Cour martiale
Informations sur la décision
Date de l'ouverture du procès : 2 novembre 2009
Endroit : BFC Edmonton, Édifice 407, Aménagements pour des lectures d'entraînement, chemin Rhine, Edmonton (AB)Chefs d'accusation
•Chefs d'accusation 1, 2, 3, 4, 5, 6 : Art. 130 LDN, trafic (art. 5(1) LRCDAS).
Résultats
•VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 2, 3, 4, 5, 6 : Coupable.
•SENTENCE : Emprisonnement pour une période de neuf mois.
Contenu de la décision
Référence : R. c. ex-Caporal D.D. Beek, 2009 CM 3019
Dossier : 200904
COUR MARTIALE PERMANENTE
CANADA
ALBERTA
BFC EDMONTON
Date : Le 2 novembre 2009
SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL L-V. D’AUTEUIL, J.M.
SA MAJESTÉ LA REINE
c.
EX-CAPORAL D.D. BEEK
(Contrevenant)
SENTENCE
(Prononcée de vive voix)
TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE
[1] Ex-Caporal Beek, ayant accepté et inscrit un plaidoyer de culpabilité à l’égard des six chefs d’accusation indiqués dans l’acte d’accusation, la cour vous déclare coupable à l’égard de tous les six chefs.
[2] Il m’incombe maintenant, à titre de juge militaire présidant la cour martiale permanente, de déterminer la peine. Le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour faire respecter la discipline, qui est une dimension essentielle de l’activité militaire dans les Forces canadiennes. Ce système vise à prévenir l’inconduite ou, d’une façon plus positive, à promouvoir la bonne conduite.
[3] C’est grâce à la discipline que les forces armées s’assurent que leurs membres réussiront leurs missions en toute confiance et fiabilité. Le système veille également au maintien de l’ordre public et assure que les personnes assujetties au Code de discipline militaire sont punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.
[4] Il est reconnu depuis bien longtemps que l’objectif d’un système de justice ou de tribunaux militaires distincts est de permettre aux forces armées de s’occuper des questions liées au respect du Code de discipline militaire et au maintien de l’efficacité et du moral des Forces canadiennes.
[5] Cela étant dit, la peine infligée par un tribunal, qu’il soit militaire ou civil, devrait constituer l’intervention minimale nécessaire qui est adéquate dans les circonstances particulières. Ce principe est aussi conforme au devoir de la cour d’infliger une peine proportionnée à la gravité de l’infraction et aux antécédents du contrevenant, comme le prévoit l’alinéa 112.48 (2)b) des ORFC.
[6] En l’espèce, le poursuivant et l’avocat du contrevenant ont présenté une recommandation conjointe quant à la peine. Ils ont recommandé que la cour vous condamne à un emprisonnement pour une période de neuf mois. Bien que la cour ne soit pas liée par cette recommandation conjointe, le principe suivant, que la Cour d’appel de la cour martiale énonce au paragraphe 21 de l’arrêt Soldat Taylor c. R., 2008 CACM 1, en citant le paragraphe 17 de l’arrêt R. c. Sinclair, est généralement reconnu :
2) Le juge chargé de la détermination de la peine ne doit aller à l’encontre de la recommandation conjointe que s’il existe des motifs impérieux de le faire, notamment lorsque la peine est inappropriée, déraisonnable, de nature à déconsidérer l’administration de la justice ou contraire à l'intérêt public.
[7] La cour a examiné la recommandation conjointe à la lumière des faits pertinents énoncés dans le sommaire des circonstances et dans l’exposé conjoint des faits, et de leur importance. La cour s’est aussi penchée sur cette recommandation en ayant à l’esprit les principes applicables en matière de détermination de la peine, dont ceux énoncés aux articles 718, 718.1 et 718.2 du Code criminel, dans la mesure où ces principes ne sont pas incompatibles avec le régime de détermination de la peine prévu par la Loi sur la défense nationale. Ces principes sont les suivants :
Premièrement, la protection du public, le public incluant les intérêts des Forces canadiennes;
Deuxièmement, la punition du contrevenant;
Troisièmement, l’effet dissuasif de la peine, non seulement pour le contrevenant, mais pour quiconque pourrait être tenté de commettre de telles infractions;
Quatrièmement, l’amendement et la réadaptation du contrevenant;
Cinquièmement, la proportionnalité de la peine par rapport à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant;
Sixièmement, l’infliction d’une peine semblable à celles imposées à des contrevenants du même genre pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables.
La cour a également examiné les observations présentées par les avocats et la preuve documentaire soumise.
[8] Je dois dire que je conviens avec l’avocat de la poursuite de la nécessité de protéger le public par l’infliction d’une peine qui met l’accent sur la réprobation de la société et sur l’effet dissuasif général. Il est important de préciser que, selon le principe de la dissuasion générale, la peine infligée devrait dissuader non seulement le contrevenant de récidiver, mais aussi toute personne se trouvant dans une situation semblable d’adopter, pour quelques raisons que ce soit, la même conduite interdite. De plus, il est nécessaire de tenir compte de la réadaptation du contrevenant dans la présente affaire.
