Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 24 août 2010

Endroit : BFC Shilo, Édifice C106, 106 chemin Patricia, Shilo (MB)

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 : Art. 130 LDN, causant illégalement des lésions corporelles (art. 269 C. cr.).
•Chef d'accusation 2 : Art. 124 LDN, a exécuté avec négligence une tâche militaire.

Résultats
•VERDICTS : Chef d'accusation 1 : Retiré. Chef d'accusation 2 : Coupable.
•SENTENCE : Détention pour une période de 10 jours et une amende au montant de 5000$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Elliott, 2010 CM 3019

 

                                                                                                                  Date : 20100824

                                                                                                                 Dossier : 201034

 

                                                                                                    Cour martiale permanente

 

                                                                                      Base des Forces canadiennes Shilo

                                                                                                     Shilo (Manitoba) Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal‑chef W.J. Elliott, contrevenant

 

Devant : Lieutenant-colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.

 


 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Caporal‑chef Elliott, ayant accepté et inscrit votre aveu de culpabilité à l’égard du deuxième chef d’accusation figurant à l’acte d’accusation, la cour vous déclare maintenant coupable de ce chef d’accusation. Étant donné que le premier chef d’accusation a été retiré par la poursuite au début du procès, la cour n’a pas d’autre chef d’accusation à examiner.

 

[2]               À titre de juge militaire présidant la cour martiale permanente, il m’incombe maintenant de déterminer la peine.

 

[3]               Le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour assurer le respect de la discipline dans les Forces canadiennes, une composante essentielle de l’activité militaire. Ce système vise à prévenir l’inconduite ou, d’une façon plus positive, à promouvoir la bonne conduite. C’est grâce à la discipline que les forces armées s’assurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès, en toute confiance et fiabilité. Le système veille également au maintien de l’ordre public et assure que les personnes assujetties au code de discipline militaire sont punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

 

[4]               Il est reconnu depuis longtemps que l’objectif d’un système de justice ou de tribunaux militaires distincts est de permettre aux forces armées de s’occuper des questions liées au respect du code de discipline militaire et au maintien de l’efficacité et du moral des Forces canadiennes. Cela dit, la peine infligée par un tribunal, qu’il soit militaire ou civil, devrait constituer l’intervention minimale nécessaire qui est adéquate dans les circonstances particulières. Ce principe est directement lié au devoir qui incombe à la cour en vertu de l’alinéa 112.48(2)b) des ORFC de « prononce[r] une sentence proportionnée à la gravité de l’infraction et aux antécédents du contrevenant ».

 

[5]               En l’espèce, le poursuivant et l’avocat du contrevenant ont présenté une recommandation conjointe quant à la peine devant être infligée par la cour. Ils ont recommandé que la cour vous condamne à une détention pour une période de dix jours et à une amende de 5 000 $ afin de répondre aux exigences de la justice.

 

[6]               Bien que la cour ne soit pas liée par cette recommandation conjointe, il est généralement reconnu qu’elle ne devrait s’en écarter que lorsqu’elle a des raisons convaincantes de le faire, notamment parce que la recommandation n’est pas adéquate, est déraisonnable, aurait pour effet de déconsidérer l’administration de la justice ou serait contraire à l’intérêt public.

 

[7]               La cour a examiné la recommandation conjointe à la lumière des faits pertinents énoncés dans le sommaire des circonstances et de leur importance. La cour s’est aussi penchée sur cette recommandation en ayant à l’esprit les principes applicables en matière de détermination de la peine, dont ceux énoncés aux articles 718, 718.1 et 718.2 du Code criminel, dans la mesure où ces principes ne sont pas incompatibles avec le régime de détermination de la peine prévu par la Loi sur la défense nationale. Ces principes sont les suivants :

 

a.                   premièrement, la protection du public, y compris les Forces canadiennes;

 

b.                  deuxièmement, la peine du contrevenant;

 

c.                   troisièmement, l’effet dissuasif de la peine, non seulement pour le contrevenant, mais pour quiconque serait tenté de commettre de telles infractions;

 

d.                  quatrièmement, l’amendement et la réadaptation du contrevenant;

 

e.                   cinquièmement, la proportionnalité de la peine par rapport à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant;

 

f.                   sixièmement, l’infliction d’une peine semblable à celles imposées à des contrevenants du même genre pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables.

