Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 7 août 2012.

Endroit : CI SCFT Meaford, édifice M233, chemin Niagra, chemin rural 1, chemin Grey 112 (chemin Valour), Meaford (ON).

Chef d'accusation

•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, méfait public (art. 140(1)a) C. cr.).


Résultat
•VERDICT : Chef d’accusation 1 : Non coupable.

Contenu de la décision

 

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Luey, 2012 CM 2009

 

Date : 20120809

Dossier : 201223

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Meaford

Meaford (Ontario), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Ex-Soldat C.I. Luey, accusé

 

 

Devant : Capitaine de frégate P.J. Lamont, J.M.

 


 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               L’ex-Soldat Luey est accusé de méfait public au motif que, [traduction] « avec l’intention de tromper, il a amené le Caporal-chef Krull, un enquêteur de la police militaire du Service national des enquêtes des Forces canadiennes, à commencer une enquête en faisant une fausse déclaration au Sergent Blais qui accusait le soldat Robins d’avoir commis l’infraction de publication de pornographie juvénile ». Lors de son procès devant la Cour martiale permanente, la poursuite a présenté des éléments de preuve concernant une conversation qui a eu lieu lors d’un appel téléphonique du Soldat Luey au Sergent Blais le 20 février 2011. La poursuite a également cherché à produire en preuve l’enregistrement d’une conversation entre le Soldat Luey et un enquêteur de la police militaire, le Caporal-chef Krull, qui a eu lieu le 9 mars 2011. À la demande de la défense, la cour a tenu un voir-dire afin de déterminer l’admissibilité en preuve de l’enregistrement de la conversation, étant donné qu’il était allégué que les déclarations avaient été faites à une personne en situation d’autorité et que le caractère volontaire des déclarations était contesté. Comme second moyen, l’avocat de la défense a demandé que la preuve constituée des déclarations faites au Caporal-chef Krull soit écartée au motif qu’il y avait eu violation de l’alinéa 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés ou atteinte au droit garanti par celui-ci. À la demande conjointe des avocats, la cour s’est penchée sur les deux séries de questions dans le cadre d’un seul voir-dire mixte.

 

[2]               La déclaration en cause lors du voir-dire avait été faite par le Soldat Luey lorsqu’il s’est rendu au détachement de la police à la demande du policier qui assurait le suivi de la plainte qu’il avait déposée au sujet du Soldat Robins. La conversation a été enregistrée sur bande vidéo et sur bande audio à la connaissance du Soldat Luey.

 

[3]               Avant qu’une déclaration qui a été faite à une personne en situation d’autorité puisse être admise en preuve contre son auteur, la poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable que la déclaration a été faite volontairement, à savoir qu’elle n’a pas été faite alors ou parce que son auteur aurait pu être, de façon significative, en ce qui concerne l’infraction en question, sous l’influence de la crainte de quelque préjudice à la suite de menaces formulées, ou de l’espoir d’un avantage à la suite de promesses faites, exercée par une personne en autorité. En l’espèce, l’avocat de la défense reconnaît que les déclarations faites par le Soldat Luey au début de la conversation sont volontaires, mais il soutient que la nature de la conversation a changé au moment où l’enquêteur a menacé le Soldat Luey de l’accuser d’entrave à un agent de la paix et que, à partir de ce moment, il existe un doute raisonnable quant à savoir si les déclarations étaient volontaires et que, par conséquent, l’intégralité de la conversation ne devrait pas être admise en preuve.

 

[4]               Le second moyen invoqué par la défense pour demander que la preuve constituée des déclarations faites par le Soldat Luey au Caporal-chef Krull soit écartée repose sur l’alinéa 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui prévoit ce qui suit :

 

Chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention :

 

[…]

 

d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit…

 

Il ne fait aucun doute que le Soldat Luey n’a pas été informé par le Caporal-chef Krull de son droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat, mais la question est de savoir si, pendant la conversation, le Soldat Luey était détenu par le Caporal-chef Krull de sorte que cela a imposé au Caporal-chef Krull l’obligation d’informer le Soldat Luey du droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat.

 

[5]               Dans l’arrêt R c Grant, 2009 CSC 32, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur certaines interactions subtiles entre les policiers et les citoyens qui peuvent entraîner une détention en contexte constitutionnel. La cour a examiné certaines des caractéristiques les plus courantes des interactions entre les policiers et les citoyens. La première caractéristique de ces interactions est habituellement la liberté de l’individu de choisir de coopérer ou non avec les policiers. La cour a statué que seules des contraintes significatives à cette liberté de choix engendrent la nécessité d’exercer les droits garantis par la Charte.