[9] En l’espèce, la cour est saisie de deux infractions de trafic de cocaïne, une infraction de trafic de méthamphétamine et de trois infractions de trafic d’ecstasy, substances considérées comme des drogues dures en raison de leurs effets nocifs sur le bien‑être mental et physique des personnes qui en consomment. Il s’agit d’infractions graves. La cour doit néanmoins infliger la peine qu’elle estime être la moins sévère adaptée aux circonstances.
[10] La Cour d’appel de la cour martiale a clairement affirmé dans l’arrêt R. c. Dominie, 2002 CACM 8, au paragraphe 5, que l’emprisonnement peut constituer la peine la moins sévère imposée aux militaires qui font le trafic de la cocaïne :
Le trafic répété du crack, même s’il est de nature non commerciale, doit généralement être sanctionné par l’emprisonnement, même pour les civils. Lorsqu’il s’agit de militaires, la dissuasion exige clairement la pleine conscience qu’ils seront emprisonnés s’ils font le trafic du crack sur une base militaire. On ne peut bénéficier d’une sentence suspendue, sauf dans les rares cas où il existe des circonstances atténuantes exceptionnelles.
[11] Pour en arriver à ce qu’elle croit être une peine juste et appropriée, la cour a pris en compte les circonstances atténuantes et aggravantes décrites ci-après.
[12] La cour considère comme aggravants les facteurs suivants :
La gravité objective des infractions. Les accusations relatives aux infractions dont vous avez été accusé ont été portées conformément à l’article 130 de la Loi sur la défense nationale pour trafic, contrairement au paragraphe 5(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Ces infractions sont passibles d’un emprisonnement à perpétuité ou d’une sanction moindre pour le trafic des substances figurant à l’annexe I, dans le cas de deux chefs d’accusation indiqués dans l’acte d’accusation, et d’un emprisonnement maximal de dix ans ou d’une sanction moindre pour le trafic des substances figurant à l’annexe III, dans le cas des autres chefs d’accusation.
La gravité subjective de l’infraction. La Cour d’appel de la cour martiale a énoncé pourquoi la présence des stupéfiants dans le milieu militaire doit être considérée comme une question très sérieuse. Dans l’arrêt MacEachern c. J., 4 CACM 447, le juge Addy a dit :
[...] À cause des tâches particulièrement importantes et dangereuses que les militaires peuvent, en tout temps et à bref délai, être tenus d’exécuter et du travail d’équipe qu’exige l’accomplissement de ces tâches, lesquelles nécessitent souvent l’utilisation d’armes et d’instruments hautement techniques et potentiellement dangereux, il ne fait aucun doute que les autorités militaires sont tout à fait justifiées d’attacher une très grande importance à ce qu’aucun stupéfiant ne se trouve ni ne soit utilisé dans les établissements ou les formations militaires ni à bord des navires ou des aéronefs. Les autorités militaires ont peut‑être davantage intérêt que les autorités civiles à ce qu’aucun membre des forces armées n’utilise ni ne distribue de stupéfiants et, en fin de compte, à en empêcher tout usage. [...]
Le fait que les circonstances des infractions consistent en plusieurs transactions que vous avez effectuées à des fins commerciales dans une courte période de temps, relativement à trois différents types de stupéfiants interdits. Vous avez en fait participé activement à la distribution de cocaïne et d’ecstasy dans la ville d’Edmonton à une personne qui vous paraissait être un civil. Malgré le fait que vous connaissiez bien les effets nocifs sur le bien‑être mental et physique des personnes qui consomment ces types de stupéfiants, vous n’avez pas hésité à lui en procurer une grande quantité lors de la transaction, tout en sachant que ce ne serait pas seulement la personne en question qui en subirait les effets nocifs. Évidemment, il ne s’agit pas du genre de comportement auquel les citoyens canadiens s’attendent de la part des soldats canadiens.
[13] La cour tient compte des facteurs atténuants suivants :
D’après les faits présentés, j’estime également que votre plaidoyer de culpabilité traduit un véritable signe de remords et la sincérité de votre intention de demeurer un atout pour la société canadienne. La cour ne voudrait pas mettre en péril vos chances de succès, car la réadaptation est un élément clé à prendre en compte dans tous les cas au moment de déterminer la peine à infliger à une personne. Selon l’alinéa 112.48(2)a) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, la cour doit tenir compte de toute conséquence indirecte de la sentence. Les problèmes découlant de votre conduite au sein des Forces canadiennes au sujet des stupéfiants ont été réglés par des mesures administratives qui ont entraîné votre libération des Forces canadiennes en avril 2005. Cela a mis fin à une carrière prometteuse et stable.
