience relative à la détermination de la peine au sujet des conséquences de l’infraction. J’accepte son témoignage. Les effets préjudiciables sur sa vie personnelle et professionnelle sont considérables et, à mon avis, constituent un facteur que quelqu’un dans la situation du contrevenant envisage comme des conséquences susceptibles de découler de ses actes.

 

[14]      De plus, il y a eu deux victimes de la conduite du contrevenant, quoique je souligne que l’intrusion dans l’intimité du Maître de 2e classe A.F. a été beaucoup moins grave.

 

[15]      Les infractions ont eu comme conséquence directe, quelques jours plus tard, le fait que le contrevenant et le Maître de 1re classe V.S. ont quitté le navire dans un port à l’étranger. Personne à bord du navire ne se trouvait en croisière de plaisance et chacun avait son rôle à assumer pour le bon déroulement des activités à bord. Bien qu’on ne m’ait pas présenté d’élément de preuve portant expressément sur ce point, il ne fait aucun doute que la perte de deux membres de grade supérieur a nui, dans une certaine mesure, à la capacité du navire d’accomplir sa mission.

 

[16]      Bien entendu, je tiens compte de la situation personnelle du contrevenant. Celui‑ci est un homme de 34 ans, donc en pleine maturité. Il est en service depuis 1996 et ses états de service étaient sans tache jusqu’à ce qu’il commette ces infractions. Il est séparé de son épouse et remplit ses obligations financières envers celle‑ci en plus de subvenir aux besoins de ses deux jeunes enfants et de sa mère. Il s’acquitte présentement de ses fonctions avec rigueur.

 

[17]      Bien qu’il fût ivre au moment de l’agression sexuelle, je ne crois pas pour autant qu’il s’agit d’une circonstance atténuante.

 

[18]      Compte tenu de toutes les circonstances des infractions et de la situation du contrevenant, j’estime que les principes relatifs à la dénonciation et à la dissuasion générale jouent un rôle important dans la détermination de la peine qu’il convient d’infliger en l’espèce. J’ai toutefois à l’esprit les exigences relatives à la réinsertion sociale, et notamment dans la présente affaire, le besoin de favoriser la prise de conscience par le contrevenant de ses responsabilités.

 

[19]      Selon la loi, la peine de détention ne peut pas excéder 90 jours. À mon avis, la peine d’incarcération minimale jugée nécessaire dans les circonstances des infractions en cause et de la situation du contrevenant dépasse largement une période de 90 jours. Je reconnais qu’il s’agissait d’une première infraction et qu’à ce titre, la durée de la peine d’emprisonnement ne doit pas dépasser pour répondre aux objectifs de la détermination de la peine que j’ai déjà mentionnés. À la demande du contrevenant, j’ordonne que la peine d’emprisonnement soit purgée dans une prison militaire ou une caserne disciplinaire.

 

[20]      Il s’agit d’un cas limite de destitution, mais j’estime en définitive que la question de savoir si le contrevenant doit ou non continuer son service militaire au sein des Forces canadiennes devrait être déterminée par les autorités administratives qui disposent de renseignements plus détaillés quant à la possibilité pour le contrevenant de poursuivre sa carrière au sein des Forces canadiennes.

 

[21]      J’estime cependant que la rétrogradation constitue la peine la plus appropriée. Comme je l’ai fait remarquer dans d’autres affaires, le rang est un symbole manifeste de la confiance accordée à un membre par les Forces canadiennes. En trahissant de cette manière la confiance qu’on lui avait accordée, le contrevenant a démontré qu’il était indigne de son rang. La confiance perdue pourrait toutefois être retrouvée au fil du temps et le rang rétabli, si le contrevenant avait la possibilité de poursuivre son service militaire.

 

[22]      J’ai envisagé la possibilité de rendre une ordonnance d’interdiction de possession d’armes par le contrevenant. Compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire, je ne suis pas convaincu qu’une telle ordonnance est nécessaire pour la sécurité publique ou du contrevenant, et j’estime qu’elle n’est pas non plus souhaitable. Par conséquent, je refuse de rendre l’ordonnance sollicitée.

 

[23]      Vu que l’infraction d’agression sexuelle constitue une « infraction primaire » au sens de la Loi, la cour rendra une ordonnance autorisant le prélèvement échantillons d’ADN. De plus, le contrevenant sera inscrit au registre des délinquants sexuels pour une période de 20 ans.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[24]      Vous CONDAMNE à une peine d’emprisonnement de 12 mois et à une rétrogradation au grade de matelot de 1re classe. Suivant l’article 220 de la Loi sur la défense nationale, la peine d’emprisonnement doit être purgée intégralement dans une prison militaire ou une caserne disciplinaire.

 

[25]      La sentence est prononcée le 1er février 2012, à 15 h 31.

 


 

Avocats :

 

Lieutenant-colonel M. Trudel, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Major D. Berntsen, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat du Maître de 2e classe A.W. Adams

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