Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 1 juin 2010

Endroit : Centre Asticou, pièce 2601, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC)

Chefs d'accusation
•Chefs d'accusation 1, 2 : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 2 : Coupable.
•SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 1500$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Beaulieu, 2010 CM 3012

 

                                                                                                                  Date : 20100601

                                                                                                                 Dossier : 201019

 

                                                                                                    Cour martiale permanente

 

                                                            Centre Asticou

                                                                                                  Gatineau, Québec, Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal M. Beaulieu, contrevenant

 

Devant : Lieutenant-colonel L-V d’Auteuil, J.M.

 


 

MOTIFS DE LA SENTENCE

[1]               Caporal Beaulieu, la cour martiale ayant accepté et enregistré votre aveu de culpabilité sous le premier et deuxième chef d’accusation, la cour vous trouve maintenant coupable de ces deux chefs.

[2]               Il est maintenant de mon devoir à titre de juge militaire présidant cette cour martiale permanente de déterminer la sentence.

[3]               Dans le contexte particulier d’une force armée, le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour faire respecter la discipline qui est une dimension essentielle de l’activité militaire dans les Forces canadiennes. Le but de ce système est de prévenir toute inconduite ou, de façon plus positive, de veiller à promouvoir la bonne conduite. C’est au moyen de la discipline que les forces armées s’assurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès en toute confiance et fiabilité.

[4]               Le système de justice militaire voit aussi au maintien de l’ordre public et s’assure que les personnes justiciables du Code de discipline militaire sont punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

[5]               L'imposition d'une sentence est la tâche la plus difficile d'un juge. La Cour suprême du Canada a reconnu dans l’arrêt R. c. Généreux[1] que « pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace. »  Elle a souligné que dans le contexte particulier de la discipline militaire, les manquements à la discipline devaient être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil. Or, le droit ne permet  pas à un tribunal militaire d’imposer une sentence qui se situerait au-delà de ce qui est requis dans les circonstances de l’affaire. En d’autres mots, toute peine infligée par un tribunal, qu’il soit civil ou militaire, doit être individualisée et représenter  l’intervention minimale requise puisque la modération est le principe fondamental de la théorie moderne de la détermination de la peine au Canada.

[6]               Dans le cas qui nous occupe, le procureur de la poursuite et l’avocat de la défense ont présenté une suggestion commune sur la peine. Ils ont recommandé que la cour vous condamne à une réprimande et à une amende au montant de 1 500 $.

[7]               La cour martiale n’est pas liée par cette recommandation. Il est toutefois de jurisprudence constante que seuls des motifs incontournables et convaincants peuvent lui permettre de s’en écarter. Il est aussi généralement reconnu qu’elle ne devrait agir ainsi que lorsqu’il serait contraire à l’intérêt public de l’accepter et que cela aurait pour effet de déconsidérer l’administration de la justice.

[8]               L’imposition d’une sentence devant une cour martiale a pour objectif essentiel le respect de la loi et le maintien de la discipline, et ce en infligeant des peines visant un ou plusieurs des objectifs suivants:

a.         la protection du public, y compris les Forces canadiennes;

 

b.         la dénonciation du comportement illégal;

 

c.         la dissuasion du contrevenant, et quiconque, de commettre les mêmes infractions;

 

d.         isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société; et

 

e.         la réhabilitation et la réforme du contrevenant.

 

[9]               Les peines infligées qui composent la sentence imposée par un tribunal militaire doivent également prendre en compte les principes suivants:

a.         la proportionnalité entre la gravité de l’infraction, la responsabilité du contrevenant et les antécédents de celui ou celle-ci;

 

b.         l'harmonisation des peines, c'est-à-dire l'infliction de peines semblables à celles infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables;

 

c.         l'obligation, avant d'envisager la privation de liberté, d'examiner la possibilité de peines moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient. Bref, le tribunal ne devrait avoir recours à une peine d’emprisonnement ou de détention qu’en dernier ressort;

 

d.         Finalement, toute peine qui compose une sentence devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l'infraction ou à la situation du contrevenant.