 

[6]               En l’espèce, lors de la conversation du 9 mars 2011, le Caporal-chef Krull traitait le Soldat Luey comme un plaignant et non comme un suspect. Le Soldat Luey s’est rendu au détachement de la police de son plein gré en sachant que les policiers désiraient faire un suivi de la plainte qu’il avait lui-même déposée auprès d’eux quelque deux semaines et demie plus tôt. Dès le début de la conversation, le Caporal-chef Krull a dit expressément au Soldat Luey qu’il n’était pas obligé de lui répondre et qu’il était libre de partir en tout temps. Lors de la conversation, le Caporal-chef Krull n’était pas satisfait des renseignements que lui donnait le Soldat Luey et, dans le but d’encourager une plus grande coopération, il a dit au Soldat Luey que celui-ci dissimulait des renseignements et que cela pourrait être assimilable à une entrave à son travail dans le cadre d’une enquête, ce qui pourrait constituer une infraction criminelle aux termes de l’article 129 du Code criminel. Le Soldat Luey est néanmoins resté sur ses positions et a refusé d’identifier les individus qui étaient visés par sa plainte alors qu’il savait manifestement de qui il s’agissait. De nouveau, pour la seconde fois, le Caporal-chef Krull a rappelé au Soldat Luey qu’il était [traduction] « ici de votre plein gré ». Le Soldat Luey a refusé à maintes reprises de donner des noms au Caporal-chef Krull malgré ses demandes répétées et, éventuellement, le Caporal-chef Krull a mis fin à l’entretien et le Soldat Luey a quitté le détachement de la police.

 

[7]               Eu égard à l’ensemble de la preuve, je ne puis conclure que le Soldat Luey a été détenu à un moment quelconque de son entretien avec le Caporal-chef Krull. Le Soldat Luey n’a pas été privé de sa liberté de parler ou de refuser de parler à sa guise, ni de sa liberté d’aller et venir comme bon lui semblait. Même s’il convient d’interpréter les propos du Caporal-chef Krull au Soldat Luey comme une menace d’inculper le Soldat Luey de l’infraction d’entrave à un agent de la paix s’il ne divulguait pas les noms, alors il s’agit d’une menace qui n’a pas affecté le comportement du Soldat Luey. À mon avis, il n’y a pas eu atteinte à la liberté du Soldat Luey, et encore moins une atteinte suffisamment considérable pour faire intervenir le droit garanti à l’alinéa 10b) de la Charte. La Charte ne s’applique pas.

 

[8]               En ce qui concerne la question du caractère volontaire, j’ai examiné la bande vidéo de la conversation. Le Soldat Luey semble en forme et en bonne santé, il répond de façon convenable aux questions et il ne laisse pas transparaître que sa volonté est ébranlée par quoi que ce soit que le Caporal-chef Krull ait dit ou fait à un moment ou à un autre. Bien que les questions posées par le Caporal-chef Krull fussent répétitives et suggestives, l’interrogatoire n’était pas impoli. Le ton de la conversation est demeuré modéré. Encore une fois, même si l’allusion au Code criminel est considérée comme une menace d’inculper le Soldat Luey, la menace ne semble avoir eu aucun effet sur celui-ci. En dépit de la frustration évidente du Caporal-chef Krull du fait que le Soldat Luey refuse de donner des noms, le Soldat Luey continue de dissimuler des renseignements qu’il devait savoir importants pour l’enquête sur sa plainte au sujet du Soldat Robins. Bref, le Soldat Luey parle et agit de plein gré tout au long de la conversation. Dans les circonstances, je suis convaincu hors de tout doute raisonnable que ses déclarations ont été faites au Caporal-chef Krull librement et volontairement.

 

[9]               Par conséquent, la preuve se rapportant aux déclarations faites par le Soldat Luey au Caporal-chef Krull est admissible, et j’ai rendu une décision en ce sens.

 

[10]           En cour martiale, comme dans le cadre de toute poursuite criminelle devant un tribunal canadien, il incombe à la poursuite de prouver la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable. Dans un contexte juridique, il s’agit d’un terme technique dont la signification est reconnue. Si la preuve ne permet pas d’établir la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable, celui-ci ne doit pas être déclaré coupable de l’infraction. Le fardeau de preuve à cet égard incombe à la poursuite, et il n’est jamais renversé. L’accusé n’a pas à établir son innocence. En fait, l’accusé est présumé innocent à toutes les étapes de la procédure, jusqu’à ce que la poursuite ait prouvé sa culpabilité hors de tout doute raisonnable, au moyen d’une preuve admise par le tribunal.

 

[11]           Le doute raisonnable ne constitue pas une certitude absolue, mais la preuve qui ne mène qu’à conclure à la culpabilité probable n’est pas suffisante. Si la cour est plutôt convaincue que l’accusé est plus probablement coupable que non coupable, cela ne suffit pas pour le déclarer coupable hors de tout doute raisonnable; dans ce cas, l’accusé doit être acquitté. En effet, la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable se rapproche beaucoup plus de la certitude absolue que d’une norme de culpabilité probable. Toutefois, le doute raisonnable n’est pas un doute frivole ou imaginaire; il ne repose pas sur la compassion ou sur un préjugé. Le doute raisonnable est fondé sur la raison et le sens commun découlant de la preuve ou de l’absence de preuve.