 

La cour a également tenu compte des observations formulées par l’avocat et des documents à l’appui ainsi que des témoignages du contrevenant et du Major Lunney.

 

[8]               Je dois dire que la protection du public doit être assurée par une peine qui mettrait l’accent sur les principes de la réprobation et de la dissuasion générale et spécifique. Il est important de préciser que la dissuasion générale signifie que la peine infligée devrait dissuader non seulement le contrevenant de récidiver, mais toute autre personne qui, se trouvant dans une situation semblable, serait tentée pour quelque raison que ce soit d’adopter la même conduite illicite.

 

[9]               En l’espèce, la cour doit se pencher sur une infraction commise par le contrevenant, qui a négligemment exécuté un devoir militaire qui lui était imposé, c’est‑à‑dire qu’il a n’a pas pris les précautions nécessaires pour éviter une décharge dangereuse de son pistolet de 9 mm. Il s’agit là d’une infraction très grave, mais la cour doit infliger la peine qu’elle estime être la moins sévère dans les circonstances.

 

[10]           Pour en arriver à une peine qu’elle croit juste et appropriée, la cour a tenu compte des circonstances atténuantes et aggravantes suivantes :

 

a.                   La cour considère la gravité objective de l’infraction comme un facteur aggravant. L’infraction dont vous avez été accusé est visée à l’article 124 de la Loi sur la défense nationale. Cette infraction est passible au maximum de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté ou d’une peine moindre.

 

b.                  Ensuite, la cour estime que la gravité subjective de l’infraction porte sur quatre aspects :

 

                                                  i.                  Le premier facteur aggravant d’un point de vue subjectif est le contexte de la négligence. Pendant que vous nettoyiez votre pistolet de 9 mm dans votre chambre en présence d’autres soldats, vous l’avez négligemment chargé avec des munitions réelles, l’avez pointé dangereusement et avez tiré sur un de vos collègues. En principe, bien que le fait de nettoyer une arme dans une chambre ne soit pas contre‑indiqué dans un théâtre d’opérations comme en Afghanistan, vous devez néanmoins respecter l’instruction que vous avez reçue afin de vous assurer que vous agissez d’une manière sécuritaire pendant que vous maniez votre arme, ce que vous n’avez manifestement pas fait. En tant que soldat, vous savez très bien à quel point cette arme est meurtrière. Pendant votre instruction de base et à beaucoup d’occasions dans votre carrière, on vous a dit comment manier des armes d’une manière sécuritaire pour vous et pour les autres. Pour un instant, vous n’avez pas porté dûment attention et comme on vous l’avait dit, votre inattention a engendré un grave incident.

 

                                                ii.                  Le deuxième facteur aggravant est la conséquence de votre négligence. Un de vos collègues a été blessé par votre acte et, heureusement, celui‑ci ne lui a pas causé une incapacité physique permanente. Essentiellement, vous avez blessé quelqu’un parce que vous avez été négligent et vous auriez pu le blesser plus gravement ou même le tuer.

 

                                              iii.                  Le troisième facteur aggravant est l’existence d’une condamnation antérieure pour une infraction de la même nature. Trois ans environ avant la perpétration de l’infraction dont nous sommes saisis, vous avez été reconnu coupable d’une infraction visée à l’article 129 de la Loi sur la défense nationale pour avoir négligemment manié un pistolet de 9 mm. Essentiellement, vous semblez toujours avoir une certaine inhabileté à bien manier un pistolet de 9 mm malgré une première condamnation à cet égard.

 

                                              iv.                  Enfin, le quatrième facteur aggravant est votre grade et votre expérience. Comme votre avocat l’a mentionné, vous avez vécu trois déploiements difficiles durant lesquels vous avez probablement manié plus d’une fois un pistolet de 9 mm avant d’être impliqué dans cet incident. Comme il s’agissait de votre deuxième expérience en Afghanistan dans un tel contexte, vous auriez dû apprendre de cette expérience. Votre groupe professionnel, en tant que fantassin, vous a plus souvent exposé au maniement d’une arme à feu que beaucoup d’autres groupes professionnels dans les Forces canadiennes. Pour cette raison, on estime que vous êtes très habitué à manier des armes. En tant que caporal‑chef, vous savez que vous devez servir d’exemple pour les autres, ce que vous n’avez manifestement pas fait. L’insouciance et l’imprudence dont vous avez fait preuve pendant que vous nettoyiez votre arme sont des caractéristiques difficilement conciliables avec une personne ayant votre grade et votre expérience.