[10]           La cour est d’avis que l’infliction d’une peine au contrevenant dans cette cause doit mettre l’accent sur les objectifs liés à l’effet dissuasif général, puis sur la dénonciation et la réhabilitation. Il est important de retenir que le principe de dissuasion général implique que la peine infligée devrait non seulement dissuader le contrevenant de récidiver mais aussi dissuader toute autre personne qui se trouve dans une situation analogue de se livrer aux mêmes actes illicites.

[11]           En l’espèce, la cour est saisie de deux infractions qui sont des actes préjudiciables au bon ordre et à la discipline qui reproche au contrevenant d’avoir d’abord intimidé des agents de sécurité haïtiens dont il avait la responsabilité, puis pour avoir défoncé et endommagé une porte de sa résidence en présence d’une femme de ménage dont il avait retenu les services, ces deux incidents s’étant produits lors d’un séjour à Haïti en mars 2009. Il s’agit d’infractions purement disciplinaire qui sont sérieuses dans le contexte militaire, mais la cour a l’intention d’infliger ce qu’elle considère être la peine minimale applicable dans les circonstances.

[12]           Les tribunaux sont sensibles à ce genre d’infraction. Dans un contexte militaire, cela a un impact sur la cohésion et le moral des unités, car il s’agit de l’application des principes de respect des gens, d’intégrité et de responsabilité dont doivent faire preuve tous les militaires des Forces canadiennes, que ce soit au Canada comme à l’extérieur du pays. Être un soldat fiable et digne de confiance en toutes circonstances et en tout temps constitue un aspect fondamental sur lequel une force armée doit pouvoir compter pour garantir le succès de la mission.

[13]           Pour en arriver à ce qu’elle croit être une peine juste et appropriée, la cour a également tenu compte des circonstances aggravantes et atténuantes suivantes :

a.         Premièrement, la gravité objective de l’infraction. Vous avez été trouvé coupable de deux infractions aux termes de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale qui sont  passibles, au maximum, de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté ou d’une peine moindre.

b.         Deuxièmement, la gravité subjective de l’infraction. Votre formation particulière en tant que policier militaire, votre expérience et surtout votre position à l’égard de ceux dont vous étiez responsables constituent des éléments fondamentaux qui auraient dû vous  permettre d’éviter de faire appel à ces gestes de violence qui dépassaient nettement ce qui était nécessaire dans les circonstances afin de vous faire comprendre et respecter. En abusant de votre autorité, vous avez démontré un manque de jugement flagrant quant au sentiment d’impuissance et de frustration qui vous habitaient au moment de la commission de chacun de ces incidents.

c.         De plus, malgré le premier incident et vos regrets quant à sa commission, vous avez récidivé 9 jours plus tard en faisant preuve encore une fois, pour une très courte durée, d’un manque de jugement en faisant appel à la violence pour vous faire respecter. Ainsi, l’aspect répétitif de l’infraction doit être considéré comme un facteur aggravant.

d.         En soi, je ne considère pas que votre statut de policier militaire constitue un facteur très aggravant dans les circonstances particulières de cette affaire. Vos tâches ne requéraient pas l’application de l’article 156 de la Loi sur la défense nationale parce que vos fonctions étaient liées à la sécurité. Par contre, vous avez reçu une formation spécifique en matière d’application et de respect des lois en raison de votre métier de policier et les attentes à votre égard étaient plus élevées sur cet aspect des choses en ce qui a trait à votre comportement. Rien ne justifiait les gestes que vous avez commis à en présence de ces personnes.

e.         Par contre, lorsque des membres des Forces canadiennes exercent des responsabilités à l’égard de personnes civiles à l’étranger en théâtre opérationnel, il est certain que les gestes que vous avez commis affectent l’image et la réputation des membres des Forces canadiennes et peut résulter en une diminution de la capacité à accomplir leurs tâches, et en ce sens, la cour doit considérer ceci comme un facteur aggravant.