 

[12]           Le fardeau de la preuve hors de tout doute raisonnable s’applique à chacun des éléments constitutifs de l’infraction reprochée. En d’autres termes, si la preuve ne permet pas de prouver chacun des éléments de l’infraction hors de tout doute raisonnable, l’accusé doit être acquitté.

 

[13]           Lors de son témoignage, le Sergent Blais a déclaré qu’il était responsable du quart de travail au détachement militaire de la BFC Borden le 20 février 2011 lorsqu’il a reçu un appel téléphonique du Soldat Luey.

 

[14]           Le Soldat Luey a dit au Sergent Blais que son compagnon de chambre ou son ami ou encore [traduction] « un gars qu’il connaît », un certain Soldat Robins, avait affiché des photos de filles nues sur sa page Facebook et que l’une des filles était âgée de 17 ans. Le Sergent Blais ne se souvenait pas si le Soldat Luey avait parlé de seulement deux filles ou bien de cinq filles. La conversation a été brève et, au terme de celle‑ci, le Sergent Blais a transmis les renseignements au Caporal Spina en lui ordonnant d’ouvrir un dossier aux fins d’enquête, appelé un dossier du SISEPM. Le dossier a été confié au Caporal-chef Krull, qui a interrogé le Soldat Luey. Il est raisonnable de conclure que le Sergent Blais considérait que la police enquêtait sur une possible infraction liée à la pornographie juvénile, bien qu’il ne l’ait pas dit expressément dans son témoignage.

 

[15]           Les propos que le Sergent Blais a attribués au Soldat Luey lors de la conversation du 20 février constituent l’élément essentiel de l’infraction en l’espèce. Au vu de l’ensemble de la preuve, je ne suis tout simplement pas convaincu de ce que le Soldat Luey a dit précisément au Sergent Blais au cours de cette brève conversation. Bien qu’il semble avoir considéré qu’il s’agissait d’une affaire suffisamment importante pour ouvrir un dossier et le confier à un enquêteur, le Sergent Blais n’a pas pris de notes concernant la conversation avec le Soldat Luey lorsqu’elle a eu lieu ou peu de temps après. Ce n’est que le 10 mars, soit environ deux semaines et demie plus tard, que le Sergent Blais a porté son attention sur la conversation et a inscrit des renseignements dans son carnet au sujet de celle-ci. Le Sergent Blais n’a pas expliqué pourquoi il avait laissé autant de temps s’écouler avant de prendre des notes, ni n’a pu expliquer pourquoi il avait décidé de prendre des notes lorsqu’il a enfin trouvé le temps de le faire le 10 mars. Il a convenu que sa façon de faire dans ce cas précis n’était pas conforme à son instruction. Il y a d’autres détails entourant la conversation dont il ne pouvait se rappeler, peut-être parce qu’il n’a pas pris de notes à ce moment-là. Pour ces motifs, je suis incapable d’établir, avec quelque peu de certitude, la teneur des déclarations attribuées au Soldat Luey par le Sergent Blais ou de conclure que ces déclarations qu’il a faites étaient fausses.

 

[16]           L’avocat de la poursuite soutient que l’élément de l’intention de tromper est une question clé en l’espèce et il fait valoir que, à la lumière de l’ensemble de la preuve, le Soldat Luey avait eu l’intention de tromper le Sergent Blais en faisant une fausse déclaration relativement à une infraction de pornographie juvénile. Je n’arrive pas à une telle conclusion. L’intention est un état d’esprit qui peut être déduit de l’ensemble des circonstances de l’espèce, notamment ce qu’aurait pu dire ou faire la personne. Je conclus, sur la foi des déclarations que le Soldat Luey a faites au Caporal-chef Krull, qu’il entretenait une animosité personnelle envers le Soldat Robins à l’époque où il a parlé au Sergent Blais. Toutefois, je ne puis conclure que les circonstances révèlent qu’il avait l’intention de tromper sciemment la police afin d’attirer des ennuis au Soldat Robins. À la lumière des déclarations faites par le Soldat Luey au Caporal-chef Krull, j’estime que le Soldat Luey était réellement fâché contre le Soldat Robins en raison des photos qu’il a vues sur l’Internet, et il fournissait tout simplement à la police certains renseignements qui reposaient en partie sur sa connaissance personnelle mais essentiellement sur des rumeurs ou des renseignements qu’il avait entendus, dans l’espoir que la police enquête afin d’établir la véracité des rumeurs. Bien que les renseignements aient pu être inexacts à certains égards et étaient assurément insuffisants pour les besoins du Caporal-chef Krull, il m’est impossible de conclure hors de tout doute raisonnable que le Soldat Luey avait l’intention de tromper le Sergent Blais lorsqu’il a déposé la plainte.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[17]           DÉCLARE le Soldat Luey non coupable.

 


Avocats :

 

Major R.D. Kerr, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Capitaine de corvette P.D. Desbiens, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat de l’ex-Soldat Luey

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