 

[11]           J’ai également tenu compte des facteurs atténuants suivants :

 

a.                   Premièrement, il y a votre aveu de culpabilité. Vu les faits présentés en l’espèce, la cour doit considérer que votre aveu de culpabilité constitue un véritable remords et que vous êtes très sincère lorsque vous dites que vous voulez demeurer un atout pour les Forces canadiennes. Cet aveu démontre également que vous assumez l’entière responsabilité de vos actes. À partir du moment où l’incident s’est produit jusqu’à aujourd’hui, vous avez clairement exprimé vos regrets. Il ne fait aucun doute pour la cour que si vous aviez pu faire quoi que ce soit de différent pour éviter l’incident, vous l’auriez fait sans hésitation.

 

b.                  Votre efficacité dans le service militaire. Sans aucun doute, vous méritez du respect pour ce que vous avez fait durant votre carrière militaire jusqu’à maintenant. Vous avez toujours donné tout ce que vous aviez, peu importe la tâche et le contexte, pendant que vous étiez confronté à l’ennemi ou dans votre communauté, sans attendre quoi que ce soit en retour. Vos états de service le démontrent clairement et la cour doit en tenir compte.

 

c.                   Le fait que vous avez dû comparaître devant la cour martiale. Je suis certain que cela a déjà eu un effet dissuasif sur vous, et aussi sur d’autres.

 

d.                  Le fait que votre chaîne de commandement a toujours confiance en vous malgré ce que vous avez fait. Sans aucun doute, après l’incident, vous avez gardé la confiance de vos supérieurs dans la chaîne de commandement, et ils croient toujours en vos chances de devenir un futur chef dans les Forces canadiennes.

 

e.                   Votre état pathologique tel qu’il est aujourd’hui. Même si l’on ne prétend pas que votre état pathologique soit la cause de ce que vous avez fait au moment de l’incident, la cour doit toutefois en tenir compte pour déterminer la peine appropriée qu’elle devra infliger.

 

[12]           Concernant le fait que la cour doit infliger une peine d’incarcération au Caporal‑chef Elliott, la Cour suprême du Canada a bien établi dans l’arrêt R. c. Gladue[1] que l’incarcération ne devrait être infligée qu’en dernier recours. La Cour suprême du Canada a précisé que l’incarcération sous forme d’emprisonnement ne convient que lorsqu’aucune autre sanction ou combinaison de sanctions n’est appropriée pour l’infraction et le délinquant. La cour estime que ces principes sont pertinents dans un contexte de justice militaire, compte tenu des principales différences entre le régime des peines qu’applique le tribunal civil siégeant en matière pénale et celui prévu dans la Loi sur la défense nationale pour un tribunal militaire.

 

[13]           Cette manière de procéder a été confirmée par la Cour d’appel de la cour martiale dans R. c. Baptista[2], où on a conclu que l’incarcération ne devrait être infligée qu’en dernier recours.

 

[14]           Dans la présente instance, compte tenu de la nature de l’infraction, des circonstances dans lesquelles elle a été commise, des principes applicables de détermination de la peine, notamment la dissuasion générale, ainsi que des facteurs aggravants et atténuants exposés ci‑dessus, je conclus qu’aucune sanction ou combinaison de sanctions autre que l’incarcération ne semble constituer la peine la moins sévère indiquée et nécessaire en l’espèce. S’agissant de cette question, la cour fait remarquer l’accord des deux avocats.