Le fait que vous n’aviez aucune fiche de conduite ni dossier criminel pour des infractions de nature semblable.
Votre âge et vos perspectives de carrière en tant que membre de la société canadienne. À 31 ans, il vous reste de nombreuses années pour apporter une contribution positive à l’ensemble de la société.
L’existence des relations durables avec votre partenaire, votre fille, votre famille et vos amis.
De plus, vous vous êtes remis d’un problème de santé et avez commencé à être un membre productif de la société en trouvant et en conservant un bon emploi en 2008.
Vos proches vous ont mis au défi de leur prouver que vous étiez de nouveau digne de foi et vous avez relevé ce défi; je vous en félicite donc et j’espère que vous garderez cette attitude.
Le fait que toutes les transactions ont été effectuées il y a cinq ans et en dehors de la base militaire. La question de la période écoulée ne se pose pas vraiment en l’espèce, mais elle vous a permis au moins de montrer votre vraie nature et a aidé la cour à conclure que vos efforts de changer pendant ces années ont porté fruit.
Le fait que vous vous êtes présenté devant la cour martiale a déjà un certain effet dissuasif sur vous et sur les autres. La cour est convaincue que vous n’aurez pas à comparaître devant un tribunal pour une infraction de nature semblable ou pour quelque autre infraction que ce soit à l’avenir.
[14] Étant donné les facteurs et les circonstances de la présente affaire, la cour estime que la recommandation conjointe n’est pas déraisonnable. En conséquence, la cour fera droit à la recommandation conjointe des avocats de vous condamner à un emprisonnement de neuf mois, considérant que cette peine n’est pas contraire à l’intérêt public et qu’elle ne risque pas de déconsidérer l’administration de la justice.
[15] La poursuite a demandé, conformément à l’article 147.1 de la Loi sur la défense nationale, que la cour martiale rende une ordonnance interdisant au contrevenant d’avoir en sa possession des armes à feu pour une période indéterminée. Pour déterminer s’il est préférable de rendre une telle ordonnance, la cour doit d’abord décider si l’ex-Caporal Beek est déclaré coupable d’une infraction énumérée à cet article. L’article prévoit ce qui suit :
147.1(1) La cour martiale doit [...] lorsqu’elle le déclare coupable, selon le cas :
[...]
c) d’une infraction aux paragraphes 5(3) ou (4), 6(3) ou 7(2) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
[16] Malheureusement, comme je l’ai mentionné dans ma décision ex-Caporal Stevens, l’alinéa 147.1(1)c) de la Loi sur la défense nationale fait effectivement référence aux dispositions sur la peine pour trafic de substances en vertu de l’article 5 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, à l’exception des dispositions relatives aux infractions prévues aux paragraphes 5(1) ou 5(2). Il en est de même en ce qui concerne la version française. De toute évidence, il y a ici une erreur de rédaction. La lecture de l’alinéa en question est inintelligible. Selon le libellé de cette disposition, la cour aurait le pouvoir de rendre une ordonnance interdisant la possession d’armes à feu lorsqu’elle déclare le contrevenant coupable d’une infraction à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, qui en fait ne constitue pas une infraction punissable. Toutefois, l’intention du législateur demeure claire, notamment dans le contexte d’une disposition semblable prévue à l’alinéa 109(1)c) du Code criminel, qui est mieux rédigée. Il est évident que l’intention du législateur à l’alinéa 147(1)c) de la Loi sur la défense nationale était de faire référence à la disposition relative au trafic et non à celle relative à la peine pour la même infraction.
[17] Il suffit que la cour interprète la référence aux paragraphes 5(3) ou (4) comme une référence aux paragraphes 5(1) ou (2) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et à l’alinéa 147.1(1)c) de la Loi sur la défense nationale, respectivement, ce qui correspondrait à l’alinéa 109(1)c) du Code criminel portant sur la même question. Bref, la cour conclut que l’intention du législateur doit être affirmée malgré cette erreur et que la disposition en question doit recevoir application.
[18] Cela dit, étant donné les circonstances de la perpétration des infractions, le fait qu’au cours de ces transactions le contrevenant ne s’est pas servi d’une arme et qu’il n’était pas en possession d’une arme, la cour estime qu’une telle ordonnance ne sert pas l’intérêt du contrevenant ni celui de toute autre personne.
[19] Ex-Caporal Beek, veuillez vous lever. La cour vous condamne à un emprisonnement pour une période de neuf mois. Veuillez vous asseoir. La sentence est prononcée à 15 h 18, le 2 novembre 2009.
LIEUTENANT-COLONEL L-V. D’AUTEUIL, J.M.
AVOCATS
Capitaine D. Curliss, Service canadien des poursuites militaires
Avocat de Sa Majesté la Reine
M. M. Sparks, Beresh Cunningham Aloneissi O’Neill Hurley Avocats, 300 MacLean Block, 10110-107 Street, Edmonton (Alberta)
Avocat du ex-Caporal D.D. Beek