[14]           La cour considère comme atténuant les facteurs suivants :

a.         Par votre plaidoyer de culpabilité, vous avez témoigné manifestement de vos remords et de votre sincérité dans votre intention de continuer à représenter un actif solide pour la société canadienne. De plus, dans le cadre de votre témoignage devant la cour, vous avez clairement indiqué vos remords quant aux conséquences découlant de vos actes et l’existence de ceux-ci immédiatement après la commission des infractions.

b.         Votre âge et votre potentiel de carrière au sein de la communauté canadienne; âgé de 35 ans, vous avez de nombreuses années devant vous pour contribuer positivement aux Forces canadiennes et à la société en général.

 

c.         L’absence de dossier criminel et de fiche de conduite qui réfèrent à des infractions similaires.

 

d.         Le fait que vos gestes n’ont pas eu de conséquences concrètes et fâcheuses à l’égard des personnes qui en ont été témoins, et qu’il s’agit d’un comportement inhabituel de votre part.

 

e.         Le désir sincère et les efforts soutenus que vous avez faits pour maîtriser votre tempérament. Immédiatement après votre retour au Canada, vous avez entrepris des démarches auprès des autorités médicales qui ont résultées en une consultation continue avec une psychologue afin de vous permettre de détecter et de comprendre vos excès de colère et d’en voir à maîtriser ceux-ci. D’ailleurs, vous continuez activement à suivre des formations en ce sens et je vous encourage à continuer.

 

f.          Les conséquences des décisions administratives qui ont été prises à votre égard en relation avec ces incidents, incluant le retrait de vos fonctions en Haïti et votre rapatriement au Canada plus tôt que prévu, la suspension de vos pouvoirs en vertu de l’article 156 de la Loi sur la défense nationale et de votre privilège de porter une arme, ainsi que votre assignation à des tâches qui ne font pas appel à votre statut particulier de policier militaire. Même si elles ne constituent pas une sentence en soi, elles ont eu certainement un effet dissuasif sur vous et sur tous ceux qui exercent votre métier.

 

g.         Le fait d’avoir eu à faire face à cette cour martiale qui est annoncée et accessible au public, et qui a eu lieu en présence de certains de vos collègues et de certains de vos pairs a certainement eu un effet dissuasif très important sur vous et sur eux. Le message est que le genre de conduite que vous avez eu ne sera toléré d’aucune manière et que ce genre de comportement sera réprimé en conséquence.

[15]           J’ai aussi examiné la question de savoir s’il convient en l’espèce de rendre une ordonnance interdisant au contrevenant de posséder une arme, tel que me l’y oblige l’article 147.1 de la Loi sur la Défense nationale. À mon avis, une telle ordonnance n’est ni souhaitable, ni nécessaire pour protéger la sécurité d’autrui ou du contrevenant dans les circonstances de ce procès, et je ne rendrai aucune ordonnance à cet effet.

[16]           Une peine équitable et juste doit tenir compte de la gravité des infractions et de la responsabilité du contrevenant dans le contexte précis de l’espèce. En conséquence, la cour acceptera la recommandation des avocats de vous condamner à une réprimande et à une amende au montant de 1 500 $, étant donné que cette peine n’est pas contraire à l’intérêt public et n’est pas de nature à déconsidérer l’administration de la justice.

[17]           Caporal Beaulieu, levez vous. La cour vous condamne à une réprimande et à une amende au montant de 1 500 $ payable immédiatement. La cour n’émet pas d’ordonnance aux termes de l’article 147.1 de la Loi sur la Défense nationale.

[18]           Les procédures concernant la cour martiale permanente du caporal Beaulieu sont maintenant terminées.

[18]

Avocats :

Lieutenant-colonel M. Trudel, Service canadien des Poursuites militaires

Avocat de la poursuivante

Lieutenant de vaisseau M. Létourneau, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat de la défense pour le caporal M. Beaulieu



[1] [1992] 1 R.C.S. 259

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