 

[15]           Maintenant, quel serait le type d’incarcération indiqué dans les circonstances de l’espèce? Le système de justice pénale au Canada a ses propres particularités, comme l’emprisonnement avec sursis, qui est différent des mesures probatoires, mais qui constitue néanmoins une peine d’emprisonnement comportant des applications précises permettant au contrevenant de purger sa peine dans la collectivité afin de combiner les objectifs de punition et de correction. De la même manière, le système de justice militaire dispose, quant à lui, de mesures disciplinaires comme la détention, qui vise à réhabiliter les détenus militaires et à leur redonner l’habitude d’obéir dans un cadre militaire structuré. Ces derniers seront donc soumis à un régime d’entraînement qui insiste sur les valeurs et les compétences propres aux membres des Forces canadiennes, pour leur faire voir ce qui les distingue des autres membres de la société. La détention peut avoir un effet dissuasif important sans pour autant stigmatiser un militaire condamné au même degré que les militaires condamnés à l’emprisonnement, comme il ressort des notes ajoutées aux articles 104.04 et 104.09 des ORFC.

 

[16]           S’agissant du contrevenant en l’espèce, j’estime que la détention serait le type d’incarcération qui conviendrait le mieux. La nature de l’infraction et les circonstances de l’espèce démontrent clairement que des valeurs et des principes militaires fondamentaux doivent être inculqués de nouveau au Corporal‑chef Elliott, particulièrement à l’égard de la responsabilité dans le maniement des armes. De plus, la détention servira d’effet dissuasif général pour ceux qui seraient tentés d’adopter une telle conduite dans les Forces canadiennes.

 

[17]           Concernant la durée de la peine, la cour estime que la présente situation justifierait une détention d’une période de 30 jours. Toutefois, deux principaux facteurs atténuants militent en faveur de la réduction de cette période. Premièrement, depuis l’incident, le Corporal‑chef Elliott a clairement indiqué qu’il regrette ce qui s’est passé. Deuxièmement, il a manifestement gardé la confiance de sa chaîne de commandement malgré l’incident. Enfin, une période aussi longue pourrait nuire à ses chances de réussir à composer adéquatement avec son état pathologique actuel. C’est pourquoi je conclus qu’une détention de 10 jours conviendrait dans les circonstances. Cette peine satisferait aux principes et objectifs de détermination de la peine et permettrait de maintenir la discipline et la confiance à l’égard de l’administration de la justice militaire.

 

[18]           J’ai longuement pensé au fait qu’une amende devrait être combinée à la période de détention. Le montant suggéré semble très sérieux. Je comprends que l’avocat a suggéré une amende de ce montant pour qu’elle reflète le principe de la dissuasion générale. Malgré le fait que je considère le montant suggéré comme très élevé dans les circonstances, je crois effectivement qu’il reflète ce principe de détermination de la peine et qu’il n’est pas déraisonnable dans les circonstances de l’espèce.

 

[19]           Par conséquent, la cour accepte la recommandation conjointe des avocats de vous condamner à une détention de 10 jours et de vous infliger une amende de 5 000 dollars, étant donné qu’une telle sentence n’est pas contraire à l’intérêt public et ne risque pas de déconsidérer l’administration de la justice.

 

[20]           Caporal‑chef Elliott, veuillez vous lever. En conséquence, la cour vous condamne à une détention de 10 jours et à une amende de 5 000 dollars. L’amende doit être payée par versements mensuels de 500 dollars à partir du 1er septembre 2010 et au cours des neuf mois suivants.

 

[21]           Après avoir donné l’occasion aux avocats de présenter leurs observations, la cour a examiné s’il était souhaitable, dans l’intérêt de la sécurité du contrevenant, de la victime ou de toute autre personne, de rendre une ordonnance interdisant au contrevenant de posséder une arme à feu. Malgré le fait que la perpétration de l’infraction impliquait une arme à feu, aucune violence n’a été exercée. De plus, compte tenu du comportement du contrevenant depuis la dernière année et des commentaires de son avocat concernant la nécessité d’une telle ordonnance, y compris le fait qu’il a toujours été en poste sans être restreint à cet égard par sa chaîne de commandement, la cour est d’avis qu’aucune ordonnance de la sorte n’est souhaitable.


 

Avocats :

 

Lieutenant-colonel M. Trudel, Direction des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

Major C.E. Thomas, Direction du service d’avocats de la défense à Ottawa

Avocat du Corporal‑chef W.J. Elliott

 



[1] [1999] 1 R.C.S. 688, paragraphes 38 et 40

[2] 2006 CACM 1, paragraphes 5 et 6

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